jeudi 27 septembre 2018

VENDANGES, AMBIANCE… / Fleury-d'Aude en Languedoc


De gauche à droite, mes grands-parents Ernestine et Jean Dedieu, Céline et Noé Andrieu (grand-oncle) Photo François Dedieu.


Papa raconte que la bonne humeur est de mise, on rit beaucoup, on chante aussi dans les vignes. Les mains sur les reins, les vendangeurs se redressent pour honorer et applaudir un morceau plébiscité du répertoire familial, comme au dessert d’un menu de fête. On n'est pas à la pièce ! 
L’oncle Noé se fait prier avant d’entonner « Michaëla », l’histoire d’Antonio le pêcheur, éperdu d’amour mais pour qui tout s’écroule en un instant… 

(de g. à d.) Mamé Ernestine sous sa "galino", mon parrain Norbert, l'oncle Noé, tati Marcelle, papé Jean, maman (Jiřina francisé en Georgette... on francisait beaucoup à l'époque...), tonton Jojo. Photo François Dedieu.
Entre pudicité et réserve, les grands, qui, pour parler entre adultes, permettent de se lever de table, manière de ménager les chastes oreilles en envoyant les enfants jouer dehors, lèvent aussi un coin du voile au détour d’un couplet égrillard ou sensuel.

La mémoire retient :
« … Quelques paroles (j’ignore la suite) de Michaëla  (et non Manuela, premier succès de Julio Iglesias).

« … Quel est donc ce billet                       
Entre tes seins caché                                  
Michaëla ?                                                  
Et, pâle de fureur,                                     
Antonio le pécheur                                    
LUT  ce mot  
Qui lui brisa le cœur :
« Michaëla la brune,
Ce soir au clair de lune,
Comme par le passé,
Nous irons nous griser
De baisers… »
   (Pages de vie à Fleury-d’Aude / p. 296-297 / Caboujolette / 2008 / François Dedieu)

Ce pigeonnant balconnet que nous ne saurions voir ferait-il venir de coupables pensées aux tartuffes ? Non, non ! Chez l’oncle Noé, comme de bien entendu, c’est la diction très personnelle qui doit attirer l’attention lorsqu’il prononce « LUT ce mot » comme il le ferait pour le luth, l’instrument !
Quant à la chanson, de quand date-t-elle ? Qui sont son ou ses auteurs ? Par qui a-t-elle été créée ? Mystère… Il y a bien quelques demandes, quelques bribes sur les forums mais la piste se perd vite. A long terme, néanmoins, à l’occasion d’une nouvelle tentative, on peut trouver.  
 
Et s’il n’est pas possible d’entendre la chanson, et si l’oncle n’a pas eu l’opportunité de nous dire d’où il la tenait, nous en savons désormais d’autant plus, qu’avec la partition, la mélodie ne tient plus du secret  :

https://www.partitionsdechansons.com/pdf/15911/F.L.-Benech-Leo-Daniderff-Micaella-Mia.html

Micaëlla mia, chanson napolitaine  1910, paroles F.L. Benech / musique Léo Daniderff,

Bonsoir Micaëlla jolie,
Comment, n'es-tu pas endormie ?
- Pour te voir en secret,
Comme maman dormait,
Antonio, ce soir, je suis sortie !
Sur la mer la nuit est plus belle,
Partons tous deux dans ma nacelle »
Et sur le flot berceur,
Antonio le pêcheur
Dit bientôt à l'élue de son cœur :

REFRAIN :
« Micaëlla ma brune,
Ce soir au clair de lune,
Viens avec moi comme aux beaux jours passés,
Te griser
De baisers !
Tu m'as juré, ma mie,
De m'aimer pour la vie,
Moi je t'adore
Bien plus encore
Micaëlla mia !

Mais en la prenant par la taille
Antonio tout à coup tressaille
« Quel est donc ce papier entre tes seins cachés ? »

Compromettant, ce papier ? Alors c’est qu’elle n'a pas d'idée, Micaëlla !
Allons ne gâchons pas le sentimental de la chose, le romantisme tournant à l’aigre, au drame peut-être, parce qu’Antonio, qu’il soit napolitain, calabrais ou corse ou encore de Castille, languedocien voire catalan... a le sang vif, chaud, exotique et méditerranéen… 

Mamé Ernestine avec son grand tablier à escargots, souvent proche d'un oncle Noé treufet e aïssablé ! (moqueur, faisant des niches). Photo François Dedieu.

 PS : à Isa, ma cousine. Sois gentille si tu repiques une ou des photos, de mentionner la source "François Dedieu". Ou si tu veux "JF Dedieu"... je compte sur toi.

mardi 25 septembre 2018

LAISSEN PAS MOURI NOSTRO LENGO... / Fleury d'Aude en Languedoc


"... Es èl lou paraulis sans taco
Que sentis bou lou fé, lou mèl, 
La garrigo, lou vi nouvèl
E l'orgo caudo de la raco..." 

Lou Doublidaïre / Jean CAMP



lundi 24 septembre 2018

VENDANGES D'AVANT GUERRE / Fleury d'Aude en Languedoc

Je tombe sur ce brouillon oublié, sur François Tolza, un auteur inconnu, nimbé de mystères, resté dans les brumes du grand Meaulnes mais qui a su faire passer les battements d'un monde d'avant, pourtant toujours palpitant...  Un souffle à partager, absolument...  



15 août 2017, les vendanges ont bien 15 jours d’avance. A Frontignan on cueille le muscat petit grain. A Limoux où tout se coupe à la main, Blanquette oblige, le chardonnay et le pinot sont rentrés et il faudra attendre pour le chenin et le mauzac... 

A l’image du blé, le raisin a fait l’objet, pratiquement depuis l’antiquité et peut-être jusque dans les années 70, d’une récolte sacrée. Si la mécanisation et plus que tout la chimie avec ses maux en -cide lui ont fait perdre son caractère rituel, une collecte improbable, d’un autre genre (que l’Internet en soit remercié), peut faire revivre la liesse des hommes soucieux du ciel quand la terre daigne offrir en retour le fruit de leurs efforts. 

Une recherche aussi aléatoire que chanceuse nous a donc amenés à ouvrir un numéro de « La Revue du Caire », "Revue de littérature et d'histoire" dans sa huitième année. Les numéros 76 et suivants publient « ADORACION », une œuvre de François Tolza.
http://www.cealex.org/pfe/diffusion/PFEWeb/pfe_002/PFE_002_029_w.pdf 

Est-ce une longue nouvelle ? un petit roman ? une novella ? Comment nommer, en effet, un ouvrage de 152 pages ? Et qu’il est déconcertant de réaliser qu’il a été écrit entre 1941 et 1942 à Alexandrie... Alors que l’Afrikakorps de Rommel menace le Canal de Suez, artère vitale des Britanniques. L’auteur se replonge dans une ambiance qu’il connaît trop bien, celle d’un village du Roussillon, du microcosme de ses habitants aux mœurs peu charitables.
Tous ceux qui aiment le monde de la vigne s’y retrouveront. Sans doute sonderont-ils aussi le mystère d’un auteur apparemment sorti de l’anonymat par ce seul titre  « ADORACION ». 


Qui était François Tolza ? Sur une plume qui gagne à sortir de l’ombre, l’opacité d’un brouillard demeure...


 François TOLZA :
« .../... Depuis huit jours la « colle » (1) du Bagne allait et venait dans les vignes de la Plane. Chaque fois qu'arrivée au bout d'une rangée elle se rabattait pour prendre une rangée nouvelle, cela faisait un mouvement d'éventail qui se ferme et puis s'ouvre. Quarante coupeuses se penchaient vers la terre, brassaient les ceps de leurs bras habillés de sac. Derrière elles, les vignes étaient pareilles à un velours froissé. Les hotteurs venaient par derrière, le corps droit, les doigts appuyés aux bretelles de leur hotte. Ils se penchaient tantôt à gauche, tantôt à droite, recevaient les seaux en arquant les jambes pour se parer du poids, puis, la hotte pleine, sautaient deux ou trois coups, jambes pliées, afin de répartir et de consolider sur leur dos blessé, leur charge. Après quoi ils s'en retournaient, courbés et lents, pareils à des scarabées, une feuille de vigne aux dents pour oublier la douleur de leur dos, jusqu'au chemin vicinal où s'alignaient les comportes. Faustin leur désignait la comporte où ils devaient vider leur charge.../...

.../... C'était un homme fort. Il n'avait pas son pareil pour les coups de main. Il était capable de hisser jusqu'au talon de la charrette une comporte pleine, une main à chaque cornelière. Cela lui arrivait quelquefois lorsqu'il fallait faire vite, que la pluie tombait et que l'on craignait pour le degré ... Sortir une roue d'une ornière était un travail pour lequel,  disait-il, il n'y avait pas de quoi péter. Il faisait tout d'un effort lent et sûr, presque imperceptible. A le voir hisser une comporte, on ne devinait pas le moment de la plus forte tension. Une fois la chose dans  ses mains, on la voyait quitter le sol et lentement monter comme soulevée par une machine. Ce n'était pas à  cause de sa force qu'on l'avait mis à faire des comportes. Il avait un coup d'œil étonnant pour répartir les chargements. Au charretier qui revenait de la cave, de loin,  il criait :  
- Alors ? un peu plus que la dernière...   dans les 1250 ...
Le charretier ne répondait pas,  tendait le ticket rouge de la coopérative. Faustin y  jetait les yeux, souriait. La différence n'allait pas au delà de 20 kilos .../...


.../... Ce jour-là,  le train de midi avait depuis longtemps haleté derrière les collines Les coupeuses dépliaient leur dos, les unes après les  autres,  s'immobilisaient en bavardant,  dans l'attente du déjeuner. Ce n'est pas que « la colle » du Bagne fût plus vaillante que celles d'alentour. Il y avait là beaucoup de jeunesse résolue à  faire des vendanges  joyeuses, sans coups de colliers, avec des  pauses à l'heure.  Les vieilles ne formaient que l'armature, les cadres. Depuis vingt ans la Cagotte était « moussègne» (2) et elle connaissait son métier. Elle amenait tout son monde dans son sillage sans qu'il y eût jamais un grincement. A la pointe de la file, elle allait de son train régulier de femme besogneuse devant une « colle » qui avait souvent le nez en l'air. Mais, lorsque la distance se faisait par trop grande, tout bavardage cessait. Les hotteurs ne faisaient plus de plaisanteries. Les mères aidaient les jeunes qui s'empêtraient dans les feuilles. On n'entendait plus qu'un froissement de plantes, le bruit sec des sécateurs et le glissement des seaux sur les cailloux plats de la vigne.../...

.../... De sa poche, il tira, au bout du lacet de soulier qui lui servait de chaîne, la montre qui virevolta. Irma et la petite d'Angle lui bourrèrent les côtes, abattirent sur la montre leurs mains poissées, vérifièrent l'heure.
~ Voilà que tu ne sais plus voir l'heure mon pauvre Faustin.  C'est-y que tu aurais trop de travail à "quicher" les comportes ? ou bien que le vin du Bagne serait trop clair ?
Elles lui mirent la montre bombée sous les yeux. Elles lui tirèrent les cheveux et les oreilles. Lui riait de bon cœur comme un enfant. Déjà les vieilles promenaient leurs hardes et leurs paniers, à la recherche de l'ombre. Aux comportes, les filles lavaient leurs mains avec des grappillons verts et durs dont le jus acide piquait les yeux. Derrière le hangar de roseaux, sous un arbre que le vent devait peigner durement l'hiver, toutes les branches en fuite vers la mer, la « colle» se rangea en rond. Ils mangeaient en silence, les jambes bien allongées sur le sol, le regard délivré. Faustin coupa une tomate, mit les deux lobes sur une large tranche de pain, arrosa le tout d'huile et de vinaigre, sala, poivra.../...

.../... Ils étaient tous, hommes et femmes, des quatre coins de Sainte-Marie. Les premiers jours ils s'étaient sentis un peu étrangers les uns vis-à-vis des autres.  Ils avaient mesuré leurs paroles,  vérifié les images qu'ils se faisaient de chacun. Puis, très vite, les préférences avaient maçonné des groupes. On les retrouvait le long de la file des coupeuses, rassemblés aux heures de repos. Seules, deux ou trois vieilles vivaient à  l'écart, traînantes au bout de la file, sommeillantes et écrasées aux repas. Pour les autres, dont la sieste n'était pas un besoin,c'était deux heures de conversation et de délassement.../...

.../... Maintenant ils chargeaient. Debout sur le talon de la charrette, Idrou, le charretier, donnait la corde. Faustin l'enroulait deux fois autour de la cornelière, puis,  les deux mains au cul de la comporte, il poussait un ah! qui la jetait, avec fracas, sur le plancher du véhicule. Idrou la faisait louvoyer d 'une ridelle à l'autre sur le plancher gluant de grappes écrasées, l'amenait sur le devant, la calait contre les supports de fer entre lesquels couraient les chaînes. La dernière comporte monta lentement. Faustin la soutenait dans ses mains en corbeille ; puis elle s'encastra, jetée d'un bloc, sur le côté de la charrette. Idrou, d'une chaîne, ceintura la jumelée. Il n'avait pas fini de vérifier tous les crochets, que la jeunesse prenait la charrette d'assaut, logeait ses paniers, installait des brassées de feuilles sur les comportes pleines. Le charretier allait et venait des brancards au talon, passait la main sous la ventrière du limonier. Déjà loin, le vieux cheval des Bagnes amenait d'un pas fatigué, dans la jardinière cahotante, les vieilles et les mères. Un coup de fouet, l'effort brutal et silencieux des muscles attentifs, le claquement des traits sur les brancards, la morsure des roues sur la terre et l'attelage s'arrachait de la vigne. A l'ouest, le soleil était encore haut. Il pouvait être cinq heures. Des quatre coins des Planes, les « colles » affluaient vers les chemins, pressées de gagner, avant le crépuscule, la route nationale, plus sûre, où l'on était certain de trouver du secours en cas de besoin. La journée finie, les femmes enlevaient les foulards de tête, passaient leurs doigts dans leurs cheveux collés, enfouissaient au fond des paniers les tabliers sales et les espadrilles trouées. Lentes de tous leurs dos meurtris, de leurs jambes raides, elles s'en venaient vers le village.  Il faisait un vrai temps de vendanges. Quoique les matins fissent prévoir des après-midi chaudes, il y avait quelque chose dans l'air qui démentait les orages et la canicule. Dès dix heures, la campagne se dorait. Le ciel  prenait un bleu fatigué de début d'automne. A peine si les midis brûlaient aux flancs des pierres et faisaient l'air plus lourd autour des souches. On ne mangeait pas au fort des ombres, mais dans cette zone tiède à  la lisière de l'ombre et du soleil. Au ciel, pas un nuage, mais cette immobilité limpide, purifiée, de tout de qui n'est pas durable. Les soirs se teintaient d'orange, éclaboussant les vignes de verts ternis où les cépages blancs tournaient au jaune pâle.../...

(1) La « colle » désigne l’ensemble du personnel préposé à la récolte d’une propriété.
(2) Pour «moussègne», l’auteur indique « chef de colle ».

Photos autorisées commons wikimedia
1.  Vendanges Maestri,_Michelangelo - Busto_di_Bacco - 1850
2. Vendanges Colle de vendangeurs. Corbières
3. Vendanges Repas de vendanges dans l'Hérault vers 1900.

NOUS LES REFERONS ENSEMBLE, LES VENDANGES… / Fleury d'Aude en Languedoc


Finalement, en relisant ses écrits, j’en sais davantage que lorsque j’habitais au village. Heureux ceux qui tiennent un journal quotidien… Avec le temps, le train-train, la routine cristallisent en témoignages de plus en plus précieux.   

Papé Jean au Mourre, une vigne sur la route des Cabanes, avant de monter dans la garrigue de Bouisset. Photo François Dedieu

Papé et tonton qui finissent de charger au Courtal Cremat, sur la route de Saint-Pierre.
Photo François Dedieu

Lettres de François Dedieu (1922-2017) ; extraits :  

Du 6 oct 1994.  « … Les vendanges sont terminées depuis une quinzaine de jours et se terminent dans le Minervois et dans la région de Carcassonne-Limoux… / … Voilà huit jours, les vendanges battaient encore leur plein dans le Minervois héraultais et nous avons vu d’assez nombreuses « colles », ce qui nous changeait des machines rébarbatives et froides de notre « pays bas »… »

Du 24 sept 1996. « …Depuis ton départ, le temps a pris une allure automnale dès avant l’arrivée de la mauvaise saison, les matins se sont révélés plus frileux (11 ou 12degrés à peine) et la pluie s’est mise de la partie pour contrarier des vendanges qui n’ont plus le charme ni l’ambiance d’antan et font circuler dans nos rues ces monstres modernes que constituent ces énormes machines obligées quand même de s’arrêter si les propriétaires ne voulaient pas ajouter trop d’eau dans les bennes, à cause des secousses imprimées aux ceps. Avec le cers salvateur et un timide soleil retrouvé, les travaux ont repris, même s’ils passent pratiquement inaperçus. La récolte est faible en degré et ne va sans doute pas constituer un fameux millésime… Et les vendanges d’autrefois défilent dans ma tête, avec leurs couleurs et leurs bruits, la théorie des chariots se dirigeant vers les vignes à l’allure de nos anciens chevaux de trait, percherons, bretons, ardennais, voire ariégeois ; leurs travaux pénibles aussi, surtout les premiers jours où il fallait s’habituer à voir les autres libres dès l’arrivée au village alors que les tout petits exploitants que nous étions devaient achever leur journée de labeur à la lueur vacillante de la bougie, les jours devenant plus courts et les comportes devant impérativement être vidées dans les foudres. Avec cela, papé Jean commençait parfois sa longue journée à quatre heures du matin, pour profiter un peu de la pression de l’eau qui permettait de laver les cuves. Et chaque jour il fallait bien étriller Lamy et lui permettre de manger avant le départ. 

Vignes à Bouisset en 2014.

Vigne à Bouisset où la pointe de la Clape domine la plaine de l'Aude. Au fond, le village de Vendres.




18 heures ; Nous sommes allés cet après-midi à Bouisset et avons constaté avec plaisir que quelques « colles » de vendangeurs se trouvaient dans les vignes, bien entendu avec des tracteurs et la hotte, mais sur la droite de la route en allant vers Les Cabanes, un garçon chargeait sa remorque avec des comportes de bois, chose rarissime de nos jours. Malgré le vent, et sans doute grâce à lui, le soleil était de la partie, ce qui ne gâtait rien… »

25 sept 1996. « … Vers huit heures et demie j’ai aperçu mon neveu qui m’a fait un grand signe de la main. Il amenait une benne de raisins à la Coopé. Son beau-frère et associé, lui, s’est démoli le pied en chassant un chien-loup venu attaquer son chien. Il marchait péniblement avec deux béquilles. Je ne sais pas s’il a repris les vendanges… » 

Depuis Bouisset en regardant vers les collines de Nissan-lez-Ensérune (au fond).

Côte de Bouisset, la route passe le seuil de la croix de la Belle, de la Bello, à l'origine de l'Adèlo. Vigne de mon pauvre cousin Jojo, sauf erreur de ma part...  

dimanche 23 septembre 2018

UNE JOURNÉE DE VENDANGES vers 1960 / Fleury d'Aude en Languedoc.

A mon père, resté fils de la vigne, qui chaque année ne manquait pas d'exprimer sa nostalgie des vendanges passées.   

Papa, 2004.

Un fidèle lecteur demande où en sont les vendanges 2018 à Fleury. 
Mais c’est qu’on n’en sait rien ! Et s’il n’y avait l’Internet, ce serait moins que rien.



"... l'ensemble du vignoble audois..." touché "… par le mildiou, mais aussi la grêle, une pluviométrie historique et une canicule qui dure. La récolte audoise devrait s'élever à 3,5 millions d'hectolitres..." (12 millions d’hectos pour le Languedoc soit 20 % de plus que l’année dernière mais en dessous des années 2013-2016).



Rien en liant les noms des villages (Fleury, Salles, Coursan, Cuxac…) à l’entrée « vendanges » ! Ah si ! A Armissan, le dimanche 7 octobre, une foire aux vendanges avec vide-grenier et marché aux puces, que ça ! 
Au détour d’un site une offre d’emploi apparait, pour trois semaines de vendanges dans le Narbonnais, datant de 10 jours. 
A Embres-et-Castemaure, un monsieur de 56 ans, vendangeur de toujours, qui a commencé début août à Fitou, précise qu’il aura trois mois de travail et qu’à présent, même les jeunes n’en veulent pas. 
 

Emblématiques de la vie sinon de la survie, le pain et le vin ont perdu valeur de symbole. Les moissons et les vendanges qui valaient bien une fête une fois à l'abri, ne relèvent plus désormais que des chiffres de l’agro-alimentaire ! Et il faut un natif d’un pays de vignes, déjà d’un âge certain, pour évoquer des vendanges si essentielles dans une ronde des saisons elle-même occultée, presque et passée au second plan sinon niée par un libéralisme au comble de sa logique, mortifère !



Le matin à la vigne. Début des années 60. Le chariot prend place, toujours au même endroit, là où il sera plus pratique de charger les coustals, les comportes pleines (80 kilos en moyenne dites aussi portoires) :



« Le coustal dous cops se balanço al pougnet de l’ome que lanço » 
(La comporte pleine se balance deux fois au poignet de l’homme qui lance[1]) Achille Mir. 

 
Même les amis participent "Petito ajeudo fa gran be" (une petite aide fait grand bien). A gauche le plateau permettant de monter les comportes sur le chariot... fallait pas se manquer ! Photo François Dedieu

Pas si vite ! Avant de commencer, tonton qui a déjà placé le plateau de maçon en plan incliné montant sur le chariot, dispose les semals (comportes vides) dans le passage aménagé tous les quatre rangs. Mamé protège et couvre bien son grand panier à l’ombre d’une grosse souche... les chiens auraient tôt fait de nous flamber le dîner. Peut-être pose-t-elle dessus la bonbonne pour l’eau. Sous une branche, une bouteille emmaillotée, tenue humide se balance au vent pour garder le vin frais. Papé fait le tour du propriétaire, perdu dans des pensées qu'il ne partage guère. 


La journée commence. Le tablier n’est pas de trop pour les coupeuses avec le mouillé. Je ne me souviens plus si au bout de la rangée on s’arrête pour déjeuner ou si c’est sur le pouce… La cole sort au moins un voyage de 16 ou 17 comportes (1280 – 1360 kilos environ), parfois 24. 
 
Mamé a fait griller l'entrecôte. Sur le côté, dans l'herbe, la fameuse brouette ne nécessitant plus qu'un seul charrieur au lieu de deux. Photo François Dedieu

A 11 heures vieilles (le temps au soleil avec deux heures de retard sur notre heure d’été actuelle donc une sur l’heure dite d’hiver qui, avant 1976, avait cours toute l’année), le dîner à la vigne. Papé cherche quelques escargots à griller juste un peu de sel et de poivre sur les bulles de bave verte. Justement si on fait la braise c’est qu’il y a de la viande, ce qui, vu les prix, n’arrive pas souvent... l'omelette, les macaronis sont des plats communs pour manger dehors. 
 
Mamé Ernestine, coiffée de sa caline, papé Jean presque attablé... On se partage l'ombre du tamaris avec une famille de Fleury aussi...  Photo François Dedieu
Ensuite, les adultes piquent un roupillon et les enfants sont priés d’aller jouer plus loin. 


A 13 h solaires le travail reprend. Mamé a porté une bouteille de café sucré coupé d'eau, et une autre d’antésite. Aïe, une guêpe a piqué, cachée sous les feuilles ! Vite le remède miracle de l’oncle Noé : frotter le point venimeux avec trois feuilles différentes. Personne n’a marqué la journée, personne ne s’est taillé avec les sécateurs. Pas besoin d’un papier à cigarette de tonton pour arrêter le sang !  
 Pour l’enfant, même en duo (attention aux doigts), moins docile et convaincu que l’adulte, chaque cep qui courbe la tête rapproche néanmoins du bout tant espéré de la rangée. Là les grands vont aider, soulager des dernières souches. Se relever. Revenir à pas mesurés, s'essayer à la régalade avec la boisson à la réglisse, et puis, la barre de chocolat ou la vache qui rit du goûter coupent bien l’entrain perdu du matin. Traîner un peu avant que les coupeuses ne poussent à la reprise, ne houspillent le manque de détermination. Voir la mer de vignes à peine coupée par la ligne des arbres au bord de la rivière sans pressentir que cette houle de pampres viendra, bien des années plus tard, souvent et à jamais s’accorder avec le flux et le ressac d’un cœur qui bat.

 
Les pneus ont légalement remplacé les grandes roues cerclées de fer. Lami, le cheval va ramener 20 comportes pour le dernier voyage de la journée. Photo François Dedieu

Délivrance. Fin de journée. On rassemble les affaires, le panier, les bouteilles, le grill, le pull laissé ce matin sur un pied. Dernier voyage de comportes vers la cave de papé.

« C’est le moment crépusculaire… »… Avec quelle émotion, Hugo, le grand homme, a su admirablement saisir ce moment ! Le semeur est seulement devenu vigneron et, élargi jusqu’aux étoiles, le retour du chariot va bien vers « … L’ombre, où se mêle une rumeur… », vers le village qui découpe sa tour et son clocher au-dessus des toits rassemblés, la chaleur des siens et de ses semblables qui appelle, avant la nuit...

Les fers du cheval marquent la mesure sur la route « cloc cloc, cloc cloc » comme pour appeler les cloches à répondre. Un clair-obscur déjà mauve commence à monter et le rattrape depuis la plaine.

Oui, Hugo, Millet aussi avec ses tableaux de paysans collés à leur glèbe, « Retour des champs », par exemple, qui nous rapproche du chariot qui rentre, me restent plus proches et poignants que ce productivisme effréné complètement déshumanisé, potentiellement capable de programmer à terme l’extinction de notre espèce... 
 
Jean-François_Millet Le hameau Cousin Musée des Beaux-Arts Reims
Des salops me pourriraient presque le bonheur de ces sensations qui restent... Mais nos racines naturellement paysannes ne vont pas tarder à faire lever un vent de révolte qui les emportera avant l'irrattrapable ! Plus proche, c'est certain, de Hugo et Millet que d'une mondialisation imposée, amorale et aliénante !




[1] Travail à deux pour celles devant rejoindre le deuxième rang et les dernières au bord du plateau du chariot. 

Jean_François_Millet La_Récolte_des_Pommes_de_Terre) Source photographer mAEXeyHzt6O2Gg at Google Cultural Institute, zoom level maximum

PS : à Isa, ma cousine. Sois gentille si tu repiques une ou des photos, de mentionner la source "François Dedieu". Sinon mets "JF Dedieu". Je compte sur toi.