dimanche 29 mai 2022

L'ÂNE de mamé Antoinette (fin)

 


Un témoignage qui nous est resté au hasard de dizaines de cassettes audio dont quelques unes seulement, les plus nombreuses étant musicales, ont gardé des voix. Certaines ne sont plus. Qu'Antoinette, Marcel et Valentine me pardonnent d'afficher leurs prénoms. C'étaient de braves gens. (La cassette est transcrite presque intégralement, à peine adaptée pour être écrite et lue). 

Mamé Antoinette : j’allais faire de l’herbe pour les vaches. Cet âne chaque fois que je foutais une fourchée, il ruait. Je l’ai chargé tant que j’ai pu, sans faire de bruit, puis doucement me coucheri sur l’herbe. J’avais pris une branche de frêne et encore j’avais laissé quelques nœuds. Et alors pingo pango... tu veux faire le fou, je vais t'aider !

Marcel (le fils) : c’était presque à la route nationale, la traverse qui vient à Vinassan. 

Antoinette : malheur on doublait les bicyclettes. Quand on est arrivés il voulait tourner vers la maison. Pas question, j’ai continué à le taper. Puisque tu en veux "n'auras" (tu en auras). On est arrivés au chemin de St Félix. Alors je l’ai laissé retourner. Ah il était devenu doux comme tout ! Avio coumprès (il avait compris).  

burro de Galice wikimedia commons Auteur Fernando Losada Rodriguez

Valentine (la fille) : cet âne dès que tu lui mettais la charrette...

Antoinette : je l’avais parce qu’on avait les vaches. Et je n'ai plus eu de vache. Alors plutôt le vendre. 

Marcel : et oui, c'était la guerre... 

Antoinette : et c'était difficile de les nourrir. Elles étaient maigres, elles ne donnaient plus de lait. Autrement je l’aurais pas vendu. Papa il ne rentrait pas (à l'écurie), il en avait peur. Un jour l’âne l’a coincé contre le mur. Il l’aurait tué. Heureusement mon père et Vincent étaient là, ils ont réussi à le sortir. Il était méchant. Autrement je faisais la laitière, j’avais quatre vaches.  

Marcel : elle a fait naître des petits veaux, je m’en rappelle comme si c’était hier.

Antoinette : je faisais la fermière, la laitière, la vétérinaire. Les vaches on les a gardées sept ou huit ans. Son père jamais il a voulu les traire «Tu les a voulues les vaches, tu les as...» Il fallait traire le matin et le soir, et quand il pleuvait, quand il neigeait... C’était dur mais moi je me régale... 
Les vaches il a fallu les vendre. Sinon, pour traire, la main des femmes est plus douce que celle des hommes. Autrement, les veaux, je n’avais besoin de personne. Je l’avais castré et tout. Alors ce sont des gens de Coursan qui sont venus, des gens un peu âgés, dans les soixante ans, par là. Des gens braves. Moi ça m’agaçait, je voulais le vendre. Enfin je lui ai dit. Moi ça m’agaçait. Je lui ai dit "Ecoutez, y a des fois, on l’a fait castrer mais y a des fois qu’il n’est pas franc... 

Burro en Galice wikimedia commons Auteur Fernando Losada Rodriguez

Marcel : on l’avait acheté à Narbonne et mon père est revenu dessus, comme un pérot comme on dit (est-ce pour le bélier marchant devant le troupeau ?). Un dimanche après-midi, ils sont revenus tranquilles, l'âne doux comme un agneau. Eux l’ont pris comme mon père l’a pris. Un nouveau propriétaire. Il montre son meilleur côté. On n’en a plus entendu parler...

Antoinette : Oh on n’en a plus entendu parler ??

Marcel : enfin de quelque temps, quoi !

Antoinette : un jour il me vient un monsieur pour parler à papa d’une vigne à vendre ou à acheter, je sais plus, mais des années après. Il me fait « il me semble que je suis venu ici ». Et moi de répondre "Il me semble que je vous remets...Oh c’est pas vous qui êtes venus m’acheter l’âne ? ". Ah ! un neveu à ceux qui avaient acheté l'âne. 

Le neveu : Oh c’est pas moi, c’est mon oncle et ma tante. 

Antoinette : et alors à propos ? 

Le neveu : A propos ! mé dis (il me dit)(rires dans l’assistance) Mon oncle il chargeait du bois. Y avait ma tante sur le chariot (les rires sont communicatifs). Et cet âne est parti comme en 14 (les rires redoublent). La pauvre. L’âne il a traversé les fossés et tout (fous rires). Il a perdu ma tante qui est tombée dans le canalet (fous rires à se tordre). Mon oncle depuis il est malade, il a eu une crise cardiaque (c'est terrible de rire, cela ne se contrôle pas !).

Antoinette : paï beleu ? (pas peut-être ?)

Le neveu : paï beleu me dis...

Antoinette : mais moi, i disi, il était méchant mais quand même je le domptais !

Le neveu : on a dû le vendre, c’est des gitanes qui l’ont acheté.

Antoinette : les gitanes raï ! (seraient-ils plus aptes à dominer les ânes ?) 

Le neveu : c’est qu’au bout de trois mois, je ne sais pas ce qu’il leur avait fait aux gitanes. Les gitanes aussi il a fallu qu’ils le vendent. Mais lou pauré papéto, ils ont eu peur, depuis il en est malade.

Marcel : une fois on passe devant la coopé, elle n’y était pas, la coopé. Rendez-vous compte si j’étais jeune. On prend le chemin de la plaine. 

La plaine de Vinassan. 

Valentine : aquélo plancho boulinguèt (cette planche a valdingué).

Marcel : Mon père avait mis une planche et nous dessus. Mais le chemin, y avait des trous, c’était pas goudronné. Et cet âne qui commence à prendre la quatrième, dans la descente en plus. La planche saute et nous deux de cul au fond de la charrette. Il pouvait pas sentir une bicyclette devant lui ! Je m’en rappelle comme si c’était hier.

Antoinette : j’ai travaillé chez les propriétaires puis j’ai fait la laitière et quand j’ai arrêté j’ai repris le travail ; y avait douze femmes avec moi. Quand ils me voyaient arriver, tout aco s’arrestavo, se rambavoun de la route (tout le monde s'arrêtait et s'enlevait de la route). Je vous dis qu’à Coursan, je vous mens pas, cette femme il l’a faite tomber il l’a perdue ! Moi quand je montais jamais je me mettais sur la planche. 

wikimedia commons Auteur Cocollector


L'ÂNE de mamé Antoinette / Présentation.

 Les ânes... Pour Porfiri Pantazi, le "Russe" de Pérignan, les déclinaisons phonétiques du mot "âne" relevaient du mystère. Quand devait-il dire un "nâne", des "zânes", un petit "tâne" ? C'est vrai que les "zânes" restent des compagnons de travail parfois durement traités, par exemple en Afrique. Chez nous, l'égoïsme a vite mené à les gommer des mémoires comme on l'a fait ensuite des chevaux de trait, compagnons de travail pourtant livrés aux bouchers... Néanmoins, en retrouvant un bon cap, une question grave de vie ou de mort, cette Histoire qui est la nôtre n'a pas dit son dernier mot...  

C'est que, petits, notre première rencontre avec lui a eu lieu pour Noël : l'âne est à l'honneur dans la crèche. 

Ensuite à l'école "J'aime l'âne si doux marchant le long des houx..." du poète Francis Jammes qui les aimait au point de vouloir être accepté dans leur paradis. 

Troisième rencontre, à Pézenas, rappelant Cadichon de la Comtesse de Ségur, puisque, avec Jacky le copain de classe, on l'a promené sous les grands pins du parc, au domaine de Grange Rouge, la propriété des grands-parents Lapointe. 

Puis, il y a Hugues Aufray 
"... en Provence, 
Au milieu des moutons, 
Dans le Sud de la France, 
Au pays des santons..." 
La fin quand même, il aurait pu ne pas en rajouter, parler de la mort suffisait à bouleverser les petits. A propos, au pays des santons comme en Italie, ne vend-on pas du saucisson d'âne ? 

Et puis, ces jeunes mariés au pays des maisons blanches rehaussées du rouge des géraniums. Ils vont à la corvée d'eau, c'est touristique presque d'accompagner les ânes sauf que le second bloque des deux fers, dans un refus typique de l'espèce. Demi-tour du marié devant, pour le cas pas exotique, qui enfant fit ses classes auprès de l'abuelo (le grand-père) : quelques claquements de langue et plus de problème pour arriver au puits.    

Un jour, devenu adulte et curieux de lectures, on aime cette traversée des Cévennes de Robert-Louis Stevenson en équipe avec Modestine la petite ânesse si docile et serviable. 

A quelque temps de là, à nouveau dans la vie vraie, c'est mamé Antoinette pour les quelques années à la ferme avec un âne au caractère bien trempé. On va parler de leur équipage à part tout à l'heure. 

Grains entiers frits wikimedia commons Auteur Superbass

Par la suite, comme une parenthèse triste avec d'un côté des êtres transportés de progrès mais inconscients des dégâts collatéraux à la nature et si oublieux dans leur ingratitude envers tous ces compagnons de jadis, ânes, mules, chevaux jusqu'aux cochons et aux volailles et pigeons. Il en fallut du temps pour que l'instinct de conservation ne nous ramène à un mea culpa de meilleures intentions : les municipalités ont installé des petites fermes pour que les enfants sachent de quoi ont l'air tous ces animaux domestiques jadis familiers. Peut-être la hantise du "Dessine-moi un poisson !"...  


  
L'an passé, dans les photos en noir et blanc de nos papiers, j'ai trouvé un petit âne gris certainement des années 50 - début 60. Était-il lié au vieux Cazal qui, au village, promenait ainsi sa carriole à peu près à la même époque ? 


Toujours l'an passé, au bord de l'Aude, un âne parqué (ou était-ce une dame ?) venait jusqu'à la clôture pour saluer les promeneurs. Devais-je lui dire que son coin "Nego saumo" n'était pas favorable à son espèce puisqu'au moins un jeune âne s'était noyé par là ? 

Equidae_Equus_africanus_asinus wikimedia commons Auteur NasserHalaweh

Voudrait-on les reléguer aux oubliettes qu'ils viennent poser leur tête sur notre épaule. On parle d'un élevage d'ânes à Coursan, à l'honneur ce mois-ci sur Audemag du Conseil Départemental. 



Raison de plus pour parler de l'âne de mamé Antoinette, une brave femme qui vivait à Vinassan, du côté de la cave coopérative ou du moins de ce qu'il en reste, s'agissant, bien que déplacée, d'une fontaine artésienne. (à suivre)


samedi 28 mai 2022

Mayotte, petite île, mais dans son océan, comme Cendrillon chez son prince (2)

Attention, avec le découpage de ma chronique en trois volets c'est X dès les premiers mots !  

... les tétons durs jouant les essuie-glace sur ma poitrine. Olivier n'avait que 50 ans : une insuffisance l'emporta. Mort aussi le Lazaré, entreprise à toucher des gains et néanmoins repaire de plaisirs solidaires. Mieux vaut ne pas aller voir ce qu'il y a à la place, l'ère du béton a sabré le rapport séculaire d'un rouge latérite lié aux verts profonds de la forêt primaire, aux clairières défrichées où la lune qui fait pousser éclaire, une lune, jadis égayant le petit peuple entre animisme et islam mais qui ne compte plus que pour rythmer les phases du ramadan. 

Qu'est-ce qu'il a chanté Lama, dans la mesure où je ne relève que ce qui me recoupe ? "Une île, entre le ciel et l'eau... tranquille comme un enfant qui dort... fidèle à en mourir pour elle". Comment ne pas évoquer, d'ici, épaulés par quelques relais en métropole, ces hommes et ces femmes qui ont sacrifié leur personne à la cause de Mayotte secouant des chaînes qui sonnaient il n'y a guère, au cou et aux pieds des esclaves déportés d'Afrique ? Des militants de sangs mêlés, prouvant aux simplistes partiaux que la couleur de peau, la religion, ne peuvent piquer qu'au ras des sensitives. Des chatouilleuses pour repousser les envahisseurs, des agitateurs, des orateurs pour mener le peuple, des leaders parce que pour eux, rester français c'est être libre. Une lutte de 55 ans pour arriver au département, le 101e ! Dans les lacets de cette montée au surnom plaisant de "Tourmalet" (70 m seulement mais un mur et cinq têtes d'épingles !), montant sur le plateau de Barakani, dans les bambous et la majesté des frondaisons, ils restent présents, ils vivent en nous. Il faut le dire à nos enfants ! 

Dimanche, cela fera peut-être une trentaine de fois que la route me fredonne tout ça, et pour cette énième fois, plutôt que de se soumettre à la force de l'habitude, le murmure deviendra grondement jusqu'au plus profond de mon être parce qu'une petite voix me force à l'écrire et que même ébranlé, j'ai un peu la naïveté de croire que ça peut me guérir. Le col d'Ongojou, là où la route passe un des rachis volcaniques coupant l'île en petits bassins. Au levant le versant à l'alizé, au couchant, l'autre plus gras des vents de mousson. Des deux côtés, le lagon, pour la joie des enfants mais sur les plages fréquentées seulement. Plus question, en effet, de chercher la crique pour Robinson ou celle des amoureux. Dans les phases aigües, l'insécurité violente a même amené les gendarmes à accompagner des groupes constitués de promeneurs invités à faire connaître à l'avance leur balade. 



Ongojou : là-haut, le vieil Ali fait corps avec son champ. Ses ylangs alignés embaument mais la fleur se ramasserait à perte, d'ailleurs il a démonté les rigoles de bambous pour l'eau de l'alambic, il a vendu les cuves. Qu'importent ces quelques sous, l'inquiétant est qu'on ne vit plus en paix dans ce paradis perdu. Une année on lui a razzié les vaches, quelques mois en arrière, ce sont les chiens errants qui lui ont dépecé un veau vivant, régulièrement des cocos, des régimes de bananes disparaissent, il y a quelques jours un grand avocatier a été dépouillé, des fruits par la suite vendus au bord de la route. J'en oubliais la phalange qui lui manque, alors qu'il gardait un lotissement de wazungus, de Blancs... cela marquait les débuts d'une violence parfois sanglante (années 2000), l'insécurité des braves gens qui se mettent en cage derrière des barreaux aux fenêtres, des portes en fer, les descentes en brousse de bandes de voyous, les attaques, la nuit, des barreurs de routes, les enfants des rues en maraude qui deviennent de jeunes adultes meurtriers comme ces chiens errants. Sur la parcelle mitoyenne issue du partage, son frère presque aussi âgé, ce ne doit être qu'une coïncidence mais qui vient de perdre son fils d'une quarantaine d'années, tué à la machette par une meute d'enfants-loups. Est-ce par fatalisme que ces faits plus que divers n'entament pas une dignité non seulement sans haine mais silencieuse qui plus est. Et s'ils aiment la France, c'est malgré nos dirigeants politiques pourtant si imparfaits. Un Etat si déloyal envers ses gens simples et respectables et trop enclin à servir les gros intérêts... (à suivre) 



vendredi 27 mai 2022

MAYOTTE petite ÎLE, mais Cendrillon en majesté... (1)


16 mai 2022. Que se passe-t-il ce matin ? Pourquoi ce pincement à la gorge ? Entre un coucher banal et un lever spécial, mon être ne le comprend que trop bien. Comme Coco, mon pauvre matou, comprenant tout, qui s'éloignait en miaulant son amertume sinon son chagrin, voyant nos valises, livré à une main nourricière étrangère qu'il ne tolèrera que de loin, je réagis physiquement, en miroir, à un même type de détresse : partir... Partir, c'est mourir un peu a dit le poète ; alors, revenir serait-ce revivre un peu ? L'angoisse de l'abandon me mine ; je suis comme Coco ; lui laissait-elle son poids sa hantise de l'abandon, malgré son bon ronron des retrouvailles, pas rancunier pour un sou ? Et si le "ça me tue" du parler familier n'était pas toujours à prendre au second degré ? Ce stress tue-t-il à petit feu ou rend-il plus fort ?    

A cause de lui, le quotidien se défausse de sa banalité. Je ne m'étais pas aperçu, hier soir, dans l'air plus pur, cristallin, de la saison sèche à nos portes, que la lune en habit de soirée m'avait un instant retenu par la manche, non pour me dire qu'à trois heures et demie, elle s'éclipserait en robe rouge (nuit du 15 au 16 mai 2022), non, la fée des craintes nocturnes apaisées disait simplement qu'avec ou sans moi, elle continuerait à apporter aux Hommes pourtant si oublieux, depuis le tout beau tout nouveau de la fée électricité. Sur une île qui parquait ses gens, par force ou par consentement provoqué (esclavage, travail forcé), c'est plus prégnant que sur le continent d'autant plus que Mayotte semble avoir plongé trop vite, en trente ans à peine, des temps anciens à la modernité la plus crue même si certains voudraient à présent ralentir son erre. 



Alors ce matin m'interpelle de son bon alizé encore frais malgré la latitude ; on n'entend que le vent, coulis dans les fins feuillages d'un bois-noir, balai de percussionniste dans les palmes rêches du cocotier ou baguettes dans les bananiers, entre les feuilles effilées par la dernière dépression et les nouvelles déjà à même hauteur. Et ce bourdon ambiant que pour ne pas m'abaisser à prendre pour un climatiseur d'humanoïde hors sol, j'imagine être celui de la pirogue dans la baie, partant pour des palangres de jour. 

Une éclosion de libellules doit faire la joie des guêpiers qui partent en escadrilles, des petits martinets enroulant leurs spirales. Et cette aigrette trop blanche, avion qui trace son vol rectiligne au-dessus du vallon trop vert alors que l'Europe se désole des sècheresses présentes et à venir. Je ne suis pas un voyageur, seulement un migrateur, un oiseau migrateur. 

Il est mort il y a moins d'un mois, l'acteur du Crabe-Tambour qui me retient ; mais c'est en tant que producteur de documentaires qu'il m'accroche, pour avoir filmé un émouvant "Peuple Migrateur" sur les oiseaux à la vie à la mort, et aussi un "Microcosmos" centré sur un petit peuple d'insectes dans un carré d'herbes, en miroir d'un petit peuple d'humains pathétiques sur une petite île ou sur une Terre qui l'est autant. Jacques Perrin il s'appelle ; je tiens à le nommer au présent.  

Oh ! une musique, la sonnerie d'un téléphone, quelques notes entraînantes avant un "Allo" en réponse. Vous tombent-elles dessus comme ça ou est-ce parce qu'on cherche trop leurs présences troublantes qu'elles convergent ainsi, les coïncidences ? Oui c'est du zouk africain... le Lazaré, je ne me suis jamais résolu à l'écrire avec, à la fin, le "t" d'une maladrerie, d'une léproserie. Une cabane-bambou de pisé au toit de palmes sèches sur une piste de danse dans des couleurs vives mais tamisées. En pleine brousse, sous la lune ou des étoiles plus fortes encore que la pollution lumineuse à venir, des garçons moins timides avec les cannettes de bière qu'avec les filles, trop engagés même mais sans jamais une bagarre, grisés qu'ils étaient aussi de reggae. La danse, pas seulement pour le rapprochement des êtres dans une ambiance propice mais aussi les créateurs locaux tant de la ville que de la brousse (Mobyssa, JR Cudza, Boura Mahia...), la clé aussi vers des horizons et des cultures autres : malgache avec Jaojoby, africaine avec Monique Seka ou Oliver N'goma, le crooner gabonais, une musique qui tangue et oscille comme, de cette liane de ma taille, venue me prendre par la main... (à suivre) 

jeudi 19 mai 2022

Des RACINES, oui, des AILES, soit mais une EXCELLENCE... discutable

Des Racines et Des Ailes - Terroirs d'excellence en Occitanie en streaming - Replay France 3 | France tv

 L'émission appréciée sur nos régions et terroirs, désireuse, dans une émulation impulsée, d'élever le niveau, voudrait nous faire extasier sur une prétendue excellence, un terme bien trop excessif pour faire l'unanimité. 

Excellence, certes des images d'une France toujours éminente pour ses aspects historiques, cette fois celles des citadelles du vertige, des fils de Carcassonne, les châteaux chargés jadis de défendre la frontière d'Aragon mais pas de leur traitement ramenant à un certain parisianisme, reflèterait-il l'emprise jacobine de la capitale sur la province. 

Les commentaires sont symptomatiques de cette pression centripète voulant tout ramener à Paris. Sans parler de l'accent alors que le parler pointu s'impose et que rares sont ceux qui osent affirmer leur différence par ce biais et nombreux ceux qui préfèrent se couler dans le moule, il y a la prononciation, ici "Pèrpertuz" pour "Peïrepertuze", "Puilauran" pour "Puilorenç". Est-ce du respect pour la façon de parler des locaux ? 

Rien de terrible non plus car dénotant d'un travail bâclé lorsque dans les châteaux dits Cathares, le commentaire dit "Dans la vallée du Tarn, "Puylaurent" (comme le prénom) ! Double carton jaune donc pour un tel traitement pour Puylaurens sur la Boulzane et pour Puilaurens dans le département du Tarn mais pas du tout dans la vallée de ladite rivière ! 

Excellent le luxe lié à la ganterie de Millau... le populo s'extasie sur le gant de Madonna, ceux de la garde républicaine. Excellente la quête de produits frais et les petites fleurs si délicatement cueillies au jardin pour les assiettes de ce grand restaurant de l'Aubrac. Si vous saviez comme le populo a le désir profond de manger des pétales alors que les infos saturent sur la pénurie de blé. Excellente la production d'huîtres à Marseillan mais des spéciales, réservées pour un chef étoilé. Excellente la restauration rapide d'une abbaye par des moines pleins d'argent (une réaction dit qu'ils ont dû gagner au loto) mais rien sur l'évènement culturel littéraire juste à côté, dans ce même village de Lagrasse. La culture laïque ouverte à tous n'est certainement pas d'excellence pour ces producteurs !   

 Lorsqu'on qualifie l'excellence en sous-entendant qu'on l'est soi-même, malgré les images magnifiques, j'ai ressenti aussi comme la promotion d'un fait religieux et surtout que l'excellence pour "Des Racines et des Ailes" se confondait avec un élitisme lié à l'argent, bref j'en suis arrivé à n'en retenir qu'une rengaine anesthésiante pour nous limiter au "ce pourrait être pire", qu'une propagande arrogante de très mauvais aloi.     

Les commentaires sur la page facebook : 




dimanche 15 mai 2022

Un "RUSSE" à Pérignan (12) / Porfiri veut revoir Odessa, les siens, sa maison...

Odessa, le port qui mène vers l'inconnu, les autres, le Monde ; Odessa, le havre qui ramène dans le familier, les siens, son monde. C'est ce qu'a vécu, c'est ce que vit Porfiri Pantazi. 

Русский Мыс Большой Фонтан, Одесса. Wikimedia Commons Author Alexey M.

Odessa, village d'Ukraine fondée par Catherine II, impératrice de Russie, allemande de naissance. Nommée pour rappeler en grec le nom d'Ulysse "Odysseos", mais au féminin, impératrice oblige. Son gouverneur Du Plessis de Richelieu, Français passé chez les Russes (contre Napoléon) de la famille du cardinal bien que deux siècles les séparent, fait du village une ville superbe (dont le grand escalier de la "Perle de la Mer Noire", avec sa statue en haut des marches). 

Odessa, plus d'un million d'habitants, son port, son tissu industriel, agroalimentaire, textile. 

Wikimedia Commons Authors : Alex Levitsky & Dmitry Shamatazhi

Odessa, méditerranéenne, appréciée, du moins au centre (en dehors c'est de style soviétique) pour son architecture italienne, française, un peu espagnole aussi. 

Odessa, ville libre, maniant volontiers l'ironie, cosmopolite, au surnom aussi de "Marseille d'Ukraine", avec ses cafés, sa vie nocturne, ses plages pour les vacances. Sous terre, ses galeries d'extraction de calcaire, par la suite refuges de vagabonds, de malfrats, de contrebandiers, de partisans, suivant les époques. 

Odessa, déjà bombardée en 1854 par les marines ottomane, britannique et française. 

Odessa, c'est le soulèvement révolutionnaire de 1905 avec l'intervention du cuirassé Potemkine (film en 1925 de Sergueï Eisenstein / chanson de 1965 de Jean Ferrat censurée par l'ORTF d'Etat). Odessa en 1917, ensanglantée par la terreur rouge locale (400 officiers du croiseur Almaz transformés en blocs de glace ou jetés vivants dans les chaudières, 400 familles dites bourgeoises massacrées). 

Odessa, en 1919, c'est Porfiri Pantazi, le "Russe" bessarabien, moldave, roumain et grec, qui embarque de justesse dans la Légion, alors que la flotte française de l'amiral Amet est venue soutenir une armée Blanche et avant que la guerre civile ne fasse rage. 

Odessa, au printemps 1933, c'est Holodomor, la famine voulue par Staline et Moscou. Alors que l'URSS exporte du blé, les autorités soviétiques réquisitionnent tout moyen de subsistance... le cannibalisme a été le seul moyen de survie : des millions de victimes (entre 2,6 et 5 millions de morts)

Odessa en 1941, ce sont les Roumains alliés des nazis qui occupent la ville. Suite à un attentat, dans la nuit qui suivit le 22 octobre, 5000 Juifs ou Communistes sinon les deux, furent tués. Le lendemain, 19.000 Juifs seront exécutés, le 24 plus de 5.000 furent mitraillés, le peloton d'exécution s'avérant trop long pour la besogne. Des 33.885 restant, surtout des femmes et des enfants, beaucoup moururent de typhus et de dysenterie dans les kolkhozes où ils étaient déportés (novembre 1941). Un massacre éradiqua ce qu'il restait de survivants (décembre 1941). Les Tziganes non plus ne furent pas épargnés. 

Odessa, en 1946-47, c'est une nouvelle famine provoquée par le pouvoir, difficilement estimable, avec de nombreux orphelins non enregistrés, ces "enfants-loups" livrés à une survie sauvage suite à la mort ou au retour des pères prisonniers de Hitler, directement envoyés au Goulag par un Staline vieillissant dans la hantise du complot et terrorisant en conséquence et la population et son entourage direct. 

Odessa, malgré les vagues d'émigration (surtout des Juifs), malgré les problèmes de corruption, malgré la dénatalité ambiante (sauf en Afrique), ce sont les progrès espérés, initiés par le développement économique des années 70 (métallurgie et construction navale, raffinage, agroalimentaire, chimie, pêche, le port)... 

Odessa, en 1999, c'est le film Est-Ouest, avec Staline promettant amnistie et bon accueil aux émigrés russes de toujours, sans dire qu'il va confisquer les passeports, contrôler, contraindre, cuisiner, pressurer : ceux qui reviennent ne peuvent être que des espions ! Le film est une critique acide d'un totalitarisme qui tourmente et torture, retenant par la force la Française (Sandrine Bonnaire) voulant fuir la dictature alors que son mari russe s'accommode. Atavisme dû à des siècles de servage d'un peuple patriote jusqu'à l'arrogance ? Amour psychiatriquement indéfectible de l'enfant battu ? Coproduit par la Russie, le film témoigne d'une ouverture certaine, capable d'un regard droit sur le passé, prometteuse pour l'avenir mais qui s'est rétractée sur ses vieux démons... bien aidée par le machiavélisme de l'Occident... Clinton moquant et rabaissant Eltsine dans son ivrognerie en étant peut-être un des signes visibles...   

Suite à la destitution du président Ianoukovytch prorusse, frein à la dynamique vers l'UE (février 2014), une partie du Donbass s'oppose par les armes à Kiev (mars 2014 / 9000 morts entre 2014 et 2015), suite au "retour" de La Crimée à la Russie (mars 2014 / problème de l'intangibilité onusienne des frontières lors des indépendances), Odessa est directement impliquée en mai 2014, lors des affrontements entre des légalistes et des partisans de la Russie, incendiés dans la Maison des Syndicats où ils s'étaient réfugiés (40 morts ?). N'oublions pas la désintégration en vol du MH 17 de la Malaysia Airlines par un missile Buk russe lancé depuis la zone séparatiste (juillet 2014). 

Et aujourd'hui, Odessa qui reçoit ci un obus, là un missile, pour tuer, donner une leçon, maintenir sous pression. La plage des vacances est minée par crainte d'un débarquement ; les monuments, cachés par des sacs de sable ; les avenues barrées par des chevaux de frise... Était-ce pire, Porfiri, lors de ton retour, en 1924 ?  

Un "Russe" à Pérignan (12e volet). 

« Pantazi, vous le regretterez, lui a dit le capitaine. Je vais vous donner un bon conseil : faites cinq ans de plus, et je vous garde à mon service. Réfléchissez bien, et apportez-moi demain votre réponse.

– C’est tout réfléchi, mon capitaine. Je suis très bien à votre service, à vos côtés. Rien ne me manque au point de vue matériel. Mais je voudrais, une fois encore, revoir mon vieux père, ma vieille maison, mon pays, quoi. Je dois retourner en Europe.

– C’est dommage, Pantazi. Je vous regretterai. »

Revenir.

Et Porphyre a repris un autre bateau. Ils sont beaucoup moins nombreux sur celui-ci. Le voyage semble plus long encore qu’à l’aller. Mais on finit par arriver dans cette bonne vieille mer Méditerranée, et on aboutit à Marseille. Porphyre va se faire démobiliser au bureau spécial de la Légion Etrangère. Il reçoit son pécule, c’est toujours bon à prendre, et c’est de l’argent bien gagné. Et alors on lui dit :

« Vous avez droit à un voyage de retour gratuit. Où voulez-vous aller ?

– A Touzora, chez moi, en Russie ; non, pardon, en Roumanie à présent.

– Vous vous êtes engagé où ?

– A Odessa.

– C’est bien en Russie, ça ?

– Oui.

– Eh bien, on va vous ramener à Odessa… si nous le pouvons, car avec la Russie il y a des histoires. Le gouvernement soviétique n’est pas encore, je crois, reconnu officiellement par la France, mais cela ne saurait tarder : il en est question. »

Et c’est un troisième bateau qui ramène Porphyre au pays natal. C’est le plus beau voyage qui commence, avec, au bout, les veillées devant la porte, les balalaïkas retrouvées, tous les souvenirs qu’il a emmagasinés depuis cinq ans pour les resservir, à peine embellis, à ses anciens camarades. Que sera devenu le petit Serge, lui qui avait le chic pour mettre en colère le vieux Speletski, leur instituteur ? Et le grand Nicolas, au visage parsemé de taches de rousseur ?

Il revoit les petites maisons de Touzora au toit de chaume et aux murs crépis, sans étage, au sol de terre battue. Ni eau, qu’il faut tirer au puits de la cour, ni électricité : à propos, peut-être ont-ils à présent la lumière électrique ? Non, il en doute. A Kalarach, encore, oui, c’est possible. Mais Touzora…

Il n’a pas dit bien clairement qu’il allait revenir, s’installer pour toujours au pays, riche de son expérience, de ses voyages, et prêt à tout moderniser. Il a vu comment se cultivait la terre dans des pays aussi divers que Sidi-Bel-Abbès ou le Tonkin. Il pourra sans doute faire quelque chose de valable

Et ses pensées ne sauraient quitter la terre natale. C’est avec une précision inouïe qu’il revoit les moindres détails de la maison, la grande table de la cuisine où il a fait une encoche au couteau, du côté qui donne sur la petite fenêtre, près du tiroir où se rangent fourchettes et cuillers ; le vieux poêle nourri au bois, aux carreaux de faïence un peu craquelés sur les bords ; la barre à saucisse suspendue à deux gros clous rouillés à la maîtresse poutre (on a dû renouveler les deux bouts de ficelle, par exemple !), les oignons qui sèchent, accrochés au mur du fond par paquets de quatre ; et l’ail dont il savait faire les tresses. En a-t-il eu, de l’ail, cette année-ci, le vieux papa Pantazi ? Ou bien a-t-il été attaqué par la « graisse », cette maladie qui le rend immangeable et détruit en quelques semaines toute une plate-bande ? Et des tomates, en a-t-il planté dans le petit jardin, près du prunier fourchu aux fruits si délicieux ?

Dans quelques jours, il pourra voir, toucher tout cela, respirer à pleins poumons l’air de sa plaine. Quelle joie ! Même la baie de Naples, avec son Vésuve fumant sur le ciel, ne parvient pas à l’émouvoir… Voici les îles grecques de la mer Egée, et la Grèce, dans le lointain, à bâbord : le pays des ancêtres du côté de papa.

Enfin, les détroits : on longe Istanboul, sur la gauche à présent : c’est le Bosphore, et la mer Noire. Le bateau s’arrête à Constantza.

Touzora, mon village perdu.

Une journée de plus, et voici Odessa avec son escalier monumental du duc Armand de Richelieu, Odessa où tu t’étais engagé, Porphyre, voilà déjà plus de cinq années !

Nous attendons les formalités de débarquement, Kalarach n’est plus qu’à deux cents verstes, Kichinev à cent soixante environ. Attendons…

Notre ex-légionnaire songe à Touzora. Il va en avoir à raconter aux anciens copains ! Il lui semble les voir, en train de boire ses paroles… Et son vieux père, qu’est-il devenu ? Et la maison, avec le « joli coin », comme on appelle l’endroit où trône l’icône, près de la petite veilleuse toujours allumée dans son verre de couleur rouge ? Maison bien pauvre, certes, à côté de celles qu’il a pu voir de par le vaste monde. Mais n’a-t-il pas vu également des cases bien plus misérables ?

La petite place avec ses quelques tilleuls qui sentent si bon quand le printemps bat son plein, l’église orthodoxe de Kalarach qui va lui paraître si minuscule, les jardins, les vignes cultivées d’une façon bien archaïque, les arbres fruitiers des si nombreux vergers, tout danse devant ses yeux une farandole endiablée.

Et les vaches, si calmes… Tiens, à propos, Sacha le laitier, passe-t-il toujours de bon matin d’une isba à l’autre avec sa grosse cruche étamée au bec de laquelle il suspend sa « mesure » de fer-blanc ? Avant d’arriver, Porphyre, tu devras encore traverser des champs de tabac, de betteraves à sucre, des champs de blé aussi et des prairies où les veaux gambadent auprès de leurs mères.

« Mais j’ai bien lu quelque part, pense-t-il, que les troupes roumaines ont occupé le pays en 1918, et qu’alors la Russie soviétique et la Roumanie avaient rompu leurs relations diplomatiques, comme ils disent. Les Alliés ont bien reconnu les faits, pas l’URSS. »

Ses pensées reviennent à Touzora. Il revoit Anna, jeune encore, la femme de Petru, revenant chaque jour que Dieu fait de la source où elle a rempli ses deux énormes seaux qu’elle suspend ensuite chacun à sa chaîne au bout du gros balancier de hêtre. Et il lui faut charrier tout ce poids jusqu’au logis ! L’eau courante, c’est encore un luxe pour Touzora : tout juste s’ils viennent de l’avoir – et encore sans doute pas partout – à Kalarach.

Et il revient à sa situation présente. « Puisque tu seras à nouveau en Roumanie, Porphyre, que viens-tu faire à Odessa, en Russie ? »

Soudain, un brouhaha, une agitation : il doit certainement y avoir du nouveau.

Une délégation vient de monter à bord. Enfin le dénouement. Et nous apprenons tous qu’il est absolument impossible de débarquer, même à Constantza.

La déception est terrible. Si près du but… Est-ce mon Dieu possible ? Il faut, bon gré mal gré, se rendre à la triste évidence. Quelle misère ! Il faut donc repartir pour la France.

Partir pour toujours…

Le retour s’est bien effectué, mais c’est la mort dans l’âme que Porphyre a revu les côtes françaises et le port de Marseille. Il est bien démobilisé et ne sait plus que faire. On lui a offert une place de forestier là-haut, en Lorraine. Il a accepté : que faire d’autre ? Mais il n’a pu s’y habituer. Alors, on lui propose la Camargue. Cela le change, bien sûr, mais c’est décidément intenable, infesté de moustiques. Il en a assez vu en Extrême-Orient. 

François Dedieu, Un "Russe" à Pérignan / Caboujolette, Pages de vie à Fleury II, 2008. 

"... Je le revois dans mes bras, Nicolas
Je l'ai serré sur le cœur dans une salle de départ
Il m'a dit qu'il nous aimait, Maria Ivanovna
Mais nous reparlerons de lui un autre soir
Il m'a dit qu'il nous aimait
Mais parle-moi plutôt de toi
Je suis heureux de te revoir..." 
Michel Delpech / Ce fou de Nicolas / 1974. 

jeudi 12 mai 2022

LESPIGNAN (6) "Mets de l'huile..."

Dans l'avenue principale, manière de parler du bon vieux temps, travaillait l'horloger. Il tenait aussi une permanence, un jour précis, à Fleury, au café Billès, annoncé par l'appariteur "L'horloger de Lespignan est installé...". C'est qu'on réparait les montres, de ce temps là et une semaine après on la récupérait : 

"Oh ce n'était pas grand chose, quelques gouttes d'huile et c'est reparti. 
Le client paie, sort et confie ce qu'il en est au premier compatriote venu : 
"Ça fait cher du litre !"

Toujours dans l'axe principal, avant que les directions respectives de Nissan tout droit, de Béziers à droite, ne se séparent, traversée par la voie principale, la place de la Bascule (1) avec des commerces d'un côté ; au fond, un très joli trompe-l'œil habille de belle façon la vacuité d'un mur aveugle ; de l'autre un étranglement ouvre sur les platanes devant l'école, là où se monte le podium pour l'orchestre, là où se déroulent les festivités. 

Belle palette de couleurs... 

L'un des commerces est (était) la boucherie de Freddy ; sa modestie m'en voudra un peu de l'évoquer mais il est de Fleury, je le connais depuis qu'il est petit, et il a toujours été volontaire. Autant de raisons pour ne pas taire qu'il a commencé dans une petite remise avec un petit élevage de cailles avant de poursuivre dans cette voie, étendant même son activité jusqu'à proposer un choix de pâtés, de charcuteries, de toutes sortes de viandes cuisinées, en conserves et tout ce qui m'échappe. En prime, l'Internet nous apprend qu'il est à la Pétanque Joyeuse... Signe des temps : les féminines (2) sur les photos, boules en mains. Plus intéressant bien qu'en témoignage d'une intégration naturelle (à Fleury aussi, ce n'est pas tatoué sur leur front que bien de nos compatriotes sont d'ailleurs) (3), Freddy, depuis qu'il a lâché son affaire s'adonne à la passion des oliviers, plantés à raison de huit centaines (peut-être plus aujourd'hui). Des olives pour faire de l'huile, opération que pour sa récolte et celle d'autres récoltants, il assure lui-même. Un peu de pub en attendant un reportage... de préférence confié avec grand plaisir à une, un ami du blog motivé et disponible... Heureusement qu'il est là Freddy... sans lui ce serait parler pour ne pas dire grand chose, par manque d'implication. 



Au-delà, vers Nissan, une très républicaine "Maison du Peuple" pour les lotos, je parle de ceux de jadis je crois, autorisés dans le cadre d'un calendrier précis (incluant peut-être les mois d'hiver). Nous y sommes allés une paire de fois ; c'était dépaysant de passer l'Aude et de se retrouver dans une position d'estrangers, plus encore si ce n'était pas un local qui emportait la partie ! Il n'empêche, ce serait aussi intéressant qu'ethnographique d'apprendre les tournures locales, les formules en français et souvent en occitan, particulières à chaque village, et qui accompagnent la sortie des numéros, "13 ma sœur" par exemple. De fil en aiguille, au moins deux lotos passés sont évoqués, le premier (dans l'ordre des découvertes sur le Web), par les Amis de Lespignan, mettant à l'honneur l'occitan et le soutien à l'Ukraine ; le second, de 2021 qui, entre parenthèses semble proposer des lots d'argent, ce qui par le passé était interdit, est organisé par le club de parapente, encore en 2021, alors que nous vivions dans la candeur d'un Monde sans guerre... les morts de plus loin ne nous affectant pas particulièrement...  

Est-ce qu'un septième volet pour revenir sur les Amis de Lespignan et du parapente et la topographie non encore abordée, suffiront pour clore la série ? Merci Lespignan. 

(1) Il s'agissait d'une balance à bascule pour peser les charges lourdes, camions, remorques...  

(2) signe des temps, si à travail égal correspondait un salaire égal entre les femmes et les hommes, il n'y aurait pas de temps de travail hebdomadaire augmenté, pas de durée de cotisation rallongée, pas de retraite à 65 ans alors que l'espérance de vie en bonne santé est généralement dépassée. Mais tant que la classe politique qui, dans sa déclinaison actuelle, continue de passer les plats à ce un pour cent de profiteurs-exploiteurs, sera élue par des veaux (cf De Gaulle) (et génisses... égalité oblige), l'orthodoxie de cette économie prédatrice qu'on nous sert comme normale pourra  

(3) signe des temps, cela fait bien quelques lustres que les apports allogènes forment la majorité de la population. A Fleury, le maire, voilà bien cinq ans en arrière, était bien placé pour attester qu'il ne restait plus que 800 autochtones sur la commune. Est-ce que Lespignan, sans station balnéaire compte encore une bonne proportion d'originaires ? 

vendredi 6 mai 2022

Un "Russe" à Pérignan (11) vers Djibouti puis Haiphong...

La guerre matérialisée par Poutine alors que le malaise couve depuis la fin de l'URSS avec des remontées acides au moins jusqu'à Hitler, nous a amenés au souvenir de Porfiri Pantazi, Bessarabien-Moldave-Russe et en fin de compte Pérignanais, donc de Fleury (d'Aude pour ceux qui sont de plus loin, les "estrangers" comme le précisait sans racisme ni animosité, l'appariteur des lotos nommant les numéros pas seulement en languedocien mais aussi en français). Parce que le prétexte semble plutôt ténu, la proximité du pays d'origine avec l'Ukraine aujourd'hui attaquée, l'idée de vite en venir aux extraits concernant notre localité s'est présentée... Ce n'est pas humainement viable. 
Un enfermement nombriliste ne peut que mener à l'impasse, à la sclérose. Notre village d'un bout du monde n'est qu'un bout de ce monde à la fois vaste et réduit, étriqué même, à l'aune du peu de crédit que l'humain inspire puisqu'il est le seul être vivant capable de détruire son milieu... 
"Il faut croire en l'homme": belle parole sans fondement, propagande, tromperie... Sartre s'est planté dans son immodestie de guide des pensées, l'Homme aurait la possibilité de faire les bons choix sauf qu'il est foncièrement mauvais et que c'est toujours dans ce sens qu'il va. L'Homme reste dans le déni, il invente et invoque la morale pour refuser de se voir tel qu'il est : haineux, sans amour...  
Et puis, ce n'est pas parce que c'est mon père, mais je trouve que c'est joliment écrit, qu'il rend bien l'entretien avec l'ancien légionnaire. Alors je ne coupe pas, ici la suite de la chronique sur Porfiri Pantazi. Vous laissant à vos réflexions et prolongements, maître de mes pensées mais pas plus, bien amicalement au regard de vos présences positives, Jean-François... 

UN "RUSSE" à Pérignan (volet 11)
 

"... Quel beau temps, quand même ! Et, ma foi, c’est pourtant la belle vie : manger, boire, dormir, pas de manœuvres, peu de corvées, du simple nettoyage. C’est comme un marin ? Tu sais ce qu’il fait, un marin ? Non, jamais tu ne le devineras. Car il faut bien deviner. Tu te dis : marin, homme de mer, qui fait marcher le bateau. Ah ! non, attention, tu as les timoniers, qui s’occupent du service de la barre, des signaux, et puis les mécaniciens de la chambre des machines. Mais les autres, les « sans grade », les simples marins, quoi, les petits matelots de rien du tout ? Ceux-là passent leur vie à … tenir le pinceau, à peindre. Oui, à peindre. Inattendu, non ? Marin égale peintre, sauf quand il astique les cuivres. Mais tu le vois le plus souvent avec son pinceau et son pot de peinture blanche. Et quand on a fini à un bout de l’énorme bateau, il va falloir bientôt recommencer à l’autre.

Le navire a repris tout doucement sa route et entreprend la traversée de l’isthme de Suez. Dire qu’à tribord c’est l’Afrique et qu’à bâbord c’est presque l’Asie. Non, il y a le Sinaï encore, alors que lorsqu’on était parti d’Odessa, en 19, on avait vu Istanboul, ou Stamboul, ou Constantinople, comme tu voudras. Chez nous, on a toujours plusieurs noms pour chaque ville. En face, sur la gauche, en traversant le Bosphore, puis la mer de Marmara, enfin les Dardanelles, on longeait la côte de l’Asie.

Si on ne me l’avait pas dit, je ne l’aurais jamais su : c’est une côte comme une autre, plus jolie que celle-ci quand même.

Regarde ces remous provoqués par le bateau, et les petites barques, comme elles dansent. Il semble qu’on s’arrête. Dans les barques, des hommes crient, levant à bout de bras leurs jeunes enfants. « Lancez une piécette de monnaie, et le petit ira vous la ramasser dans l’eau avant qu’elle soit au fond. » Et quelques militaires l’ont fait. La pièce tombe, le garçon plonge… et la remonte. Il l’a bien gagnée. Encore des familles qui ne doivent pas rouler sur l’or. Tu vois bien qu’ils sont nombreux, partout, les pauvres …

 Enfin nous repartons. On n’en finit plus avec ce canal. Ah ! maintenant, c’est SUEZ. Le sous-off a dit que le canal avait cent soixante-huit kilomètres de longueur, et que Suez comptait presque cent mille habitants. Mettons cinquante mille, il exagère toujours, le sous-off. Port-Saïd, d’accord, c’était plus grand, ça devait être cent mille. Ici, c’est comme Sidi-Bel-Abbès. De toute façon, Oran et Kichinev c’était beaucoup plus important. Là, oui, chaque ville abritait cent cinquante mille personnes. Les maisons sont blanches, comme à Oran, avec des terrasses. Et la mer Rouge commence. Pourquoi « Rouge » ? Je te le demande. Il doit bien y avoir une explication, mais personne ne te la donne. 

Djibouti vers 1924 wikimedia commons carte postale collection personnelle Auteur anonyme Editeur Au Bon Marché Djibouti

Dès qu’on n’est plus sur le pont, la chaleur reprend le dessus. Vivement le débarquement ! Enfin DJIBOUTI et la Côte Française des Somalis. On a le droit d’aller à terre, de faire un tour en ville. Quel plaisir de fouler à nouveau le sol, malgré la chaleur, malgré le climat tropical. Déjà quinze jours que nous naviguons, et nous n’avons pas parcouru la moitié du chemin. Il faut bien compter trente-cinq, quarante jours, va… 

Pirogue à balancier des pêcheurs de Colombo vers 1890-1910 Wikimedia commons Author Rijksmuseum


 Puis ce sera l’océan Indien et Colombo, capitale de l’île de Ceylan. Tiens, le « thé de Ceylan » que tu achetais, les jours de fête, chez Aaron de Kalarach, il devait venir d’ici, pardi ! Voilà pourquoi sans doute il était si cher !! Qu’importe : avec une rondelle de citron – non, pas de lait, c’est pour les Anglais – et un petit gâteau, de ceux que savait si bien te faire ta maman, les gâteaux au pavot, tu te souviens, Porphyre ? Ah ! oui, comme il s’en souvenait ! Il avait encore leur saveur à la bouche, Porphyre. Et tout s’était terminé un jour de deuil de 1906. Enfin… il était doux pourtant de se souvenir…

 COLOMBO, ça, c’est une ville. On peut à nouveau descendre, aller voir un peu le port. Que de bateaux !! C’est une escale très fréquentée vers l’Extrême-Orient, le Pacifique et l’Australie. Alors, ce n’est pas étonnant. C’est beau de parcourir le monde. On dit à Porphyre que c’est le pays des pêcheurs de perles. Encore des pauvres bougres : tu vois s’il y en a de par le vaste monde. Par ailleurs, une ville anglaise, comme est anglaise toute l’île. Ces Anglais, ils sont comme les Français, un peu partout.

 Bientôt, ce sera SINGAPOUR, autre grande ville, autre port très actif, toujours anglais. Et alors on tourne vers le nord. L’océan Pacifique est là, l’Indochine française est toute proche. Tu es dans la mer de Chine méridionale, Porphyre. Et on aborde à SAIGON pour repartir ensuite, toujours cap au nord, et débarquer à HAIPHONG, dans le golfe du Tonkin. Voilà : le grand voyage est terminé. 

Port_de_Haiphong Les_quais_et_les_docks Indochine Exposition_coloniale_internationale_Paris_1931 wikimedia commons

 A quelque temps de là, le soldat Pantazi Porphyre est appelé par le capitaine : ce sont toujours les capitaines qui vous appellent pour les grandes occasions. Il vient d’être nommé caporal. Mais le plus intéressant, c’est que ce capitaine veut le garder auprès de lui, au cantonnement : il s’occupera du magasin de matériel. « Vous en aurez toute la responsabilité. En échange, votre vie militaire sera plus douce, à condition de donner satisfaction. Vous serez à l’essai pendant un mois.

– Bien, mon Capitaine. J’essaierai de bien faire mon travail. »

Et il le fera bien. Et on va être content de lui. Ce n’est pas trop malin, quand même, de tenir à jour des listes de matériel, de distribuer aux nouveaux venus leur paquetage : deux paires de chaussures, trois ceintures de flanelle, bandes molletières, leggings ou guêtres de cuir absolument nécessaires contre les serpents : attention si vous sortez dans la brousse sans leggings, sans jambières, quoi. Vous risquez votre vie bêtement.

Et la vie devient belle pour Porphyre. Le voici gradé, avec un bon boulot, dans un pays merveilleux. Oui, c’est un magnifique pays, le plus beau qu’il ait jamais vu, ou tout au moins celui qui lui fait cette impression, car un pays où tu es heureux est toujours un joli pays. Non, mais vraiment, cette végétation, ce climat, ces gens que tu côtoies et qui paraissent si gentils, peut-être un peu trop, parfois, un peu obséquieux. C’est cela ; comme les commerçants de Kalarach, et surtout de Kichinev. Quelques courbettes de trop, sans doute. Mais il vaut mieux un peu trop de politesse qu’une marque de brutalité, de froideur, de sauvagerie, non ?

Ces arbres de la cour de la caserne, ces palmiers, ces arbres à pain, ces tamariniers… Le Tonkin, la vallée du Fleuve Rouge et de ses affluents, ça lui a bien plu. C’est l’un des meilleurs souvenirs de sa vie.

Et quand tu te trouves heureux, comme le temps passe vite ! Tu te rends compte ? Déjà le mois de mars 1924. Les lettres de Touzora et de Kalarach ont appris la longue route et parviennent assez régulièrement à HANOI. Porphyre a répondu, chaque fois. Il a parlé de son lointain pays à un copain qui travaille comme lui au magasin du matériel.

Et il arrive au bout de son engagement. Eh oui, le trente cela fera cinq ans qu’il a signé à Odessa. Il est temps de repartir pour l’Europe : déjà plus de quatre années au Tonkin ! 

François Dedieu, Un "Russe" à Pérignan / Caboujolette, Pages de vie à Fleury II, 2008. 

Jules Lauret gouverneur et son épouse dans les jardins du Palais surplombant le port de Djibouti. Carte postale de 1920-1924. wikimedia commons Auteur inconnu