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samedi 11 octobre 2025

La POÉSIE, ça se triture ?

Toujours dans sa lettre du 1er février 1998, en écho certainement à un petit quelque chose de ma part, papa embraye sur Paul Valéry :   

« Tu parles un peu de Paul Valéry, lui qui disait qu'un “ certain âge ” était pour l'intéressé un “ âge certain ”. je respectais certains côtés de sa pensée et de sa poésie, mais, depuis que j'avais raté sur un extrait de « La jeune Parque », un oral du Certificat d'Etudes Supérieures de Littérature Française (que j'ai quand même décroché), je l'ai regardé avec davantage de circonspection. Il a reconnu que sa poésie était parfois (?) obscure : 

« Je ne veux jamais être obscur, et quand je le suis — je veux dire : quand je le suis pour un lecteur lettré et non superficiel — je le suis par l'impuissance de ne pas l'être » (à Aimé Lafont, 1922). 

La Jeune Parque devait son obscurité à sa richesse, à ses nuances, à « l'accumulation sur un texte poétique d'un travail trop prolongé » (Lagarde et Michard XXe siècle). Voici ce que proposait Marcel Girard (1), mon dernier directeur à l'Institut Ernest Denis de Prague dans son livre « Guide illustré de la littérature moderne (de 1918 à aujourd'hui) » paru chez Seghers en 1949 et « destiné avant tout au grand public qui aime lire, et particulièrement au public étranger » : « Nous recommandons la méthode suivante : apprendre par cœur ces vers, les laisser chanter dans la mémoire : la beauté apparaît d'abord, puis le sens s'éclaire progressivement. Surtout, on lira la prose même de Valéry, une des plus belles du siècle [...] ». Un jour, dans une conférence, il expliquait sa façon de concevoir la poésie — il avait la chaire de poétique au Collège de France — et il disait en gros, je cite de mémoire, « On me reproche d'écrire des vers obscurs, mais je n'ai jamais écrit rien de plus obscur que ces vers de Musset, considérés comme magnifiques : 

« Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, 
Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots. » (La Nuit de Mai) 

A cet instant, un jeune étudiant, révolté par ces propos, et idolâtre de Musset comme on l'est à dix-huit ans, s'est levé courroucé et a voulu prendre la défense du poète. 

— Venez donc ici, dit Valéry ; je vous cède la place avec honneur. 

Mais les explications furent assez lamentables. ce fut alors le maître qui les donna, en expliquant ce qu'était un chant, puis ce qu'est un sanglot, qui ne peut en aucune façon lui être comparé. Et de citer un autre vers, de Victor Hugo celui-là : 

« Cet affreux soleil noir d'où rayonnait la nuit » 

Paul Valéry (1871 - 1945) Domaine public auteur Pierre Choumoff (1872-1936)

Impensable, ajoutait-il, ce négatif est admirable ! » Et il expliquait pourquoi, mais cela m'entraîne trop loin. Tu vois que je ne suis pas comme ce visiteur qui disait sur sa tombe « Les vers se vengent ! » ». 

« Un petit quelque chose » je disais... Ça s'est étoffé depuis avec, du moins, ces articles déjà publiés : 










Finalement, pourquoi se torturer l'esprit avec la poésie, un domaine où justement il vaut mieux se laisser aller au ressenti, au sentiment, s'en tenir au « j'aime » sinon l'inverse ? Laissons les complications à ceux qui voudraient tout expliquer, jusqu'à la complexité de l'esprit. Ne jamais aller trop loin dans les explications de textes, le compliqué relevant souvent d'un principe de régurgitation laborieuse de la part de QI se voulant trop au-dessus... 

Alors oui aux « chants »  qui sont des « sanglots », oui au jeune étudiant exalté... les qualificatifs « idolâtre », « lamentables » dépassaient sûrement les pensées de papa trop partisan de Valéry... et encore oui à l' « affreux soleil noir » magnifique de Victor Hugo. 

Et puis, chez Paul Valéry, j'aime l'essayiste sur la philosophie, l'histoire, le penseur singulier, d'une hauteur de vue toujours pertinente, le poète aussi mais dans ce qu'il nous livre de sensible directement abordable, accessible, sur les quais de Sète par exemple :  

« ...je remonte le long de la chaîne de ma vie, je la trouve attachée par son premier chaînon à quelqu'un de ces anneaux de fer qui sont scellés dans la pierre de nos quais. L'autre bout est dans mon cœur... » 

Valéry Sete_monument_Valery Author Fagairolles 34

Valéry Sete_monument Author Fagairolles 34

et même sur son cimetière marin, quitte à trahir un peu, rien n'interdit de ne retenir que ce qui plaît : 

« Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes ;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée !
Ô récompense après une pensée
Qu’un long regard sur le calme des dieux !...

[...] Et quelle paix semble se concevoir !
Quand sur l’abîme un soleil se repose...

[...] Fermé, sacré, plein d’un feu sans matière,
Fragment terrestre offert à la lumière,
Ce lieu me plaît, dominé de flambeaux,
Composé d’or, de pierre et d’arbres sombres,
Où tant de marbre est tremblant sur tant d’ombres;
La mer fidèle y dort sur mes tombeaux ! ...

[...] Le vent se lève!. . . Il faut tenter de vivre!
L’air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs!
Envolez-vous, pages tout éblouies!
Rompez, vagues ! Rompez d’eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient des focs ! "

Le Cimetière Marin, Paul Valéry (1920). 

Sete_tombe_Valery_(cimetiere_marin)  Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Fagairolles 34

Et n'y avait-on pas droit avec nos instituteurs et les extraits sélectionnés des manuels scolaires ? 

Toucher sans prise de tête comme dirait un vocabulaire plus actuel. La poésie, ça ne se triture pas même si ça se triture...  

(1) papa, tu aurais aimé sûrement savoir que Marcel Girard (1916-2006), Inspecteur Général de l'Éducation Nationale, professeur à Prague entre 1945 et 1951, a aussi été attaché culturel à Moscou, à Pékin... 
Né à Tours, mort à Rochecorbon juste à côté... cet attachement inconditionnel aux racines, au pays, me touche.  

mercredi 9 avril 2025

BALADE à AUDE (3) Interdit aux moins de 70 ans !

ATTENTION ! article INTERDIT aux moins de 70 ans et même aux âmes sensibles d'âge autorisé... 

« ...Sous ses grelots légers rit et voltige encore,
Tandis que, soulevant les voiles de l'aurore,
Le Printemps inquiet paraît à l'horizon... » 

Indigo-zinzolin ? 

Oui, malingre, chétif mais je ne peux le renier, mon premier de l'année, fin mars. En huit jours, c'est une véritable explosion de coquelicots, d'iris  et la bourrache presque en tapis... 

Des vraies ? 


Comme pour contredire le  « Printemps inquiet » d'Alfred de Musset, les fleurs sauvages ou ensauvagées semblent se rire des bourrasques du Cers, ce jour-là, fortes et pressantes pourtant de plus d'une centaine de kilomètres par heure : l'iris rit de devoir rabattre ses jupons indigo- zinzolins, ceux du petit coquelicot ne s'envolent pas non plus. Sinon, pour résister, faudrait-il être en plastique ? du bout des doigts se confirme que non : ces fleurs n'ont pu qu'échapper à un jardin. 

Descendre le chemin vicinal de la plaine, le long, d'abord, de la Cave de la Communauté... un champ, jadis de melons, m'oblige au souvenir de mon pauvre cousin Jacky (1952-2007). Le fossé change vite de nom, prenant celui du dernier affluent du fleuve, au cours si original depuis la cuvette de l'Étang, en principe fermée et que les hommes ont pourtant réussi à assécher en lui faisant passer les collines. 

Merci l'IGN !


Un peu en amont de ce Ruisseau du Bouquet, à Aigos Claros, le grand-père de Jacky, mon grand-oncle Noé (1901-1978) entretenait un jardin fertile grâce à une posaranca, un balancier pour puiser et remonter l'eau de l'arrosage (« chadouf » en “ français ” !). Jacky, Noé et entre les deux, encore d'un commerce des plus plaisants, le père, Norbert (1924-1989), mon parrain. 

Détournez-vous, vous dans la fleur de la jeunesse, d'un propos qui devrait être interdit, disons, aux moins de 70 ans car après, pour ceux qui vieillissent petit à petit, l'idée de la mort se domestique, bien que couplée à celle de la vie en fleur, à l'image d'un printemps enthousiaste, présomptueux... Pour preuve, au grand soleil, le vélo qui file, vent arrière, bien huilé, sans bruit parasite, même avec l'air, la voix de Brassens (1921-1981) en tête, sur une partie du poème de Lamartine (1790-1869) « Pensée(s) des Morts » (le mot se retrouve aussi au pluriel). Brrr, désolé, décrochez aussi, âmes sensibles de plus de 70 ans ! Pour ma défense, Lamartine a alors 40 ans ; dans sa famille c'est une véritable hécatombe, la tuberculose, le choléra ont frappé. Néanmoins, lui même a commenté : 

« Cela fut écrit à la villa Luchesini, dans la campagne de Lucques, pendant l'automne de 1825 […]

J'écrivis les premières strophes de cette harmonie aux sons de la cornemuse d'un pifferaro aveugle, qui faisait danser une noce de paysans de la plus haute montagne sur un rocher aplani pour battre le blé, derrière la chaumière isolée qu'habitait la fiancée ; elle épousait un cordonnier d'un hameau voisin, dont on apercevait le clocher un peu plus bas, derrière une colline de châtaigniers. C'était la plus belle de ces jeunes filles des Alpes du Midi qui eût jamais ravi mes yeux ; je n'ai retrouvé cette beauté accomplie de jeune fille, à la fois idéale et incarnée, qu'une fois dans la race grecque ionienne, sur la côte de Syrie. Elle m'apporta des raisins, des châtaignes et de l'eau glacée, pour ma part de son bonheur ; je remportai, moi, son image. Encore une fois, qu'y avait-il là de triste et de funèbre ? Eh bien ! la pensée des morts sortit de là... » Source « Pensée des Morts »Wikipédia. 

Monsieur de la Palice en conviendrait sans conteste : la vie est bien plus forte que la mort ! (à suivre)


mercredi 10 mars 2021

A LIRE ET RELIRE "Le Vin Bourru" de J.-C. Carrière

 Te comprendre, t’accepter sans condition mais, et c'est contradictoire, parce que tu satisfis à la condition justement, en commettant ce Vin Bourru écrit fortuitement, un peu comme si tu n’avais eu rien d’autre en train alors, pour chercher, tu dis, si cassure il y avait entre l’enfant qui fut et l’homme qui va son chemin. T’aimer puisque tu as décrit ta vie fondue «dans la masse vivante à laquelle j’appartiens». T’aimer parce qu’un livre comme le Vin Bourru, présenté comme anecdotique est d’une force incroyable, il a le don de rapprocher ceux qui peuvent se reconnaître dans cette vie commune, de nous réunir, par-delà la naissance ou la mort... je ne reprends que tes mots...    

En ce moment j’entends ma mère qui n’en finit pas de s’extasier sur la vie exceptionnelle de Romain Gary et justement, a contrario, je pense avec toi «... la description d’une vie n’a d’intérêt que si cette vie est commune, que si d’autres peuvent s’y reconnaître...». Comment ne pas ressentir cette pointe contestable d’irritabilité à cause de «Au nom de tous les miens» de Martin Gray, rescapé de Treblinka et perdant une autre fois sa famille dans l’incendie du Tanneron. J'ai honte mais je ne veux pas compâtir... Est-ce un vieil instinct, aussi antédiluvien et naturel qu'animal qui pousse à abandonner à son sort celui plus vers la mort que la vie ? Je pense à une harde de chevaux sauvages en Australie, abandonnant à son sort celui qui a une patte cassée et qui finalement ne peut plus suivre...  

Ma mauvaise conscience médite Musset "... Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur..." et Balzac aussi : "Notre cœur est un trésor, videz-le d'un coup, vous êtes ruinés. Nous ne pardonnons pas plus à un sentiment de s'être montré tout entier qu'à un homme de ne pas avoir un sou à lui." Honoré de Balzac --Le Père Goriot (1835). Une vie dite exceptionnelle rabaisserait-elle les autres ? Une dernière pour alimenter la réflexion, bien que datant de la discrimination sexiste, tant par l'époque que par la personnalité de Jules Michelet, son auteur : " Chaque homme est une humanité, une histoire universelle."

Revenons au livre qui, sans égard aucun pour ton talent tous azimuts, arrive par hasard parce qu'en te promenant, pour meubler un dimanche peut-être, tu as visité un faux village écomusée. Un livre pour raconter tout ce que tu appris, tant de choses qui ne servirent à rien... mais qui restent si précisément dans ta mémoire... Certes tu ne provoques pas mais de ton ton calme, posé et souriant, tu aimes bien titiller, agacer, déstabiliser... une façon pour toi d'esquiver les flatteurs vains et indigents en retour. Que représente-t-il celui-là, parmi les quelques dizaines de ta main ? Oh plus, beaucoup plus que tu ne veux en laisser paraître ! Et dans ta longue carrière d'écrivain touche à tous les domaines ton Vin Bourru revient sans cesse, en fil conducteur, tant lors de tes entretiens que lorsqu'on veut un aperçu des couvertures de tes ouvrages... 

Puisque j'ose aimer, honorer et pleurer un enfant du Languedoc qui est nous (une démarche pouvant toutefois ouvrir sur les autres nombreuses facettes de ta personne), relisons-le ensemble ton Vin Bourru !  

 



jeudi 2 avril 2020

19 mars mi-Carême / Fleury-d'Aude en Languedoc.

De la mi-Carême à Pâques, ce sont, en gros, une vingtaine de jours sur les quarante du jeûne jadis aussi strict que pressant. Dans les années 50 pourtant, du moins sur notre rivage méditerranéen lié à l'expansion du christianisme, la rigueur s'est relâchée : les privations exaltées ne concernent plus que les plus pieux des fidèles. Fini le doigt divin omnipotent menaçant les brebis galeuses ! 
Au village, grâce au "Russe" de Fleury, comme en écho, nous avons, qui plus est, le témoignage de l'importance de ce jeûne rituel chez les chrétiens orthodoxes. Porphyre Pantazi (1891-1974), d'une famille gréco-roumaine et Moldave de naissance, a raconté comme cette période d'abstinence rituelle l'a marqué, entre un père inflexible et accrochés au plafond, le jambon, les saucisses, les cochonnailles de la tentation (1). 

Photo dans le domaine public de Kucera_Jaroslav_Moldávie,_Coropceni_1979_POP_NIKOLAJ,_ZPĚVÁK_A_ZVONÍK  (Le pope Nicolas, le chantre et le sonneur ?)Wikimedia Commons
Le catéchisme n'en faisant plus cas, c'est à l'école que la mi-Carême se retrouve détournée : avec les jours qui rallongent, l'hiver devra céder la place au renouveau. La Terre nous envoie un messager aussi mystique mais plus manifeste qu'un messie. Le rituel de la Récitation en témoigne.      

Rose du jardinet de Marie, au pied des anciens remparts (25 mars 2020).
"Le carnaval s’en va, les roses vont éclore ;
Sur les flancs des coteaux déjà court le gazon.
Cependant du plaisir la frileuse saison
Sous ses grelots légers rit et voltige encore,
Tandis que, soulevant les voiles de l’aurore,
Le Printemps inquiet paraît à l’horizon.

Du pauvre mois de mars il ne faut pas médire ;
Bien que le laboureur le craigne justement,
L’univers y renaît ; il est vrai que le vent,
La pluie et le soleil s’y disputent l’empire.
Qu’y faire ? Au temps des fleurs, le monde est un enfant ;
C’est sa première larme et son premier sourire."

A la mi-Carême Alfred de Musset. 

Les flocons sont plus pétales de fleurs que plumets de neige. Dans les foyers, crêpes, beignets, bugnes et chez nous oreillettes viennent réjouir le cœur et l'estomac. Du Carême et de la rupture du jeûne ne restent que les ventrées gourmandes ! Oublions les moines replets et pansus qui s'autorisaient la chair de castor au prétexte que la queue couverte d'écailles assimilait l'animal au poisson. Pour le commun des ouailles, même les œufs étaient interdits. 

Or, l’œuf ne tient que vingt jours. Sa conservation a certainement joué sur le calendrier liturgique. Pour Mardi Gras, on cuisine tout ce qui pourrait ne pas tenir vingt jours. A la mi-Carême, le bon sens commande de ne pas faire périr les œufs, ces protéines alors vitales. Et vingt jours plus tard, les œufs aux coquilles décorées marqueront à nouveau la fête de Pâques ! 

25 mars 2020
25 mars 2020.
En cet an de disgrâce 2020, le virus et le confinement passant sur nous, il ne me restait que cette note laconique "19 mars mi-Carême". Et pourtant, même inquiet, le Printemps paraît à l'horizon. Sur les talus, déjà des notes bleues, jaunes, rouges ou rosées, sur les branches des cognassiers (photo du 18 mars), et dans les caniveaux, la bourre fauve des platanes, plus sûrement que les fêtes volantes des Rameaux et de Pâques.       

(1) Caboujolette / Pages de vie à Fleury-d'Aude /chapitre Un "Russe" à Pérignan. François Dedieu 2008.   

25 mars 2020.
18 mars 2020.