mercredi 29 novembre 2023

MARSEILLE (2)

Calanque-de-la-Triperie, cap Morgiou 2017 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Lu-xin

Rangeons un peu. D’abord au sud de la ville, depuis une calanque, la préhistoire, la grotte Cosquer avec des dessins pariétaux échelonnés sur 8000 ans, datant au plus de... 29000 ans. Un site découvert en 1991, à l’accès extrêmement dangereux, à 37 mètres sous l’eau et au bout d’une galerie sous-marine de 175 mètres où trois plongeurs sont morts de n’avoir pas retrouvé la sortie.

Marseille partage avec Béziers le titre de ville la plus ancienne de France (2600 ans !). 

Louis_Duveau (1818-1867) La_peste_d'Elliant Domaine Public Musée des beaux-arts de Quimper, 8 November 2013

1720. La peste, parce que de riches marchands impatients de gonfler leurs fortunes ont ouvert la ville, sans respect d’une quarantaine, à une cargaison d’étoffes et coton contaminée par le bacille, a décimé en deux ans la moitié de la population soit 30 à 40000 personnes. 

Sardine_du_port_de_Marseille accrochée au pont transbordeur Carte postale ancienne Domaine Public Date inconnue Auteur inconnu

1779. Pondichéry : les Français prisonniers des Anglais sont libérés à condition de vider les lieux. Le Sartine les ramène en métropole sous drapeau britannique, pour ne pas être embêté. Mai 1780 : à hauteur de Gibraltar, alors qu’elle entre en Méditerranée, la frégate est quand même attaquée ; le capitaine et deux hommes d’équipage sont tués. Le malentendu surmonté, le Sartine arrive à Marseille sans son capitaine et s’échoue (sommes-nous fondés à formuler un lien de cause à effet ?) dans les rochers et sombre à l’entrée du port, bloquant tout passage. L’esprit marseillais a fait le reste : c’était la sardine qui avait fermé le port !

1943. 6000 personnes sont raflées à Marseille (1600 seront déportées dont la moitié parce que juifs), avec la collaboration de la police française dirigée par René Bousquet, le grand ami de Mitterand, déjà efficace à Paris. Considérés comme “ criminels ”, 1500 immeubles du quartier du Panier, au nord du Vieux-Port, sont ensuite dynamités par les Allemands. 

Goumier marocain aiguisant sa baïonnette 1944 Author Peter Caddick-Adams, Monte Cassino Ten Armies in Hell, Oxford University Press 2013, ISBN 978-0-19-997464-1.

23 août 1944, le renfort des Tirailleurs algériens et des Goumiers marocains est décisif dans la révolte mal enclenchée des FFI de Gaston Defferre... une source fait état de 25 % de Français d’Afrique-du-Nord dans l’effectif de l’armée d’Afrique, ce qui n’enlève rien au dévouement des 75 % d’indigènes embringués.

En 1973, les agressions racistes suite à l’assassinat d’un chauffeur de bus par un “ déséquilibré ” algérien causent la mort de 17 ressortissants maghrébins à Marseille et autour (pour le moins, une cinquantaine de victimes des ratonnades)... Le “ déséquilibré ” sinon les “ troubles psychiatriques ” sont communément évoqués à raison pour ne pas réveiller les excès racistes... or ils camouflent aussi le laxisme ordinaire de la justice, plus prompte à racheter qu’à punir, sans trop d'égards pour les victimes, le coupable devant sortir un jour pour se réintégrer alors que les familles, elles, sont condamnées à la perte à jamais d’un être cher... La justice pose problème dans ce pays... bien la peine de se foutre des peines de trois fois cent ans ou trois fois perpétuité aux États-Unis. 

Escalier_Saint_Charles_-_Marseille_I_(FR13)_-_2023-07-22_-_12 the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Chabe01

1er octobre 2017. Sur l’escalier monumental de la gare Saint-Charles deux jeunes femmes sont poignardées par un terroriste islamiste sous le coup d’une OQTF non suivie d’effet depuis 2005 ! (voir plus loin)

Nous étouffons, nous manquons d’air, vite, prenons le large... « Quand je vois passer un bateau.../... j’ai envie d’aller où il va... » (Guy Bontempelli (1940-2014 Marseille). Les bateaux encore, le port toujours, dit vieux puisque agrandi par étapes, il inclut à présent le Golfe de Fos ; le port favorable à la navigation mais obligeant à un contournement terrestre : en 1880, trois lignes de ferries y remédient dont le “ ferry- boâte ”, rendu célèbre grâce au personnage d’Escartefigue, réchappé aux affres de la modernité (pas Escartefigue), toujours en service malgré la concurrence, un temps, du pont transbordeur (1905-1944), grâce à un coche d’eau aujourd’hui plus rapide, peu polluant. (à suivre)

lundi 27 novembre 2023

MARSEILLE (1)

Le cul entre deux chaises d’aller trop loin dans une exploration d’un Sud intime, que presque je voudrais imposer à une perception communément partagée... en la volant aux autres qui plus est, à ceux, reconnus et autrement plus respectés par leur renom, la reconnaissance reçue en retour sinon l’effort de vulgarisation... entre une retenue qui me remettrait à ma place d’être lambda et la prétention d’avoir à dire, privilège d’un temps qui ne saurait durer, quitte à renverser des règles de bienséance, je franchis mon Rubicon... Je me laisse aller à vider mon sac, prétentieux écrivaillon que je suis, pétant plus haut que mon derrière. Plus prosaïquement, emporté par cette exploration, le projet « SUD ? C’EST ÇA ! » dans son deuxième tome, devra-t-il déborder dans un cinquième volume, le troisième dédié au printemps ? C’est dans cet état d’esprit que le titre “ Marseille ” est abordé, depuis des jours, d’où le dilemme et ma confession de tout à l’heure. Bof, il suffira d’évoquer Pagnol et nous passerons à la suite, principalement en remontant la Durance.

Enfant des marges et des armasses (des talus et des friches), campagnard, en véritable “ pacoule ” (on dit “ pacoulin ”, pas “ cul terreux ” par chez nous, la terre étant trop sèche pour accrocher nos séants), si la petite ville, Narbonne, Béziers, ne rebute pas, même si une trajectoire personnelle me fait penser avec tendresse à Perpignan, par contre les grandes villes... Toulouse, Montpellier, Marseille, je ne les aime que de loin. Autre souci : ce voyage va géographiquement dépasser les limites d’un Sud perçues parfois en tant que frontières (voir à ce propos la présentation de l’opus) alors que j’ai choisi de rester libre, émancipé plutôt qu’enfermé. Ne vous méprenez pas, rien de désinvolte dans cette indépendance affichée. Et puis si on ne peut plaire à tout le monde, qui m’aime me suive ! Nous verrons bien. 



Alors, des clichés, des raccourcis pour évoquer Marseille ?  En vrac, le crayon au coin des lèvres, presque les yeux en l’air du rêveur qui n’écoute plus en classe... la peste de 1720, la sardine de 1779-80, le Vieux-Port, Marius, Fanny, le Bar de la Marine, le « ferriboate », les poissonnières au langage fleuri, la bouillabaisse, le camion pizza, le château d’If et l’abbé Faria, la Canebière, la maison du fada, la Bonne Mère, Marius et Olive, la cathédrale de la Major, les Goudes et les calanques du Sud, la plage des Catalans, le mondial de pétanque “ La Marseillaise ”, la French Connection (pour ne plus savoir écrire correctement “ connexion ” ensuite), le juge Michel, la drogue, les règlements de comptes, Robert Guédiguian de Marius et Jeannette, des Italiens, des Arméniens, des Pieds-Noirs, des Comoriens, le bleu du drapeau et de l’OM, tous ceux que le port a attirés... Rimbaud, Conrad, Cohen, Benjamin... N’en jetez plus, c’est criminel de le dire ainsi, plus encore que dans un numéro du Reader Digest, Marseille mérite mieux...

Cité_radieuse,_Marseille 2017 Creative Commons CC0 1.0 Universal Public Domain Dedication Author Karmakolle
 

Alors, si cette liste n’est venue qu’au bout d’une maturation certaine c’est que Marseille interpelle, « Marseille est la plus belle ville de France. Elle est tellement différente de toutes les autres. » Arthur Schopenhauer (1788-1860). À vouloir l’éluder, cette pensée de Schopenhauer m’arrête, Marseille s’impose comme capitale d’un Sud intime.   

Marseille,_aerial_view_from_plane 2022 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Naioli


vendredi 24 novembre 2023

MARSEILLE tu cries trop fort !

« Marseille, tais-toi Marseille,
Tu cries trop fort,
Je n’entends pas claquer
Les voiles dans le port... »  chantait Colette Renard (1924-2010) en 1958. 

Bretagne 167 x 22 m ; deux turbines à vapeur Parsons 11850 kW 18 nœuds de vitesse


Pourquoi aborder Marseille ainsi ? Les voies de l’inspiration dirons-nous ou alors le souvenir de ce retour avec le paquebot Bretagne (1951-1963), aux beaux jours de 1956. Depuis Rio-de-Janeiro, après les escales à Dakar, à Casablanca, Marseille terminus de la ligne d’Amérique-du-Sud, en alternance avec son sister-ship Provence... Mais qu’ont-ils donc, ces destriers de fer, à tant remuer les tripes ? Seraient-ce les Anglais, qui, une fois de plus, donnent une des clés du mystère ? D’abord, ces “ bâtiments ” (que le mot est vilain !), les dire au féminin...  suivre le sillage d’une poupe plutôt arrondie, pardon pour cette sensation de mec... mais qui aime aussi l’image d’une étrave volontaire fendant les flots, je ne sais pas trop mais peut-être du respect pour une féminité libre, persévérante, suivant son cap sans comptes à rendre. Ah ! ces Anglais, j’en parlais à Sète, cet autre port très Sud... Et quand je pense à cette autre “ vieille anglaise ”, « la » « Queen Elisabeth II » laissant majestueusement le quai de La Pointe des Galets à La Réunion en 2000. J’y étais ! Dans le soleil couchant, pour un de ses derniers tours du Monde, je ne sais plus mais « le » « France », son triste destin du moins, me fond sur la pommette. Bien sûr, la chanson terrible de Michel Sardou en témoigne... Mais pourquoi donc notre beau pays démontre-t-il de temps à autre, un visage si noir, si négatif ? Pourquoi se débarrasser ainsi d’un emblème national ? Pourquoi l’avoir baptisé « FRANCE » ? Pour l’abandonner tel un enfant né sous X ? Pourquoi lésiner alors qu’on gaspille par ailleurs ? Est-ce à mettre au passif du grand homme que fut de Gaulle ? de son moins illustre successeur Pompidou ? Et moi, qu’est-ce que je fous à remuer tout ça ? Que voulez-vous... je débarque à Marseille, du haut de mes cinq ans et tout est grand : le quai me paraît une esplanade avec peut-être une statue, un monument, les cheveux blancs du cousin venu nous accueillir, que les rafales du Mistral entremêlent sur ses verres fumés, je les retrouverai avec ce que peut apporter de fantasmes un portrait volé d’Aristote Onassis... c’est vrai que ce cousin, par alliance, solidaire, d’une bienveillance qui continue de me faire du bien (est-ce toujours le cas dans notre société ?) comptait aux Douanes... dérision par rapport à nos caisses en bois sur un quai, à nos malles recouvertes de cuir de vache, de maigres effets de migrants avec les étiquettes au nom du bateau, de la compagnie maritime, mais qui satisfont la mémoire... Et derrière, le paquebot, aussi bienveillant, le Bretagne, coursier des mers... Boh, on banaliserait presque qu’il nous a amenés à bon port. Pourtant,  plus d’un demi-siècle après, il reste en moi ; s’il m’arrive de méditer plus longtemps que normalement devant une de ses photos, impossible de banaliser, impossible de considérer sa destinée sans émotion : sorti en 1951 des Chantiers de Penhoët à Saint-Nazaire, vendu et devenu RHMS Brittany en 1962, il a brûlé en 1963, prématurément. Alors, parce qu’en écho, comme si les mots avaient la solennité d’une épitaphe, en hommage à une masse de fer pourtant si humaine, je reprends la parole d’un professionnel de la mer, maître charpentier, qui en parle comme d’un compagnon, d’une compagne presque, d’une union forte :

Le 26 janvier 2013, 17 : 21 :

« J’ai aussi navigué sur le Bretagne en qualité de Maître charpentier, quand il était peint en blanc. J’ai fait les voyages d’Amérique du Sud : Salvador, Bahia, Rio de Janeiro, Montevideo et Buenos-Aires.../... je suis allé à Gênes pour participer à ses transformations. Ensuite j’ai été à bord lors des croisières dans les Caraïbes et de ses passages à New-York. J’ai eu la tristesse de le ramener en Angleterre à Southampton.../... C’était un bateau magnifique qui tenait bien la mer. Nous avons essuyé cinq cyclones avec lui : Anna, Betsy, Carla, Debby et Esther.../... et il a tenu le coup. Merci au commandant qui était un type très bien. »  

Merci Robert Tronchet (1). 

French_liner_BRETAGNE_(1952-1964)_in_Sydney_Cove_(cropped)  1962 Creative Commons Attribution 4.0 International Author Graeme Andrews... Le " Bretagne " de monsieur Tronchet... 


Le ? La ? Provence, paquebot jusqu’en 1965, revendu tant de fois pour la croisière, finalement tas de ferraille qu’on jette, pour finir, dépecé sur une plage du Gujarat (2001).

Qu’est-ce qu’ils ont ces bateaux ? Peut-on rapprocher la mer, l’océan, de l’existence humaine ? de la petite vie qui est la nôtre (2) ? Bien sûr que ces bateaux ont accompagné des moments forts, définitifs parfois... ce petit qui part avec ses parents, son grand-père, pas le mien, qui reste parce qu’à son âge la vie n’a pas à continuer ailleurs :

« Je te quitte dit l’enfant, retenant ses larmes.

— Tu m’emportes dit le vieux. » (“ L’Enfant Multiple ” Andrée Chedid, 1989). 

Port Marseille 2019 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license Author Patafisik

La scène se passe au Liban comme au Pirée devant des enfants qui jouent, à Alger ou Marseille avec les migrants, les rapatriés... ceux qui partent, ceux qui débarquent, lourds de ceux qui restent, de ceux que le chemin de vie a laissés de l’autre côté de la mer, du côté de l’absence...

« Tais-toi Marseille, tu cries trop fort. » 

(1) Peut-être Tronchet Robert Auguste Amédée né le 2 mai 1933 à Marseille, décédé le 27 août 2019 à l’âge de 86 ans à Bretteville-le-Rabet (Calvados) ?
Peut-être Tronchet Robert Louis né le 2 août 1936 à Souligné-sous-Ballon (Sarthe), décédé le 18 juin 2012 à l’âge de 75 ans au Mans (Sarthe) ? 

(2) Vous concernant, ne me demandez  pas de relire, surtout pas, je ne serais que fontaine, quand bien même ce thème a tant marqué Pagnol et son œuvre.

jeudi 23 novembre 2023

L’ESTAQUE, la NERTHE, le ROVE, la CÔTE BLEUE...

Les chaînes de l’Estaque ou de la Nerthe, celle de l’Étoile me sont chères à plus d’un titre. 

Le sens, en gros de cet "effondrement", peut-être une submersion moins brutale (?), en limite des canyons et du Grand Bleu... Ceux qui en furent les témoins sauront me corriger... 
Golfe_du_Lion  the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license Source maps for free.com Author Hans Braxmeier

En premier lieu, elles sont d’un Sud qui partage ses entrailles terrestres... Il y a des millions d’années, peut-être cinq sinon vingt, entre les deux, en tout cas bien avant l’émergence des prémices d’humanité, un effondrement titanesque ouvre le Golfe du Lion (des Lygiens, des étangs). La mer, comblant la ria du Rhône jusqu’à Givors (sur 250 km vers le nord en partant de l’embouchure actuelle du Grand Rhône), a tout couvert hormis l’ourlet sud et oriental du Massif-Central. Dans un mouvement inverse combiné à une baisse du niveau marin, au-dessus du comblement par les fleuves, aux plis modestes des garrigues languedociennes orientés SO-NE (Clape, Montpellier, Costières), répondent ceux de Provence (Estaque, Étoile), de même nature, avec des pins, des kermès, une végétation comparable.  

" Je suis né dans la ville d’Aubagne, sous le Garlaban couronné de chèvres, au temps des derniers chevriers... " Sans évoquer son pauvre frère Paul, disparu si tôt, nous sommes déjà chez Pagnol... 
Village du Rove chèvres du troupeau Gouiran 2004 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Auteur Roland Darré

La chaîne de l’Estaque ou de la Nerthe, ou encore du Rove, plus longue de nom que haute de relief, culmine vers 278 mètres seulement, tout à l’Est, entre les autoroutes qui descendent à Marseille. Victime d’incendies, elle a le mérite de sauvegarder la race des chèvres du Rove, du nom du village de la chaîne, plus remarquables par leurs grandes cornes torsadées en forme de lyre que par le manque de pampilles, ces pendeloques de peau au cou. La race a été sauvegardée, localement, son lait permet de fabriquer la brousse du Rove.

Rove, le nom reste lié à un canal étonnant sinon extraordinaire depuis 1926, en tant que plus grand canal souterrain au monde. 7,1 km de long, 15 mètres de haut, 22 de large, un tirant d’eau de 4,50 mètres à l’origine, des “ mensurations ” notables pour relier Marseille au Rhône, le port à l’étang de Berre. Hélas, suite à un éboulement monumental en 1963 (170 m. comblés, un cratère en surface d’une quinzaine de mètres de profondeur), le grand canal est fermé. Depuis, on se renvoie la patate chaude, on se réunit sur une réhabilitation a minima, à savoir l’adduction d’eau de mer vers l’étang afin d’en renouveler la vitalité.

Mais comme nous languissions, par un bel après-midi d’été, de laisser le village ensuqué de chaleur pour être le premier, depuis la garrigue, à montrer le bleu de la mer, en mieux, retrouvons ici la côte rocheuse, la Côte Bleue, telle la parenthèse de fin qui, ouverte avec celle de la Côte Vermeille ferme, de sa rocaille le doré du Golfe du Lion. 

Côte_Bleue_-_Méjean 2009 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Auteur Florian Pépellin

L'Estaque_aux_toits_rouges,_par_Paul_Cézanne peint entre 1883 et 1885 Domaine public. Changeant de main aux enchères en 2021
C'est celle-là ! un choc, un jour de divagation curieuse, quand ces teintes, en un éclair, me refirent voir d'un coup, derrière la vigne avec le puits de Villebrun où attendait une eau douteuse, le village de Pissevaches, sur son coteau au-dessus de la mer...  

Dire “ la Côte Bleue ” c’est évoquer une beauté naturelle : en attestent les peintres, nombreux, qui ont tenu à en témoigner, à en capturer la lumière, les couleurs suivant le moment, toujours à jouer entre l’instant fugace et l’effort patient nécessaire pour en fixer l’impression sur la toile. Passons, puisque, n’y entendant rien, je me contente d’apprécier les accords orangés et verts de Cézanne, retrouvés même sur les contreforts de la Clape donnant sur notre plage familiale à Saint-Pierre-la-Mer, ses bleus qui toujours nous font fondre, à hauteur de Pissevaches. 

Côte_Bleue le train entre Niolon et la Redonne 2023 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International, 3.0 Unported, 2.5 Generic, 2.0 Generic and 1.0 Generic license Author Benjamin Smith

Dire “ la Côte Bleue ”, c’est évoquer une ligne de chemin de fer particulière, seule, à moins d’avancer pedibus, à offrir des points de vue uniques sur la portion finale qui aboutit à L’Estaque, déjà au port de Marseille. À pied ou du train, des viaducs et ouvrages d’art, des forts militaires, des petits ports cachés, des sites de plongée du plus haut ou jusqu’à un plus profond rappelant Jacques Mayol, héros du Grand Bleu... À ce que la nature propose de caps, calanques, anses, madragues, sentiers des douaniers, grotte préhistorique, à la beauté renouvelée du paysage s’allie le plaisir de découvrir. Pour les plus passifs, les stations balnéaires de Sausset-les-Pins, Carry-le-Rouet connues pour leurs oursinades de janvier-février (Fernandel, à lui seul, en mangeait une cagette entière... toujours à Carry ; dernièrement, un reportage télé a montré une bande d’amis amateurs de palourdes pêchées à un mètre de fond dans une crique... ). 

samedi 18 novembre 2023

L'ÉTANG JADIS, le long de l'aqueduc souterrain

 

L'aqueduc souterrain qui draine l'étang de Fleury longe la route des Traucats, du nom des trous creusés en 1836 pour trouver le secteur obstrué par un éboulement. 

Le moulin de Montredon sur sa colline (59 m.). 

Les Quatre Chemins : là l'aqueduc souterrain venant de la droite tourne aussi dans le sens de la prise de vue.

Un puits plus que rustique, regard et accès sue l'aqueduc. (détail sur le cliché suivant). 






Une vue des Traucats, les trous creusés pour remédier à l'éboulement de 1836 (certains parlent d'un volcan dont l'emprise ne permettrait pas de cultiver. . 

Incroyable comme un trou peut inciter à bazarder des déchets ! 


L'ÉTANG JADIS photos

 

2023 : le bois de pins dominant l'ancien terrain de rugby et l'étang a bien triplé sa surface... 



2023 : en bas du bois de pins, l'ancien terrain de rugby puis camping, l'étang derrière, la Cresse au fond. 


jeudi 16 novembre 2023

L'ÉTANG JADIS " Le lièvre, les alouettes et les moissines "

.../...Et oui, que veux-tu... je te regarde, toujours j’ai l’œil sur vous, fourmis minuscules à s’escrimer, collées au sol. Du noir de l’Espace, je le vois ton étang, vous avez couru avec des camarades du village, le long de fossés toujours utiles à drainer, passant sur ce vieux pont, enfin, fin XVIIIe... et toi, derrière... Entre nous, je t’aurais dit pour ton cœur, si tu avais demandé... J’ai aimé le lièvre qui a démarré devant, les alouettes qui fêtaient si bien le printemps de leurs trilles, non loin du terrain historique, du rugby Bleu-et-Noir.

Une vue de la cuvette de l'Étang de Fleury ; diapositive de François Dedieu 1967. 

Et là, je te vois, âgé déjà, à remonter dans le temps, pour que ton empreinte, à l’échelle, ne paraisse pas si vieille, pour conjurer le temps... Non, ne te fâche pas, c’est bien que tu aies parlé des chênes avant, massacrés pour forger, faire du verre, chauffer les fours. Manquant d’eau, l’étang nourricier (on a trouvé des traces de pilotis, des hameçons d’os) est devenu marécage insalubre... Il a fallu l’assécher par le souterrain antérieur aux Romains, tu dis...   

La cuvette de l'Étang de Fleury ; la vue est prise depuis la colline du moulin de Montredon ; le terrain de rugby se trouve derrière l'alignement de cyprès, en bas. Diapositive de François Dedieu 1967. 

Les pins jadis si regrettés, ont tout envahi depuis qu’il n’y a plus de moutons, les Canadair sont souvent appelés, le frelon asiatique est pire que tes abeilles rouges, le chemin de ton grand-père est propriété privée et les enfants ne rêvent plus de Noëls blancs... il ne neige plus depuis belle lurette... et aujourd’hui on va au ski. Le vin des châteaux se vend moins mais cher ; le copain si sportif, pas un pet de graisse, lutte à présent contre Alzheimer, celui de la carabine ne tient pas aux souvenirs, l’autre (c’est une pudeur de ne pas dire Antoine) est mort à Amélie-les Bains où, vu le nombre, ils ont dû aménager un mouroir. Où sont les alouettes qui montaient dans le soleil ? Le rugby-village est mort aussi. Seul l’étang asséché pourrait retrouver son eau et les belles femmes ne te feront plus réagir qu’en esprit... Un signe : tu te remets des paroles terribles de l’auteur, cinéaste, écrivain, qui t’apporte ce bonheur d’écrire :

 « … Telle est la vie des hommes : quelques joies très vite effacées par d’inoubliables chagrins… Il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants… » Marcel Pagnol. 

Parce qu’il faut regarder de plus haut, de plus loin. Moi, tu le vois, tu vois que je ne suis pas morte...

Entre parenthèses et sans la couper, pour ne pas froisser celle qui me suit mieux que mon ombre : 

Dattier-de-Beyrouth 2014 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Auteur À Chaud

—  à propos du raisin volé, le copain Max pense qu'il s'agit du Servant (ou Servan), un cépage blanc aussi, aux grappes tardives pouvant se garder jusqu'à Noël voire jusqu'à Pâques si on trempe dans l'eau le bout de sarment coupé avec... Malgré ses baies oblongues, ce raisin a quelque chose de la variété Italia, aux grandes grappes et gros grains, tardive aussi et se prêtant à ce mode de conservation. J’en étais là quand Luc, le copain d’enfance m’a remis sur la piste du raisin pendu tenant au moins jusqu’à Noël, d’après lui de variétés indifférentes (pour nous faire voyager il a cité le Dattier de Beyrouth !). Une image lui reste, vue dans une série d’après Jean d’Ormesson, celle de sarments trempant dans des bocaux, peut-être de ceux qui tiennent jusqu’à Pâques. Donc nous dirons “ pende ” et non “ pande ”. Je rappelle, à y être, que mamé Ernestine suspendait des grappes couplées de raisin blanc de part et d’autre d’une carabène, dans une pièce obscure et fraîche... tout un art de suspendre les moissines...   

L'entrée embroussaillée de l'aqueduc souterrain 2019. 

— à propos de l’Étang de Fleury dans sa cuvette, c’est vrai qu’il pourrait se retrouver sous l’eau comme cela s’est produit en 1836 lorsque, suite à de fortes pluies, une portion de l’aqueduc souterrain s’est effondrée. Pour le remettre en état, il fallut creuser un entonnoir pour accéder à la partie obstruée, sinon plusieurs avant de réussir, puisque, non loin des « Quatre Chemins », l’endroit s’appelle « Les Traucats » (prononcez "traou-" puis insistez sur "-cats" comme en anglais)(deux ou trois surfaces sont toujours en friche, le long du chemin, en surplomb du souterrain, dessous, à une dizaine de mètres)

Source : « De Pérignan à Fleury », Les Chroniques Pérignanaises, 2009. 

Pour l’étang et le ruisseau du Bouquet, voir la série d’articles sur “ Le dernier affluent ”.  

mercredi 15 novembre 2023

L'ÉTANG JADIS "Des Noëls Blancs aux choses de la vie"

 .../...Ils chantent, habités par la foi, heureux aussi du réveillon traditionnel promis dans les cuisines. La magie de la chapelle émane de son cœur chaleureux perdu sur la montagne alors que la neige tombe... les Noëls Blancs. Pour les enfants d’alors, le rêve a des chances de se réaliser puisque ces histoires ont existé, puisque Daudet raconte... Le cinéma aussi, au village, vous a accompagnés ; entre tous, des films formidables, dont les “ Lettres de mon Moulin ”, trois seulement mais bien rendues, une réussite pour Pagnol, quelques années avant qu’il ne nous livre ses souvenirs d’enfance... Ah ! l’élixir des pères blancs, avec Rellys, un rôle de moine, avant Paul Préboist, addict à la gnôle. 

Élixir_du révérend père_Gaucher Carte Postale ancienne années 1930 Domaine Public


Adolescent, ta personnalité se retrouve à l’étroit dans le carcan sociétal, le corset familial. Les contrariétés et autres insatisfactions fulminent comme les boutons d’acnée. Comment conjurer le marasme ? Les études ? il y faut de la foi. Le sport ? à condition de s’y donner à fond. Les bêtises ? la bêtise est de s’y laisser entraîner.

Les études ? avec l’apprentissage, il n’y a pas de troisième option. À moins d’être bon élève ou assez motivé pour s’en tirer, pas facile si on n’en voit pas la finalité. 

Uva_Italia 2006 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Author Solfano at Italian Wikipedia

Le sport ? se défouler, au moins. Des années, avec ton copain proche, dans un bois du château, une boucle de 400 m malgré un virage à 180 degrés... Vous teniez un cahier, non ? Se battre contre soi-même avec un seul ami, unique soutien... Un joli coin, aux oiseaux, aux écureuils, le renard une fois ; en bas de grands pins, des chênes centenaires bien que modestes sous ce climat... 

Inconscients ! Empiéter ainsi sur le sacro-saint droit de propriété, d’autant plus, qu’une fois, bande de voleurs ! parce qu’elles étaient trop belles, cachées au milieu de plus ordinaires, deux grappes aux gros grains, de ceux, à l’alcool, qu’on sert au Nouvel An. Ce raisin, on l’appelait “ pende ”, ou “ pande ”... tu peux toujours chercher, le Web n’en sait rien (1)... 

Bois de Marmorières avec la Cresse au loin. Diapositive François Dedieu 1967. 

Avec les choses qui fâchent, tu es réticent, pas fier, ça t’embête... Assume, regarde les choses en face... La forme physique incitant à la bêtise, vous étiez trois lascars à la carabine, croquants en chasse sur les terres du comte. Une détonation a suffi pour lancer le garde sur vos traces... Cachés, vous l’avez entendu souffler dans la côte... une chance, il est passé à côté sauf que vous l’avez provoqué, sifflé en détalant dans la descente tels des lapins. Et toi, même seul, tu as trouvé moyen de faire le couillon. Pour une plume de paon, tu t’es introduit dans le parc... Tu t’es pris pour le Grand Meaulnes non ? N’empêche, avec le gazon du tennis, ne manquait qu’une fille à l’ombrelle, en organdi. À parler de fille, aux vendanges, celle du couple, bien roulée et en chair, qui piaulait d’amour, lors de la pause de mi-journée, elle t’a fait fantasmer, hé ? à t'en donner envie, pas vrai ? (à suivre)

(1) Entre parenthèses et sans la couper, pour ne pas froisser celle qui me suit mieux que mon ombre :

— à propos du raisin volé, le copain Max pense qu'il s'agit du Servant (ou Servan), un cépage blanc aussi, aux grappes tardives pouvant se garder jusqu'à Noël voire jusqu'à Pâques si on trempe dans l'eau le bout de sarment coupé avec... Malgré ses baies oblongues, ce raisin a quelque chose de la variété Italia, aux grandes grappes et gros grains, tardive aussi et se prêtant à ce mode de conservation. 

J’en étais là quand Luc, le copain d’enfance m’a remis sur la piste du raisin pendu tenant au moins jusqu’à Noël, d’après lui de variétés indifférentes, à gros grains avant tout (pour nous faire voyager il a cité le Dattier de Beyrouth !). Une image lui reste, vue dans une série d’après Jean d’Ormesson, celle de sarments trempant dans des bocaux, peut-être de ces raisins qui tiennent jusqu’à Pâques. Donc nous dirons “ pende ” et non “ pande ”. Je rappelle, à y être, que mamé Ernestine suspendait des grappes couplées de raisin blanc, se faisant contre-poids de part et d’autre d’une carabène, dans une pièce peu ouverte, obscure et fraîche... tout un art de pendre les moissines...  

mardi 14 novembre 2023

L'ÉTANG JADIS " Enfants des campagnes "

“ Campagnes ” tu disais, “ enfants des campagnes ”, quelques camarades de classe, descendant le matin à l’école du “ Tub Citroën ”, la panière d’osier à la main, le cartable dans l’autre... Pas encore de cantine même si ce service n’allait pas tarder pour les vendanges, mais déjà, près de soixante-dix ans en arrière, un service de ramassage scolaire ! “ Enfant des campagnes ”, Manu t’a raconté, lui, venu de la Mancha, comment il continuait d’imaginer, sur son horizon fermé par les collines, le moulin de Don Quijote cachant notre village, derrière, dans sa cuvette... une vision magnifique qui t’a ravi et te plaît depuis, toujours autant. 


“ Campagne ”, ton grand-père aussi, enfant, venait d’une campagne, plus loin encore, donnant sur la mer. Lui, avait huit kilomètres à parcourir et autant pour le retour, à travers vignes et garrigues, avec la nuit je suppose, l’hiver. Tu scrutes, tu devines sa trace qui coupe la large trajectoire du terrible incendie. Tu le cherches, en bas, le long des vignes, des fossés, à la moitié de son chemin d’école... Tu le vois, tu n’arrêtes pas de rester sur ta faim à toujours sonder même si tu admets le désamour, la relation privilégiée qui n’a pas existé entre vous, grand-père et petit-fils... 

La Cresse sur sa partie épargnée depuis la vigne du Courtal Crémat. 

Il passe, proche de ce qui sera une de ses vignes, le Courtal Cremat, une bergerie brûlée à l’origine, une ruine que des figuiers vigoureux tiennent debout, une terre comme il la qualifiait lui-même, de “ pico-talent ”, littéralement “ donnant faim ”, excitant seulement l’appétit... L’endroit te trouble, d’un autre appétit, un besoin encore à assouvir mais j’attendrai pour t’embêter avec ça : une chronique se doit de ne pas mélanger les époques, on ne s’y retrouverait plus.

Carte postale ancienne par les bons soins de Josette... certainement dans le Domaine Public

L’autre château, plus château encore, avec ses tours chapeautées encadrant trois niveaux aux nombreuses fenêtres, tourné au sud, réchauffe depuis longtemps l’héritier en titre, comte de son état, énième génération. Justement, il regarde la Cresse, d’où l’incendie est parti... Tu le sais tout ça et je te vois inquiet sinon préoccupé. À cause des moulins ruinés ? Ou alors, le pigeonnier ? Ah oui, les pigeons réservés aux nobles... partie la semence des pauvres bougres toujours plus dans la misère... On te connaît à toujours pointer du doigt l’Ancien Régime... ton réquisitoire contre les privilèges et à présent les milliards qui filent, l’évasion fiscale... Psst, psst, là, en pleine garrigue, je vois ce qui t’intrigue : une réalisation symbolique de la quintessence humaine. Je ne te refais pas le topo : l’Europe aux racines certaines, religieuses, chrétiennes, la France fille aînée de l’Église... c’est vrai que vers 7-9 ans, outre le catéchisme, fallait encore aller aux vêpres en plus de la messe dominicale... et là, tu as beau t’en défendre, cette chapelle perdue, loin du monde, te remet en tête tant de choses. Relent ? Nostalgie de la vie d’avant ? Elle te rappelle, encore dans “ Les Lettres de mon Moulin ”, la nouvelle “ Les Trois Messes Basses ”. Si, si, et si tu ne peux t’empêcher de revenir vers les années 60, Daudet, lui, nous téléporte dans les années 1600, avec, concernant les enfants que vous étiez, plus que la gourmandise du révérend avec les deux dindes bourrées de truffes, sans parler de la suite, l’ambiance de la nuit de Noël, les cloches qui carillonnent, la messe de minuit, les familles des métayers qui grimpent vers la chapelle du château, le chef de famille éclairant le chemin. (à suivre)

lundi 13 novembre 2023

L’ÉTANG JADIS "Le feu... les arbouses... papé... la chasse"

Le mélodiste musine, le poète alexandrine, le peintre colorine, le chanteur serine, le sculpteur burine, l'écrivaillon imagine en partant de l'incipit ci-dessous :

“ Tu vois que je ne suis pas morte.../... le Feu avait laissé des abeilles rouges qui le mangeaient. Je me suis approchée parce que c'était joli... ”  

Au fond, la Cresse cramée... 


Dis-moi... et toi tu avais trouvé ça joli ? c'est vrai, à onze ans, tu étais innocent, complètement. Comment dire ? inconscient d'abord de la réalité des incendies autour de la Méditerranée, et puis, excuse-moi, un peu cabourd, fada de trouver belles ces incandescences qui finissaient de manger le pin. Je sais, tu ne renies rien, fidèle tu restes à tes jeunes années, crédule, idéaliste, simpliste, tombé du ciel. Va, ne t’en sais pas mal, c’est le lot de tous, c’est d’un banal ce précipité de folie, d'ignorance, d'idées fausses, mal perçues sur fond de connaissances peu sûres, ce qu'un pré-adolescent croit savoir de la vie, rien d’original, crois-moi, même si chacun se pense unique. Finalement, avec les années, pour toi et les autres, l'essentiel était de démarrer en pensant par soi-même, sans avoir la tête creuse ou exprimant, se fondant seulement sur des avis, des influences fortes de l'entourage, extérieures.

Je sais ce que tu viens faire ici, au risque de salir ton pantalon. Tu y tiens à ce coin, cette Cresse, cette échine calcaire dominant les vignes. Ce n’est pas par hasard. Gamins vous n’alliez jamais aussi loin ; la seule fois où la bizarrerie t'avait poussé, solitaire, vers ces confins inconnus, le vallon d'arbousiers improbables t’avait ébloui les yeux et tes lèvres gourmandes avaient trouvé ces boules rouges et jaunes délicieuses. Tu en avais gardé le secret même lors d'une partie de chasse avec ton papé, la seule fois où il te permit de l'accompagner. Vous aviez parcouru cette garrigue sans rien voir d'autre que le fouet pourtant vaillant de la chienne, sans lever ne serait-ce qu'un perdreau lâché par sa compagnie. Sans que l'atmosphère d'un matin d'automne n'incitât au dialogue, au partage entre générations. 

Carcassonne_-_Arbutus_unedo 2021 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Tylwyth Eldar

Était-ce pour ce grand-père  peu aimant ? Pour les arbouses ? Pour ce pays aimé, ce paysage, page de l’album d’une vie alors que ton geste répond à une quête de sens, à un besoin vital ? Le monde de l’enfance se construit afin de se projeter, se défendre aussi contre la raideur des adultes... En attendant, cet été là, un incendie fulminant avait couru la garrigue sans qu'on y pût rien ; portées par un vent du diable, harpies acharnées, les flammes avaient ratiboisé la Cresse avant, dans la foulée, de terrasser les pins de Gibert, de réduire en cendre un site où j’ai tant vu de gens heureux de pique-niquer un lundi de Pâques. En vue de la mer, sur la colline, les gens avaient eu à peine le temps d’évacuer les baraques. Je t’ai vu, tout petit en bas, depuis le campement de bois, de tôles et de toiles, encore libre sur la plage, en groupe, à suivre, inquiet mais curieux, l'haleine chargée du Feu, ses volutes noires de suie galopant vers le large avant que n’explosent, sur la crête, les bouteilles de gaz abandonnées.

Quelques jours après, laissé plus à sa survie qu’à son agonie, les moyens des pompiers n’étant pas ceux d’aujourd’hui, le feu des abeilles rouges couvait toujours, encore à rouzéguer, à ronger les loques de l’échine à nu.

En bas de ta montagnette, ta colline, ne te vexe pas, tout est relatif en parlant de ta Clape, même si le dénivelé, tu te rends compte ! soixante-dix mètres ! donne de suite une impression d’altitude... tu dois toujours avoir une petite pensée pour la petite chèvre qui a fugué dans la montagne, je le sais... En bas, plus opulents que la maisonnette et le clos de Monsieur Seguin, protégés par leurs déploiements de vignes, deux “ campagnes ” comme on disait des domaines viticoles avant d’employer le mot “ château ”, plus vendeur. Enfin, un cadre douillet pour tes souvenirs. (à suivre)

dimanche 12 novembre 2023

L’ÉTANG de BERRE.

Belle, cette mer intérieure. Un préalable cependant : se départir de l’image des empilements industriels encombrant les rives et qui fument jour et nuit de leurs raccords, tuyaux et cheminées. À y être, reconnaître que l’odeur sulfurée d’œuf pourri ne remplit plus l’atmosphère désormais. Ne reste plus qu’à associer au ballet des avions de ligne, le dépaysement, l’exotisme, l’envie d’ailleurs qu’annoncent déjà les bleus de l’étang. 

Marseille,_aerial_view_from_plane 2022 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Naioli

Elles avaient disparu, on les trouve à nouveau les clovisses de Berre grâce à l’action des associations locales. La Coordination des Pêcheurs, L’Étang Nouveau ont fait pression sur EDF afin de réduire les rejets d’eau douce et de limons préjudiciables à la salinité de la Mar de Berro. Elles ont imposé une réduction des rejets EDF : une vie marine plus conforme au niveau de salinité a pu reprendre ; le retour des clovisses en atteste. 

Usine_du_canal_EDF_à_Saint-Chamas 2016 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Borvan53

Dommage le décalage entre le sentiment général et le point de vue des élus qui nient le lien entre la réduction des rejets et le renouveau de l’étang. Inquiétante cette séparation de corps entre des représentants et le corps électoral dont ils devraient porter les aspirations.

La densité des bancs de coquillages ne peut pourtant que réjouir. Attention néanmoins, la nature humaine étant ce qu’elle est, la première des prudences se doit de refréner l’appât du gain, la convoitise sans limite. Va-t-on épuiser cette manne à l’exemple de ce qui s’est passé dans les années 70, pour les anguilles, pour les moules draguées dans le Canal de Caronte, faute de sensibilisation, d’anticipation de la part des pouvoirs publics.

L’autorité légale anticipera-t-elle la défense de la ressource ? À Martigues, le service des Affaires Maritimes a fermé... ce n’est pas de bon augure ; le public se doit de rester vigilant... les associations devront prévenir, devancer les problèmes, lancer les alertes.      

Par contre, alors qu’une inertie réelle sinon complice, empreint la relation entre l’État et le monde économique, tout comme il est si facile, depuis le haut de la pyramide, de taper sur la multitude des petits, de leur faire les poches, de compter sur leur générosité pour des politiques pourtant régaliennes, les règles concernant les particuliers n’ont pas traîné, la limite par personne étant, concernant les clovisses, de deux kilos journaliers, la maille de trente millimètres.

Ce post interprété, faute de réponse à une demande de permission, dérive d’un article signé Clovis RB, au nom prédestiné. Même s’il parle indistinctement de clovisses ou de palourdes, après la partie technique, son paragraphe plaisir qui vient équilibrer la partie austère du constat, aborde la pêche et la cuisine des coquillages. 

Venerupis_philippinarum  2018 Creative Commons Attribution 3.0 Unported Author Σ64

La pêche d’abord, dans le peu profond ou davantage jusqu’à la plongée en apnée : dans le sable, il s’agit de repérer les deux trous, les siphons, un peu espacés (presque jumeaux ?), dénonçant le coquillage, puis d’enfoncer les doigts rapidement (protégés par un gant).

Suivant la quantité pêchée, faire dégorger les clovisses ou palourdes dans plus ou moins d’eau de mer. 

Linguine_alle_Vongole 2013 Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 Generic Author Michele Ursino

Enfin, en cuisine, les faire ouvrir, réserver l’eau rendue. Séparer éventuellement les coquilles ou demi-coquilles de la chair. Faire revenir dans de l’huile d’olive avec ail et persil hachés. Ajouter 10 cl de vin blanc, laisser réduire. Ensuite mélanger 10 cl de crème fraîche. Manger avec des pâtes cuites en ajoutant l’eau rendue pour ouvrir les coquillages...