jeudi 23 février 2023

LE PEÏRAL DE JACQUES.

 Après s’être bouché le nez, pour passer les cabinets, à moins que ce soit pressant... Et puis les locaux préfèrent fumer naturellement les vignes... Passez donc le chemin des Cayrols, en principe, des « hauteurs rocheuses », mais je n’en connais qu’une dans ce coin, celle du peïral, de la carrière de Jacques... Alors, ce pluriel ? Avec le cabinet, à une certaine heure, c’est aussi la limite entre la zone éclairée et l’obscurité de la nuit.

 
Vue aérienne de ce coin de Fleury en1950. Merci Geoportail ! 

Cette fois, nous sommes cinq, Jo, José, Joseph dit « Mazo », Gérard et même moi, à traîner sous la dernière ampoule de l’éclairage public.

C’est un soir de janvier avec la nuit qui tombe tôt. Nous ne sommes plus des gosses mais il nous reste de l’enfance cette crédulité craintive sur le monde de la nuit. L’histoire de la bande qui a osé, dans le noir, entrer dans le cimetière nous impressionne et plus même, concernant celui dont la manche a été retenue et qui a crié à la mort entraînant dans la seconde la troupe des courageux dans une fuite éperdue. Ce n’est qu’une fois dehors, la panique passée, que l’un d’eux a dit avoir entendu un pot qui se cassait, et que ce ne pouvait être qu’à cause d’une tige sèche ou du bâton-tuteur... Les morts-vivants, les vampires, sans se l’avouer, il y a beaucoup en nous de cette pétoche et ceux qui ont lu, qui ont vu des films ou à qui on a dit, se font un plaisir de faire encore plus peur aux autres.     

Aussi, un soir d'hiver, parce que la nuit tombe tôt, nous sommes encore à traîner sous la dernière ampoule de l'éclairage public, aux marges d'un monde obscur et inquiétant, à la frontière des cabinets publics de la route de Baureno. Les cabinets ! dernier symbole humaniste, civilisationnel ! aux marges des mondes barbares ! 

En fin d'après-midi, l'un de nous a eu l'idée de faire laisser deux mouchoirs sous un pin, en bas du peïral de Jacques. Le défi consiste donc à partir dans le noir récupérer son bien. Bien entendu, le malin qui a eu l'idée a pris soin de ne pas laisser le sien de moucadou et comme par hasard, je me suis fait embobiner, étant le second compétiteur.

Le premier, Jo ou Mazo, je ne me souviens plus, le second plutôt, Jo, champion de course à pied s’en retrouve disqualifié, ainsi, une confrontation à force égale étant plus intéressante. C’est Mazo, Joseph, qui est parti quand les autres ont jugé qu'il faisait bien sombre. Longtemps nous l'avons entendu courir sur le chemin empierré. Ensuite le silence, l'attente, soucieuse, un peu lourde. Des hiboux se répondent au loin, ce qui n'est pas pour nous rassurer, surtout que je dois prendre le relais. S'il n'y avait mon mouchoir abandonné sous l'arbre… Le doigt en l'air, on tend l'oreille... Enfin le bruit des semelles tapant plus fort le sol lors des dernières foulées. Une forme sort de la nuit : c'est lui pour un sprint final laborieux. Mazo, premier messager, récupère, tête baissée, se soutenant des bras sur les genoux, hors d'haleine, comme pour annoncer, entre deux expirations, la victoire de Marathon !

Top chrono ! à moi de partir dans la nuit : d'abord le chemin de Bauréno, entre les vignes, loin mais pas tellement, du cimetière ; ensuite, à gauche, celui des Cayrols encaissé, bordé d’amandiers, d’azeroliers (un coin à asperges), qui tranche à présent le plateau de vignes ; on y voit moins clair ; enfin le sentier, creux, plus étroit, montant vers la carrière, frayant le passage dans les ronciers. Mon trois-quarts accroche, tant pis, je passe en force. 
Des étoiles mais la lune à peine, pas le noir complet mais presque. Heureusement, avant de déboucher, le chemin s'ouvre. Là seulement, en progressant pas à pas sur un secteur encombré de blocs, et pour récupérer, j'avoue que je me suis mis à parler fort puis à chanter. Surtout qu'en bas de la falaise sombre du peïral, la masse plus obscure de l'arbre aux mouchoirs, un pin pignon encore jeune, ramassé. L'endroit est plus dégagé alors le pin se transforme d'un coup en bison prêt à charger ! 
Du sabot, il va gratter le sol et foncer, naseau écumant. Vite, le mouchoir, clair dans l'ombre sur les aiguilles sombres. Une fauche peu digne de Kit Carson, le tueur de Navajos (qu’on prenait alors pour un héros) et je dévale déjà vers le village, volant par-dessus les pierres pour échapper au Minotaure qui me poursuit. L'écho du peïral, l'appel lointain et régulier des tchots, des petits-ducs en mal d'amour réconforte. La lune est toute fine ; les étoiles aident bien ; dans cette lueur incertaine, en descente, la foulée s'allonge, au petit bonheur la chance ! Pas de galop derrière ! La petite vigne au cabanon, de Marius je crois, est vite passée, plus claire que la garouille autour, si bienveillante avec ses lilas, ses petites roses blanches par centaines, sur le mur, en arceau au-dessus de la porte, mais en mai seulement. 

Au bout, la première ampoule du village, faiblarde mais si rassurante et qui vite devient le projecteur pour le vainqueur, les cabinets le podium pour la réception, la médaille, les fleurs. En bas, au premier rang de la foule enthousiaste, les copains. Tous vont réclamer, il faudra que je raconte, le cimetière, les ronces, le bison, l'écho du peïral, le Minotaure, les rapaces nocturnes, Kit Carson, le repaire de brigands...

Et c'est un sprint de dératé comme si après la frousse aux trousses, la gloire n’était que pour moi… Oh ! plus personne sous l'ampoule des cabinets. Pas de chronométreur... pas la peine de lever les bras, les copains m’ont laissé tomber... Ils ont tout combiné... Avec Mazo dans la combine ? Pas sûr, c'est toujours d'instinct qu'ils ne pensent pas à mal. Un bizutage toujours dans les mœurs comme quand la meute me poursuit. «  Acculez le singe ! » leur cri de guerre. Mais je fais toujours face, moulinant des bras, habitué à leurs bourrades de rustres, seulement inquiet de l'habit déchiré, des boutons qui vont sauter... je suis habitué à leurs farces de rustres. N’est-ce pas José qui m’a cassé une pointe de couteau dans l’antivol intégré du vélo ? Mais le beau porte-clé bleu, de résine transparente, d’une marque de frigo, c’était lui aussi... Alors les petites contrariétés, on en rit, j’en souris à présent, je n'ai pas retenu l'esprit malin qui a eu l'idée des mouchoirs, le même peut-être qui a dit « On fout le camp ! », il m'a fait un souvenir, secret, moins difficile à dire par écrit, formateur, assurément... Eux et tous les autres sont la vie et je tiens tant à eux... c'est qu’ils sont dans la mienne, de vie... Ils sont ma vie, ce n'est pas plus compliqué que ça... 

Diapositive François Dedieu septembre 1963. 


lundi 20 février 2023

APRÈS LES CABINETS, LE PEÏRAL DE JACQUES / Fleury-d'Aude en Languedoc

 Nous en parlions avec l’exploration de l’aven. S’il fait beau, c’est un lieu de balade agréable, à dix minutes, un quart-d’heure, tout au plus, après les cabinets municipaux qui marquent la fin du village. 

De quand datent ces commodités et lieux d’aisances ? D’après le livre sur le canton de Coursan (Vilatges al pais / 2005) l’éclairage électrique est de 1902 (80 lampes de seize bougies qui succèdent aux 32 réverbères à pétrole de 1880) ; en 1908, le conseil municipal a délibéré pour une bicyclette à l’usage des gardes municipaux et de l’appariteur (il est précisé qu’elle servira à la poursuite d’un éventuel malfaiteur...). Que lire encore : un moulin à huile (1885), l’adduction d’eau potable en 1912, l’effort toujours croissant pour instruire garçons et filles (1880 les écoles, 1909, la maternelle dans l’ancienne école des sœurs, 1939 on ajoute un étage aux écoles [« De Pérignan à Fleury », le livre des Chroniques Pérignanaises est riche de détails à ce sujet). 

Carte des cabinets municipaux à Fleury-d'Aude figurés sur la carte de la France 1950 de Géoportail. 
 
Qui pouvait penser, encore en 1979, qu'il y aurait des places de parking (piscine) à la place des cabinets, un grand carrefour à portée, le tilleul de la Liberté, toutes ces maisons qui ont remplacé les vignes. même pour ces dernières, la forme des ceps en gobelet, sans fils et piquets de fer est devenue rare... L'amandier n'a pas encore fleuri mais nous ne sommes que début janvier...  Diapositive François Dedieu.  

Mais rien sur ces commodités si importantes pour ne pas jeter où on peut le pissadou avec son complément solide, les maisons du vieux village, sans cours ni jardins ne disposant pas de cabinets particuliers. Je crois me souvenir que les cabinets municipaux sont au nombre de quatre (à l’Est sur le chemin vers la garrigue, au Sud-Est vers la garrigue aussi et pour rejoindre la route de St-Pierre après le tènement de Baureno, au Nord-Ouest, en bas de la rue du lavoir, au Nord au Puits-Sûr... Sur les photos aériennes des années 50-65 disponibles sur le site aussi national que public et admirable de Geoportail, à condition se savoir ce qu’on cherche, aux sorties du village, on trouve les édicules Est, vers la garrigue, on devine celui de la rue du lavoir... celui du Puits-Sûr, par contre, est difficile à distinguer. Bâties sur une cuve septique dépassant du sol disons jusqu’à 1 m 50, chacune de ces constructions regroupe deux cabinets séparés par la cabine de vidage des seaux, dotée d’un robinet d’eau. Sur le toit maçonné en pente, un conduit assez haut doit évacuer les odeurs dérangeantes.         

Après s’être bouché le nez, car pour le reste, à moins que ce soit pressant... Et puis les locaux préfèrent fumer naturellement les vignes... Passez donc le chemin des Cayrols, en principe, des « hauteurs rocheuses », mais je n’en connais qu’une dans ce coin, celle du peïral, de la carrière de Jacques... Alors ce pluriel m'échappe. Avec le cabinet, à une certaine heure, c’est aussi la limite entre la zone éclairée et l’obscurité de la nuit, à suivre dans le prochain épisode " Aventure au peïral de Jacques ". 


samedi 18 février 2023

LE MESSAGER DES JOURS NOUVEAUX...

« … Dessús ma fenèstra      Au-dessus de ma fenêtre

I a un ameliè                          Pousse un amandier
Que fa de flours blancas         Qui fait des fleurs blanches
Coumo de papièr… »            Comme du papier...          Gaston Fébus 

Référence à Gaston Fébus (1331-1391) (Fébus avec un "Feu" : le "ph" n’existe pas en occitan) qui parlait le béarnais mais écrivait en principe en français (« Livre de Chasse »). On lui attribue les paroles en langue d’oc de « Se canto » devenu chant de rassemblement assimilé à ce qui serait désormais l’hymne occitan... 

17 février 2023.

Un matin calme, pas un souffle... à entendre le bruissement joli des abeilles, entre pétales, étamines et gynécées... Oh ! 8000 kilomètres plus au Nord... 


Depuis le coteau donnant sur l'Aude, la " rivière ", Loulou, Gérard et moi vous envoyons le bonjour du plus imprudent des amandiers !  

L’amandier ? faut toujours qu’il fasse son petit original celui-là. Cette année, Loulou le copain d’enfance a photographié les premières fleurs le 7 janvier, en haut d’un arbre (pas Loulou !). Le 12, l'original devait confirmer sur ses branches du bas, presque drageons... (sur un talus, non taillé, laissé à son développement naturel). Gérard, encore un de ces copains qui vous fleurissent la vie depuis l’enfance, témoigne du même, alors en pleine fleur... Alors il suffisait d’attendre qu’après l’éclaireur, tous ses comparses se décidassent à faire de même, à grossir les rangs au bord des vignes, sur les talus, au-dessus d’un mur de pierres sèches abandonné dans la garrigue... Peut-être qu’à Caboujolette, après l'émouvante croix de pierre, ceux de Bernard et Jean, centenaires, au tronc imposant d’amandiers domestiques, attendent de montrer leurs plus beaux atours, posément, une fois la frénésie des sauvageons passée ? 

« Vous êtes pressés ? mais faites donc... » semblent-ils dire...

Que mon impatience ne passe pas pour de l’agacement... finalement, du côté De Sorbas (Almeria), les amandiers de Diego fleurissent à peine aussi.  

Rien n’est réglé, programmé, cette année c’est bien la première fois que j’observe (même de si loin) un décalage de plus d’un mois entre les premiers et le gros de la troupe : l’amandier des copains d'abord a attendu en vain le renfort, tel Roland à Roncevaux.

Oungan, cette année, il a fait mentir le proverbe « Imprudent coumo l’amelier »... inutile de traduire... 


Le petit amandier de l'Horte (voir sur "J'aime Fleury..., les photos 2023 d'Elena). En 2017, il avait fleuri le 2 février (l'année 2020 n'apparaît que pour une retouche de ma part immodeste à la beauté sans fard... 

Ils se décident enfin, depuis deux ou trois jours, Bettina s’est arrêtée exprès à Lespignan, Anne-Marie a pris les siens aux fleurs roses, dans la garrigue de Saint-Pierre-la-Mer, Evelyne me dit qu’en Provence, entre Le Luc et Gonfaron, ils ont fleuri, Bertrand confirme que sous un soleil plus brillant, les parures blanches ou roses, si généreuses voudraient chanter que notre joie demeure, si n’étaient les soucis, les remords. Et Elena, sitôt posées les valises, en a voulu plein les yeux !

On l’attend, on la pressent, on la patiente, éblouissante elle reste, pourtant, cette floraison, à plus d’un titre, pour son éclat, son côté bohème aussi, affranchi, qui n’a pas à demander la permission, parce que, tant qu’elle se manifeste, elle dit avec éclat que la nature est belle, que la Terre et la terre ne font qu’un... A nous de penser, s’il n’est pas trop tard, qu’il est criminel de faire disparaître les fleurs, les insectes, les oiseaux et tous les animaux qui ne pourront pas s’adapter au déséquilibre brutal, à la catastrophe climatique trop rapide par notre faute...  

« … Regardez les branches,
Comme elles sont blanches.
Il neige des fleurs… » Théophile Gautier (1811-1872). 

À Lespignan, capté par Bettina... 

jeudi 16 février 2023

La NOURRITURE avant (1850-1950) puis dans les années 60... (3)

Gâteaux et pâtisseries. Le circuit court pour les plus modestes. A la maison et au collège dans les années 60.  

Les oreillettes de Laeti, ma neubeude ! gros poutous de tonton ! 

La tradition voulait aussi qu'on fasse des gâteaux pour certaines fêtes ou lors de périodes particulières : barquettes de Toulouse, gimblettes d'Albi, floues de St-Affrique, biscottins de Bédarieux, galettes quadrillées de Carcassonne, fouacets, alleluias et rausels à l'anis de Castelnaudary, raouzels du Minervois pour le " Dius-a-vol ", oreillettes de carnaval... 

C'est dans les couches populaires que l'alimentation et la façon de cuisiner collent aux ressources locales, aux circuits courts... les bourgeois, les gens aisés, eux, veulent manger comme à Paris. Puis le fait de se nourrir s'est nivelé, uniformisé (déjà en 1950, d'après l'article !). La magie, la religion, la géographie ne pèsent plus, on ne mange plus de millas dans les pays de maïs, les crêpes à la Chandeleur sont facultatives, les châtaignes, on les donne aux cochons, les poissons, sauf peut-être en été, viennent de l'océan. Tout le monde mange à peu près la même chose : pain, viande... Depuis la fin de la guerre de 39-44, ouvriers et paysans mangent mieux et pour moins cher. Et si le poste nourriture reste le premier  dans le budget, ceux du logement, des vêtements, des loisirs commencent à compter. 

Vendanges cassoulet Carcassonne Wikimedia commons Auteur BrokenSphere

Il n'empêche, le cassoulet qu'on peut manger partout en France, reste un plat typique si on lui garde son originalité dans sa forme bourgeoise (bien améliorée par rapport au plat paysan plus cassoulet de mounjetos qu'à la viande comme on dit en parlant d'un plat avec seulement des haricots), par ses ingrédients (couennes fraîches, jarret de porc, salé d'oie, saucisse), le toupin ou la cassole en terre du Lauragais (surtout Castelnaudary) pour le cuire serait-ce sans plus disposer d'un four à bois où flamberaient des ajoncs (dit genêt épineux, ce qui peut prêter à confusion).  

Pour finir et témoigner de ce qu'on mangeait à la maison dans les années 60, au risque d'en oublier (vous pouvez, vous devez et me corriger s'il faut, et compléter), nous avions, à table, dans la semaine, 

* en entrée, salade ou charcuterie, pâté, boudin ; 

* des pommes-de-terre (achetées par sacs de 50 kilos) bouillies, en purée, en frites, au four, plus rarement en brandade ; 

* une à deux fois des légumes secs (lentilles, pois chiches, pois cassés, haricots), 

* le soir, toujours la soupe (souvent de légumes) ou potage aux vermicelles lorsqu'il y avait du pot-au-feu ; 

* des pâtes d'abord nouilles ou macaronis avant que la diversité de formes que nous connaissons de nos jours ne s'impose (certains portaient le plat à gratiner au boulanger, moyennant une modeste participation) ; 

* de la viande surtout en sauce (blanquette, daube, bourguignon), souvent des abats (foie, rognons) ; le dimanche, un poulet fermier, de la saucisse ou de l'entrecôte (alors moins chère que la tranche) sur la braise de sarments ; 

* le vendredi du poisson, plus souvent en été avec le poisson bleu (sardines, maquereaux, thon rouge), merlan, plie, raie en poisson frais sinon la morue mise à dessaler ; 

* pour ce qui est du fromage, sans qu'il y en ait tout un plateau, le choix était plus restreint qu'aujourd'hui (gruyère, cantal, roquefort, camembert de Mariotte (fait au Fousseret, dans le département de la Haute-Garonne), un pyrénées assez insipide couvert d'une peau élastique noire, augurant de ce que serait l'ère du plastique omniprésent. 

* au dessert, des pommes au four, du riz-au-lait, du flan, du yaourt de Rieucros dans l'Ariège (le pot de verre était consigné tout comme pour la bouteille de lait / il y avait encore des laitières au village, dont Émilienne). 

Rouzilhous, lactaires délicieux. 

Comme il était apprécié alors de suivre les saisons (raisins, azeroles, coings, châtaignes, pommes, poires, rouzilhous à l'automne), poireaux (de vignes et sauvages éventuellement), choux, betteraves, cardes, endives en hiver... épinards, asperges sauvages, fèves, asperges vertes, petits pois, puis fraises, cerises au printemps, tomates, haricots verts, cèbe de Lézignan en été, abricots, pêches...     

Et au collège Victor-Hugo, à la demi-pension : salade verte ou betteraves ou carottes, fayots, lentilles, nouilles ou macaronis, purée, pommes-de-terre dans les ragoûts, blanquettes, frites le samedi, omelette, sardines, morue ou brandade le vendredi et toujours... de la sixième à la terminale, un litre de vin pour huit ! Et en dessert, j'ai oublié... un fruit ? un bout de fromage ? Le goûter était de rigueur : la vache qui rit, la pâte de fruit de marque Dumas (Pézenas), le chocolat qu'on partait faire fondre en tartine sur les poêles à charbon des classes ouvertes. Il y avait aussi une gelée de raisin présentée en portion plastique (pas moyen d'en retrouver la trace peut-être en lien avec l'usine UVOL de jus de raisin alors à Nissan-lez-Ensérune encore dans les années 60).  

mercredi 15 février 2023

La NOURRITURE avant, pendant les gros travaux, les fêtes et le dimanche (2)

 Dans les coins où la vie est difficile, comme à dessein, afin de compenser, pour les grands travaux, le propriétaire était tenu de bien nourrir ses travailleurs. 

Jambon_cru_de_l'Ardèche  Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 Generic Auteur traaf

Vers 1870, les Mountanhols qui descendaient moissonner commençaient à 4 h pour finir à 19 h ! Aussitôt, en pensant qu'alors même les enfants travaillaient, nous les plaignons pour les quinze heures à assurer sauf que cinq pauses-ravitaillement étaient prévues, vin compris : 

* à l'aube, tuer le ver (tua lou verme = manger un morceau en se levant / page 21107,Trésor du Félibrige, F. Mistral). 
* à 7 h, jambon, œufs et fromage pour le petit-déjeuner.  
* à 9 h boire un coup (leva l'aigo)... du vin plutôt ! 
* à 11h, bouillon de poule, viande, légumes, fruits : un dîner copieux puis la sieste pour reprendre à 2h. 
* à 4 h, salade fraîche et fruits. 
* à 6 h, souper. 

Dans le Terménès (Corbières) plus pauvre, on tuait le ver avec un quignon de pain et du fromage, à 7h on mangeait la blanquette de veau, ou une omelette, ou une viande en sauce, ou des tripes. A 10 h un coup de vin (leva l'aigo), à midi la soupe aux choux, de la viande ; à 3 h un coup de vin (ça donne des forces on dit !) ; à 6 heures, le cassoulet (des haricots tous les soirs) ; une fois rentrés, la soupe et une salade chez le patron. 
Partout, en point d'orgue, le banquet de fin de la tonte, de la fenaison, de la moisson, le " Déus-ba vol " des vendanges (une référence à Dieu qui s'entend mieux, en faveur d'une charité grâce à ce partage solidaire traditionnel quand il faut rentrer les récoltes. 

Un principe respecté pour les fêtes allant au delà du symbole puisque, à l'occasion de Noël, le pauvre, parfois invité, occupait alors sa place. Le lendemain, on partageait Estevenou, le petit Étienne, le pain en forme de bonhomme cuit chez le boulanger (existe aussi dans les pays qui fêtent saint Nicolas). 

Dans quelques villages, l'enterrement donnait lieu à un banquet avec force bouteilles !  

cagaraous a la narbouneso
   

Même chez les plus petits propriétaires, on se devait d'améliorer le menu à l'occasion des fêtes religieuses. la tradition imposait des mets : crêpes de la Chandeleur, oreillettes ou fougaces pour Carnaval, morue à Agde le vendredi saint, escargots à Béziers pour la saint Eutrope (alors que le saint patron de Béziers est Aphrodise, ce qui ne change rien puisque ces évêques évangélisateurs moururent tous deux décapités, la sortie du chameau illustre le dernier trajet du saint portant sa tête entre les mains, vers sa tombe. Fin avril les festivités de la saint-Aphrodise se confondent avec la fête d'Eutrope, le 30 avril). Escargots aussi à Lodève pour fêter les Fulcran, à Sète, pour Noël, des anguilles. Citons encore la dinde à l'orange, les jours gras, à Clermont-l'Hérault, les pois-chiches du vendredi saint, dans l'Hérault et le Minervois, la croustade de la st-Jean à Montbazin. 

Même en Moravie (Rép. Tchèque) Creative Commons Attribution 2.0 Générique Auteur kitmasterbloke.
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Autres occasions, le repas de fiançailles que la fille devait faire pour son promis (Lozère), le repas de relevailles suite à un accouchement, le repas pour les funérailles en certains endroits, la fête, associant la famille et les voisins, lors du sacrifice du cochon (pour Noël dans l'Ariège, en février dans l'Hérault). En plus de certaines parties du cochon, on mangeait l'afart, une salade de betteraves cuites sous la cendre (Ariège, Lauragais), les haricots cuits avec la morue frite, des escargots, du riz au lait... On offrait du boudin. 

La maîtresse de maison s'ingéniait, le dimanche, à déguiser les plats. En Ardèche la bombine n'était pourtant que de la pomme-de-terre cuite à l'eau et écrasée. Et encore en râpant les patates pour les passer à la poêle ou en confectionnant une tourte... Les jours où on avait des invités, une daube, des gras-doubles, un cassoulet sinon des plats d'une certaine tenue s'imposaient. Quelques croyances imposaient aussi de préparer quelque chose de précis, par exemple, les crêpes de la Chandeleur étaient dites protéger  de la carie du blé, un champignon qui de ses vésicules détruit les grains et qui contamine la culture à venir par ses spores tombées à terre (Hérault, Gard, Ariège). De même, la vermine se mettait aux champs si on n'avait pas mangé une gousse d'ail cuite dans le feu de la saint-Jean (Hérault, Narbonnais). 

LA NOURRITURE, avant, dans nos contrées... (1)

Un résumé d'un très bon article " L'alimentation en Languedoc et dans le Comté de Foix de 1850 à nos jours " de la revue Folklore n° 61, hiver 1950, par René Nelli (1906-1982), poète occitan, philosophe, historien du catharisme. 
L'âge me le permettant désormais, je joins, dans le troisième volet, ce qu'on mangeait à la maison et au collège en demi-pension, dans les années 60... et là il faudra m'aider pour tout ce qui m'a échappé... 

Sorgeat licence wikimedia commons 3.0 Unported Author jack ma

Vers 1828, dans la montagne d'Ax-les-Thermes, entre la farine de sarrasin, le lait, les patates et jamais de pain, l'ordinaire était plus que limité. L'auteur confirme les disettes récurrentes de 1845, de 1853. En 1846, le préfet écrivait au ministre " On ne vient pas à bout du désespoir avec des bayonnettes. ". En temps normal, la situation des paysans est aussi misérable qu'insuffisante. Avec 10,20 francs par semaine, un journalier peut à peine nourrir sa famille de 5 enfants sans acheter de viande, seulement 2 douzaines d'œufs. la situation ne connaîtra une amélioration qu'à la fin du XIXe siècle. 

Cassagnoles Montagne Noire Hérault Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Tybo2

Dans la Montagne Noire, c'est un peu mieux si on peut faire venir le cochon, avoir une chèvre et cultiver un potager (légumes verts, graisse, lait). Dans la montagne on cuit du pain de seigle, en moyenne altitude, on mange du millas. Ils ne boivent du vin que pour les grandes fêtes et lors des grands travaux (fenaison, moisson) c'est le propriétaire qui fournit. Du vin ils en auront quand ils pourront se payer une vigne dans la plaine... ce sera toute une expédition pour l'entretenir et vendanger (voir les derniers épisodes des filles du Poumaïrol). 

Pour remplacer la viande, au moins en avoir l'odeur et un peu le goût, il est d'usage d'utiliser le " sabourial ", un morceau de lard plus que rance enfermé dans un tissu cousu, trempé un moment grâce à une ficelle dans la soupe aux choux avant puis mis à sécher à nouveau sous le manteau de la cheminée. 

Ferme caussenarde Causse Méjean Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author HPB48150

Sur les Causses, les gens mangent aussi la soupe aux choux, du lait caillé ou du fromage, des pommes-de-terre, du potage au riz. le pain est toujours d'orge ou de seigle. 

En Lozère, la disparition des grandes fougères fut préjudiciable aux troupeaux qui en disposaient malgré la neige et surtout aux abeilles.

 


Dans les Cévennes, sous forme de bouillies, de galettes, de soupe, de castagnous au lait, les châtaignes permettent de tenir la moitié de l'année. partout, le mildiou a causé une grave crise dans la production de pommes-de-terre. 

Plaine de l'Aude depuis l'Alaric au niveau de Barbaira creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Tylwyth Eldar

En plaine, on mange mieux (80g/j de viande en moyenne (boucherie, volaille, gibier)sinon du poisson, des oeufs et 1/2 l de vin. pourtant, à Carcassonne le pain est la nourriture principale (le Baron Trouvé en donna un détail trop optimiste). Les tisserands ne disposaient souvent que d'un œuf unique écrasé dans une sauce très allongée (farine, ail, persil) pour y tremper le bout de pain. Parfois il y a des harengs mais pas de viande. Les salaires ne permettent pas une nourriture suffisante. Les ouvriers agricoles et valets de ferme sont mieux lotis que les artisans et ouvriers Jusqu'en 1914, la différence de situation était grande entre les favorisés et les pauvres. 

Vue vers Lespignan de la plaine de l'Aude depuis la route entre Fleury et Les Cabanes.

 
Agde le Port début XXe siècle Domaine public Auteur Spedona

Dans la plaine littorale, au début du XXe siècle, on mange de la morue, des harengs saurs, des échalotes, tomates, piments et ail, une nourriture méditerranéenne aussi chez les Italiens et Espagnols qui économisent pour acheter une vigne.  Au bord de la mer, le poisson a nourri la population côtière durant trois siècles (bourrides). L'huile d'olive et le miel ont de toujours augmenté la valeur nutritive de la nourriture.