jeudi 31 décembre 2020

"L'ANDOURRO ARRIBO" ! l'Andorre arrive ! Des moutons par milliers !

Après avoir suivi Marcel, entre Porté-Puymorens et Lézignan-Corbières, suite à une évocation de Victor Hugo, le lycée-caserne de Narbonne où les frères Torrès apportèrent l'air vif de l'Andorre et des Pyrénées ainsi qu'une envie de grands espaces, la revue FOLKLORE nous offre le détail d'une transhumance descendante, l'itinéraire des troupeaux venus hiverner dans notre Bas-Languedoc.

Articles en amont : 

https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2020/12/bergers-moutons-transhumance-des.html

 https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2020/12/de-landorre-aux-pays-daude-hommes-et.html

 Cela nous est d'autant plus précieux que, concernant les troupeaux du Sud, presque la totalité des références, audiovisuelles, littéraires, avec Daudet, Giono, Bosco, Mauron... retracent les drailles et carraires de la grande migration ovine suivant le grand "S" formé par le cours de la Durance, de la Crau jusqu'aux Alpes. Une ligne de crêtes que la géopolitique a voulue frontière avec l'Italie mais dont l'Occitanie se rit, même pour les moutons puisque plus de la moitié des bergers étaient piémontais avec, pour langue maternelle, l'occitan des vallées ! Entre parenthèses, cette émigration transparait aussi dans l’œuvre de Pagnol avec par exemple les bouscatiers et charbonniers qui recueillent Manon dans le  cycle "L'Eau des Collines". 

Et d'autant moins de frustration qu'à trop fouiller et mettre au jour, la vulgarisation porte atteinte à l'enchantement. Autre parenthèse, je m'entends encore demander, en entrant le matin, dans le bruit ambiant de la classe qui sort ses affaires "Monsieur c'est quoi les Corbières ?" à brûle-pourpoint, à notre bon maître, monsieur Rougé qui, d'un beau sourire, a sûrement eu quelques mots pour me faire patienter et continuer à rêver, même si ma mémoire n'a gardé que son sourire pour réponse ! Aussi, dans les mystères des Corbières (près d'une vingtaine de pages à ce jour sur ce blog même) figureront désormais quelques jalons de cette transhumance descendante, juste de quoi aiguiser la curiosité des plus volontaires. Laissons venir à nous, dans le Quercorb, le Razès, le Val de Dagne, les garrigues du Minervois, jusqu'aux Corbières Orientales et les basses plaines de chez nous, ce "nomadisme assagi", pour reprendre les mots de Fernand Braudel.  

Cet article du numéro automne-hiver n°s 147-148 de la revue Folklore, on le doit à messieurs N. Vaquié et U. Gibert (l'Internet nous en dira-t-il davantage sur eux ?). 

L'Hospitalet-près-l'Andorre Place_Sainte-Suzanne wikimedia commons Author Olybrius

Début novembre, divers itinéraires répertoriés (les noms en majuscule marquent les étapes) : 

Tronçon commun :  L'HOSPITALET-près-l'ANDORRE (1 jour), Ax-les-Thermes, col du Schioula, PRADES (2 jours).

Itinéraire 1 "de l'Hers-vif" :  Comus, FOUGAX (3j), Col du Teil, Rivel, Chalabre, FERME DU PAPE (4j), col de la Flotte, Courtauly, ALAIGNE (5j) puis les pacages du Razès (6 jours), ou du Carcassonnais sinon du Lauragais (jusqu'à 8 jours en tout). 

Itinéraire 2 "par les cols des Tougnets et du Paradis vers les Corbières sèches ": commun avec le 1 jusqu'au col du Teil puis Puivert, TOUGNETS(4 j), ESPERAZA (5 j), ARQUES,(6 j) MOUTHOUMET (7 j) et au-delà vers Durban, Portel ou Tuchan Fitou (jusqu'à 9 jours en tout)

Itinéraire 3 "du Minervois par les Corbières vertes de l'Ouest": commun avec le 2 jusqu'à ARQUES (6 j) puis MISSEGRE (7 j), La CAUNETTE (8 j), LA-BASTIDE-EN-VAL (9 j), MONTLAUR (10 j), COMIGNE (11 j) et au-delà vers le Minervois audois sinon Olonzac et Oupia (jusqu'à 13 jours en tout).

Itinéraire 4 "du Pays-de-Sault au Minervois par les Corbières de l'Ouest" : commun avec le 1 jusqu'à PRADES (2 j) puis COUDONS (3 j), CAMPAGNE-sur-AUDE (4 j) et qui rejoint le 3 à ARQUES (5 j), MISSEGRE (6 j), La CAUNETTE (7 j), le Plateau de Lacamp, LA-BASTIDE-EN-VAL (8 j), MONTLAUR (9 j), COMIGNE (10 j) et au-delà vers le Minervois audois sinon Olonzac et Oupia (jusqu'à 12 jours en tout). 

Itinéraires de transhumance d'après N. Vaquié et U. Gibert sur base de carte en gris de l'IGN.

L'Hospitalet-près-l'Andorre Chemin du Rey wikimedia commons Author Olybrius

Prolongements : 
 
Tronçon commun : L'HOSPITALET. Depuis Canillo et Soldeu, par le Port Dret, au plus court et malgré le col à plus de 2400 mètres d'altitude, les troupeaux rejoignent (22 km depuis Canillo, 15 depuis Soldeu) L'HOSPITALET-près-l'ANDORRE où la douane française vérifie que les bêtes sont bien andorranes ainsi que les certificats (vaccinations faites trois semaines auparavant) avant de délivrer un laisser-passer et un acquit de pacage valable de six à huit mois. Le village est desservi par la ligne de chemin de fer Paris-La-Tour-de-Carol, gare "Andorre-l'Hospitalet" (l'Andorre a financé les 3/4 de la rénovation et organisé des navettes de bus entre les vallées et la France).
PRADES par Ax-les-Thermes et le Col du Chioula, soit 32.5 km (30 par Ignaux ou le ruisseau de Sorgeat qui coupe le long lacet en direction d'Ascou ?). Les bêtes sont parquées dans un enclos. Les bergers font étape dans une auberge ou une maison amie. 

Itinéraire 1 : 

La transhumance va rallier FOUGAX en suivant le cours de l'Hers-vif par Comus et les gorges de la Frau (13 % de dénivelé sur les 3 kilomètres les plus abrupts, canyon entre 300 et 400 mètres de profondeur).
Rivel "Rivelh de las semals" et "de las esquelhas" (Rivel des comportes et des sonnailles... où le grand-père de Dantoine, le dessinateur qui nous a laissés des Poilus formidablement de l'Aude, parlant languedocien, était esquélher). 
Chalabre, capitale du petit pays du Quercorb (ou Kercorb).
 
Itinéraire 2 : 
 
Puivert dont la rupture de la digue du lac (1289) causa une catastrophe à Chalabre et Mirepoix.   
Saint-Jean-de-Paracol, commune la plus pauvre de France en 2014 (les communes les plus pauvres étant audoises !). Momon Billès, pérignanais de Fleury, notre village, y était peut-être en tant que réfugié pendant la guerre. 
A ESPERAZA, jadis capitale du chapeau, les bêtes font halte dans la cour devant la gare ou la place.   
ARQUES (pas celui de la cristallerie... l'Aude a les communes les plus pauvres de métropole, doit-on le rappeler ? Les bêtes sont parquées dans un champ clôturé. Maison de Déodat Roché (1877-1978), historien du catharisme mais château de Gilles-de-Voisins, héritier d'un baron-colon du Nord, le château, déjà en 1280, contrôlait une voie importante de la transhumance, d'où les trois itinéraires encore empruntés au siècle dernier et qui font l'objet de notre sujet)...  
MOUTHOUMET qui ne forme plus un canton (il n'en reste que 19 sur 35 encore avant 2015). C'est aujourd'hui celui de... Fabrezan devenu celui des Corbières, énorme par sa superficie (1025 km2) mais d'une densité de population de seulement 16 habitants au km2. 
MOUTHOUMET comme Lanet, sont des toponymes liés à l'élevage du mouton. 
 
Itinéraire 3 : 

A MISSEGRE le troupeau reste sur la place. Il traverse des plateaux occupés par des pâtures entre des reliefs entre 600 et 878 m. au Milobre de Bouisse qui favorisent les précipitations dont la neige fréquente en hiver.
A La Caunette (aujourd'hui sur-Lauquet) on atteint les Petites Corbières Occidentales (400-600 m). L'étape est au moulin de la Caunette-Basse ou, deux kilomètres plus haut, à la Caunette-Haute.
Il reste néanmoins le Plateau de Lacamp (700 m.) qui domine à l'Est les gorges de l'Orbieu ainsi que l'avant-pays des Corbières et au Nord le Val-de-Dagne (de Diane à l'origine) coupé de la plaine viticole de l'Aude par le bourrelet de l'Alaric.
Étape à LABASTIDE-en-VAL.   

Itinéraire 4 : 
Depuis PRADES, ce trajet parcourt une partie du Pays de Sault (saltus = forêt en latin), à savoir le grand plateau, partant de 1245 mètres d'altitude pour arriver à COUDONS, après une étape de 28 kilomètres, à un peu moins de 900 mètres d'altitude (repos dans un champ clôturé). 
Pour rejoindre CAMPAGNE-sur-AUDE, le parcours évite de descendre directement sur la vallée de l'Aude à Quillan ; il contourne par Brenac et Lasserre (villages qui ont fusionné avec Quillan). 
 
"... Puis, tout à coup, vers le soir, un grand cri : "Les voilà !" et là-bas, au lointain, nous voyons s'avancer le troupeau dans une gloire de poussière..." Alphonse Daudet, Installation, Lettres de mon Moulin.  
 

dimanche 27 décembre 2020

LA PASTORALE de BIZE-MINERVOIS.

Transhumance en 2010 dans le village d'une fidèle lectrice du Gard qui se reconnaitra... wikimedia commons Author Dvillafruela

Des moutons bien sûr, comme dans tous nos villages... En négatif, il n'est que de voir comment, à Bize comme à Fleury, les pins ont colonisé et fermé nos espaces ouverts, ce qui ici, fait dire au maire, qu'après les crues soudaines et les coulées de boues, le feu est le principal danger pour le territoire. Historiquement, brebis et bergers, tant sédentaires que transhumants, accompagnaient les populations. On ne se formalisait pas alors des crottes allègrement semées et des potées de géraniums broutées par les chèvres tandis  qu'aujourd'hui des néoruraux ou plutôt des citadins hors-sol jouent aux dictateurs contre tout, contre les coqs, les cloches et les voisins ! "De l'air aquèl mounde !" coumo disio la Séraphie !

Les moutons ont déserté nos campagnes mais certains, sensibilisés et qui n'ont pas comme souci premier de rouvrir l'école où le dernier café-épicerie-dépôt de pain fermé, facilitent la venue d'un troupeau pour contrôler les broussailles. Quant au berger, son personnage solitaire, à part, distant, tenu à distance, singulier par les pouvoirs qu'on lui prêtait, dont celui réel et néanmoins naturel et empirique, de soigner les bêtes, il a longtemps accompagné la vie du village. Marcel Pagnol n'en a-t-il pas fait l'élément perturbateur de son film "La Femme du Boulanger"... Il me semble que Raimu, le pauvre mari cocu qui s'alcoolise et ne veut plus pétrir, chante à un moment "La boulangera, elle est partie avec le bergero...". N'en restons pas à ces considérations secondaires sur des pâtres qui envoûteraient de pauvres innocentes... tant que nous n'en saurons pas davantage sur les mentalités d'alors...  

Eglise Saint-Martin Limoux Adoration des bergers tableau du XVIIIè wikimedia commons Author Tylwyth Eldar

J'ai lu quelque part qu'à Bize-Minervois, les bergers ont traditionnellement participé à la veillée de Noël. Et je lis là, sur la revue Folklore de décembre 1938, sous le titre "Un Noël en langue d'oc" que Mademoiselle C. Gardel, déléguée G.A.E.F. (?) à Bize a fait passer un vieux cantique de Noël relevé par Achille Mir (1822-1901) "... et qu'elle tient de la fille même du poète, Mademoiselle Amélie Mir.". 

NADAL (sus l'aïre "a la vengudo de Nadal").

Après l'annonce faite aux bergers d'une naissance extraordinaire à "Betleem", ce sont des pâtres couleur locale et bien du pays qui offrent leur dévouement :  

"... Prenguen lou beret le milhou, (Prenons le béret, le meilleur... le plus propre, celui du dimanche...
Las garramachos, le bastou,         (Les guêtres, le bâton)
La cinto roujo, les esclops,           (la taillole, les sabots)
 La capo garnido de flocs.             (La cape garnie de glands ?)
 Anen, Martin, tampo 1' courtal.   (Allons Martin, ferme la bergerie)
Quouro t'arrancos de l'oustal ?    (Quand vas-tu tourner le dos à la maison ?)
Tu, Bernat, qu'es l'estitutou         (Toi Bernat qui es l'institution)
De nostro coumuno l'ounou,       (et l'honneur de notre communauté)
Te meten en requisiciu                 (nous te sollicitons)
 Per oufri nostr'adoraciu.            (pour offrir notre adoration)
Se bous fa plage, mous amies...  (Si ça vous fait plaisir, mes amis)
 
 Le Bernat en question va alors adresser sa litanie au Ciel, louant le sauveur qui fait enrager le démon... Pauvre bébé déjà instrumentalisé... Au nom de tous, Bernat, revenu à l'essentiel de la nuit de Noël, exprime tout le dévouement des bergers offrant leurs cœurs. Et ces hommes simples encensent alors celui qui pense trop bien pour eux : 
 
"...leu disi qu'aco 's pla parlat.(Moi je dis que ça c'est bien parlé) 
Cerquès pas pus, brabe Bernat,(Ne cherche plus, brave Bernat) 
Que te debrembe pas au mens (Au moins que ça ne t'échappe pas)
Ohe ! Certo qu'em trop countents. (Sûr que nous en sommes trop contents)
 
Touchant tableau, ces pâtres autour de la mangeoire où le divin enfant a été installé lors de la messe de minuit, loin d'intégrer les symboliques des moutons qui suivent aveuglément leur pasteur et celle de l'agneau innocent, déjà pascal destiné à être sacrifié et mangé...  

Touchant, ce vieux village jadis derrière ses remparts avec ses maisons en rond autour de l'église, toujours l'allégorie du troupeau mené par le berger... L'église, massive, protectrice, la porte Moyenâgeuse, une tour dite "d'Attila" ! Bigre !
 
 Pour une envie de visite : 
http://plumedesmers.canalblog.com/archives/2019/10/09/37697749.html

Et pour finir, comment ne pas évoquer la ferme de Marie, au prénom biblique, qui garde le lien avec Fleury, qui nous fait souvent le plaisir de montrer ses oies, ses paons, ses poules, ses cochons d'Inde, ses brebis et agneaux et même le petit âne gris... Elle fait du miel aussi... Elle a participé au marché de Noël, sinon on la trouve Chemin de Font Fresque... Plus frais on ne fait pas ! 
 
https://www.facebook.com/La-ferme-de-Marie-103396878026102

Bize-Minervois wikipedia.en domaine public Author Nancy


 

samedi 26 décembre 2020

BIZE-MINERVOIS, un site, une Histoire...


Pont sur la Cesse Bize-Minervois wikimedia commons Auteur Hoff1980

Un village, jalon dans l'étagement en amphithéâtre entre la plaine languedocienne et les causses du Minervois, première marche vers le palier de l'Espinouse suite à la faille du Jaur, les Avants-Monts en étant la seconde. 

Bize-Minervois, entre la grasse plaine de Narbonne et les plateaux cagneux, échines de calcaires blanchis, retournés, charriés par la géologie, seulement piqués de garrigues sauvages, passementées à peine, de-ci de-là, de vignes à muscat.  Des canyons, effets du travail inlassable de rivières sans juste milieu, tumultueuses, agressives haut sur les rives, ou mystérieusement évanouies dans des abîmes karstiques. 

La Cesse à Bize-Minervois (11) wikimedia commons Auteur Patrub01

La Cesse, ultime affluent notable du fleuve Aude sur sa rive gauche, sort justement de cet envers du monde. L'eau, l'eau qui, dans ses excès ou sa rareté, nous préoccupe depuis toujours et plus encore aujourd'hui, anticipe l'Histoire. Arrivée à Bize : image idyllique l'été d'une retenue d'eau claire invitant à la baignade alors que l'arrière-pays n'a pas droit à la relative fraîcheur du bord de mer. L'eau... 

Vue intérieure de la grotte du Moulin wikimedia commons Auteur Enrevseluj

La carte avec la mention des puits, des sources, des citernes, d'une station de pompage, de fontaines multiples à l'origine de ruisseaux, revient toujours sur la présence vitale de l'eau pour les humains depuis la préhistoire (grottes de las Fonts dite aussi "du Moulin") jusqu'à l'installation permanente du village, plus bas, entre plaine et garrigue. 

Par rapport aux thèmes abordés, le choix d'un article sur Bize-Minervois peut paraître hors sujet. Mais nous avons en train (non, pas l'autorail touristique du Minervois, malheureusement fermé en 2004, en tant que dernier témoin de la ligne Narbonne-Bize si vivante pour ses passagers et ses 25.000 tonnes annuelles surtout de vin mais aussi de farine... et dont la gare terminus se situe à Bize)... Encore sous le coude, donc, une escapade au plateau du Poumaïrol dans la Montagne-Noire  en passant par Minerve et en suivant le cours de la Cesse et aussi ces volets sur les moutons, la transhumance inversée et de fil en aiguille (Giono je crois parle du passage des moutons dans une aiguillée, j'irai fouiller...), puisque c'est le temps de Noël ou du solstice pour ceux qu'un passé chrétien froisserait (je vous fais aimablement remarquer que je n'ai pas employé le terme "racines" qui, pour les moutons [VIIè millénaire av. JC] comme pour "l'antéhistorique" des hominidés dans leurs potentielles conceptions nébuleuses du monde, distancent [et comment !] toute cristallisation religieuse) l'évocation de la fête de Noël. Une religion, qu'elle soit consentie, imposée ou entre les deux, ne peut être sociologiquement ignorée. Pour cette raison, la scène si symbolique d'une naissance extraordinaire entourée de bergers et d'agneaux, une pastorale, fera l'objet de notre prochain échange.      

Mâchoire de renne Paul Tournal. wikimedia commons interdite sur facebook Auteur Didier Descouens

Concernant l'Histoire, notons, liée au boum de la vigne puis aux crises qui s'ensuivirent, la proximité d'Argeliers, le village de Marcellin Albert "lou cigal" qui sut mobiliser tout notre Midi contre le commerce des vins frelatés et artificiels...  



jeudi 24 décembre 2020

DE L'ANDORRE AUX PAYS D'AUDE / Hommes et bêtes, le troupeau descend hiverner.

Ils étaient d'un abord ouvert et souriant, pour le peu que je connus d'eux, les frères Torrès, Pierre et Patrice. Leur père étant dans l'élevage ovin, l'année scolaire, pour eux, débordait sûrement sur le séjour chez nous de leurs troupeaux andorrans. Le retour des saisons rythmait le calendrier, à l'exemple de cet éleveur-berger de Porté-Puymorens installé aussi, l'hiver et pour son métier, à Lézignan-Corbières. L'article précédent en parlait. 

https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2020/12/bergers-moutons-transhumance-des.html

Avant le train et le camion, la transhumance inverse à celle qu'on connait des troupeaux gagnant les montagnes en été pour en redescendre aux premiers froids, se faisait "à pattes" pour les brebis, les chiens et les mulets, pedibus pour les bergers qui en avaient la charge. 

Le troupeau est important, entre 600 et 1200 têtes suivant le nombre de propriétaires. On compte un mâle pour cinquante brebis (las fedos). Le bélier (lou marre) est possessif et d'autant plus agressif s'il n'a pas assez de femelles à saillir... on le dit tumaïre, donnant volontiers des coups de tête par derrière, en traître. Le troupeau compte aussi de 12 à 24 chèvres pour le lait et quelques boucs contre les maléfices, qui, par leur odeur éloigneraient la maladie (la marrano... étonnants les parallèles lexicaux). En tête, une vieille brebis aguerrie ou un mouton (bélier châtré), lou carraïre dit encore esquelhé, toujours magnac (1), docile et calme, portant la cloche, que l'on suit en confiance dans les passages difficiles ou à gué. Les bêtes portent des colliers de merisier, châtaignier ou frêne, formés à la vapeur, sculptés et décorés. Toutes portent au moins une clochette, les plus élevées dans la hiérarchie, un reboumbeu, une grosse sonnaille.  

Transhumance de la Provence vers les Alpes provençales wikimedia commons Author Unknown early 1900s

Avec le troupeau il y a les chiens, les petits bergers des Pyrénées au poil long, d'une dizaine de kilos à peine, mais vifs, infatigables, aux yeux en amande si expressifs. Un geste suffit à leur faire comprendre la limite que le troupeau ne doit pas dépasser.  

Enfin et parce qu'il faut porter le barda, le sel des bêtes, les parapluies, les bâches, la nourriture des bergers, une brebis moins en forme, les mules bâtées plutôt que des ânes pourtant importants dans le secteur, qu'ils soient pyrénéens, à l'égal des "ministres", les petits ânes provençaux qui, dans la transhumance montante portaient même les agneaux nés en chemin, ou catalans, plus forts et plutôt destinés à la monte, l'attelage ou au travail de la terre. 

Transhumance sur une draille en basse Provence wikimedia commons Author Unknown vers 1920.

Devant, bâton à la main, brodequins ferrés aux pieds, le berger principal ; sur la tête la casquette ou le béret, succédant au chapeau à larges bords, tombant sur les sourcils pour protéger de l'éblouissement ou de la pluie. Sur la chemise, dans la poche à gousset  du gilet, la montre, indispensable (sinon ils savent, mais sur les estives, édifier un cadran solaire). Le pantalon, la veste, sont de gros velours ; par-dessus la cape, une houppelande de laine, protégeant bien des intempéries, ouverte de chaque côté pour les bras. Sur le dos, un sac de type tyrolien, le parapluie en travers. En bandoulière la musette ; à l'épaule, une couverture à carreaux ou rayée.

Rien d'étonnant si cette transhumance méditerranéenne a été remarquée par de grands historiens. Georges Duby : "cette admirable construction humaine qu'est la transhumance ". Fernand Braudel, lui, faisait remonter "cette forme de nomadisme assagi" à plus de quatre mille ans. La transhumance est désormais inscrite au patrimoine culturel et immatériel de l'humanité.   

Tout est paré. Il ne reste plus qu'à partir, qu'à suivre les drailles ancestrales encore bien tracées. A présent seule une végétation plus verte, plus grasse, marque encore tout ce qui s'est perdu dans les mirages d'un monde au modernisme jadis si prometteur et aujourd'hui à réfréner car difficile à contrôler, si exagérément et aveuglément attisé au nom d'un enrichissement suicidaire toujours plus artificiel et hors-sol...    

(1) Sur la route des Cabanes, "la magnague" était une des vignes de mon grand-père Dedieu. Plutôt qu'un lieu-dit, c'était sa gentillesse à produire qui la caractérisait, il est vrai, sur un coteau privilégié au-dessus de la plaine...   

Note au lecteur : il y a bien des photos de troupeaux hivernant ou sédentaires sur le Bas-Languedoc mais non autorisées. Quant à celles qui sont disponibles, elles concernent à 99,9 %  la transhumance montante et majoritairement entre la Provence et les Alpes...   

Pyrénées transhumance par une draille wikimedia commons Author L.L.

 


lundi 21 décembre 2020

BERGERS & MOUTONS, transhumance des PYRÉNÉES.


Photo de Régis Esteban parue sur "Pays d'Aude et autres curiosités audoises".

" Torrès Pierre ? 

- Présent. 

-Torrès Patrice ? 

- Présent. " !

Les nouveaux ravivent toujours la curiosité des habitués. Collège Victor-Hugo (non répertorié, entre parenthèses, dans les monuments ayant quelque intérêt à Narbonne), lycée-caserne au milieu des années 60. On se presse autour d'eux. Ils se présentent : un bel accent rocailleux leur fait rouler les "R" comme exprès réitérés dans leurs noms et prénoms. Le père est berger ou éleveur, ils sont Andorrans... Encore des lettRes "R" !

Tout bienvenus qu'ils sont, que font-ils là ? Sauf que la curiosité est primaire par rapport à l'intérêt que l'on peut porter à l'autre... et je ne devais guère me démarquer... Peut-être en gagnant leur amitié mais nous n'étions pas du même âge et dans le parcours scolaire, les divisions cloisonnent. Alors il faut les belles photos de Régis, prises exactement là où ça s'est passé, pour enclencher ma machine à remonter le temps. 

Appelons-le Marcel (j'en connus un, vieux garçon et fermier avec ses parents sur les hauteurs de Villefranche-de-Conflent), il pratique la transhumance descendante entre Porté-Puymorens, presque l'Andorre... et l'Aude. Il a 45 ans. Au printemps et en été il est à Porté où il possède 20 hectares dont 19 de pâturages et de prairies à foin, le dernier étant réservé aux pommes-de-terre. A l'automne, depuis des années, il pratique la transhumance descendante à Lézignan-Corbières où il a une maison et une bergerie neuve de 600 m2. En train via Toulouse, outre ses 700 bêtes, il peut emmener dix tonnes d'aliments (foin, céréales) ainsi que son déménagement. 

"Plaine de Caumont, Lézignan-Corbières / Photo Régis Esteban parue sur "Pays d'Aude et autres curiosités audoises".

S'il laisse les brebis en pension, comme il le fit en 1963 à Capestang, il doit laisser en paiement environ 80 % des agneaux nés. 

De 1964 à 1967 ses bêtes ont été réparties en six troupeaux dont cinq confiés à des bergers salariés. 
Depuis l'hiver 68-69, les bergers étant rares et chers, il a réduit son nombre de têtes ainsi que le nombre de lieux d'hivernage. Ses trois troupeaux paissent en hiver à Lézignan (220 brebis), à Conilhac (180 brebis) et plus loin à Fonjoucouse (200 bêtes). Il emploie un pâtre espagnol qu'il connait de longtemps et un berger saisonnier, lui-même menant son troupeau (celui de Lézignan on suppose). En hiver les moutons paissent dans les vignes et les champs, au printemps dans la garrigue et les friches. 

En 1971 une grève de la SNCF a bloqué le retour de Marcel à Porté. Depuis Carcassonne, le transport avec son camion lui prit deux jours (sûrement en plusieurs navettes).  

Sans parler des échanges ancestraux avec l'Espagne, l'existence du Pays-Quint en est emblématique, une histoire encore tiède, bien que plus ancienne que celle de Marcel, fait état de la transhumance, à pied, des troupeaux andorrans... Torrès Pierre, Torrès Patrice, je ne vous oublie pas. 

Source principale :   "Situation récente de la transhumance ovine dans les Pyrénées françaises par Gisbert Rinschede, maître assistant de Géographie à l'Université de Münster. traduction de l'allemand par Mme C. Péchoux à partir du manuscrit de l'auteur "Die Transhumance in den französischen Pyrenäen". 

 https://www.persee.fr/doc/rgpso_0035-3221_1977_num_48_4_3523

addendum : à propos de la flore de la Clape, un correspondant a noté "Dépêche toi l'an dernier les moutons ont bouffé tout un tas d'espèces protégées au Rec."

Un grand merci à Régis Esteban qui a très aimablement mis les photos à disposition.  


samedi 19 décembre 2020

LE POUMAÏROL, un pays perdu (1)/ CES VIEUX SCHNOKS ERRANTS, QU'ON LES CONFINE, QU'ON LES VACCINE, QU'ON LES INOCULE !


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Serge et Roger, deux copains d'avant, du même village, désormais septuagénaires, se sont retrouvés dans une vieille complicité d'autant plus partagée que tous deux, outre les affres du temps, subirent jadis celles du divorce. 

Serge : " Mais si je te dis, il faut y aller ! Un pays perdu, dans les hauts, le plateau du Poumaïrol, tu peux chercher, rien sur la toile, juste une chronique complètement imprévisible sur les filles de là-bas ! C'est pour nous ! Tu sais, ça me fait penser à un film avec Michaël Caine mercenaire, il défendait une vallée perdue avec des gens encore en dehors d'une guerre terrible, celle de Trente Ans je crois... 

Roger : Michaël Caine ? il est mort non ? 

- Non je ne crois pas, c'est Sean Connery qui est mort, ils jouaient ensemble dans l'Homme qui Voulait être Roi, enfin quelque chose comme ça... Il est chouette cet acteur anglais, il jouait dernièrement sur Arte, un film sur la guerre froide, à Berlin... C'est fou, ces vieux films, j'aime tellement que j'ai du mal à me laisser embarquer dans les récents... 

- Je crois bien être comme toi : Arte, ils ont passé les Sept Mercenaires, Mon Nom est Personne et qu'est-ce que tu veux, j'adore, ces gros plans de grandes gueules ! Entre parenthèses ils ont programmé aussi les Grandes Gueules avec Bourvil et Ventura ! Je ne sais pas si c'est passé au cinéma Balayé. Tu te souviens, l'ambiance quand les Francis, Farinau, Arnaud et Kaiser, et ceux que j'ai oubliés (après tout ils n'ont qu'à nous faire coucou !), tapaient des pieds au fond de la salle chaque fois que ça dézinguait, avec le vieux Balayé qui les houspillait pour la forme. Alors ça riait, ça ricanait avant de chahuter de nouveau ! Qu'est-ce que tu veux, j'en ai encore les larmes aux yeux même si ce n'est plus de rire... C'était quelque chose, l'ambiance, en plus de celle du film... 

- Au moins on profitait du spectacle, encore gamins, sur les bancs devant, encadrés par madame à la caisse, et la mamé Calavéra pour les cacahuètes sans oublier le bambou de Balayé ! 

- "Fafa", "Patanet"... et les autres ? C'est malheureux la mémoire, même les surnoms m'échappent... 

- Et pardi, ça se travaille... 

- Et dire qu'Henri le mécanicien en a dressé une belle liste, remontant loin dans le temps mais aussi de ceux de nos âges... 

- Comme quoi ? 

Roger : A froid comme ça, je ne sais pas, tiens comme "Mazo" ou "Chuello", les pauvres, ça me fait quelque chose de penser à eux... J'aimerais avoir des nouvelles de "Lapanne" ... 

- C'est vrai qu'il s'en est sorti d'une... Tiens, j'ai croisé "Caïus" pendant le confinement...  

Roger : Tu as raison ! parlons des vivants, il vaut mieux et puis il faut les apprécier tant qu'ils sont là plutôt que les regretter une fois morts ! Comment il est Caïus ?

- Bien, pas un poil sur le caillou mais la ligne et toujours le même sourire malgré le confinement... Il faut vivre macarel ! Démarre ton engin, on y va, je te dis ! Ça va être chouette ! 

- Minute papillon ! Qu'est-ce que tu crois ? Tes filles du Poumérol, c'est pas les filles de Pomérol quand une loi méchamment assimilationniste obligeait à franciser même le nom de nos immigrés d'Espagne ? La famille Palmérola... Sinon ton Pomérol dans la Montagne-Noire, ça s'est perdu dans les brumes d'une France de paysans... C'est une vieille histoire ! Et puis il est loin ton coin ?

-  Si je te dis qu'on y va, c'est que ce n'est pas loin, dans le Tarn, aux limites de l'Aude et de l'Hérault ! Les vieilles histoires et les graillous, ça nous connait, même à deux... Alors... Et puis pas moyen cette année d'aller faire une sortie en Espagne, virus oblige !

Roger : Tu as prévu pour l'intendance...

- Écoute, j'ai une bonne barquette de cassoulet mais pas que de mounjetos, cuit avec les couennes, la saucisse, enfin, ce qu'il faut, pas encore congelé... Et du congelo, un bourguignon, ça te dit ? Et on achète en chemin, le pain en priorité et ce qui nous fait envie, des huîtres s'ils en ont, sinon des moules, on verra bien !  

- Hééé ! où tu vas si vite ! Le couvre-feu, tu y as pensé ? 

Serge : Quoi ? On a le droit de circuler non ? et à partir de vingt heures on bouge plus... de toute façon tu sais bien qu'à cette heure-là, ça fait plus d'une heure qu'on est à l'apéro... 

- Pétard t'es pire que les Chevaliers du Fiel ! 

- Tu crois que c'est du vrai jaune qu'ils picolent pur, sans eau ? 

- Et non heureusement, c'est ce genre de sketch qui demande l'exagération... A tous les coups, c'est de l'antésite... Si je te suis, sobres à midi et relâche le soir comme pour toutes nos virées... 

Serge : Oui, oui ! Aïe qu'elles sont jolies les filles du Poumaïrol ! 

- Holà ! plutôt que de dire que ce n'est plus de nos âges, disons qu'il n'est pas interdit de rêver, que nous trinquerons à leur santé, de loin ! Et attention aux 135 euros chacun, ça ferait cher la sortie ! Ils mettent 100.000 flics et gendarmes pour contrôler la nuit !

- Mais non, attends je te dis, la nuit on trouve un chemin forestier, ça nous connait... à l'aventure, en toute discrétion, toujours ! on a même le droit de sortir la table et le fauteuil à côté ! Alors tant que la santé le permet, si elle ne permet pas autre chose, un bon moment à passer, comme d'habitude, et puis de parler d'un temps qui ne reviendra pas ne peut pas faire de mal... 

- La table ? en décembre ? la nuit ? n'y compte pas... Sinon, impossible d'être et d'avoir été...

Serge : On peut plus... on peut plus... on peut ce qu'on peut et l'occasion fait le larron non ? méfi de l'eau qui dort... et des chercheurs de champignons !

Roger : Ce n'est pas l'eau qui nous fait dormir, plutôt ce qu'on picole surtout que pour parler des filles, on est bons... 

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- Qu'est-ce qu'on ne ferait pas avec la langue... Heureusement qu'on crapahute en balade et pour les champignons !

- Hé ! ça émoustille cette vie rustique même si à force le verre n'est plein qu'au huitième, quitte à compenser avec les coups en trop. La nostalgie nous fait boire. Au moins, ça nous ouvre l'appétit, puis, le ventre plein, on pète, on rote, on ronfle chacun dans sa bauge de sanglier solitaire ! 

Serge : Oui mais qu'est-ce qu'on ronfle ! Et si ce n'était que l'envie de festoyer, ne dis pas que cela ne nous garde pas en forme ! Et tu sais bien qu'il n'y a qu'une possibilité de ne pas mourir... 

- Et oui, c'est vieillir mais alors en vieux-jeunes ! La preuve, pour les filles du Poumérol ? Ount as trapat aco ? Où tu les as trouvées ?

Serge : Figure-toi que j'ai lu un post, écrit par "Djèou", sur Fleury et le coin... Tu le connais "le Djèou" ? c'est un petit canaillou celui-là, enfin un vieux canaillou comme nous, il annonce qu'il va écrire sur les raisins et les châtaignes, et l'air de ne pas y toucher... trois points de suspension après, il ajoute en sous-titre "les filles du Poumaïrol"... 

Roger : Et il est allé voir ? 

- Non, il l'a lu, il en parle, des Mountagnoles descendues pour les vendanges, les olives, les sarments... un mode de vie perdu, d'avant la guerre de 14...  qui a rejoint ces histoires de gentilles bergères... sauf que là, en groupe, elles n'hésitent pas à provoquer... des allumeuses...

- Et bien sûr, ce sang neuf dans les villages de la plaine laisse des traces. 

- Comme tu dis enfin, surtout qu'en groupe, elles n'ont pas froid aux yeux... Et même rien que d'être présentes, tu te souviens, les petites Espagnoles pourtant si réservées, elles en ont fait gamberger plus d'un à l'âge où ça fouette le sang...

- Je sais, près de soixante ans plus tard, on s'est dit bonjour avec une qui vendangeait chez Lamur. 

Serge : Et alors ? 

- Et alors rien, c'est comme la mayonnaise, si tu ne remues pas assez, elle ne monte pas ? Nous avions juste à nous dire que nous étions de la même colle, une certaine année et plus rien, juste un constat qui ne remue plus rien... 

- Pourtant, jusqu'où ne serait-on pas allés pour une fille, même à vélo... 

Roger : M'en parle pas, deux fois j'ai fait plus de cinquante kilomètres pour me prendre une claque d'avoir mis la main où il ne fallait pas... de bons souvenirs !

Serge : de bons souvenirs ??? 

- Bien sûr, j'étais jeune, je pédalais bien, en sifflant et en chantant même... "Jamais de la vie on ne l'oubliera..." ... la première fille qui nous claqua dans les bras... 

- Mais puisque tu dis que c'est de l'histoire ancienne...

- Sans l'ancien, pas de nouveau ! Mourons pour des idées, "d'accord, mais de mort lente", tiens, encore comme Georges, un de plus mort à soixante ans, tu te rends compte... Et cette grognasse de Lagarde qui ose dire que les vieux sont un problème ! 

Serge : C'est elle le problème oui, la tanèque qui pompe du fric parce que la retraite ne lui suffirait pas ! 

Roger : Brrrrrr.... Pour des idées de filles alors... je préfère le Brassens qui nous fait les portraits de Marinette, d'Hélène, de Margot, de Flora des neiges d'antan... 

- Et doña Sabine " Chantez, dansez, villageois, la nuit tombe...". On la chantera, tu vas voir. Et quand on sortira pisser, par-dessus les hêtres, les sapins et le brouillard, on les entendra faire la fête, les villageois du Poumaïrol... et lorsqu'ils nous verront, quelle hospitalité pour des voyageurs attardés comme nous... ils nous recevront à bras ouverts !

Roger : C'est ça, ils vont te donner leurs filles comme dans la Guerre du Feu, la peuplade qui veut éviter la consanguinité ! Méfie-toi qu'ils ne te brûlent pas comme Martin Guerre ! En attendant, regarde bien la météo qu'il a neigé il y a peu, je ne sais pas si le chauffage marche et la route glisserait trop pour mon engin...qu'on ne soit pas récupérés par les secouristes...

- Ils nous en voudront pas ! Nous leur chanterons : "Le vent qui vient à travers la montagne" nous a rendus fous... 

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vendredi 18 décembre 2020

SURPRISE AU RÉFECTOIRE... Instituteur toujours...


 

En temps normal, les trois repas de la journée se prenaient au réfectoire. En fin de semaine pour la vingtaine de pensionnaires venant de loin (Haute-Loire, Hautes-Alpes, Ardèche, Aude...) et ne rentrant pas chez eux, on allait avec un encadrant (pouvant sévir en tant que surveillant...) en cortège manger au lycée technique plus bas, spécialisé dans tout ce qui concerne le tissage si c'était encore le cas...   


 


Mais pour Noël, la tradition, comme dans tous les établissements de l’État, était d'offrir  aux élèves un menu spécial fêtes. En 1971 pour les FP1 et FP2 soit six classes d'élèves-maîtres, donc deux centaines de personnes tout au plus en comptant le personnel. Non... moins vu qu'il y avait des externes et des demi-pensionnaires...en congé puisque nous sommes le jeudi qui se transformera en mercredi à partir de 1972... 



On mangeait pas mal d'habitude et là ce menu de Noël classique mais de bon aloi, ne pouvait que mettre les potaches en joie ! 

Chaque feuille est tapée à la machine... On pouvait polycopier à l'alcool alors pour obtenir des caractères violacés (mais aussi du rouge, du vert pour les croquis... Pas  encore de photocopieuse, il fallait dupliquer à la manivelle... Quant à la décoration de ce menu, toute une équipe avait dû s'affairer autour du professeur de dessin, un homme déjà âgé mais aussi distingué que chaleureux, respecté et aimé de tous... J'ai son nom sur le bout de la langue mais qui m'échappe... Je m'en veux ! Si quelqu'un peut m'aider... 

 

C'était le 16 décembre, un jeudi, sur le plateau de la Croix-Rousse, entre Saône et Rhône. De retrouver ce papier fut une surprise vibrante... . 

Ah ! que cette page de vie à l'École Normale d'Instituteurs a pu me réconcilier avec la société et moi-même. Et quand je lis ou relève sur ce blog même ce que partagent les maîtres et les élèves, comment ne pas réaliser combien l'instituteur peut compter dans le développement des enfants à considérer, comme cela s'est confirmé avec le temps, en tant que personnes respectables à part entière... 

Quant à la laïcité, force est de constater que vis à vis d'une chrétienté  majoritaire sans concurrence, l'interdépendance entre l’État et le religieux rétrogradé ne posait pas problème... 

mardi 15 décembre 2020

"PETIT SPÉLÉOLOGUE DEVIENDRA GRAND" / Fleury-d'Aude en Languedoc

Aux copains d'abord... A toi Maso... 

"Bleu royal" ? "Océan" ? "Pétrole" ? "Turquoise" ? Va savoir ce qui était marqué sur les cartouches du stylo-plume... Certains bleus passent au bleu, enfin, au flétri, au ressenti à peine visible du carnet intime, mais là le bleu à l'âme a tenu, moins délavé dans la copie double "intra muros" du format basique le plus usité alors. 

A l'âme non ! cet écrit n'est pas empreint d'une quête, platonique ou non d'une amoureuse, non imprégné de ces pulsions animales que l'instinct pousse à fantasmer, c'est juste sur l'air des "Copains d'abord". 

Ah ce titre dupliqué risquant, avec le temps, de ne plus rien dire du tout. Et cette concordance des temps loin d'être acquise et domptée... Et cailloux avec ce "X" au singulier ! Enfin, ne triturons pas le témoignage... 


  " Nous étions un beau jeudi de décembre le temps était beau malgré l'hiver qui s'avançait.../... je racontais à mes parents que j'allais jouer à la balle au Ramonétage. Avec Jean et "Jo" nous partions puisque "Mazot" ne pouvait pas venir car le petit voisin lui avait envoyé un cailloux sur l'arcade sourcilière avec son "flingot". Mais nous l'aperçumes venant à notre rencontre, vite je rentrais prendre mon couteau et je repartis, "Jo" avait prêté sa bicyclette à "Mazot" afin qu'il aille chercher son vélo que son frère avait pris au terrain de rugby. je dus porter mon camarade car on s'entr'aidait bien entre nous. Une fois arrivés nous décidâmes d'aller au "Peyral de Jacques" car depuis quelques temps on en parlait beaucoup. nous admirions la masse de beaux rochers rouges et nous montions en haut de la carrière. jean partit en grognant un peu et nous nous amusions à lancer des cailloux dans le vide. En descendant nous aperçumes, Grau, Roca, Hérail et Guiraud qui arrivaient avec un étrange équipement de cordes, de pitons et de torches... 

Il était question d'explorer la grotte et sans le vouloir, tous trois nous nous mélâmes à cette grande aventure en compagnie de Grau, Roca, Hérail, Guiraud, Fontic, "Naf" et Sié qui, chef de l'équipe arriva le dernier. sans rien demander, sans le vouloir, l'équipe parût nous accepter, du moins pour la journée. préparatifs faits, Sié "le grand" décida de descendre dans la grotte. dès que j'ai entendu cela une idée me vint qui me fit un grand coup. : il était vraiment extraordinaire de penser à cette joie de la découverte. Sié et Grau avançaient courageusement dans les entrailles de la terre, à la conquête de paysages nouveaux. 

Nos deux héros sont descendus beaucoup plus loin que lors de la première exploration. Ils atteignent la première plate-forme, 15 mètres plus bas environ. Actuellement il est au second pâlier et Grau l'a suivi avec vraiment beaucoup de courage. Roca ainsi que Guiraud ont voulu les suivre mais ils ont eu un peu d'émotion à côté du trou béant qui s'enfonçait dans la terre. Tous, l'oreille au bord du gouffre, nous suivons la péripétie mouvementée de nos compagnons comme des résistants la radio. J'ai porté de la menthe. Il faut la garder pour eux. Malheureusement on sera trop tentés d'y goûter jusqu'à la dernière goutte. Ils descendend maintenant un puits de 9 mètres qui s'enfonce encore plus. On entend leurs voix caverneuses qui sortent de l'orifice béant où nous sommes tous penchés. L'humidité fraîche qui vient d'en bas est très agréable. "Naf" trompe la longueur du temps en chantant et en racontant quelques "vannes". En bas ils en veulent toujours plus et ne content pas remonter de suite. Guiraud remonte un seau, vraiment vieux mais rempli de trésors, toutes sortes de stalactites de roches les plus variées et qui font l'envie de tous. Sié atteind le fond mais déclare au désespoir de tous que quelqu'un y est déjà allé avant nous. mais enfin, nous appre..."

Le papier du chroniqueur en herbe s'arrête là ! Une deuxième copie-double devait exister avec la suite... mais où ?   

"Mazot", c'est comme ça que je l'écris alors avec l'impression que "Mazo" est un personnage de bande ou de dessin animé (1). Depuis je pense "Maso" sans le moindre rapport avec le masochisme... Finalement, "Mazot", en occitan, pour lui qui aimait tant émailler ses dires de languedocien, c'est le petit mas, phonétiquement et cela correspond bien aux domaines, aux campagnes et cabanots que nous avions autour du village...  

Grau ? je me demande qui ça peut bien être ! 

Guiraud, Georges parce qu'André, le pauvre, nous a quittés que nous étions encore à l'école. 

Bien sûr j'ai laissé toutes les étourderies et fautes d'orthographe.  

Le prénom de Maso, c'est Joseph. Il est mort le 4 décembre. Je ne l'ai appris que ces jours-ci. On s'est revus à de trop rares occasions. Comme pour tous les autres, cette complicité qui s'est arrêtée avec l'enfance fait qu'un lien très fort perdure, lié à ces années, pour nous, et qui plus est, du même âge, entre la garrigue, les vignes, la rivière, la mer, au sein d'un village animé de ses gens et qui comme cadre remplissait, pratiquement à lui seul, la course de nos jours. Quand l'un de nous s'en va, c'est un peu de ce passé qui s'estompe, encore une page qui se tourne mais d'un livre qui, pour l'instant, à l'heure pourtant où les Terriens se mettent de plus en plus en danger, ne se ferme pas encore... 

Georges Brassens a su le dire, à sa manière :

"... Au rendez-vous des bons copains,
Y'avait pas souvent de lapins,
Quand l'un d'entre eux manquait a bord,
C'est qu'il était mort.
Oui, mais jamais, au grand jamais,
Son trou dans l'eau n'se refermait,
Cent ans après, coquin de sort !.. 
Il manquait encor." 

(1) Placid et Muzo bien sûr ! Le renard et l'ours anthropomorphes ! 

C'est peut-être là, à gauche la carrière est cachée par la saillie laissée par le ou les carriers... Comme quoi tout s'estompe mais nous dirons, pour rester positifs, qu'il ne faut pas en perdre les bribes qui nous restent, que d'en garder des jalons permet parfois de reconstituer des morceaux d'un chemin de vie plus ou moins partagé...  

   

dimanche 13 décembre 2020

RAISINS de la PLAINE, CHÂTAIGNES des VERSANTS.... les filles du Poumaïrol...


Châtaignes sur le marché d'Apt 2010 wikimedia commons Author Véronique Pagnier

La finalité du manuel scolaire parle d'autant plus d'elle même qu'elle précise "orthographe, grammaire, conjugaison..." etc, alors que nous nous proposons de continuer notre page sur un produit à part, un fruit de saison qui, après les raisins des vendanges, les coings en pâte ou en gelée, participait à la livrée de l'automne. 

Au village, seulement en montant la rue de la porte Saint-Martin, il y avait au moins quatre ou cinq épiceries proposant des cageots de châtaignes, succédant, en produits d'appel, aux caissettes rondes, en bois tendre, des alencades salées bien rangées en éventail. Ces harengs, marquant la présence des vendangeurs espagnols, exprimaient un exotisme ravigotant dans une mentalité villageoise pour le moins retranchée. Les châtaignes, elles, outre de corriger la perception qu'on avait alors de l'étendue de la plaine, accentuée par le moutonnement toujours recommencé des vignes en monoculture, alors qu'au Nord-Ouest, la vue distincte de la bordure méridionale du Massif-Central confirmant l'aspect d'amphithéâtre depuis l'Espinouse et, en descendant vers la côte, les garrigues, le Minervois, marquaient aussi la présence d'une main-d’œuvre de Mountagnols, décrochant d'un millier de mètres, plus avant dans le temps, pour la récolte des raisins, quand ce n'était pas pour d'autres travaux.   

Les filles du Poumaïrol, descendues pour les vendanges, ne remontaient dans la Montagne Noire qu'avant Noël, après les pommes, les châtaignes de l'Argent-Double, et en bas, les olives et parfois les premiers sarments à ramasser !  

Châtaigne Cévennes wikimedia commons Author historicair 29 décember 2006 UTC 15 h18
 

P. Andrieu-Barthe parle d'elles dans le numéro 156 de la revue Folklore (hiver 1974) : 

"... Les Châtaignaisons duraient une grande partie du mois d'octobre et parfois de novembre 

Portant un grand tablier de sac relevé en sacoche, des mitaines aux mains, elles ramassaient les châtaignes tombées à terre, armées d'un petit marteau de bois, "le massot", pour ouvrir les bogues piquantes.../... Le soir à la veillée, elles rangeaient la récolte du jour à l'aide d'un grand tamis "la clais" suspendu au plafond, dont le fond grillagé calibrait les fruits. Les jours de pluie, elles triaient les haricots secs, les petits "moungils" réputés ou "enfourchaient" les oignons, c'est à dire les liaient par douze sur des tresses de paille de seigle. C'était, avec les pommes-de-terre et les navets noirs, la principale nourriture du pays. 

La récolte des olives était redoutée à cause du froid et celle des sarments aussi car le vent glacé de Cers balayait la plaine. Elles attachaient solidement "la caline" sur leur tête et glissaient sur leurs vêtements des blouses de grosse toile. Les voyageurs étrangers qui passaient, remarquaient avec étonnement ces femmes qui paraissaient en chemise, en plein hiver, dans les vignes.../

... Ces filles du Poumaïrol étaient réputées pour leur vaillance à l'ouvrage ; robustes et fraîches, leur gaieté résonnait en chansons et plaisanteries, parfois d'une rustique verdeur. Les gars des villages, émoustillés par leur venue, se livraient à des farces d'usage, faisant enrager les employeurs, qui se croyaient, à cette époque, responsables de la vertu de leurs employées. 

Mais, depuis la guerre de 14, le plateau du Poumaïrol s'est lentement dépeuplé, les belles haies de hêtres sont retournées au taillis, les prairies se plantent de sapins et les filles sont descendues vers les usines du Tarn où leur gaieté n'est plus si sonore. On ne mange plus de châtaignes et de haricots, la diététique moderne les ayant rendus suspects, à leur place croissent les genêts et la broussaille, et qui se souvient encore des chansons des châtaigneuses ? 

"... Barraquet eit mort
Eit mort en Espagno
E l'en enterrat amé de castagnos 
Ah ! qui pouyen trouba
Per la Barraquetto
Ah ! qui pouyen trouba 
Per la marida
Las castagnos et le bi noubel 
Fan dansa las fillos, 
Fan dansa las fillos. 
Las castagnos et le bi noubel 
Fan dansa las fillos et lou pandourel."

 

jeudi 10 décembre 2020

Le séchoir à châtaignes / Ferdinand Fabre.

 Le  séchoir  aux  châtaignes.

Le séchoir est une maisonnette carrée, percée d’une porte et d’une fenêtre sur l’une de ses faces ; sur les trois autres, de plusieurs ouvertures très longues et très étroites appelées caréyéïros dans le pays. Un grand feu de charbon de terre brûle constamment au milieu du séchoir, et c’est par les caréyéïros, toujours ouvertes, que la fumée, après avoir pénétré les couches profondes de châtaignes, sort enfin en nuage opaque et noir Celui qui, n’en ayant pas l’habitude, resterait un quart d’heure dans ces trous tapissés de suie et de toiles d’araignée, peuplés de mulots et de campagnols, courrait risque d’y mourir asphyxié. Cependant les paysans y passent deux mois de l’année sans en être incommodés.

C’est surtout l’économie qui pousse le montagnard cévenol à passer sa vie dans les séchoirs. Obligé d’allumer du feu pour préparer ses châtaignons, il éteint, comme inutile, celui de sa cheminée, et envoie sa femme avec ses enfants faire bouillir la soupe au brasier du séchoir. Lui-même, chassé par le froid, rejoint bientôt sa famille, apportant près du foyer commun une hache et de longues lattes de châtaignier sauvage, dont il fait à son gré des cerceaux de barrique ou des corbeilles pour la cueillette des olives.

Dès cet instant le séchoir devient le centre de toutes les réunions. Là se réfugie désormais toute la vie du village. Les paysans pauvres, qui ne possèdent pas de séchoir, ne récoltant pas de châtaignes, s’installent dès l’aube dans celui de leur voisin avec leur marmite et leur ouvrage.

Oh ! alors, quel mouvement ! quels rires ! quelles chansons ! quelles histoires ! Tandis que les hommes tressent des paniers, que les femmes tricotent des filets pour les pêcheurs de la rivière d’Orb, ou broient le chanvre à grand renfort de batteuses, quelque vieillard, figure vénérable perdue dans la fumée, raconte des histoires merveilleuses aux assistants ébahis. Le plus souvent, les revenants, les loups-garous, le Drac, défrayent ces récits pleins de poésie, de caractère, d’originalité.

La vie se continue ainsi jusqu’à Noël. A cette époque, on éteint le feu ; la fenêtre du séchoir, au-dessus de la porte, s’ouvre, et les châtaignes desséchées, mais encore enveloppées d’une gousse roussâtre très âpre au goût, sont battues dans des sacs par quatre bras robustes sur de hautes pierres plates ou sur des billots de chêne.

Quand les châtaignes sortent du sac des batteurs, dépouillées de toute pellicule, jaunes comme l’or et dures comme le roc, elles sont vendues sous le nom de châtaignons à des charretiers voyageurs qui, tous les ans, font exprès leur tournée dans les Cévennes méridionales.

Ferdinand FABRE.

                 Les Courbezon. [Fasquelle, édit.] 

Correspondance François Dedieu, novembre 2012. 

Clèdo, séchoir à châtaignes, Castanet-le-Haut wikimedia commons Author Castanet


Secadou, séchoir à châtaignes châtaigne à Mons-la-Trivalle wikimedia commons Author Samuel loiseau