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samedi 15 juin 2024

LES MOULINS À NUAGES, Georges-Jean ARNAUD.

Georges-Jean Arnaud (1928-2020), auteur prolifique (416 romans !) tant de science-fiction, fantastiques, que policiers, d'espionnage, érotiques. Régionaliste aussi... sans être dans la confidence (combien de livres sur ce thème... de la région j'entends ?), avec « Les Moulins à Nuages », la quatre de couverture, la dédicace à Ulysse, arrière-petit-fils, dénotent du lien de l'auteur avec l'Aude, plus précisément les Corbières. Qui plus est, Georges J. Arnaud a été instituteur à Fitou avant de tant produire comme écrivain, de vraies racines... 

 

Et s'il n'y suffisait pas, l'édition 1988 de Calmann-Lévy débute avec une carte où des rayures marinières figurant la mer confortent une certaine ancienneté. L'Aude entre Hérault et Pyrénées-Orientales, Minervois au nord ; au centre, les Corbières, à demi ouvertes au levant sur les axes vitaux, vers Toulouse, vers Perpignan et l'Espagne, leur partie au couchant encore dans un blanc “ terra incognita ”. Les voies du tramway à vapeur y figurent et en attestent : verticales, en marches d'escalier depuis Lézignan vers Thézan, Durban, transversales de Narbonne à St-Pierre-des-Champs, de Port-la-Nouvelle à Tuchan. Pas de date sur cette carte où ne figure pas encore le terminus de Mouthoumet au cœur du massif, mais le réseau des tramways de l'Aude (carte de R. Jannot) a été créé au tout début des années 1900, soit au milieu de la vie du grand-père Antonin Louis Pla dit Planou (1866-1942), centrée sur les villages de VILLENEUVE et “ CASCATEL”, mentionnés hormis le “ S ” qui manque à Cascastel, en lettres majuscules.  

Mais d'où sort-il ce livre qui traînait avec d'autres en bas du lit ? Malheureusement, comme pour certains points, c'est le trou noir, de mémoire... l'âge sûrement... à presque oublier d'en parler alors que tout, dans ces 380 pages, parle d'une vie vivante encore au début des années 60. Pardon de tirer la couverture dans un manque de modestie flagrant... Avant tout, voyons tout ce qui ramène à un passé sudiste d'un ancien temps plus général, pas si loin que cela, souvent hier seulement, vers lequel il n'est pas question de revenir mais sans lequel la marche obligée vers demain s'avèrerait plus fragile et incertaine encore qu'elle n'est... 

Corbières maritimes. Sémals (les comportes) et tomata «… la Muda tordait le cou à ses torchons de tomatat avec la même poigne féroce que pour ses pigeons… », étrange cette orthographe, « tomatat », associée à sa tante Jeanne. Les chèvres, qui,comme à Fleury, rejoignaient le troupeau communal emmené par le berger communautaire ; les canards, friands de grappes d'escargots (cagaroulets sur les tiges de genêts / diminutif de cagarau), aussi muets que la tante, la Muda, qui passent la journée à la rivière, les fèves de caroube pour les chevaux et sa gourmandise, l'écurie aux fortes odeurs d'urine et de sueur, une « bouronne » pour faire auvent (« bourouno » dans le parler d'oc de Fleury). Et presque de suite, l'apport, la présence de la langue naturelle, l'occitan dans sa variante languedocienne sauf qu'à Fleury, de façon plus neutre, on dit « macarel » alors que le père de Planou dit facilement « macarelle de puta »... au féminin... 


Entre 1870 et 1942, entre pouvoirs royal, impérial, républicain, honni par les petits propriétaires conservateurs, espéré par les journaliers (brassiers, dits aussi « bouillés » dans le livre) espérant mieux, commodément présentée en tant que roman, c'est la saga de sa famille que Georges J. Arnaud raconte. La façon de vivre, l'état d'esprit, les vendanges, les crises de la vigne, les rivalités politiques aussi jusqu'à la présence d'un Espagnol tirant sur le gitan et l'anarchisme, nous filent dans la tête à la vitesse des vies qui défilent... 

G. J. Arnaud bien qu'installé à La Londe-les-Maures ne manque pas d'honorer ses aïeux des Corbières. Tout son livre nous touche à plus d'un titre avec une mention à part sur les vendanges, un sujet de choix quand la saison s'y prêtera    

mercredi 15 février 2023

La NOURRITURE avant, pendant les gros travaux, les fêtes et le dimanche (2)

 Dans les coins où la vie est difficile, comme à dessein, afin de compenser, pour les grands travaux, le propriétaire était tenu de bien nourrir ses travailleurs. 

Jambon_cru_de_l'Ardèche  Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 Generic Auteur traaf

Vers 1870, les Mountanhols qui descendaient moissonner commençaient à 4 h pour finir à 19 h ! Aussitôt, en pensant qu'alors même les enfants travaillaient, nous les plaignons pour les quinze heures à assurer sauf que cinq pauses-ravitaillement étaient prévues, vin compris : 

* à l'aube, tuer le ver (tua lou verme = manger un morceau en se levant / page 21107,Trésor du Félibrige, F. Mistral). 
* à 7 h, jambon, œufs et fromage pour le petit-déjeuner.  
* à 9 h boire un coup (leva l'aigo)... du vin plutôt ! 
* à 11h, bouillon de poule, viande, légumes, fruits : un dîner copieux puis la sieste pour reprendre à 2h. 
* à 4 h, salade fraîche et fruits. 
* à 6 h, souper. 

Dans le Terménès (Corbières) plus pauvre, on tuait le ver avec un quignon de pain et du fromage, à 7h on mangeait la blanquette de veau, ou une omelette, ou une viande en sauce, ou des tripes. A 10 h un coup de vin (leva l'aigo), à midi la soupe aux choux, de la viande ; à 3 h un coup de vin (ça donne des forces on dit !) ; à 6 heures, le cassoulet (des haricots tous les soirs) ; une fois rentrés, la soupe et une salade chez le patron. 
Partout, en point d'orgue, le banquet de fin de la tonte, de la fenaison, de la moisson, le " Déus-ba vol " des vendanges (une référence à Dieu qui s'entend mieux, en faveur d'une charité grâce à ce partage solidaire traditionnel quand il faut rentrer les récoltes. 

Un principe respecté pour les fêtes allant au delà du symbole puisque, à l'occasion de Noël, le pauvre, parfois invité, occupait alors sa place. Le lendemain, on partageait Estevenou, le petit Étienne, le pain en forme de bonhomme cuit chez le boulanger (existe aussi dans les pays qui fêtent saint Nicolas). 

Dans quelques villages, l'enterrement donnait lieu à un banquet avec force bouteilles !  

cagaraous a la narbouneso
   

Même chez les plus petits propriétaires, on se devait d'améliorer le menu à l'occasion des fêtes religieuses. la tradition imposait des mets : crêpes de la Chandeleur, oreillettes ou fougaces pour Carnaval, morue à Agde le vendredi saint, escargots à Béziers pour la saint Eutrope (alors que le saint patron de Béziers est Aphrodise, ce qui ne change rien puisque ces évêques évangélisateurs moururent tous deux décapités, la sortie du chameau illustre le dernier trajet du saint portant sa tête entre les mains, vers sa tombe. Fin avril les festivités de la saint-Aphrodise se confondent avec la fête d'Eutrope, le 30 avril). Escargots aussi à Lodève pour fêter les Fulcran, à Sète, pour Noël, des anguilles. Citons encore la dinde à l'orange, les jours gras, à Clermont-l'Hérault, les pois-chiches du vendredi saint, dans l'Hérault et le Minervois, la croustade de la st-Jean à Montbazin. 

Même en Moravie (Rép. Tchèque) Creative Commons Attribution 2.0 Générique Auteur kitmasterbloke.
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Autres occasions, le repas de fiançailles que la fille devait faire pour son promis (Lozère), le repas de relevailles suite à un accouchement, le repas pour les funérailles en certains endroits, la fête, associant la famille et les voisins, lors du sacrifice du cochon (pour Noël dans l'Ariège, en février dans l'Hérault). En plus de certaines parties du cochon, on mangeait l'afart, une salade de betteraves cuites sous la cendre (Ariège, Lauragais), les haricots cuits avec la morue frite, des escargots, du riz au lait... On offrait du boudin. 

La maîtresse de maison s'ingéniait, le dimanche, à déguiser les plats. En Ardèche la bombine n'était pourtant que de la pomme-de-terre cuite à l'eau et écrasée. Et encore en râpant les patates pour les passer à la poêle ou en confectionnant une tourte... Les jours où on avait des invités, une daube, des gras-doubles, un cassoulet sinon des plats d'une certaine tenue s'imposaient. Quelques croyances imposaient aussi de préparer quelque chose de précis, par exemple, les crêpes de la Chandeleur étaient dites protéger  de la carie du blé, un champignon qui de ses vésicules détruit les grains et qui contamine la culture à venir par ses spores tombées à terre (Hérault, Gard, Ariège). De même, la vermine se mettait aux champs si on n'avait pas mangé une gousse d'ail cuite dans le feu de la saint-Jean (Hérault, Narbonnais). 

jeudi 31 décembre 2020

"L'ANDOURRO ARRIBO" ! l'Andorre arrive ! Des moutons par milliers !

Après avoir suivi Marcel, entre Porté-Puymorens et Lézignan-Corbières, suite à une évocation de Victor Hugo, le lycée-caserne de Narbonne où les frères Torrès apportèrent l'air vif de l'Andorre et des Pyrénées ainsi qu'une envie de grands espaces, la revue FOLKLORE nous offre le détail d'une transhumance descendante, l'itinéraire des troupeaux venus hiverner dans notre Bas-Languedoc.

Articles en amont : 

https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2020/12/bergers-moutons-transhumance-des.html

 https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2020/12/de-landorre-aux-pays-daude-hommes-et.html

 Cela nous est d'autant plus précieux que, concernant les troupeaux du Sud, presque la totalité des références, audiovisuelles, littéraires, avec Daudet, Giono, Bosco, Mauron... retracent les drailles et carraires de la grande migration ovine suivant le grand "S" formé par le cours de la Durance, de la Crau jusqu'aux Alpes. Une ligne de crêtes que la géopolitique a voulue frontière avec l'Italie mais dont l'Occitanie se rit, même pour les moutons puisque plus de la moitié des bergers étaient piémontais avec, pour langue maternelle, l'occitan des vallées ! Entre parenthèses, cette émigration transparait aussi dans l’œuvre de Pagnol avec par exemple les bouscatiers et charbonniers qui recueillent Manon dans le  cycle "L'Eau des Collines". 

Et d'autant moins de frustration qu'à trop fouiller et mettre au jour, la vulgarisation porte atteinte à l'enchantement. Autre parenthèse, je m'entends encore demander, en entrant le matin, dans le bruit ambiant de la classe qui sort ses affaires "Monsieur c'est quoi les Corbières ?" à brûle-pourpoint, à notre bon maître, monsieur Rougé qui, d'un beau sourire, a sûrement eu quelques mots pour me faire patienter et continuer à rêver, même si ma mémoire n'a gardé que son sourire pour réponse ! Aussi, dans les mystères des Corbières (près d'une vingtaine de pages à ce jour sur ce blog même) figureront désormais quelques jalons de cette transhumance descendante, juste de quoi aiguiser la curiosité des plus volontaires. Laissons venir à nous, dans le Quercorb, le Razès, le Val de Dagne, les garrigues du Minervois, jusqu'aux Corbières Orientales et les basses plaines de chez nous, ce "nomadisme assagi", pour reprendre les mots de Fernand Braudel.  

Cet article du numéro automne-hiver n°s 147-148 de la revue Folklore, on le doit à messieurs N. Vaquié et U. Gibert (l'Internet nous en dira-t-il davantage sur eux ?). 

L'Hospitalet-près-l'Andorre Place_Sainte-Suzanne wikimedia commons Author Olybrius

Début novembre, divers itinéraires répertoriés (les noms en majuscule marquent les étapes) : 

Tronçon commun :  L'HOSPITALET-près-l'ANDORRE (1 jour), Ax-les-Thermes, col du Schioula, PRADES (2 jours).

Itinéraire 1 "de l'Hers-vif" :  Comus, FOUGAX (3j), Col du Teil, Rivel, Chalabre, FERME DU PAPE (4j), col de la Flotte, Courtauly, ALAIGNE (5j) puis les pacages du Razès (6 jours), ou du Carcassonnais sinon du Lauragais (jusqu'à 8 jours en tout). 

Itinéraire 2 "par les cols des Tougnets et du Paradis vers les Corbières sèches ": commun avec le 1 jusqu'au col du Teil puis Puivert, TOUGNETS(4 j), ESPERAZA (5 j), ARQUES,(6 j) MOUTHOUMET (7 j) et au-delà vers Durban, Portel ou Tuchan Fitou (jusqu'à 9 jours en tout)

Itinéraire 3 "du Minervois par les Corbières vertes de l'Ouest": commun avec le 2 jusqu'à ARQUES (6 j) puis MISSEGRE (7 j), La CAUNETTE (8 j), LA-BASTIDE-EN-VAL (9 j), MONTLAUR (10 j), COMIGNE (11 j) et au-delà vers le Minervois audois sinon Olonzac et Oupia (jusqu'à 13 jours en tout).

Itinéraire 4 "du Pays-de-Sault au Minervois par les Corbières de l'Ouest" : commun avec le 1 jusqu'à PRADES (2 j) puis COUDONS (3 j), CAMPAGNE-sur-AUDE (4 j) et qui rejoint le 3 à ARQUES (5 j), MISSEGRE (6 j), La CAUNETTE (7 j), le Plateau de Lacamp, LA-BASTIDE-EN-VAL (8 j), MONTLAUR (9 j), COMIGNE (10 j) et au-delà vers le Minervois audois sinon Olonzac et Oupia (jusqu'à 12 jours en tout). 

Itinéraires de transhumance d'après N. Vaquié et U. Gibert sur base de carte en gris de l'IGN.

L'Hospitalet-près-l'Andorre Chemin du Rey wikimedia commons Author Olybrius

Prolongements : 
 
Tronçon commun : L'HOSPITALET. Depuis Canillo et Soldeu, par le Port Dret, au plus court et malgré le col à plus de 2400 mètres d'altitude, les troupeaux rejoignent (22 km depuis Canillo, 15 depuis Soldeu) L'HOSPITALET-près-l'ANDORRE où la douane française vérifie que les bêtes sont bien andorranes ainsi que les certificats (vaccinations faites trois semaines auparavant) avant de délivrer un laisser-passer et un acquit de pacage valable de six à huit mois. Le village est desservi par la ligne de chemin de fer Paris-La-Tour-de-Carol, gare "Andorre-l'Hospitalet" (l'Andorre a financé les 3/4 de la rénovation et organisé des navettes de bus entre les vallées et la France).
PRADES par Ax-les-Thermes et le Col du Chioula, soit 32.5 km (30 par Ignaux ou le ruisseau de Sorgeat qui coupe le long lacet en direction d'Ascou ?). Les bêtes sont parquées dans un enclos. Les bergers font étape dans une auberge ou une maison amie. 

Itinéraire 1 : 

La transhumance va rallier FOUGAX en suivant le cours de l'Hers-vif par Comus et les gorges de la Frau (13 % de dénivelé sur les 3 kilomètres les plus abrupts, canyon entre 300 et 400 mètres de profondeur).
Rivel "Rivelh de las semals" et "de las esquelhas" (Rivel des comportes et des sonnailles... où le grand-père de Dantoine, le dessinateur qui nous a laissés des Poilus formidablement de l'Aude, parlant languedocien, était esquélher). 
Chalabre, capitale du petit pays du Quercorb (ou Kercorb).
 
Itinéraire 2 : 
 
Puivert dont la rupture de la digue du lac (1289) causa une catastrophe à Chalabre et Mirepoix.   
Saint-Jean-de-Paracol, commune la plus pauvre de France en 2014 (les communes les plus pauvres étant audoises !). Momon Billès, pérignanais de Fleury, notre village, y était peut-être en tant que réfugié pendant la guerre. 
A ESPERAZA, jadis capitale du chapeau, les bêtes font halte dans la cour devant la gare ou la place.   
ARQUES (pas celui de la cristallerie... l'Aude a les communes les plus pauvres de métropole, doit-on le rappeler ? Les bêtes sont parquées dans un champ clôturé. Maison de Déodat Roché (1877-1978), historien du catharisme mais château de Gilles-de-Voisins, héritier d'un baron-colon du Nord, le château, déjà en 1280, contrôlait une voie importante de la transhumance, d'où les trois itinéraires encore empruntés au siècle dernier et qui font l'objet de notre sujet)...  
MOUTHOUMET qui ne forme plus un canton (il n'en reste que 19 sur 35 encore avant 2015). C'est aujourd'hui celui de... Fabrezan devenu celui des Corbières, énorme par sa superficie (1025 km2) mais d'une densité de population de seulement 16 habitants au km2. 
MOUTHOUMET comme Lanet, sont des toponymes liés à l'élevage du mouton. 
 
Itinéraire 3 : 

A MISSEGRE le troupeau reste sur la place. Il traverse des plateaux occupés par des pâtures entre des reliefs entre 600 et 878 m. au Milobre de Bouisse qui favorisent les précipitations dont la neige fréquente en hiver.
A La Caunette (aujourd'hui sur-Lauquet) on atteint les Petites Corbières Occidentales (400-600 m). L'étape est au moulin de la Caunette-Basse ou, deux kilomètres plus haut, à la Caunette-Haute.
Il reste néanmoins le Plateau de Lacamp (700 m.) qui domine à l'Est les gorges de l'Orbieu ainsi que l'avant-pays des Corbières et au Nord le Val-de-Dagne (de Diane à l'origine) coupé de la plaine viticole de l'Aude par le bourrelet de l'Alaric.
Étape à LABASTIDE-en-VAL.   

Itinéraire 4 : 
Depuis PRADES, ce trajet parcourt une partie du Pays de Sault (saltus = forêt en latin), à savoir le grand plateau, partant de 1245 mètres d'altitude pour arriver à COUDONS, après une étape de 28 kilomètres, à un peu moins de 900 mètres d'altitude (repos dans un champ clôturé). 
Pour rejoindre CAMPAGNE-sur-AUDE, le parcours évite de descendre directement sur la vallée de l'Aude à Quillan ; il contourne par Brenac et Lasserre (villages qui ont fusionné avec Quillan). 
 
"... Puis, tout à coup, vers le soir, un grand cri : "Les voilà !" et là-bas, au lointain, nous voyons s'avancer le troupeau dans une gloire de poussière..." Alphonse Daudet, Installation, Lettres de mon Moulin.  
 

mercredi 3 juin 2020

CHEMIN FAISANT / Jacques Lacarrière

"Chemin faisant", encore un de ces livres qui font en vous leur petit bonhomme de chemin et vous marquent pour longtemps.

" Rien ne me paraît plus nécessaire aujourd'hui que de découvrir ou redécouvrir nos paysages et nos villages en prenant le temps de le faire. Savoir retrouver les saisons, les aubes et les crépuscules, l'amitié des animaux et même des insectes, le regard d'un inconnu qui vous reconnaît sur le seuil de son rêve. La marche seule permet cela. Cheminer, musarder, s'arrêter où l'on veut, écouter, attendre, observer. Alors, chaque jour est différent du précédent, comme l'est chaque visage, chaque chemin.

" Ce livre n'est pas un guide pédestre de la France, mais une invitation au vrai voyage, le journal d'un errant heureux, des Vosges jusqu'aux Corbières, au cœur d'un temps retrouvé. Car marcher, c'est aussi rencontrer d'autres personnes et réapprendre une autre façon de vivre. C'est découvrir notre histoire sur le grand portulan des chemins. Je ne souhaite rien d'autre, par ce livre, que de redonner le goût des herbes et des sentiers, le besoin de musarder dans l'imprévu, pour retrouver nos racines perdues dans le grand message des horizons. "
Jacques Lacarrière. 

Il y a des livres qui vous font signe : ceux qui, vendus au poids, affranchis de la condamnation au pilon, celui de Vincenot sur le rail évoqué hier, d'autres, qui échouent dans des magasins d'occasion, abandonnés pour diverses raisons. Ceux-là pour moi sont comme ces petits chiens des refuges qui viennent spontanément à vous. Celui-ci s'appelle "Chemin Faisant", le genre de nom à me faire craquer. Je l'ai adopté. Un vrai petit bonheur qui, depuis les Vosges, m'a entraîné vers le Midi et son protecteur. L'auteur, sensible au feu chaleureux des Sud, relève parmi ses sensations celle qui fait passer des terres du Nord à l'Occitanie. Du petit lait pour moi, même sur une île au lait de coco... Quel dépaysement ! Et ce grand saut dans la plaine à partir du Causse du Larzac ! Les villages sous les eaux du Salagou... les hippies, les chasseurs, le Minervois, les viticulteurs contre le vin d'Algérie... Et oui, les années 70... 

Mais celui qui finit en sa compagnie avec les bleus de la mer, du ciel, les falaises de Leucate à la blancheur grecque (Lacarrière était particulièrement attaché à cet éclat hellène sur toute la Méditerranée), ne peut que ressentir un vent d'éternité aussi intemporel qu'universel... être porté par un sentiment de destinée commune à travers l'Histoire. Ceux qui marchent vers la nature et les autres, pas seulement pour Compostelle, comme nos aïeux le faisaient par force il y a encore un siècle, le ressentent mieux encore sous la plante des pieds.  

     

samedi 21 décembre 2019

LES LOUPS ET LE VIOLONEUX / Qu'il est doux d'écouter des histoires...

" Qu'il est doux, qu'il est doux d'écouter des histoires,
Des histoires du temps passé,
Quand les branches d'arbres sont noires,
Quand la neige est épaisse et charge un sol glacé !
Quand seul dans un ciel pâle un peuplier s'élance,
Quand sous le manteau blanc qui vient de le cacher
L'immobile corbeau sur l'arbre se balance,
Comme la girouette au bout du long clocher !.. "
La neige. Alfred de Vigny.

C'est vrai que la neige chez nous, ce n'est pas souvent et puis pour les grandes personnes, il vaut mieux. Mais rien ni personne n'empêchent l'enfant de rêver, d'imaginer, déjà en se frottant les mains pour conjurer le froid.
Cette histoire se passe dans les Corbières à une époque où le climat était moins chaud. Je vous la raconte comme elle m'a été contée du moins de la manière dont je l'ai perçue. C'est celle des loups et du violoneux.

Il était une fois un pauvre brassier qui, à la mauvaise saison avait bien du mal à nourrir ses neuf enfants. Ils habitaient dans les Basses-Corbières et dans ce temps là, dans les campagnes à blés, les vignes étaient si petites, juste pour le vin du propriétaire que nul ne pouvait s'embaucher pour la taille des sarments et la confection des bouffanelos, des fagots.
Mais, comme par son père il avait hérité du violon du grand-père, le samedi, après une vaine quête de petits profits, poireaux ou salades sauvages, sinon des herbes pour la soupe, il partait faire danser la jeunesse dans les villages plus à l'écart. On ne le payait pas toujours en monnaie sonnante et trébuchante, et cette fois, après une dernière polka, son havresac était rempli de pain, de fougaces et d'oreillettes. 


Oreillettes_du_Languedoc JPS68 commons wikimedia

Ne voulant pas passer une nuit de plus hors de chez lui, à minuit passé, il s'était mis en chemin, malgré un ciel sans lune, pensant déjà à la joie des enfants quand il viderait son sac sur la table !
Passé Coustouge où son passage dans les rues désertes avait encore causé un concert d'aboiements, au tiers du parcours, pour gagner une heure par rapport à la route, il avait l'habitude de couper à travers les garrigues. Content de sa prestation, ne sentant pas encore le froid, il marchait d'un bon pas quand parvenu sur le plateau, croyant entendre un bruit derrière, il se retourna. Plus rien, sûrement la fatigue.
A peine avait-il avancé d'une centaine de mètres que cette fois, un "houuu" prolongé confirma ses craintes : un loup le suivait. Oh un loup, ce n'était pas la première fois et puis avec son bâton ferré il saurait bien lui montrer avec qui il a affaire ! Le fait de passer le col et de savoir qu'il redescendait désormais vers sa chaumière ne le rassura pourtant pas : derrière dans le noir, des encouragements avaient répondu au premier "hou". Près d'en avoir la chair de poule, il se dit même qu'avec le Cers dans le nez, les fauves étaient à le talonner, prêts à lui mordre le jarret et à lui sauter sur le râble. 


Le_dernier_loup_-_Les_coulisses_-_l'entraînement_des_loups Sabi Mars Films

Que faire ? pas de bergerie dans ces lieux désolés et le premier endroit habité, le moulin se trouvait à presque une lieue encore ! Inquiet mais déterminé il passa son havresac sur sa poitrine, piocha dedans et lança un pain sur ses traces, espérant que les loups se le disputeraient. Nàni, il les sentait tout proches. Pourtant il prit le temps de partager le second pain mais le sursis n'en fut pas plus assuré : c'est sa viande que ces sales bêtes convoitaient ! Deux autres pains y passèrent et puis les fougaces et puis les oreillettes qu'il brisait en morceaux toujours plus petits. Las, le sac s'en trouva vidé et il restait bien deux-cent-cinquante toises (env. 500 m.) avant le moulin. Alors, en désespoir de cause, en appelant à ses père et grand-père, surmontant la frayeur que lui causaient les grognements toujours plus furieux, oubliant ses doigts gourds, bravement il empoigna son violon pour en sortir un brame à la mort tremblotant, lamentable sauf  qu'à son grand étonnement, la meute affolée se débanda en braillant comme une bande de chiots affolés ! 
Sans demander son reste, presque à s'en briser le cou, le pauvre violoneux dévala d'une traite le ravin entre deux crêtes plus marquées. Inutile de réveiller le meunier, les loups ne descendent jusque dans les villages qu'avec le grand froid et la neige. Inutile aussi de réveiller les petits pour rien. Des pains, des fougasses et des oreillettes plein la table ! On aurait même ranimé le feu ! On aurait fait reganhou, réveillon à quatre heures du matin... 
Ah si de suite il avait sorti son violon !    

Violoneux_mendiant_1843, wikimedia commons, auteur inconnu, domaine public
         

dimanche 10 mars 2019

LES ÉCHOS, LES MOTS DE FLEURY, TOUJOURS… / Fleury d'Aude en Languedoc

Un troubadour qui dit et chante pour nous le Sud, Nougaro, Claude. Sa vie, ses vers, son âme qui accompagnent… Cécile, sa fille, j’étais mainatge (loupiot, enfant, qui se dit aussi dròlle) à Pézenas. Le Verdouble, sa rivière « aux flots fous, aux flots flous » des Corbières. Son hymne qui serre la tripe et noue la gorge parce que chaque Languedocien peut le faire sien :

« …Qu'il est loin mon pays, qu'il est loin
Parfois au fond de moi se raniment
L'eau verte de l’Aude, ma rivière
Et la blanche pierre de la garrigue…  
Ô mon païs, ô las vignos,  ôô Fleuris... »

Et plus loin son papa que je fais mien :

« … J'entends toujours la voix de papa
Du pays, du village en survie, c’était  mon seul écho… »

Un troubadour, un menestrel, un échanson, un poète, un père pour partager et transmettre… C’est brouillon, c’est confus mais si débordant intérieurement… C’est ainsi que je veux rendre, pour le revivre si fort, ce temps charnière entre sommeil et renaissance, entre hiver et printemps, dans le ciel de nos vents. 

Fleury d'Aude / Repas des seniors 2013.
Ses mots sont là, entre février et mars… Une petite voix, la tienne, papa,  m’a soufflé d’aller les chercher « Vai lous quère ! »

Objet :  Chandeleur  Reçu le :  dimanche 02 février 2003 à 13h54  Objet : Un dimanche à la maison.
Le bonjour de Fleury, où un beau soleil réchauffe l’atmosphère. De zéro degré le matin nous passons à six, et actuellement (midi juste) notre mercure de la cour indique pratiquement dix degrés, tandis que l’alcool teinté en rouge du thermomètre extérieur du premier donne 9°. Le radoucissement était prévu, et en allant chercher le pain, j’ai vu Juju Alvaredo se chauffant au soleil et à l’abri, tout seul, devant l’ex-épicerie Antoine Molveau devenue l’ex-charcuterie Puech, qui m’a dit, sur un signe de ma part : « Ici, il fait bon ». Il était tout de même chaudement vêtu.

Date : lundi 2 février 2004 18:20 Lou four de caus (lo forn de cauç)

Fleury-d’Aude, lundi 02 février 2004. 14 heures, ciel gris, brouillard qui empêche même de voir le moulin de ma chambre du second, mais temps très doux, 11 degrés ; les amandiers sont en fleur. 



TASSIN-LA-DEMI-LUNE. Nous sommes dans le grand LYON, à l’ouest de la grande ville, sur la « Nationale 7 » chantée par Charles Trenet. C’est tout près des « Trois-Renards », le terminus de la ligne de trolley en provenance de la place Bellecour. Un poste de gendarmerie semblable à beaucoup d’autres, possédant toutefois un magnifique chien policier qui mérite tous les égards et a déjà rendu d’éminents services. Il n’obéit vraiment qu’à son maître (voix, signes de la main, lumière dans la nuit). Chaque semaine, c’est l’entraînement dans un terrain spécialement conçu à cet effet : saut d’obstacles, murs de planches à franchir allègrement sans rechigner, attaque de mannequins capitonnés dûment protégés des morsures au bras qui tient une arme, voire à la gorge, selon le cas. Vraiment dangereux pour le novice. Mieux vaut ne pas avoir affaire à un tel animal, pourvu par ailleurs d’un vrai passeport où s’alignent, après les photos et l’empreinte de truffe d’Azor – c’est son nom – l’identité des délinquants, cambrioleurs et même assassins qu’il a permis d’arrêter.

            Le maréchal des logis chef de gendarmerie, au 108, Avenue de la République à La Demi-Lune, le margis-chef, en abrégé, c’est Etienne PEYRE, cousin germain de papé Jean et fils de mon parrain François, maître de chais à La Grange-des-Près proche de Pézenas, après avoir longtemps été garde-chasse aux Karantes, ce domaine de la commune de Narbonne rattaché pratiquement à Fleury. 

(à suivre).

dimanche 10 juin 2018

INTRODUCTION AU BASSIN DE LIMOUX / La goulotte audoise (4).

Les petits ruisseaux font les grandes rivières... 

Pont sur l'Aude Alet-les-Bains Wikimedia Commons Auteur Graziephile
 A partir de l’Étroit d’Alet, laissant au levant les derniers escarpements remarqués des Corbières (802-804 m.), la vallée s’ouvre désormais avec le bassin de Limoux. L’Aude y reçoit à droite le Saint-Polycarpe,  les ruisseaux de Marceille, de Bouziers, à gauche, les ruisseaux de la Corneilla, des Lagagnous ou des Gours au nom plus long que le cours, le Cougain (« g » à la fin sur Geoportail et Wikipedia).
Le Cougain ? Oui, la rivière qui passe à La-Digne-d’Amont puis à La-Digne-d’Aval comme de bien entendu ! D’une chose à l’autre et parce que la tradition orale du village qu’il vaut mieux écrire un jour, passe par ces anecdotes qui reviennent lors des repas de famille. Justement, celle de Paul, surnommé Pitche, que les Pérignanais (habitants de Fleury-d’Aude) d’un âge certain ont bien connu, même qu’aux beaux jours, on allait au spectacle sous sa fenêtre, quand ils s’agantaient, avec sa femme, suite à leurs beuveries !

« … Paul M.[1] aimait raconter qu’une fois, à moto avec Germain H., son père adoptif, comme passager, ils sont vite partis de la Digne-d’Amont. A la Digne-d’Aval, guère plus d’un kilomètre plus loin, Germain perd la casquette. « Tant pis, intervient Paul, nous n’avons pas le temps ! ». La moto ronfle, les virages défilent, Germain perd le cache-nez. « Tant pis, nous sommes pressés ! », telle fut la version défendue par Paul Molveau, soutenant, mort et fort, ne pas s’être arrêté… »
Pages de vie à Fleury-d’Aude II / Caboujolette / 2008 / François Dedieu (1922-2017)    

Affluent encore de la rive gauche de l’Aude dans ce bassin de Limoux, le Sou que la rigolade, vue la mine déconfite de Germain perdant casquette et cache-nez, allait nous faire oublier.
Le Sou ? homonyme de l’affluent de l’Orbieu, Sou de Laroque ou de Vignevieille arrosant Termes ? Le Sou, comme l’Alsou, dit encore le Sou, rivière emblématique (avec la Bretonne et le Ruisseau des Mattes) du Val de Dagne, entre le Plateau de Lacamp, les hauteurs ultimes, vers le nord, des Corbières occidentales, encore affluent de l’Orbieu à Lagrasse ? Le Sou du Val de Daigne du Razès, en doublon donc du Val de Diane, du Val de Dagne précédemment cité, pays de naissance de Joseph Delteil (1894-1978) fils d’un bûcheron charbonnier et d’une mère « buissonnière ». Delteil[2] parlera d’une deuxième naissance à Pieusse où ce Sou du Val de Daigne veut bien rallier l’Aude… Décidément tout n’est que coïncidences ! 

Pieusse Aude maison de Joseph Delteil Wikimedia Commons Author Pinpin
    

[1] « Fils de Tué », une autre expression liée à la Grande Guerre, avec « Les gueules Cassées » et « Les moins de 20 ans »  par exemple.
[2] Son père achète, à Pieusse, une parcelle de vigne, en 1898. « … C’est là, dira Delteil, son « village natal », au cœur du terroir de la Blanquette de Limoux, « où le paysage s’élargit, où l’on passe de la forêt au soleil, de l’occitan au français. » Il y demeure jusqu’à son certificat d’étude (1907)… » Source Wikipedia.