mardi 31 octobre 2023

GOLFE de FOS ou GOLFE du LION ?

Henri Bosco, lui, plus à l’est de la Camargue, entre l’embouchure du Grand Rhône et le Cap Couronne, fait-il référence aux pointus quand il parle des  balancelles ” ? 

Henri Bosco Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Souricette-du-13 2014

« Le golfe du Lion
Est piqué tout entier de balancelles roses
Qui traînent des filets immenses ou qui posent
çà et là des nasses de fond.
C'est le printemps, la mer est tendre,
Elle monte, elle va s'étendre
Jusqu'aux îles du Rhône où vivent les taureaux,
Puis sous les amandiers, les mûriers et les figues,
Jusqu'à l'étang de Berre où le bleu de ses eaux
Bat la colline des Martigues. »

Henri Bosco (1888-1976). 

Fos_sur_mer_-_panoramio  2007 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Author markoz66

« Non mais tu rêves, dit une voix peu amène, tu les vois où les voiles et les barcots des pêcheurs ? entre la dizaine de grosses coques, à l’ancre dans le golfe, qui fument et polluent même à poste, l’étrave face au Mistral, à attendre ? Port-Saint-Louis-du-Rhône, c’est des conteneurs, du pétrole, de la pétrochimie... Fos-sur-Mer, une trentaine de sites industriels des plus dangereux, classés Seveso 2, du gaz, du méthane... En corollaire, pardon pour le mot lorsqu’il s’agit de victimes et que dire “ victime collatérale ” traduit une hypocrisie sans nom, cynique au possible, sous-entendant que ce serait indirectement alors que les maladies rares, les cancers deux fois plus nombreux que la moyenne sont directement liés à la pollution par des métaux lourds ! Port-de-Bouc ? l’industrie chimique, par le passé, la construction navale... et en face Lavéra, du moins son port pétrolier... Tu vois, poursuit la voix, nous sommes loin du tableau de Bosco, des poissons aujourd’hui disparus, morte la criée de Port-de-Bouc, finie la morue séchée Cabissol, disparu le demi-quintal d’avant de poutargue de Martigues, encore par « Le Pêcheur de Carro » entre 1976 et 2010, même si un couple a redonné un coup de jeune à cette activité originale.

Joli ce pluriel de Bosco : “ ...la colline des Martigues... ”

dimanche 29 octobre 2023

Encore DAUDET Alphonse... sur la Camargue, pour toujours.

Qui essaie de cultiver un art se nourrit de tout ce qui s'est fait avant lui comme un arbre se nourrit des couches de feuilles mortes des saisons passées sans lesquelles il lui serait impossible de pousser...

Arles 2016 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Chensiyuan

Arles est à l’entrée du delta, sur le bras principal du fleuve alors que le Petit Rhône, lui, en amont de la ville, est déjà parti divaguer vers l’ouest, vers Saint-Gilles. Dans sa  lettre ” « En Camargue », Alphonse Daudet nous livre quelques impressions liées au delta d’un temps où le vapeur assurait le service dès le matin :

«... Avec la triple vitesse du Rhône, de l’hélice, du mistral, les deux rivages se déroulent. d’un côté c’est la Crau, une plaine aride, pierreuse. de l’autre, la Camargue, plus verte, qui prolonge jusqu’à la mer son herbe courte et ses marais pleins de roseaux... /... 

Camargue 2017 Creative Commons Attribution 2.0 Generic Author Jac. Janssen from Baarlo lb. NL


Saladelles de l'Étang de Vendres 2016

Les terres cultivées dépassées, nous voici en pleine Camargue sauvage. À perte de vue, parmi les pâturages, des marais, des roubines, luisent dans les salicornes. Des bouquets de tamaris et de roseaux font des îlots comme sur un mer calme. pas d'arbres hauts. L'aspect uni, immense, de la plaine, n'est pas troublé... /... Comme de la mer unie malgré ses vagues, il se dégage de cette plaine un sentiment de solitude, d'immensité, accru encore par le mistral qui souffle sans relâche, sans obstacle, et qui, de son haleine puissante, semble aplanir, agrandir le paysage. Tout se courbe devant lui. Les moindres arbustes gardent l'empreinte de son passage, en restent tordus, couchés vers le sud dans l'attitude d'une fuite perpétuelle... »

Et sur le Vaccarès, l’étang le plus grand et le plus emblématique de la Camargue :

«... le Vaccarès, sur son rivage un peu haut, tout vert d’herbe fine, veloutée, étale une flore originale et charmante : des centaurées, des trèfles d’eau, des gentianes, et ces jolies saladelles bleues en hiver, rouges en été, qui transforment leur couleur au changement d’atmosphère, et dans une floraison ininterrompue marquent les saisons de leurs tons divers... »  

Étang_de_Vaccarès martelhières 1964 Creative Commons Attribution 2.0 Generic Author Dr Mary Gillham Archive Project

Va pour les centaurées, les gentianes maritimes mais pour les saladelles, monsieur Daudet, vos détails ne peuvent que laisser interdit un natif du delta (serait-ce celui de l’Aude) : même pour la variante audoise de la saladelle (limonium narbonense) la couleur varie du bleu au mauve pour une floraison en fin d’été ! Alors seuls des Parisiens peuvent se pâmer en imaginant des saladelles rouges, en été qui plus est ! 

S’il s’agit peut-être d’une confusion avec les salicornes qui rougissent mais en hiver, ce qui est sûr est qu’Alphonse Daudet, aspiré par la capitale (nous parlions de Pergaud, dernièrement, monté lui aussi à Paris), ne peut éviter l’écueil du détail inexact !
S’il a su parler néanmoins de Nîmes, de la Provence rhodanienne, parce qu’il y a passé les neuf premières années de sa vie (et peut-être trois ans comme répétiteur au collège d’Alès après la ruine de son père alors que la famille était installée à Lyon), il n’est plus du Midi... les dernières lignes des Lettres de mon Moulin en attestent :

«... Et moi, couché dans l’herbe, malade de nostalgie, je crois voir, au bruit du tambour qui s’éloigne, tout mon Paris défiler entre les pins...
Ah ! Paris... Paris !... Toujours Paris ! »

Si l’erreur est humaine, perseverare diabolicum se doit-on d’ajouter même si, pour tout ce qu’il a su offrir de beau, notamment dans ces Lettres de mon Moulin, on ne peut que pardonner. Vivre c'est aimer. Merci, monsieur Daudet ! 

vendredi 27 octobre 2023

DAUDET, Ode au delta, Lettres de mon Moulin, mardi 11 avril 2017.

Dans les “ Lettres de mon Moulin ”, Alphonse Daudet a su aussi mêler l’avancée grandiose du delta au tragique des destinées humaines. A Mirèio, à Magali, il associe l’Arlésienne, celle qu’on ne voit jamais alors que tout tourne autour du malheur qu’elle cause.

Daudet a sûrement eu le tort de joindre cette nouvelle à ses Lettres. 

Celtis_occidentalis 2021 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Agnieszka Kwiecien, Nova

Aux marges de la Crau, dans un mas aux micocouliers, vit Jan, le fils de maître Estève.

«... Il s’appelait Jan. C’était un admirable paysan de vingt ans, sage comme une fille, solide et le visage ouvert. Comme il était très beau, les femmes le regardaient ; mais lui n’en avait qu’une en tête, ~ une petite Arlésienne, toute en velours et en dentelles, qu'il avait rencontrée sur la Lice d'Arles, une fois. ~ Au mas, on ne vit pas d’abord cette liaison avec plaisir. la fille passait pour coquette, et ses parents n’étaient pas du pays. Mais Jan voulait son Arlésienne à toute force; il disait : 

 Je mourrai si on ne me la donne pas. » 

Arlésienne_1904 Scan old postcard Author Unknown

Hélas, le jour même où on officialise gaiement sa liaison, un homme demande à voir maître Estève, seul à seul. Le soir venu, le père se doit de dévoiler à Jan ce qu’il lui a appris, que la fille est une coquine, qu’elle a été sa maîtresse pendant deux ans, qu’elle lui était promise mais qu’elle et sa famille lui ont tourné le dos quand le fils de maître Estève s’est intéressé à elle.

« Ce soir-là, maître Estève et son fils s’en allèrent ensemble dans les champs... ». Et quand ils revinrent : 


«   Femme, dit le ménager, en lui amenant son fils, embrasse-le ! il est malheureux... »   

Daudet a eu tort de joindre cette nouvelle à ses Lettres : elle s’inspire directement de la triste fin d’un neveu de Mistral et c’est Mistral lui même qui s’en est confié. La publication d'une intimité à ne pas mettre au grand jour pèse certainement dans le froid à venir entre les deux hommes... 

Alphonse_Daudet 1840-1897 Domaine public Auteur Nadar - Rue d´ Anjou, 51 Paris.


jeudi 26 octobre 2023

6. THAU des HUÎTRES.

Une série d'articles de septembre 2014 confrontant clovisses et palourdes concernait la pêche et la conchyliculture de l'Étang de Thau. Ce sixième article avec pour sujet les huîtres, apporte un complément intéressant... 

Étang_de_Thau  2013 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported L'extrémité est de l'étang de Thau depuis le mont Saint-Clair à Sète, Hérault, France. Au premier plan, une partie de la commune de Frontignan et sur la gauche une partie de celle de Balaruc-les-Bains, et derrière les deux la Montagne de la Gardiole. Auteur Christian Ferrer

Une histoire vieille de 160 ans ! Vers 1865, dans un parc à proximité de Roquerols, des pieds de cheval de Méditerranée ainsi que des huîtres d’Arcachon grossirent mais sans se reproduire.

En 1889, il s’est dit qu’on avait trouvé de belles huîtres le long du remblai du chemin de fer entre Cette et Balaruc, ce qui incita à des essais. Les huîtres d’Arcachon doublèrent de taille en été pour être idéales, grosses et de très bon goût, dès l’hiver. Monsieur Lafite de Cette, auteur de cette expérience, en lança l’élevage suite à la réussite de monsieur Vidal obtenteur sur des tuiles, à Agde, de naissains de 150 à 200 individus (des piles de tuiles chaulées ont fait partie du décor du film « Le Petit Baigneur » pour des scènes tournées aux Cabanes-de-Fleury). Malheureusement, dès la deuxième année, une algue verte étouffa les jeunes huîtres et on se contenta d’élever des huîtres importées d’Arcachon dans les canaux de Cette. 

Sète_from_Loupian,_Hérault 2013 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Le Mont Saint-Clair (commune de Sète) et l'étang de Thau avec ses parc à huîtres depuis la commune de Loupian Author Christian Ferrer

Filière de coquillages 2014 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Selmoval

En 1900, surprise : des bancs naturels étranges apparaissent dans le bassin de Thau, étranges car la variété n’est pas plus celle d’Arcachon que la pied de cheval, non, c’est l’huître des Romains, accueillie fraîchement par les pêcheurs de clovisses. Il n’empêche que cette nouvelle filière est prometteuse : ces huîtres grossissent plus vite, frayent deux fois l’an et pondent plus qu’à l’océan. Mais cette manne va vite se retrouver compromise par l’inconduite, le manque de réflexion : on se met à draguer excessivement, la densité dans les caisses d’affinage est trop forte dans des eaux peu profondes à la qualité douteuse, l’expédition se fait en sacs, en vrac...

S’ensuivirent des intoxications, des fièvres typhoïdes. Le commerce des coquillages s’en ressentit : l’Océan se ligua contre Thau pour que les huîtres méditerranéennes soient destinées à l’élevage et non à la commercialisation. Heureusement, et contrairement aux pêcheurs, les délégués sudistes firent des propositions toutes de finesse. D’abord en délimitant dans l’étang, les zones saines de celles à éviter ; ensuite, en autorisant la vente du 15 septembre au 15 avril, en dehors des périodes chaudes, seulement suite à une stabulation dans des eaux pures strictement contrôlées ; enfin, il faudra émerger périodiquement les huîtres pour les habituer à se fermer, ce que les mouvements de marée assurent dans l’Atlantique et la Manche...

Note 1 : Cet effet de flux et reflux est actuellement pratiqué par certains ostréiculteurs dans l’Étang de Thau. 

Huîtres_de_Bouzigues étang_de_Thau 2004 Creative Commons Attribution 2.0 Generic Auteur INRA DIST

Note 2 : Cet article s’inspire de l’œuvre de Jacques Captier (pas de dates) « Les Marins-Pêcheurs du Languedoc » Paris, 1909.        

     

mercredi 25 octobre 2023

ODE AU-DELÀ DU DELTA... / Rhône, Aude, Llobregat, Èbre

 « ... Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, ~ heureux comme avec une femme. »

Sensation, Arthur Rimbaud (1854-1891).

Le Rhône embrasse ses îles et pousse les terres de Camargue vers le sud, et pas seulement dans sa propre limite. La situation climatique, entre hautes pressions au nord et la situation dépressionnaire due à la Méditerranée, mer chaude, une situation à l’origine de violents transports d’air entre les deux états ; le Mistral, les Cers, liés aux couloirs rhodanien, audois, de l’Èbre en Catalogne, en forment les porte-bannières tandis que, plus généralistes, les tramontanes, comme le nom l’indique, descendent des montagnes. Transports d’alluvions aussi, tirées des montagnes, venues combler les avancées de la mer. La géographie, en effet, duplique le schéma camarguais d’engraissement avec ses lagunes et lidos, d’érosion, aussi, de la côte. 

Du Rhône à l'Èbre.  Atlas Classique, Schrader & Gallouédec Hachette 1953


A quatre cents kilomètres, chez nos frères de Catalogne, c’est l’Èbre qui avance ses bras dans cette même Méditerranée Occidentale. Entre les deux, le Llobregat comme épongé par Barcelona (1) mais réservant encore des espaces naturels intéressants. Et, pardon de le mettre en avant « parce que c’était lui, parce que c’était moi », si présent dans ce qu’il a de sanguin, de sudiste, d’occitan, le fleuve qui continue d’échapper aux hommes venus le dompter, l’Aude qui rendit l’île de la Clape au continent, la “ rivière ”, redoutée mais familière des Pérignanais de toujours, l’Atax d’un delta aussi caché que mystérieux... 

(1) si quelqu’un peut préciser pour le Riu Fluvia (Golfe de Roses) ainsi que le Riu Tèr d’une trilogie catalane lexicale : Têt, Tech, Tèr... Sinon on parle du Mistral, du Cers du Rhône à l'Aude, de Mestral, Magistrau, des Cerç ou encore Çerç, de Tarragona à l'Ébre. 

vendredi 20 octobre 2023

EN CAMARGUE / II La Cabane /Alphonse Daudet. (fin)

 «... La nuit, quand le mistral souffle et que la maison craque de partout, avec la mer lointaine et le vent qui la rapproche (1), porte son bruit, le continue en l’enflant, on se croirait couché dans la chambre d’un bateau. 

Gardian Camargue_Cabane début_XXe_s Carte Postale ancienne Domaine Public


Mais c’est l’après-midi surtout que la cabane est charmante. Par nos belles journées d’hiver méridional, j’aime rester tout seul près de la haute cheminée où fument quelques pieds de tamaris. Sous les coups du mistral ou de la tramontane, la porte saute, les roseaux crient, et toutes ces secousses sont un bien petit écho du grand ébranlement de la nature autour de moi. Le soleil d’hiver fouetté par l’énorme courant s’éparpille, joint ses rayons, les disperse. De grandes ombres courent sous un ciel bleu admirable. La lumière arrive par saccades, les bruits aussi ; et les sonnailles des troupeaux entendues tout à coup, puis oubliées, perdues dans le vent, reviennent chanter sous la porte ébranlée avec le charme d’un refrain… L’heure exquise, c’est le crépuscule, un peu avant que les chasseurs n’arrivent. Alors le vent s’est calmé. Je sors un moment. En paix le grand soleil rouge descend, enflammé, sans chaleur. La nuit tombe, vous frôle en passant de son aile noire tout humide. Là-bas, au ras du sol, la lumière d’un coup de feu passe avec l’éclat d’une étoile rouge avivée par l’ombre environnante. Dans ce qui reste de jour, la vie se hâte. Un long triangle de canards vole très bas, comme s’ils voulaient prendre terre ; mais tout à coup la cabane, où le caleil est allumé, les éloigne : celui qui tient la tête de la colonne dresse le cou, remonte, et tous les autres derrière lui s’emportent plus haut avec des cris sauvages.

Bientôt un piétinement immense se rapproche, pareil à un bruit de pluie. Des milliers de moutons, rappelés par les bergers, harcelés par les chiens, dont on entend le galop confus et l’haleine haletante, se pressent vers les parcs, peureux et indisciplinés. Je suis envahi, frôlé, confondu dans ce tourbillon de laines frisées, de bêlements ; une houle véritable où les bergers semblent portés avec leur ombre par des flots bondissants… Derrière les troupeaux, voici des pas connus, des voix joyeuses. La cabane est pleine, animée, bruyante. Les sarments flambent. On rit d’autant plus qu’on est plus las. C’est un étourdissement d’heureuse fatigue, les fusils dans un coin, les grandes bottes jetées pêle-mêle, les carniers vides, et à côté les plumages roux, dorés, verts, argentés, tout tachés de sang. La table est mise ; et dans la fumée d’une bonne soupe d’anguilles, le silence se fait, le grand silence des appétits robustes, interrompu seulement par les grognements féroces des chiens qui lapent leur écuelle à tâtons devant la porte…

La veillée sera courte. Déjà près du feu, clignotant lui aussi, il ne reste plus que le garde et moi. Nous causons, c’est-à-dire nous nous jetons de temps en temps l’un à l’autre des demi-mots à la façon des paysans, de ces interjections presque indiennes, courtes et vite éteintes comme les dernières étincelles des sarments consumés. Enfin le garde se lève, allume sa lanterne, et j’écoute son pas lourd qui se perd dans la nuit… ». 

(1) Daudet confond avec le marin tel celui que nous avons eu, en tempête, cette nuit du 19 au 20 octobre 2023. 

Barraca_tradicional_del_Delta_del_Ebro 2005 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Author Pixel 


jeudi 19 octobre 2023

EN CAMARGUE / II La Cabane / Alphonse Daudet. (1)

C'est un peu le “ qui se ressemble s'assemble ”... à première vue une lapalissade puisque la focale est mise sur un Sud concret, thème transversal, sujet principal, corps incontournable serait-il subjectivement proposé... Une approche certes personnelle mais étayée en premier lieu par le contexte isobarique de la Méditerranée nord-occidentale, présentant souvent des centres dépressionnaires qui attirent de forts flux d'air en provenance de zones plus tranquilles au nord et à l'ouest. Dans ce cas de figure, l'encaissement plus ou moins marqué des couloirs rhodaniens, audois et de l'Èbre chez nos voisins catalans provoque une accélération des vents, Mistral et Cers, attirés par la mer plus chaude (peut-être un effet venturi). Deuxième ressemblance bien marquée à cause du travail des fleuves concernés, Rhône, Aude (1), Èbre, la formation des deltas respectifs, le colmatage de la plaine littorale jusqu'à la Salanque avec les apports de l'Agly, de la Têt, du Tech (Pyrénées-Orientales). Une végétation particulière marque l'arrivée de l'eau douce en amont des étangs, les roselières de sagnes, sénils, suivant les appellations locales du roseau phragmite, utilisé en tant que matériau à portée pour construire les abris humains : la cabane du gardian en Camargue, celle des bords de l'étang de Salses, celle du delta de l'Èbre, pour celles dont nous disposons en photos. 

Le_Barcarès_-_Pinède_et_Chemin_de_l'étang_(CP) début XXe Domaine Public Éditeur inconnu.

Le_Barcarès_Poblado_pescadores 2008 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Author Yeza

À laisser l'essentiel du boulot à Daudet, il fallait bien que je participe aussi un peu, quitte à être en accord avec les fleuves travailleurs qui nous concernent.      

Alphonse Daudet (1840-1897) a pris le bateau à Arles pour une partie de chasse en Camargue. Son reportage figure dans les Lettres de mon Moulin ; c’est un véritable tableau de la cabane dans le delta, toute une atmosphère autour des chasseurs si petits au sein de la nature (ci-dessous, une reprise presque intégrale du texte).

EN CAMARGUE / II La Cabane (Alphonse Daudet).

« Un toit de roseaux, des murs de roseaux desséchés et jaunes, c’est la cabane.../...Type de la maison camarguaise, la cabane se compose d’une unique pièce, haute, vaste, sans fenêtre, et prenant jour par une porte vitrée qu’on ferme le soir avec des volets pleins. Tout le long des grands murs crépis, blanchis à la chaux, des râteliers attendent les fusils, les carniers, les bottes de marais. Au fond.../...un vrai mât planté au sol et montant jusqu’au toit auquel il sert d’appui. (à suivre) 

(1) Il semble prétentieux d'accoler l'Aude aux noms aussi prestigieux de l'Èbre et du Rhône, pourtant notre “ rivière ”, simple fleuve côtier, reste un des cours d'eau des plus travailleurs, apportant 4 millions de tonnes de sédiments par an (Rhône 10 millions, plus que la moitié depuis la multiplication des barrages / Pas de données sur l'Èbre sinon que le delta risque de disparaître à cause de 70 barrages / à titre indicatif le Gange-Brahmapoutre porte 660 millions de sédiments, ce qui a comblé la fosse du Bengale, à l'origine plus profonde que celle des Mariannes ).  


lundi 16 octobre 2023

LE GARDIAN (fin).

Quand arrive le printemps, le gardian doit laisser la cabane (1) qu’il habite pour rester avec le troupeau, c’est la règle : appuyé contre un arbre, l’escalassoun, le poteau permettant de voir loin, dont il monte les barreaux, n’est utile que si les bêtes sont à portée, de même que les sonnailles au cou de celles qui mènent, également à celui de celles, toujours les mêmes, qui s’aiment à la traîne ; en principe, le troupeau parcourt un même itinéraire, mangeant en avançant pour se retrouver le soir là où il dort. La garde se fait à pied, “ a bastoun plantat ”, à bâton planté (lou calos), en menant le cheval par la bride, ce qui laisse du temps pour pêcher dans les roubines, les étangs, braconner les lapins alors si nombreux. 


'Gardian'_in_Camargue,_Provence,_France  2012 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Albarubescens

Le gardian doit trier les bêtes, assurer le bistournage (les castrer), leur imposer, à l’âge d’un an, le fer rouge du mas (ferrade) en parallèle avec les escoussuros, les entailles à l’oreille.

 Le gardian est aussi “ carretier ” lorsqu’il conduit la charrette au marché d’Arles, le samedi matin, pour des provisions et également pour que le régisseur (lou pelot) y traitât les affaires du mas, des achats nécessaires à la vente des bêtes, à l’embauche de main-d’œuvre. Arles la romaine, là où le Petit Rhône se sépare du Grand, est la capitale de la Camargue, la ville en bordure des grands espaces finalement rendus à la nature par l’Homme (2).

C’est grâce à elle, à cheval entre la vie moderne, les échanges, la Provence riche de ses productions agricoles, en lien avec le lointain et, en aval, le rythme bien plus lent, paisible du delta à l’atmosphère immuable, que l’île du fleuve a été mise en valeur. C’est dans ses rues que le gardian vient acheter la chemise à pois, le chapeau de feutre, la veste en velours, le gilet, le pantalon en peau de taupe (un enduit souple et vernis ressemblant à un cuir sur moleskine, un coton tissé serré). En Arles se déroule la fête la plus renommée, célébrant, le dernier dimanche d’avril, la Confrérie des Gardians datant de 1572. Sur la place du forum, gardée d’honneur par une grille de tridents, les ficheirouns des gardians, la statue de Frédéric Mistral qui écrivit si bien sur ces cavaliers, les traditions, la Camargue. 

Fête_des_Gardians à Arles 2014  Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Finoskov

Le gardian et sa monture sont à l’honneur lors des cérémonies religieuses, baptêmes et mariages avec des saladelles comme bouquet de la mariée.

À l’origine d’un statut modeste, voué à son travail, le gardian est devenu acteur incontournable des fêtes à la belle saison, dans le maintien des traditions, autre chose que le cow-boy dévoyé dans la violence des colts, des hors-la-loi, des chasseurs de primes alors que l’image de l’homme chevauchant reste irrésistible partout sur Terre... Alors plutôt rappeler ce gaucho de la pampa, intime de sa monture, au point, au seul pouvoir d’un doux murmure, de faire allonger son cheval dans l’herbe afin de reposer sa tête sur l’encolure sans que l’animal n’en soit perturbé... Faire confiance, par amour... 

Aimer tue même si c’est vivre... Et vivre sans aimer, est-ce vivre ? 

(1) Un mot sur la cabane du gardian, blanchie à la chaux, au toit de sénils bruns (chaume de roseaux phragmites séchés) : seul le mur pignon, tourné au midi, est maçonné ; à l’intérieur un conduit de cheminée occupe le versant opposé à celui de la porte ; le tour est en roseaux sinon en torchis ; le fond est en forme d’abside, afin d’offrir le moins possible de prise au vent ; la poutre faîtière dépasse cet arrondi tourné au Mistral, ce bout servant parfois, à l’aide d’une corde, à arrimer la cabane; le faîte maçonné coiffe les deux pentes du toit fait de paquets de sagnes ; meublé simplement, le modeste intérieur d’une seule pièce est parfois partagé avec la chambre derrière. Généralement les épouses des gardians vivaient à Arles. 

(2) sans cette présence qui régule en plus ou en moins l’arrivée d’eau douce, la Camargue ne serait peut-être qu’un désert de sel...

samedi 14 octobre 2023

LE GARDIAN (1).

Aussi présent que les troupeaux, l’élevage représentant la seule économie du delta avant la gestion des eaux grâce aux digues, aux roubines, au pompage, à l’immersion pour le riz, le gardian, à l’origine, était appelé “ egatié ”, “ gardian d’ego ”, de juments ; après la période des mises bas, il coupait les crinières pour, en hiver, tresser des sedens, cordes de travail ou de parade.

En équipe, il est chargé de marquer au fer les poulains de deux ans, de castrer ceux de trois (il s’agit de comprimer les conduits séminaux). Traditionnellement, cette besogne avait ses spécialistes piémontais, béarnais ou gardians eux-mêmes... Notons que pour les taureaux, ce retournement contre nature se faisait devant tous les bovins mais pas en ce qui concerne les chevaux. 

Camargue_-_A_bull_with_its_'gardian'_-_panoramio 2009 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Author Numenor

Afin d’assurer la conduite et la garde du troupeau, le gardian sélectionne et forme un cheval de quatre ans jusqu’à ce qu’il sache se placer, rassembler dans un rôle de chien de berger. Il y faut douceur, patience, expérience, malice aussi puisque l’Homme joue sur la gourmandise pour amener à lui le Camargue ne résistant pas à l’avoine. Un bon cheval est rare, ils sont peu nombreux à avoir le sens du taureau ; suite au débourrage qui dévoile les qualités du cheval (il prend alors un nom en rapport avec son caractère, ses aptitudes), la formation demande deux, trois ans, à faire que le cheval accepte avant tout ce passage de la liberté à la domestication, de l’indépendance à la servitude consentie, qu’il en arrive, suite aux exercices répétés à la longe dans le manège, à supporter la bride, le caveçon, la selle et enfin le cavalier jusqu’à ce que ce dernier fasse corps avec l’animal (1), dans une complicité de travail bien fait, de sentiments extrêmes. Le bon gardian saura le ménager, lui éviter les efforts inutiles, surveiller sa santé. Entre eux deux, une amitié exclusive, intense souvent, qui finira avec une grande émotion, par la retraite, le repos bien mérité, le retour aux sources au sein d’une harde, jouant de la tête, de la queue, n’arrêtant que pour avoir l’œil sur l’intrus venu déranger la quiétude des maremmes seulement animées par les troupeaux et les oiseaux. 

Gardian Cabern du mas de l'Aamarée années 1900 Carte postale ancienne Author B. F.

L’hiver encore, si le gel saisit les étangs, le gardian devra casser la glace pour les bovins qui, contrairement aux chevaux, ne savent pas libérer un trou d’eau pour boire.

Toujours l’hiver qui correspond aussi à la période de fabrication des sonnailles, du salabre (dans un autre sens, un synonyme d’épuisette) des poulains, un dispositif garni de pointes destinées à piquer le ventre de la mère qui du coup n’accepte plus le nourrir, des mourraus (de mourre, museau), du même principe pour les veaux, une pièce de bois l’empêchant de téter mais non de brouter. (à suivre)

(1)  en 1995, la monte gardianne a été reconnue par la Fédération Française d’Équitation.