Affichage des articles dont le libellé est carême. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est carême. Afficher tous les articles

vendredi 25 mars 2022

Un "RUSSE" à Pérignan (4)

Charcuterie_en_train_de_sécher wikimedia commons Author Shutter_Lover

"... Même pour manger, il suffit de lever la tête pour voir ces barres de saucisse et de charcuterie sèche. Jambon, boudin, rien ne manque. Si, justement, tout manque, souvent. Le père Pantazi ne badine pas avec les jours de jeûne et d’abstinence. Et lorsque, du mercredi des Cendres au Jour de Pâques, ce sera le Carême si redouté, la période où il est interdit de manger de la viande, de ces salaisons qui se balancent doucement au-dessus de leurs têtes, il ne fera pas cadeau d’une demi-journée : ces QUARANTE jours annuels marqueront Porphyre, autant que le marquera le manque d’habits décents. Cela devient une hantise. La classe n’est plus qu’un lointain souvenir, qui s’auréole à présent du sentiment de regret des choses qui ne sont plus.

Heureusement, maman Pantazi est là, et le garçon puise dans les souvenirs qu’elle raconte à la veillée la force d’espérer. Son père à elle était maquignon, donc bien habillé. Il faut être bien vêtu pour faire des affaires, non ? Et il en faisait. Il accompagnait ses bêtes à pied à travers la forêt. Ses marchés une fois conclus, il revenait par le même chemin. A l’aller, c’était pour avoir de beaux spécimens à la vente ; au retour, pour couper court et épargner les jambes. Il avait alors deux fois plus de force en sentant sous sa belle blouse de paysan bessarabien la bosse sympathique du portefeuille bien garni.

Ah ! oui, bien sûr, ce portefeuille fut la cause de sa fin tragique. Argent, sentier forestier, tout était facilité pour les bandits qui l’avaient traqué et qui le tuèrent froidement.

Cela aussi, il le savait, Porphyre. Qu’importe ! Il fallait essayer d’évoluer, de se moderniser. Et il reprenait courage. Avec sa mère, ils parviendraient tous deux à convaincre le patriarche qui, n’ayant pas lu Tourguéniev, était persuadé que les paysans, parias de la terre, sont faits pour travailler, souffrir et croire en Dieu pour supporter leurs souffrances. Croire en Dieu, oui, il voulait bien, pourvu que s’assouplissent les règles du carême…

 En mil neuf cent six, le malheur devait frapper la famille. Porphyre n’avait plus de maman. Un mal sournois l’avait emporté en quelques semaines. Tout se dérobait sous les pieds du garçon de quinze ans. Dans l’affaire de trois ou quatre mois, son père avait terriblement vieilli. Seul avait redoublé en lui le fanatisme religieux. Il le voyait bien, Porphyre, quand il allait, une fois tous les deux jours, chercher le pétrole et les maigres achats à Kalarach. Pas un kopeck de plus pour l’épicier. Et il suffisait de proposer de passer à l’église pour obtenir sans sourciller le prix de plusieurs cierges à faire brûler dans la sombre chapelle, devant les saintes icônes. Il ne manquait pas d’y passer, moins pour obéir au père que pour retrouver, l’espace de quelques instants, dans la fraîcheur de la voûte, le souvenir de maman. 

Perpetual_help_original_icon XVe s. wikimedia commons Unknown author

Est-ce là que l’idée lui était venue ? Porphyre, à quinze ans, devenait presque le chef de famille. Quelle responsabilité ! Ses sœurs encore insouciantes, son père vieilli avant l’âge mais toujours aussi travailleur, toujours hélas ! aussi ennemi de tout progrès dans l’exploitation. De toute manière, la résolution du garçon était prise : il s’enfuirait un jour prochain du logis paternel. Tantôt l’idée lui semblait normale ; tantôt pourtant l’audace de cet acte lui faisait peur, ses conséquences lui paraissaient néfastes..." 

François Dedieu. 

Prolongements : 

Chisinau, la capitale actuelle, un simple bourg sur la rive sud du Bîc, a été modernisée par les Russes au XIXe siècle : le train pour Odessa permettait d'exporter les produits agricoles. Parallèlement à la déportation de nombreux locaux ailleurs dans l'empire, l'occupant russe a encouragé l'installation de colons. Ainsi la réussite des artisans, commerçants, banquiers, Juifs ou Arméniens tranche avec la survie des paysans. La différence de traitement par l'administration provoque, en 1903, une émeute qui sera réprimée dans le sang par les Cosaques du Danube. Tout comme à Odessa et en maints endroits d'Ukraine, ces mêmes Cosaques massacrent et pillent autant les attaquants que les victimes.

Les 6 et 7 avril 1903, lors de la Pâque orthodoxe et de la Pâque juive, eurent lieu les violents pogroms de Kichinev, provoqués par des calomnies dont l'accusation contre les Juifs de meurtres rituels (environs de Dubasari) et par des appels antisémites parus dans le journal Bessarabetz (« Le bessarabien » en russe), dont le rédacteur était Pavel Krouchevan. 49 personnes furent tuées et 586 blessées, environ 1 500 maisons et magasins pillés et détruits (source wikipedia / Moldavie Histoire). 

Est-ce à propos de ce pogrom que le site Hérodote note : "premier grand pogrom du XXe siècle, à Kichinev, dans la province russe de Moldavie : une soixantaine de juifs ont été assassinés sans motif par la foule. " 

Porphyre n'a alors que 12 ans. Ses souvenirs semblent indiquer que ces violences ne l'ont pas plus marqué que le reste de sa famille au village.  

Ces jours-ci, avec les reportages sur l'Ukraine, ils montrent les colonnes de femmes et de gosses qui passent en Moldavie, deuxième pays après la Pologne pour le nombre de réfugiés. A Palanca, la frontière n'est qu'à une soixantaine de kilomètres d'Odessa où on s'attend à une attaque russe. Le pays craint d'autant plus Poutine que le territoire se retrouve amputé de 20 % suite à la sécession violente des Russes de Transnistrie aidés par une 14e armée russe toujours sur place. Suite à de brefs mais violents affrontements, les Moldaves durent alors abandonner leurs biens pour se réfugier sur la rive sud du Dniestr. 

Cet hôtelier qui, dans son village, a racheté bon nombre de maisons (la Moldavie est une terre d'émigration), accueille des réfugiés ukrainiens. Sa cave contient de belles réserves de bocaux stérilisés... la terre est favorable aux productions agricoles. En parlant des Russes, au bout du pont où plus personne ne se croise, il dit : 

" On était des frères, on est devenus des ennemis." 



Que ce serait beau si ce vieux monsieur de 88 ans, toujours alerte, qui a subi la guerre contre Hitler, buvait son verre de vin à la paix revenue !   

Les photos 3 et 4 sont des captures d'écran de la chaîne Arte. 

PS : pas même un plan de paix hier alors qu'ils étaient 30 pour l'Otan, 7 au G7 et je ne sais combien au machin sur l'Europe. 


jeudi 2 avril 2020

19 mars mi-Carême / Fleury-d'Aude en Languedoc.

De la mi-Carême à Pâques, ce sont, en gros, une vingtaine de jours sur les quarante du jeûne jadis aussi strict que pressant. Dans les années 50 pourtant, du moins sur notre rivage méditerranéen lié à l'expansion du christianisme, la rigueur s'est relâchée : les privations exaltées ne concernent plus que les plus pieux des fidèles. Fini le doigt divin omnipotent menaçant les brebis galeuses ! 
Au village, grâce au "Russe" de Fleury, comme en écho, nous avons, qui plus est, le témoignage de l'importance de ce jeûne rituel chez les chrétiens orthodoxes. Porphyre Pantazi (1891-1974), d'une famille gréco-roumaine et Moldave de naissance, a raconté comme cette période d'abstinence rituelle l'a marqué, entre un père inflexible et accrochés au plafond, le jambon, les saucisses, les cochonnailles de la tentation (1). 

Photo dans le domaine public de Kucera_Jaroslav_Moldávie,_Coropceni_1979_POP_NIKOLAJ,_ZPĚVÁK_A_ZVONÍK  (Le pope Nicolas, le chantre et le sonneur ?)Wikimedia Commons
Le catéchisme n'en faisant plus cas, c'est à l'école que la mi-Carême se retrouve détournée : avec les jours qui rallongent, l'hiver devra céder la place au renouveau. La Terre nous envoie un messager aussi mystique mais plus manifeste qu'un messie. Le rituel de la Récitation en témoigne.      

Rose du jardinet de Marie, au pied des anciens remparts (25 mars 2020).
"Le carnaval s’en va, les roses vont éclore ;
Sur les flancs des coteaux déjà court le gazon.
Cependant du plaisir la frileuse saison
Sous ses grelots légers rit et voltige encore,
Tandis que, soulevant les voiles de l’aurore,
Le Printemps inquiet paraît à l’horizon.

Du pauvre mois de mars il ne faut pas médire ;
Bien que le laboureur le craigne justement,
L’univers y renaît ; il est vrai que le vent,
La pluie et le soleil s’y disputent l’empire.
Qu’y faire ? Au temps des fleurs, le monde est un enfant ;
C’est sa première larme et son premier sourire."

A la mi-Carême Alfred de Musset. 

Les flocons sont plus pétales de fleurs que plumets de neige. Dans les foyers, crêpes, beignets, bugnes et chez nous oreillettes viennent réjouir le cœur et l'estomac. Du Carême et de la rupture du jeûne ne restent que les ventrées gourmandes ! Oublions les moines replets et pansus qui s'autorisaient la chair de castor au prétexte que la queue couverte d'écailles assimilait l'animal au poisson. Pour le commun des ouailles, même les œufs étaient interdits. 

Or, l’œuf ne tient que vingt jours. Sa conservation a certainement joué sur le calendrier liturgique. Pour Mardi Gras, on cuisine tout ce qui pourrait ne pas tenir vingt jours. A la mi-Carême, le bon sens commande de ne pas faire périr les œufs, ces protéines alors vitales. Et vingt jours plus tard, les œufs aux coquilles décorées marqueront à nouveau la fête de Pâques ! 

25 mars 2020
25 mars 2020.
En cet an de disgrâce 2020, le virus et le confinement passant sur nous, il ne me restait que cette note laconique "19 mars mi-Carême". Et pourtant, même inquiet, le Printemps paraît à l'horizon. Sur les talus, déjà des notes bleues, jaunes, rouges ou rosées, sur les branches des cognassiers (photo du 18 mars), et dans les caniveaux, la bourre fauve des platanes, plus sûrement que les fêtes volantes des Rameaux et de Pâques.       

(1) Caboujolette / Pages de vie à Fleury-d'Aude /chapitre Un "Russe" à Pérignan. François Dedieu 2008.   

25 mars 2020.
18 mars 2020.

mardi 25 décembre 2018

DE NOËL A PÂQUES, DES OLIVIERS AUX AMANDIERS FLEURIS.

La crise sociétale que connait aujourd'hui la France est d'une aigreur qui pourrait gâcher la sérénité des fêtes de fin d'année, à commencer par la candeur liée à Noël. Le titre de cette respiration du moment prouve que non, qu'il faut prendre du recul même sur un mouvement social qui fait date, n'est pas encore abouti et marquera l'Histoire.



Mes grands-parents paternels, chez l'oncle Noé aussi, chaque année on préparait des bocaux d'olives vertes ou noires. Ils enlevaient l'amertume avec de la lessive de soude. Avec le grand gel de février 1956 qui fit mourir les deux tiers des arbres, dans les placards, les réserves se firent plus modestes. Par la suite, la vie moderne aidant, on ne parla plus de ces productions familiales marquant les saisons et qui limitaient si bien les dépenses extérieures : gelées et confitures d'azeroles, de coings, olives, fraises, tomata, conserves de haricots verts, pas plus que de ces petits profits de la garrigue comme les asperges ou des vignes comme les poireaux, les salades sauvages, les prunelles bleu nuit pour la liqueur... 


J'ai huit ans, j'ai neuf ans, je ne sais plus mais la radio passe L'eau Vive de Guy Béart et les mots m'éblouissent d'images en couleurs malgré les griffures sur l'écran du cinéma au village :

"... Lorsque chantent les pipeaux, lorsque danse l'eau vive 
Elle mène mes troupeaux au pays des olives..."

 
Penser aux oliviers m'oblige à évoquer encore les vendangeurs espagnols, plus précisément ceux qui travaillaient en 2013 à Fontcouverte, chez le docteur Lignières. Les hommes : de petits propriétaires terriens des contreforts nord de la Sierra Nevada. Juan explique qu'il ne s'en sort plus avec les olives tombées de 70 centimes, trois ans auparavant à 45 centimes le kilo. Ses 2500 oliviers ne peuvent plus le faire vivre... là-bas aussi, la situation des paysans est pénible. C'est affligeant d'en déduire que dans le système libéral de la mondialisation forcée, ceux qui nous font manger ne peuvent plus en vivre ! 

Les olives en octobre et novembre, c'est la belle saison qui veut bien encore nous offrir ses bienfaits comme elle l'a fait avec les châtaignes, les coings. En avançant vers l'hiver, tels les sarments qui  renvoient vers les racines l'amidon des feuilles passées par tous les tons et finalement détachées, sèches, craquantes mais au rôle essentiel pour la reprise du cycle, l'être se concentre sur ses réserves pour, après les fêtes, attendre, en apnée, que la course du soleil s'allonge... Et dire que cet être était (je parle du temps pas si lointain où la religion étouffait toute velléité d'émancipation), assez masochiste pour remettre ça, dans une dimension mystique et disproportionnée entre les excès, la conduite licencieuse, la débauche même permise pour carnaval avant un carême strict de quarante jours jusqu'à Pâques. 

Une ascèse quelque peu discordante avec l'exubérance fleurie des amandiers. Étonnant comme on passe vite des oliviers aux amandiers à moins que ce soit aussi naturel que de passer de Noël à Pâques.   

 
BONNES FÊTES dans le monde sans oublier ceux qui souffrent...