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jeudi 4 janvier 2024

IL Y A DES JOURS COMME ÇA...

Petite chronique superfétatoire : 

Pézenas, porte Faugères, 2015. 

J'étais sur la route de Madison, quand une Cadillac de police est passée sur le pont, j'ai cru voir un chien au regard fou à la place du mort, Eddy Mitchell derrière... Alors, sur l'atlas, comment, par où aller à Memphis (oh ! 1000 km... c'est vrai que c'est un pays continent). Et de Memphis à Pézenas, il n'y a qu'un pas puisque Eddy, Johnny, Sylvie, pour ne citer qu'eux, je les avais en haut du Cours Jean Jaurès, face à la Porte Faugères et les mystères du quartier juif derrière... 

Eddy_Mitchell_avp Salaud on t'aime 2014 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Auteur Georges Biard

1962, je n'avais pas douze ans et le juke-box d'un des deux cafés donnait dehors aux beaux jours. Je ne voulais pas trop fouiller mon passé mais c'est lui qui m'a interpellé « Oh Daniela, la vie n'est qu'un jeu pour toi... » J'en suis resté sonné : comment avais-je pu l'oublier cette chanson ? Ne l'avais-je plus entendue par la suite ? Et elle me revenait, limpide, pas abîmée par les ans... je bois un verre, enfin un demi puisque coupé d'eau. Il y a des jours comme ça où l'esprit regarde de haut l'enveloppe corporelle, en bas, afin qu'on se demande quelle place on prenait, quelle place on prend encore tant que la vie y est. 

Distribution de bouteilles, 11 décembre 2023, Sada Mayotte. 

Alors, malgré l'eau rationnée, je surmonte l'œuf pourri (et cher) du marchand malhonnête, le citron qui manque pour éviter que les pommes du strudel ne noircissent, le jour se doit d'être comme ça, un jour qui cuisine, qui veut donner et recevoir l'amour, un jour qui a réveillé le corps encore allant, laissant l'esprit libre de divaguer même s'il se fait tard pour manger. L'heure espagnole, je bois un verre, enfin un demi puisque coupé d'eau. L'oignon posé cru sur la pizza est agréable, le strudel, lui, peut cuire tranquille. Farine sur le plan de travail, vaisselle qui s'entasse dans l'évier : tant pis, un verre encore, enfin un demi puisque coupé d'eau. Pas d'eau au robinet : ils nous la coupent deux jours sur trois ; une fois par semaine, ils en distribuent, rationnée, en bouteilles (ne peuvent servir tout le monde pour cause de rupture de stock) ; en question, la sécheresse, trop d'immigrés statistiquement invisibles, le sadisme étatique contre une île qui a voulu rester française. Autant rester sur son nuage. En société comme en famille, faut garder au moins les apparences : vaisselle, plan de travail, même le dessus du congélo enfariné... Puis faut manger aussi, que l'alcool ne prenne pas le dessus : le bout du strudel pincé, resserré sinon le sirop de pommes fuiterait. Vapeurs agréables malgré la chaleur moite, mirage d'un bien-être trop bon pour être vrai. Le bout, souvent sec, pourtant moelleux à souhait, parfumé, sans rien de l'œuf pourri aussitôt jeté dans le jardin, sans trancher encore dans les pommes au sucre, aux raisins, à l'amande (dommage pour le citron). L'ordi fermé avec l'empathie de tous, un semblant de chaleur alors que le compteur 2024 va tourner dans quelques heures. Ou alors, tous ces demi-verres qui s'ajoutent... Ouvrir la télé, calmer le jeu, ne plus téter... heureusement que ce rouge d'Espagne est de qualité. Mais pourquoi le vin français ne s'est-il jamais aligné, pas plus il y a trente ans qu'aujourd'hui ? 

En 1994, les 300 bouteilles du conteneur (du Vires dans la Clape... la coopé du village n'ayant pas daigné un moindre geste commercial), m'avaient fait honneur quatre ans durant. Le bourgogne trop fort alors, il y avait bien du Bordeaux mais velléitaire, valétudinaire, manière de ne pas dire cacochyme, tenant six mois à peine alors qu'à table pour l'ordinaire, nous avions du Rioja pas encore au prix de sa grande qualité. Le compteur tourne mais cela n'empêche pas de remonter le temps. Digressions, je brode, il y a des jours comme ça, tous ces verres aussi, même à moitié ! 

Jacob_DESVARIEUX concert de Béziers 2012 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Auteur Geehair

Ouf... la télé, faut souffler, se calmer, zapper afin que rien n'accroche... Jean-Louis Trintignant, sa fille Marie, un Cantat chanteur, meurtrier avant tout (1), Drucker, 81 ans mais qui ne voudrait plus prendre sa retraite. Moi je voudrais une récréation, tout aussi bien un siesto-roupillon bercé par la télé or le présentateur intemporel (il s'est fait tirer la peau non ?) accueille Kassav, enfin, deux membres historiques du groupe antillais des années 80. Ils évoquent Jacob, le guitariste à la voix roque si envoûtante, de santé fragile, mort du covid à 65 ans malgré le vaccin... Et Jocelyne Béroard qui raconte que leur succès les a fait accepter en êtres humains et non plus seulement en tant que Noirs... Comme si un racisme foncier, une différenciation raciale, prévalait sur l'analogie entre tous. Ça interpelle, ça choque, ça donne à réfléchir, à méditer. Il est vrai qu'en partant du principe que tout ce qui se rassemble s'assemble, par déduction, tout ce qui sort de l'homogénéité, la différence, lorsqu'elle est minoritaire, s'en retrouve discriminé... Juifs, Gitans, Noirs, Blancs, Jaunes, Rouges, Métis, Rouquins, Albinos... par contre s'agissant de l'accouplement, le plaisir de la chair se partageant mieux, il n'y aurait pas de problème. Non, loin de moi ces déficients de la perception : à Victor Hugo, au collège de Narbonne, je me souviens d'un élève africain noir. Bien sûr son exotisme a attiré notre curiosité ; mais il ne se livrait pas, éludant nos demandes, nous l'avons laissé à sa réserve... Soixante ans plus tard, je me dis que sa prudence découlait de la méchanceté, du racisme qu'il avait dû subir. Kamara il s'appelait. (à suivre)  

(1) ça m'a dégoûté d'aller lire sur ce mec et tous ceux qui ont quand même écrit encore ou joué pour lui, avec lui... dans cet ordre d'idée, j'ai toujours boycotté L.F. Destouches, je prenais toujours des pincettes avec Giono qui préférait être allemand et vivant que français et mort... sauf que c'est pour avoir connu l'horreur de 14-18 ! et je me prive de relire " L'Île de la Déesse ", un de mes bouquins préférés parce que Georges Blond était collabo... Alors, ceux qui allaient aux concerts de Cantat, ceux qui gardent Destouches, ce salop antisémite, raciste, au pinacle, ne sont pas fréquentables serait-ce par procuration... Quant à Depardieu, attendons ce que la justice peut sanctionner, attendons la suite...  

samedi 10 juin 2023

SÈTE 1. D'ici et là-bas...

D'ICI. La Montagne de Sète.

Depuis sa plage de Pissevaches, il les devine seulement, patchwork en ville, piquées dans la verdure et les raides accès du Saint-Clair, les tuiles rondes, ces autres " toits tranquilles " où reposent au moins deux noms célèbres, Valéry et Brassens. Finalement, Brassens a poussé la modestie à ne pas demander un " cimetière plus marin que le sien ", et la supplique pour la plage de la Corniche n’a valu que pour une chanson... d’autant plus belle, entre nous, pour ne pas en dire plus sur sept minutes magnifiques à donner des frissons... un format hors normes que seuls peuvent se permettre les destins exceptionnels... Et quand l’harmonie des lieux s’en mêle, avec, à jamais, entre Valéry et Brassens, la route de la Corniche, plus en lien magnifié qu’en opposition, contour de la Montagne de Sète...

En demandant pardon à " l’humble troubadour " et au " bon maître " pour cette libre interprétation, nous terminerons, avec le lido qui rejoint Agde : côté mer, la nationale rétrogradée et le trait de côte, la plage rongée par les vagues ; côté étang, les vignes du sable, la voie ferrée et plus au sud, sûrement les campings des vacanciers.

LÀ-BAS. En bas de sa montagne.

Puisque nous avons fait le tour de l’Étang de Thau dans le sens des aiguilles de la pendule, abordons Sète, « Venise du Languedoc », depuis Frontignan, par le port, le réseau de canaux, les gros bateaux dont les mâts et cheminées dépassent le toit des maisons pourtant à étages de la ville nouvelle. 

Escale_à_Sète 2016 wagon-foudre Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Auteur Christian Ferrer

D’abord considérons la patchaque, l’embrouillamini accolé à son nom. Si les grecs la nommaient déjà  « τό Σίτιον όρος », la Montagne de la ville, les Romains « Setius mons » sinon l’occitan « Seto » bien que paronyme,  il a bien fallu toute une cordée d’hurluberlus sur presque deux millénaires pour qu’ après Ceta, Cetia, Cette, et un rapprochement avec le latin cetus, la baleine, et des marins croyant pouvoir assimiler le Mont saint-Clair à la tête renflée du cétacé sinon un cachalot (plutôt que la queue, je suppute), et encore Sette, Sète ne reprenne, en 1928, le nom officiel mais éphémère de 1793.  

Créé à l’origine en liaison avec le Canal du Midi pour exporter les produits de la région, le port était tout indiqué pour faciliter les importations, une fonction qui, à terme, va pleinement associer Frontignan. Formant certainement le seul site favorable à un établissement d’importance après Marseille, sa création sur le Golfe du Lion compta beaucoup pour Louis XIV désireux avant toute chose de se défendre encore contre l’Anglais (voir plus loin).

Dès 1839, une des premières voies ferrées arrive de Montpellier, en 1853 de Toulouse, et en 1857 le lien est fait avec Bordeaux et l’Atlantique, doublement si on considère la mise en service du Canal latéral à la Garonne (1856). Aujourd’hui plus que jamais la desserte du port (rail, route, autoroute, canaux) est un atout premier pour sa santé économique ; les investissements se poursuivent ; l’aménagement continue en gagnant sur la mer, en direction de Frontignan. D’abord le débouché du Canal du Rhône à Sète vers la mer (1988), ensuite une longue digue parallèle à la côte protégeant un vaste plan d’eau (2002) ; la Région gestionnaire compte atteindre 5,8 millions de tonnes à l’horizon 2025.

Le port a été le plus important au monde aux XIXe et XXe siècles pour le commerce du vin, ce qui n’est pas allé sans tiraillements, avec les tonneliers d’abord, dès que le transport en futailles a été remplacé par le transport en cuves, avec les viticulteurs ensuite, à cause de la concurrence déséquilibrée due aux importations de vins d’Algérie, d’Italie et d’allez donc savoir où encore (voir le naufrage à Frontignan du pinardier « Roger-Juliette » qui venait de Gênes)...

Toujours les coups en douce de gros négociants, copains comme cochons, qui plus est, avec les politiques au pouvoir de quelque bord que ce soit. Jean Huillet (né en 1944) de Valros, un des meneurs d’un Comité d’Action Viticole dans les années 80, n’a jamais nié avoir participé à l’abordage, dans le port de Sète, du pinardier Ampelos qui proposait un faux rosato, un mélange interdit de blanc et de rosé... allez donc le retrouver celui-là, qui a dû changer de nom et d’armateur pas net plus d’une fois... En 2013, les douanes allemandes ont alerté  leurs homologues françaises pour, dans le port de Sète, des citernes de vin bulgare artificiellement reconstitué à l’aide de glycérine de synthèse... 

Escale à Sète 2016 Marité_(ship,_1923)_and_other_ships the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Auteur Christian Ferrer



Escale_à_Sète 2022 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Broenberr

Sète pour les voyageurs, premier port à destination du Maroc depuis son terminal des ferrys. Sète, escale pour les croisiéristes. Sète pour « Escale à Sète », l’événement qui tous les deux ans voit un formidable rassemblement international de voiliers. Afin de les voir arriver de loin, parader toutes voiles dehors, les gens gagnent les hauteurs du Mont Saint-Clair pour des photos belles comme des tableaux. 

jeudi 7 avril 2022

LA FIN DU CHÂTEAU. Bouquets bachiques à Salles-d'Aude... .

 Oh ! sur la droite, un toit mis à bas, des poutres, des chevrons, des tuiles enchevêtrées ! Le grillage de chantier lui-même éventré par des mains coupables invite à aller voir. 
Dans quel état d'abandon s'est trouvée cette propriété ? A-t-elle été vendue ainsi délabrée ? Était-ce faute de descendants ? Et que sont devenues les vignes du domaine ? Dispersées ?


    


En s'approchant, nul doute possible, c'est la cave du château... Enfin, c'était, ce qu'il en reste avec une belle charpente ne méritant pas cette fin... Ne l'a-t-on pas aidée à tomber pour un projet d'avenir faisant table rase du passé ? Ce n'est pas sans rappeler, non loin, sur cette même commune de Salles, la déchéance du château de Céleyran, racheté à fin d'intentions économiques fumeuses par Georges Frêche, président de région, un tant soit peu mégalo, du genre pas gêné de se laisser filmer dès le petit-déjeuner par une valetaille aussi obséquieuse que servile... Versailles et Louis-le-Grand... Résultat : laissé sans surveillance, le domaine lié à la famille d'Henri de Toulouse-Lautrec, le peintre, a subi vols, vandalisme, squats... Inutile d'en rajouter et sur la gabegie et sur l'utilisation des deniers publics... 
  
Elle est imposante cette cave, elle va loin par rapport au portail d'entrée, voisin de l'église, par rapport à la cour aux vieux platanes, peut-être une quarantaine de mètres, des milliers d'hectolitres dans sept à huit cuves de béton étalonnées, numérotées... 33, 34 ? La cave comptait-elle ailleurs des foudres et autres vaisseaux vinaires ? 

Je devrais m'en souvenir or je n'ai gardé en mémoire que le sourire avenant du régisseur, peut-être de monsieur Hue, le propriétaire. Dans les années 70, en effet le château de Salles (1) dont il ne restait que les dépendances vendait du vin à la propriété... 

En ce temps là, lors d'un stage de formation de neuf semaines à Bourg-en Bresse, les joyeux stagiaires du Lyonnais, des Dombes, de la Bresse, de Franche-Comté se liguèrent pour me commander du vin. J'avais bien l'attache à la voiture mais pas de remorque : "On va t'en trouver une !" avaient-ils répondu du tac au tac. 
Je ne vous dis pas comme il passait bien, après la partie de pétanque de la pause, le vin si montré du doigt de chez nous, avec les saucisses de "La Mouche", la cancoillotte de Beucler (de l'Isle-sur-le-Doubs, son prénom m'échappe), le Mont-d'Or de Jean-Marie (pour lui c'est le nom qui ne me revient pas) ! Quatre-cents litres en deux fois, des cubis... Il avait même un peu consolé Sylvette, la collègue des Dombes qui s'inquiétait pour son docteur libanais, son fiancé submergé dans la guerre civile (2).

Rubis sur l'ongle ils m'ont payé, tous, sauf le prof de dessin technique... des lunettes, un collier de barbe, bachi-bouzouk (3), comment il s'appelait déjà !? Je ne veux pas pêcher par chauvinisme mais un collègue du Beaujolais qui proposait ses bouteilles n'a guère eu de succès non pour une question de qualité, mais pour le prix, je pense. Comme quoi, les gens du cru aussi benoîts que moi, trouvaient des vins honnêtes, pas encore assemblés au bénéfice exclusif du grand négoce...  
  
(1) Le noyau initial du village était constitué d’un ensemble de maisons jouxtant un château, détruit début 20ème siècle, sur l’emplacement actuel du jardin public et du monument aux morts, le tout autour de l’église. 

(2) la guerre civile va durer au moins jusqu'en 1990. Le conflit a-t-il eu des conséquences pour leur couple ? 
"... Mais la vie sépare ceux qui s'aiment
Tout doucement, sans faire de bruit..." Jacques Prévert, Joseph Kosma, Yves Montand. 

(3) un clin d'œil au capitaine Haddock et surtout pour répondre aux "bouquets bachiques"... Plus sérieusement, les bachi-bouzouks étaient des mercenaires au service des Turcs.    

lundi 4 avril 2022

Chemin d'école (9) vignes & vins, domaines & châteaux.

"... Je pressai d'autant plus le pas qu'au-dessus d'une légère montée, sur le bistre de la sécade, le jaune des fenouils et le vert des pampres, se dessinaient les contours un peu à contre-jour, du gîte où la pelote familiale s'était jadis emmêlée en une perruque inextricable afin de mieux résister au stress de l'exil..." 

C'est la vision avec laquelle je vous ai laissés, l'autre jour, pour clore le 8ème volet. Depuis, si le paragraphe perdu sur mon grand-père reste toujours à écrire, avant l'approche sensible de cette métairie, de cette borio,  quelques mots sur la campagne des Karantes (1), d'un abord plutôt accueillant. 

Les pages qui font la promotion des vins ont quand même le mérite, en présentant et le site et les circonstances, d'élargir le propos, ce qui peut donner le plaisir de grappiller quelques grains de connaissance. 

Ici, grâce au relief relatif de la Clape, les vignes dominent la mer. Façon de parler, puisque, pour prospérer, les vignes ont besoin du fond des combes où l'eau s'est infiltrée amenant avec elle nombre d'éléments nutritifs tirés de la désagrégation chimique du minéral. A propos de sa culture en Languedoc, un raccourci partial citait avant tout les Romains alors que les Grecs les avaient précédés. C'était aussi sans compter, toujours plus loin dans le temps, sur les Phéniciens, thèse adoptée par les auteurs chargés de présenter le château des Karantes, avançant même une date, à savoir vingt-trois siècles avant nous. Et si c'étaient les Étrusques, d'après les résultats des analyses biomoléculaires sur des amphores d'Étrurie, aux abords de Lattes dans l'Hérault ? Fermons la parenthèse.  https://www.larvf.com/,les-etrusques-ont-introduit-la-viticulture-en-france-au-ve-siecle-avant-j-c,2001118,4300502.asp 

 La page internet nous apprend aussi l'origine du nom "Karantes"; on le devrait aux Élisyques, ces tribus ibériques perméables aux brassages réguliers (Ibères, Grecs, Celtes... et tous ceux qui n'ont fait que passer), liés à la civilisation des oppida : oppidum de la Moulinasse à Salles-d'Aude, oppidum d'Ensérune à Nissan pour ne citer que ceux à proximité immédiate. Le terme "karants" en celte se traduit par "ami". 

Un dernier mot sur le vignoble avec l'évocation du Carignan, un cépage ancien me tenant à cœur puisqu'à Fleury il était le roi des coteaux tandis que le plantureux Aramon bedonnait dans la plaine. A l'approche de la Pierre, c'est vrai que de vieilles souches bien chenues, me rappelant trop bien le lien intime entre le village et la vigne au fil des saisons, mon grand-père Jean, mon oncle Jojo, n'avaient pas manqué de m'attendrir. Les renseignements sur le domaine nous disent que ces ceps datent de 1928 ! 

Les vins d'aujourd'hui sont bien sûr, autrement élaborés qu'à l'époque : cela ne peut qu'être lié à l'évolution de sa consommation, le breuvage passant de l'assignation de remontant nutritif au statut de boisson plaisir (vers 1875, la production était deux fois plus importante qu'aujourd'hui !). D'où cette tendance intéressée à nommer les domaines "châteaux" alors que nous disions simplement "campagnes". Sur le chemin d'école de mon grand-père Jean, pour preuve que nos vieilles terres à vignes sont porteuses de qualité, alors que, pour raisons politiques, le vin du Languedoc n'a souvent subi, par le passé, que mépris dans la bouche des politicards, (n'oublions jamais les propos haineux du ministre de l'agriculture Christian Bonnet "Si ceux qui produisent de la bibine doivent crever, qu'ils crèvent !", le 24 décembre 1976, en guise de vœux de Noël !), les nouveaux propriétaires ont investi dans les domaines : des Suisses, des Anglais, des mercantis de la grande distribution et ici, aux Karantes, un copropriétaire Etatsunien.  

On vante la qualité, le terroir, les assemblages, le marchandisage fait l'objet d'un soin particulier. Certes on vend au domaine mais surtout on expédie, on exporte... en Russie notamment... du moins en temps de paix... Ce n'est plus le vin des mineurs, des maçons, des Chtis, des sidérurgistes, des Bretons d'avant au pays de Bonnet Christian... 

Et quand on est d'ici, comment ne pas penser et soutenir les viticulteurs du village ? S'ils sont comme tout le présent, poussés et portés par le temps qui passe et qui a persisté, en moins d'un siècle, par de bonnes ou mauvaises mutations, à chambarder les méthodes quitte à vouloir prendre le dessus sur la loi naturelle, force est de constater qu'il faut rentrer dans le rang. A nous, aussi raisonnables qu'eux pour une culture raisonnée, de les accompagner... Avec les vignes en héritage, ils perpétuent une histoire d'au moins deux millénaires, une histoire qui se poursuivrait même à la marge, s'il fallait se remettre au blé (2). 

Ah qu'il était bon de solder l'été avec les vendanges et les trois litres de vin quotidiens (3) auxquels une journée d'homme donnait droit ! Banale nostalgie d'une jeunesse fringante loin derrière et pourtant seulement d'hier...  

(1) le nom du village de Quarante, pas loin d'en l'Hérault, à côté de Cruzy, viendrait de quarante martyrs. 

(2) En 1952, la vigne de Perrucho, entre les faubourgs et la garrigue de Caboujolette, aujourd'hui avec les tennis et le lotissement, était un grand champ de blé plus haut que moi, et avec des coquelicots, des bleuets... 

"Il n'y a pas de pays en France qui puisse être comparé pour l'abondance de ses récoltes en grains à la fertilité de la plaine de Coursan..." 1788, Balainvilliers "Mémoires d'un intendant du Languedoc" in "Canton de Coursan" Francis Poudou. 

(3) livrés avec la paye, la récolte une fois rentrée.  

vendredi 25 mars 2022

Un "RUSSE" à Pérignan (4)

Charcuterie_en_train_de_sécher wikimedia commons Author Shutter_Lover

"... Même pour manger, il suffit de lever la tête pour voir ces barres de saucisse et de charcuterie sèche. Jambon, boudin, rien ne manque. Si, justement, tout manque, souvent. Le père Pantazi ne badine pas avec les jours de jeûne et d’abstinence. Et lorsque, du mercredi des Cendres au Jour de Pâques, ce sera le Carême si redouté, la période où il est interdit de manger de la viande, de ces salaisons qui se balancent doucement au-dessus de leurs têtes, il ne fera pas cadeau d’une demi-journée : ces QUARANTE jours annuels marqueront Porphyre, autant que le marquera le manque d’habits décents. Cela devient une hantise. La classe n’est plus qu’un lointain souvenir, qui s’auréole à présent du sentiment de regret des choses qui ne sont plus.

Heureusement, maman Pantazi est là, et le garçon puise dans les souvenirs qu’elle raconte à la veillée la force d’espérer. Son père à elle était maquignon, donc bien habillé. Il faut être bien vêtu pour faire des affaires, non ? Et il en faisait. Il accompagnait ses bêtes à pied à travers la forêt. Ses marchés une fois conclus, il revenait par le même chemin. A l’aller, c’était pour avoir de beaux spécimens à la vente ; au retour, pour couper court et épargner les jambes. Il avait alors deux fois plus de force en sentant sous sa belle blouse de paysan bessarabien la bosse sympathique du portefeuille bien garni.

Ah ! oui, bien sûr, ce portefeuille fut la cause de sa fin tragique. Argent, sentier forestier, tout était facilité pour les bandits qui l’avaient traqué et qui le tuèrent froidement.

Cela aussi, il le savait, Porphyre. Qu’importe ! Il fallait essayer d’évoluer, de se moderniser. Et il reprenait courage. Avec sa mère, ils parviendraient tous deux à convaincre le patriarche qui, n’ayant pas lu Tourguéniev, était persuadé que les paysans, parias de la terre, sont faits pour travailler, souffrir et croire en Dieu pour supporter leurs souffrances. Croire en Dieu, oui, il voulait bien, pourvu que s’assouplissent les règles du carême…

 En mil neuf cent six, le malheur devait frapper la famille. Porphyre n’avait plus de maman. Un mal sournois l’avait emporté en quelques semaines. Tout se dérobait sous les pieds du garçon de quinze ans. Dans l’affaire de trois ou quatre mois, son père avait terriblement vieilli. Seul avait redoublé en lui le fanatisme religieux. Il le voyait bien, Porphyre, quand il allait, une fois tous les deux jours, chercher le pétrole et les maigres achats à Kalarach. Pas un kopeck de plus pour l’épicier. Et il suffisait de proposer de passer à l’église pour obtenir sans sourciller le prix de plusieurs cierges à faire brûler dans la sombre chapelle, devant les saintes icônes. Il ne manquait pas d’y passer, moins pour obéir au père que pour retrouver, l’espace de quelques instants, dans la fraîcheur de la voûte, le souvenir de maman. 

Perpetual_help_original_icon XVe s. wikimedia commons Unknown author

Est-ce là que l’idée lui était venue ? Porphyre, à quinze ans, devenait presque le chef de famille. Quelle responsabilité ! Ses sœurs encore insouciantes, son père vieilli avant l’âge mais toujours aussi travailleur, toujours hélas ! aussi ennemi de tout progrès dans l’exploitation. De toute manière, la résolution du garçon était prise : il s’enfuirait un jour prochain du logis paternel. Tantôt l’idée lui semblait normale ; tantôt pourtant l’audace de cet acte lui faisait peur, ses conséquences lui paraissaient néfastes..." 

François Dedieu. 

Prolongements : 

Chisinau, la capitale actuelle, un simple bourg sur la rive sud du Bîc, a été modernisée par les Russes au XIXe siècle : le train pour Odessa permettait d'exporter les produits agricoles. Parallèlement à la déportation de nombreux locaux ailleurs dans l'empire, l'occupant russe a encouragé l'installation de colons. Ainsi la réussite des artisans, commerçants, banquiers, Juifs ou Arméniens tranche avec la survie des paysans. La différence de traitement par l'administration provoque, en 1903, une émeute qui sera réprimée dans le sang par les Cosaques du Danube. Tout comme à Odessa et en maints endroits d'Ukraine, ces mêmes Cosaques massacrent et pillent autant les attaquants que les victimes.

Les 6 et 7 avril 1903, lors de la Pâque orthodoxe et de la Pâque juive, eurent lieu les violents pogroms de Kichinev, provoqués par des calomnies dont l'accusation contre les Juifs de meurtres rituels (environs de Dubasari) et par des appels antisémites parus dans le journal Bessarabetz (« Le bessarabien » en russe), dont le rédacteur était Pavel Krouchevan. 49 personnes furent tuées et 586 blessées, environ 1 500 maisons et magasins pillés et détruits (source wikipedia / Moldavie Histoire). 

Est-ce à propos de ce pogrom que le site Hérodote note : "premier grand pogrom du XXe siècle, à Kichinev, dans la province russe de Moldavie : une soixantaine de juifs ont été assassinés sans motif par la foule. " 

Porphyre n'a alors que 12 ans. Ses souvenirs semblent indiquer que ces violences ne l'ont pas plus marqué que le reste de sa famille au village.  

Ces jours-ci, avec les reportages sur l'Ukraine, ils montrent les colonnes de femmes et de gosses qui passent en Moldavie, deuxième pays après la Pologne pour le nombre de réfugiés. A Palanca, la frontière n'est qu'à une soixantaine de kilomètres d'Odessa où on s'attend à une attaque russe. Le pays craint d'autant plus Poutine que le territoire se retrouve amputé de 20 % suite à la sécession violente des Russes de Transnistrie aidés par une 14e armée russe toujours sur place. Suite à de brefs mais violents affrontements, les Moldaves durent alors abandonner leurs biens pour se réfugier sur la rive sud du Dniestr. 

Cet hôtelier qui, dans son village, a racheté bon nombre de maisons (la Moldavie est une terre d'émigration), accueille des réfugiés ukrainiens. Sa cave contient de belles réserves de bocaux stérilisés... la terre est favorable aux productions agricoles. En parlant des Russes, au bout du pont où plus personne ne se croise, il dit : 

" On était des frères, on est devenus des ennemis." 



Que ce serait beau si ce vieux monsieur de 88 ans, toujours alerte, qui a subi la guerre contre Hitler, buvait son verre de vin à la paix revenue !   

Les photos 3 et 4 sont des captures d'écran de la chaîne Arte. 

PS : pas même un plan de paix hier alors qu'ils étaient 30 pour l'Otan, 7 au G7 et je ne sais combien au machin sur l'Europe. 


lundi 21 février 2022

LE POUMAÏROL (14) du vin, du pain, un peintre d'icones et toujours Ferrat !

Apparemment égrillards mais pour rire, à l'âge où l'autodérision fait envisager la vieillesse avec une certaine philosophie, au prétexte que les filles du Poumaïrol sont fraîches et charmantes (le présent n'est que de narration...), Serge et Roger, copains de longtemps, ont voulu voir ce pays de montagne aussi perdu qu'inconnu. "Heureux comme avec une femme", de découvrir, d'en apprendre davantage, de réfléchir sur un passé riche d'enseignements, ils cultivent une amitié aussi rare que vraie, faite de joies, de plaisanteries, de confidences parfois, quand les bons plats et le verre plein aident à délier les langues. 

Route du Poumaïrol. 

Serge : ...les hêtres sont redevenus taillis, la forêt de sapins a repeuplé les prairies, les genêts et broussailles ont pris la place des navets, des oignons, des haricots. Les filles sont descendues, définitivement, de l'autre côté cette fois, dans les usines du Tarn, travailler les laines, les peaux venues du monde entier. Avec le souvenir des eaux claires du Poumaïrol, à présent celles, indigo, chargées, noires presque, du Thoré pollué. 
Finie, bien finie la chanson coquine pour la Barraquetto :

"Las castagnos et le bi noubel
Fan dansa las fillos et le pandourel."... (1) 

De toute façon le cliquetis acharné des machines à tisser couvre définitivement la voix des filles de la montagne... 

Roger : arrête, tu vas me faire pleurer... "Ma môme, elle joue pas les starlettes, elle met pas des lunettes de soleil..."

Serge : oui, tout à fait ça ! Ferrat toujours ! avec sa môme... "elle travaille en usine..."... à Mazamet pas à Créteil où l'ail de Lautrec ne pousse pas... Mais Ferrat a préféré la montagne à la banlieue...

Roger : hier on chantait son châtaignier... comme quoi, par certains côtés, les Cévennes vont bien de l'Ardèche à l'Aude en passant par l'Hérault et le Tarn tandis que nous pleurons sur notre jeunesse perdue, les filles qui nous ont plu, celles qu'on a aimées... la nostalgie, quoi... L'autre jour j'ai entendu Valls, tu sais, le premier ministre du président ordinaire, prétentieux au point de toujours vouloir paraître, un peu comme Ségolène, ici ou à Barcelone :
"Non ce n'était pas mieux avant !" il le dit sans nuance, je crois que c'est ce qui me heurte le plus. Sinon, évidemment que nous évoluons, d'ailleurs, comment faire autrement ? Sauf que le progrès, si valable par exemple, dans la médecine, ne nous a pas épargné des dégradations, souvent une fin de vie solitaire, la fin d'une vie solidaire, plus saine par bien des aspects même si on ne vivait pas si vieux... Enfin, il faudrait y réfléchir quoique, sans aller plus loin, tu connais quelqu'un qui aujourd'hui sortirait de chez lui sans fermer sa porte à clé ? 

Serge : et Interneiges en hiver, Intervilles en été ? Une impression souriante de l'Europe, pas techno comme maintenant... il y a Arte mais c'est plus académique, moins chaleureux, pas aussi sympa... Oui, tu as raison, c'est dommage de n'avoir pas évalué et gardé ce qui en valait la peine... et puis, cette course au toujours plus, le fric, le fric, le fric avant tout... et pour la planète, après moi le déluge !

Roger : arrête que ça nous gâcherait la balade. Nous y sommes au Poumaïrol ! Dire que j'y suis passé, il y a dix ans peut-être, sans savoir le joli nom et ce qu'était ce pays... "Pourtant que la montagne est belle..."

Serge : encore Ferrat ! magnifique cet homme ! Tu as vu le panneau du village de Sales à deux-cents mètres ? 

Roger :  ... l'école, l'église mais c'était avant... l'école pour les enfants : des kilomètres à pied par tous les temps ! l'église où tout le plateau se retrouvait pour la messe du dimanche, un baptême, les communions, un mariage, un enterrement ! Le poids de la religion, des siècles durant... Ah ! avant d'oublier, tout à l'heure, pour le col de Serières, qui donne vers Les-Verreries, que je te finisse : là-haut se trouve une stèle pour les cinq habitants que les Allemands ont exécutés. 

Les Verreries-de-Moussans, monument aux morts& mémorial de la Résistance Wikimedia commons Author Fagairolles 34

Serge : des maquisards ? 

Roger : oui et non. Suite au débarquement, la guerre s'annonçant mal pour Hitler, après juin 1944, les maquis ont été de plus en plus actifs. Avant celui de la Montagne Noire, à l'ouest de Nore, ici, les paysans qui les ravitaillaient ont été dénoncés par un gendarme de la brigade de Saint-Pons. En plus de ces morts, pense que ces Allemands ont pillé les ressources, saccagé les maisons, tué les bêtes, violé les femmes... 

Serge : les guerres, la guerre... Tiens, vraiment il faudra qu'on revienne, je vois qu'en bas, dans la vallée du Thoré, dans des églises, figurent des fresques de style byzantin d'un nommé Nicolaï Greschny, estonien de naissance... Il a peint en échange d'un lit et du manger... Elle en a chamboulé des destins, la guerre... et tous ces hommes d'un bord ou de l'autre, capables de commettre des atrocités, du meilleur autant que du pire... Un saint homme ce Nicolaï ! Et ce gendarme de Saint-Pons ?

Roger : zigouillé, sauf erreur, après la libération... Mais va voir, j'avais trouvé ces précisions en tapant "maquis de l'Alaric". C'est Signol, figure-toi, qui m'a mis sur la piste. Dans "La Lumière des Collines", la suite des "Vignes de Sainte-Colombe", il l'évoque rapidement.

Serge : c'est pas possible ! On venait pour des filles pimpantes, vaillantes comme des abeilles, piquantes en essaim et seul le silence de la mort nous répond ! 

Roger : oh ne le vois pas comme ça ! il n'y a que des souvenirs vivants qui nous poussent à apprécier la vie... "La vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie..." chante Souchon... et rien n'est noir ! Regarde, on se maintient malgré le covid, on s'enflamme pour une histoire de jolies filles, tu as presque revécu tes amours aux Verreries-de-Moussan ! Et comment ! royalement, dans une Peugeot 203 ! En fouinant, tu découvres un Nicolaï qui a apporté sa passion sur une terre jadis disputée entre protestants et catholiques mais pas fermée à l'orthodoxie byzantine ! Qu'est-ce que tu veux que j'ajoute ? cette terre en partage mais qu'on veut nôtre, l'intégrisme religieux dépassé, le bon vin qu'on s'autorise encore, parce que les raisins, nos vendanges et celles, magnifiques, des paysans du Poumaïrol, qu'ils montaient jusqu'ici, sous les étoiles, la nuit, au rythme lent et balancé des attelages de bœufs... 

Serge : "J'ai deux grands bœufs dans mon étable...
Deux grands bœufs blancs tachés de roux... "

Roger : Arrête, le refrain est choquant... Il me gâcherait ces foudres et pressoirs, certainement encore dans quelque cave ou remise du plateau... J'en ai les larmes aux yeux... C'est trop beau pour être mort ! un vrai conte de Noël ! Formidablement magnifique ! Mieux encore, pour qu'il y ait la vie, avec le vin il faut le pain... j'en perds le fil mais je te garde la merise sur le Poumaïrol...  
"Quand il n'y a plus personne, que le plateau est déserté, du pain pour qui ?" tu peux me le dire... 

Serge : tu m'as claqué le clapet... je ne dis plus rien...  

Roger : ... et il ne nous resterait encore que les yeux pour pleurer ! Sauf que ! détrompe-toi, déjà, vingt ans en arrière, quelque chose comme ça, deux boulangers et peut-être des gens du coin, ont créé l'association du Moulin de Poumaïrol... qui dit moulin dit farine et leur farine biologique, traditionnelle, moulue par des meules de pierre qui, entre parenthèses, pourraient venir de Saint-Julien-des-Meulières... laisse moi imaginer... par contre, ce lien avec le bas-pays, comme pour le vin, correspond au réel ; il me plaît beaucoup... Bref, la bonne farine a eu petit à petit de plus en plus de succès, ce qui a permis de tenir jusqu'aux premières récoltes de blés locaux, bons, équilibrés, oubliés par l'industrie car moins productifs... Attends, je clique pour ces variétés de blés anciens, pour avoir leurs noms plein la bouche ; ils colorent les pains, donnent un goût unique : blé barbu de pyré dit aussi "du Roussillon", la touselle à l'épi sans barbe, "la bladette" de Puylaurens dans le Tarn, le rouge de Bordeaux (2a, 2b, 2c), de ceux qui ont la "force boulangère". Tu peux rouler les "R" ! Enfin, cette belle aventure continue et se développe... "... rien ne vaut la vie...". Tu vois qu'on peut finir cette virée sur une note d'espoir ! Zut je m’écœure à force de sortir des banalités ! A propos, qu'est-ce qu'on mange de bon à midi malgré la bière sans alcool ? 

Serge : non, pas banal du tout, et puis, on se supporte même sans les nanas parce qu'on veut des moments heureux à partager... Cela dit, tu sais qu'ils font du vin sans alcool à présent ? 

Roger : Bèèèèh, rien que d'y penser ! 

Serge : et non, aberit, dégourdit, il reste aussi bon et pas plus cher avec une TVA qui passe de 20 à 5,5 %... Et que les beaux jours du Poumaïrol fleuri reviennent ! 

Roger : tu crois que "le Poumaïrol", c'était un pays de pommes, à neuf-cents mètres d'altitude ? 



   
 


(1) graphie originale de l'auteur de l'article P. Andrieu-Barthe (voir le premier article [je crois] de la série Poumaïrol.  
(2a) plus assimilables par ceux qui craignent le gluten.
(2b) le canton de Peyriac-Minervois est pionnier pour des blés bio semés là où la vigne a été arrachée. Avant le boum de la vigne, la plaine de Coursan était réputée pour ses récoltes de blé.  
(2c) le rouge de Bordeaux aux très grands épis (1,75 m !), riche en béta-carotènes, qui lui aussi avait presque disparu. Avec les autres variétés bio, on ne le retrouve parfois que dans les greniers d'une famille de paysans conservateurs... Des démarches encourageantes mais Monsanto la pieuvre mondialiste et ses "ogénismes" conteste, contre ces tendances, voudrait interdire l'échange de semences entre paysans et amateurs, voudrait breveter, s'accaparer le vivant... La vigilance reste de mise tant pour les corrupteurs que pour les politiques corruptibles !   

Quand on aime la vie, on aime le passé, parce que c'est le présent tel qu'il a survécu dans la mémoire humaine.
Marguerite Yourcenar dans Les yeux ouverts (1980) 

Fin 1930 / Extrait du journal paroissial à Sales du Poumaïrol. 


 

dimanche 24 janvier 2021

FEU & TISANO DE GAVELS / Feu de sarments et vin du Minervois

Serge : Hum, ces huîtres, c'est quelque chose... 

Roger : aphrodisiaques ! 

Serge : fallait me le dire dix ans en arrière ! 

Minerve et sa Tour wikimedia commons Author Commune minerve


Roger : Hé ! n'engoulis pas tout que je monte au Poumaïrol demain ! Et Lacarrière à Minerve, avec tout ça ? En premier lieu, la croisade des Albigeois, les 180 Parfaits qui préférèrent se jeter dans le feu plutôt que d'abjurer ; le site ensuite "... acropole au milieu des gorges...". Et quoi encore ? Que c'est désert en hiver mais pas mort comme La Couvertoirade ou Sainte-Enimie : une trentaine d'habitants encore en 1971, un petit musée, deux cafés ; dans le premier, une vitrine de livres sur l'Histoire, l'Occitanie ; il dit à la dame que c'est bien de proposer les livres à l'endroit dont ils parlent ; du coup, elle va bien vouloir le dépanner, quand son mari arrivera, même si les deux seules chambres disponibles sont occupées par les ouvriers qui travaillent au musée ; il est invité : 

"... je partagerai leur repas, arrosé d'un vin épais, rouge sombre mais délicieux  (que le vigneron vendange et fait lui-même) mon premier vin de vigneron du Minervois..." (1)

Minerve rue des martyrs wikimedia commons Author Commune minerve


Ils lui ouvrent une maisonnette de vendangeurs : 

"... un lit en fer, un évier et une grande cheminée..." 

Il va faire un grand feu et commencer "L'Histoire de l'Occitanie" d'Henri Espieux, acheté au café. 

"... je suis dans un lieu éphémère où pourtant je me sens chez moi.../... plus j'avance en pays d'oc, plus j'y trouve, avec la joie claire des sarments, ce pour quoi on part sur les routes : découvrir, rencontrer des inconnus qui, pour un soir, cessent de l'être..."

Feu de sarments wikimedia commons Author Olivier Colas

   

Serge :  un feu de sarments ne dure pas longtemps, c'est symbolique... et on faisait attention de ne pas provoquer de grandes flammes dans le conduit, des fois que la suie prenne... Les sarments ? il fut un temps où on les ramassait, où on les ramassait tous ou presque. D'ailleurs, après les châtaignes et les olives, les filles du Poumaïrol trouvaient à se faire embaucher pour les gavels et les boufanelos (sarments et fagots de sarments) :

 "... La récolte des olives était redoutée à cause du froid et celle des sarments aussi car le vent glacé de Cers balayait la plaine. Elles attachaient solidement "la caline" sur leur tête et glissaient sur leurs vêtements des blouses de grosse toile. Les voyageurs étrangers qui passaient, remarquaient avec étonnement ces femmes qui paraissaient en chemise, en plein hiver, dans les vignes... "

Roger : et oui, on dit "vestit coumo un poudaïré", habillé comme un tailleur puisque c'est un travail d'hiver à la vigne mais pour les ramasser aussi il fallait être bien couvert non seulement parce que le Cers fait pénétrer le froid mais aussi parce que les bises (les sarments) grafignent jusqu'au sang... 

Serge : on les ramassait, coupés sous bonne lune, sinon attaqués par les quessouns (insectes rongeurs) ils ne tenaient pas. Chaque famille avait sa provision de boufanelos pour les grillades... 

Roger : et quand il n'y avait que la cheminée pour se chauffer et cuisiner, ils prévoyaient même une réserve de petits fagots pour allumer le feu... je ne sais plus le nom...

Serge : puis, quand ils ne les brûlaient pas, ils les ont entassés au bord des vignes, on pouvait encore se servir... L'été, pour les grillades à Saint-Pierre, j'allais à Bouisset (2), à une vigne de Jeannot je crois... Puis ils les ont broyés manière de fumer la terre... Mon pauvre Roger, en racontant ça je me fais l'effet d'un préhistorique !.. Le temps passe vite et la vie nous presse d'aller de l'avant... 

"... Que peu de temps suffit pour changer toutes choses !.." (3)

Sinon il est gentil avec nous ton Lacarrière... Tu me le prêteras ce livre...

Roger : plus il trouve cette hospitalité amicale, dans le Sud, tu veux dire, mais ça ne l'empêche pas de fustiger aussi le racisme lié au vin, les viandards... Ne va pas croire mais c'est un homme bon... tu sais combien j'y suis sensible... il est sincère, ses écrits traduisent bien qui il est... et si je critique c'est aussi pour intégrer et admettre qu'on me critique, ce que j'en dis rejoint ce que je te rappelais tout à l'heure sur Marcel Pagnol... mais tu le liras toi-même...

Serge : On verra, on a à découvrir en marchant... Ne traînons pas et puis mange tes huîtres, macarel ! que tout ce qui te monte à la tête te bouffe la testostérone... 

Roger : tu sais que même de ce point de vue, il nous en apprend Lacarrière... 

Serge : Oh ! c'est vrai ? 

Roger : qu'est-ce que tu veux, il marche, il rencontre des gens, il leur parle et parmi ces gens il y a des femmes pardi... alors... rien n'arrive et tout peut arriver...  

Serge : pas possible ! prête-le moi ce bouquin que j'ai envie de m'instruire !   

(1) et son cassoulet à Octon "arrosé du vin de sa vigne" ? ou alors c'est qu'il situe mieux le Minervois que lors de son arrivée sur les rives du lac de Salagou... 

(2) Bouisset est un tènement de garrigue mité de quelques vignes, en haut de la route en corniche des Cabanes-de-Fleury. 

(3) Tristesse d'Olympio.Victor Hugo.    


dimanche 23 septembre 2018

UNE JOURNÉE DE VENDANGES vers 1960 / Fleury d'Aude en Languedoc.

A mon père, resté fils de la vigne, qui chaque année ne manquait pas d'exprimer sa nostalgie des vendanges passées.   

Papa, 2004.

Un fidèle lecteur demande où en sont les vendanges 2018 à Fleury. 
Mais c’est qu’on n’en sait rien ! Et s’il n’y avait l’Internet, ce serait moins que rien.



"... l'ensemble du vignoble audois..." touché "… par le mildiou, mais aussi la grêle, une pluviométrie historique et une canicule qui dure. La récolte audoise devrait s'élever à 3,5 millions d'hectolitres..." (12 millions d’hectos pour le Languedoc soit 20 % de plus que l’année dernière mais en dessous des années 2013-2016).



Rien en liant les noms des villages (Fleury, Salles, Coursan, Cuxac…) à l’entrée « vendanges » ! Ah si ! A Armissan, le dimanche 7 octobre, une foire aux vendanges avec vide-grenier et marché aux puces, que ça ! 
Au détour d’un site une offre d’emploi apparait, pour trois semaines de vendanges dans le Narbonnais, datant de 10 jours. 
A Embres-et-Castemaure, un monsieur de 56 ans, vendangeur de toujours, qui a commencé début août à Fitou, précise qu’il aura trois mois de travail et qu’à présent, même les jeunes n’en veulent pas. 
 

Emblématiques de la vie sinon de la survie, le pain et le vin ont perdu valeur de symbole. Les moissons et les vendanges qui valaient bien une fête une fois à l'abri, ne relèvent plus désormais que des chiffres de l’agro-alimentaire ! Et il faut un natif d’un pays de vignes, déjà d’un âge certain, pour évoquer des vendanges si essentielles dans une ronde des saisons elle-même occultée, presque et passée au second plan sinon niée par un libéralisme au comble de sa logique, mortifère !



Le matin à la vigne. Début des années 60. Le chariot prend place, toujours au même endroit, là où il sera plus pratique de charger les coustals, les comportes pleines (80 kilos en moyenne dites aussi portoires) :



« Le coustal dous cops se balanço al pougnet de l’ome que lanço » 
(La comporte pleine se balance deux fois au poignet de l’homme qui lance[1]) Achille Mir. 

 
Même les amis participent "Petito ajeudo fa gran be" (une petite aide fait grand bien). A gauche le plateau permettant de monter les comportes sur le chariot... fallait pas se manquer ! Photo François Dedieu

Pas si vite ! Avant de commencer, tonton qui a déjà placé le plateau de maçon en plan incliné montant sur le chariot, dispose les semals (comportes vides) dans le passage aménagé tous les quatre rangs. Mamé protège et couvre bien son grand panier à l’ombre d’une grosse souche... les chiens auraient tôt fait de nous flamber le dîner. Peut-être pose-t-elle dessus la bonbonne pour l’eau. Sous une branche, une bouteille emmaillotée, tenue humide se balance au vent pour garder le vin frais. Papé fait le tour du propriétaire, perdu dans des pensées qu'il ne partage guère. 


La journée commence. Le tablier n’est pas de trop pour les coupeuses avec le mouillé. Je ne me souviens plus si au bout de la rangée on s’arrête pour déjeuner ou si c’est sur le pouce… La cole sort au moins un voyage de 16 ou 17 comportes (1280 – 1360 kilos environ), parfois 24. 
 
Mamé a fait griller l'entrecôte. Sur le côté, dans l'herbe, la fameuse brouette ne nécessitant plus qu'un seul charrieur au lieu de deux. Photo François Dedieu

A 11 heures vieilles (le temps au soleil avec deux heures de retard sur notre heure d’été actuelle donc une sur l’heure dite d’hiver qui, avant 1976, avait cours toute l’année), le dîner à la vigne. Papé cherche quelques escargots à griller juste un peu de sel et de poivre sur les bulles de bave verte. Justement si on fait la braise c’est qu’il y a de la viande, ce qui, vu les prix, n’arrive pas souvent... l'omelette, les macaronis sont des plats communs pour manger dehors. 
 
Mamé Ernestine, coiffée de sa caline, papé Jean presque attablé... On se partage l'ombre du tamaris avec une famille de Fleury aussi...  Photo François Dedieu
Ensuite, les adultes piquent un roupillon et les enfants sont priés d’aller jouer plus loin. 


A 13 h solaires le travail reprend. Mamé a porté une bouteille de café sucré coupé d'eau, et une autre d’antésite. Aïe, une guêpe a piqué, cachée sous les feuilles ! Vite le remède miracle de l’oncle Noé : frotter le point venimeux avec trois feuilles différentes. Personne n’a marqué la journée, personne ne s’est taillé avec les sécateurs. Pas besoin d’un papier à cigarette de tonton pour arrêter le sang !  
 Pour l’enfant, même en duo (attention aux doigts), moins docile et convaincu que l’adulte, chaque cep qui courbe la tête rapproche néanmoins du bout tant espéré de la rangée. Là les grands vont aider, soulager des dernières souches. Se relever. Revenir à pas mesurés, s'essayer à la régalade avec la boisson à la réglisse, et puis, la barre de chocolat ou la vache qui rit du goûter coupent bien l’entrain perdu du matin. Traîner un peu avant que les coupeuses ne poussent à la reprise, ne houspillent le manque de détermination. Voir la mer de vignes à peine coupée par la ligne des arbres au bord de la rivière sans pressentir que cette houle de pampres viendra, bien des années plus tard, souvent et à jamais s’accorder avec le flux et le ressac d’un cœur qui bat.

 
Les pneus ont légalement remplacé les grandes roues cerclées de fer. Lami, le cheval va ramener 20 comportes pour le dernier voyage de la journée. Photo François Dedieu

Délivrance. Fin de journée. On rassemble les affaires, le panier, les bouteilles, le grill, le pull laissé ce matin sur un pied. Dernier voyage de comportes vers la cave de papé.

« C’est le moment crépusculaire… »… Avec quelle émotion, Hugo, le grand homme, a su admirablement saisir ce moment ! Le semeur est seulement devenu vigneron et, élargi jusqu’aux étoiles, le retour du chariot va bien vers « … L’ombre, où se mêle une rumeur… », vers le village qui découpe sa tour et son clocher au-dessus des toits rassemblés, la chaleur des siens et de ses semblables qui appelle, avant la nuit...

Les fers du cheval marquent la mesure sur la route « cloc cloc, cloc cloc » comme pour appeler les cloches à répondre. Un clair-obscur déjà mauve commence à monter et le rattrape depuis la plaine.

Oui, Hugo, Millet aussi avec ses tableaux de paysans collés à leur glèbe, « Retour des champs », par exemple, qui nous rapproche du chariot qui rentre, me restent plus proches et poignants que ce productivisme effréné complètement déshumanisé, potentiellement capable de programmer à terme l’extinction de notre espèce... 
 
Jean-François_Millet Le hameau Cousin Musée des Beaux-Arts Reims
Des salops me pourriraient presque le bonheur de ces sensations qui restent... Mais nos racines naturellement paysannes ne vont pas tarder à faire lever un vent de révolte qui les emportera avant l'irrattrapable ! Plus proche, c'est certain, de Hugo et Millet que d'une mondialisation imposée, amorale et aliénante !




[1] Travail à deux pour celles devant rejoindre le deuxième rang et les dernières au bord du plateau du chariot. 

Jean_François_Millet La_Récolte_des_Pommes_de_Terre) Source photographer mAEXeyHzt6O2Gg at Google Cultural Institute, zoom level maximum

PS : à Isa, ma cousine. Sois gentille si tu repiques une ou des photos, de mentionner la source "François Dedieu". Sinon mets "JF Dedieu". Je compte sur toi.