mardi 29 mars 2022

"Tiens, voilà du boudin..." Un "RUSSE" à Pérignan (7)

"... Joie du retour, certes, mais quelle vie ! La guerre est passée par là. C’est maintenant la guerre civile qui commence : une misère noire s’installe dans le pays. Quel malheur ! Plus question de manger à sa faim, de demander du travail quelque part. Il faut s’ingénier à subsister dans un climat de haines, de vengeances personnelles perpétuelles, d’instabilité complète. Tristes jours ! Sombre époque ! Et on se plaignait avant !! Cependant, la guerre, cette tuerie interminable, continue toujours. Septembre 1918 : offensive de Franchet d’Esperey en Macédoine, et armistice, le 29, avec la Bulgarie. Les troupes françaises sont à Odessa, cette belle ville modernisée par un Français, le duc de Richelieu (non, pas le Cardinal, « l’autre »…) 

Odessa_downtown Palais de Justice and Pantelimon Church, Odessa, Russia, (i.e., Ukraine) unknown author

Et Porphyre lui aussi est à Odessa, à la recherche d’un travail qui se dérobe, acceptant quelques petites tâches à droite et à gauche pour ne pas mourir de faim. Car on en est arrivé là. Quant aux habits, mieux vaut n’en point parler. 

France_-_Foreign_Legions 1917 - 1918  Author unknown or not provided

Pourtant, certains sont bien habillés, sanglés dans leurs uniformes rutilants, coiffés d’un képi blanc : des Français, dit-on. C’est la Légion ! Eux au moins sont bien nourris. Si la guerre a provoqué beaucoup de morts, eux profitent à présent de la vie. Porphyre va rôder près de leur caserne. Tiens, une affiche écrite en russe : on demande des engagements de jeunes Russes. Ce serait la vie assurée, le gîte et le couvert, l’argent peut-être, l’habit sûrement. Prestige de l’uniforme… Il en parle à des copains. Et si on se renseignait plus amplement ? Les renseignements arrivent : il faut « en prendre » pour cinq ans. Après sept années d’armée !... Mais cette misère, à côté de ce bien-être… La tentation est trop forte. Il n’est pas le seul, oh ! non, ce jour-là ils seront trois cents. Et Porphyre va signer. Deux ou trois jours plus tard, c’eût été impossible : les mères russes ont organisé une pétition pour arrêter cette hémorragie, et la demande vient d’aboutir ; les enrôlements sont suspendus sine die.

Mais Porphyre, lui, a franchi le pas. Le lundi, il se présente à la caserne. Nous sommes le 30 mars 1919 à Odessa. Il a signé. Le sort en est jeté.

Partir encore. 

Son numéro d’incorporation : 44 795. Le voici donc au premier régiment étranger, dans la Légion Etrangère A ceux qui, comme lui, offrent ainsi leurs services à la France, celle-ci ne demande (il l’apprend tout de suite) aucun état civil officiel. Ils peuvent prendre un autre nom. Vous voyez « Pantazi » devenir « Müller » ou « Dupont » ? Et « Porphyre » se changer en « André » ou « Paul » ? Non, l’idée ne l’a même pas effleuré, lorsque le sous-officier qui recueillait les engagements lui a lu, dans un mauvais russe, cette clause inattendue. Il n’a rien à cacher : il garde son nom, son vrai nom. Pour en changer, il doit falloir une raison bien forte.

Le lendemain dans son nouvel uniforme de légionnaire, rassemblement dans la cour. Hier soir, le repas a été bon. Pensez, un morceau de viande ! Voilà bien longtemps qu’il n’avait eu l’occasion de s’en mettre sous la dent. Ce matin, le « jus ». C’était plutôt du café noir, avec un morceau de pain et même une espèce de confiture. Presque le Pérou par les temps qui courent.

Mais il écoute, au garde-à-vous, ce que leur lit, leur crie presque un sergent. Tiens, lui n’a pas du tout d’accent, il est à l’aise dans son russe. « La France vient de vous donner la possibilité d’une vie nouvelle, à condition de respecter le contrat qui désormais vous lie à votre nouveau drapeau, dont la devise est « Honneur et Fidélité ». Les couleurs de la Légion sont le vert et le rouge, et son insigne est la grenade à sept branches. Vous apprendrez à aimer votre nouvelle vie et votre nouveau régiment, qui deviendra pour vous une seconde famille. Tenez-vous prêts pour ce soir seize heures. A dix-sept heures, nous embarquons pour un petit voyage. Rompez les rangs ! »... "

François Dedieu. Caboujolette / Pages de vie à Fleury II / 

Prolongements : 

Du boudin ? comme à la maison, les charcuteries hors de portée, pendues au plafond ? "Tire lui la queue il pondra des oeufs... combien en veux-tu ?" Entre nous, on la chantait cette comptine que je croyais "contine" parce que non sans rapport avec les contes sauf que là c'était pour compter, se familiariser avec les chiffres. 

"Tiens, voilà du boudin..." c'est la chanson des légionnaires et, adieu le petit cochon, le boudin est la couverture enroulée qui fait partie du barda, portée en bandoulière. 

Quant au non moins fameux képi blanc, il n'a fait son apparition officielle lors de la commémoration de Cameron, que le 30 avril 1931. A Odessa c'est le képi rouge (ou bleu ?) que Porphyre a vu sur la tête des permissionnaires en goguette.   

1988 in Odessa Author Bärbel Miemetz




lundi 28 mars 2022

La BALALAIKA de Porphyre (6) Un "Russe" à Pérignan

En ouverture de chacun des chapitres, nous étions convenus d'inviter quelques rimes de chansons, chansons témoins de l'époque, de la saison, de l'épisode exposés...  

«  … Vent de ma plaine,
Va-t'en dire aux autres plaines,
Que le soleil et les étés reviennent
Pour tous ceux qui savent espérer… »

Plaine, ma plaine. Chant traditionnel russe.


Peinture de Guryev Ivan Petrovitch (1875-1943)

"... Non, c’est autrement qu’on a remarqué le simple soldat PANTAZI Porfiri. Un jour, le capitaine le fait appeler. « Tu feras le peloton, Pantazi. Si tout va bien, comme je le crois, tu seras caporal, sergent peut-être. Tu peux disposer. » Est-ce bien le même homme qui, sous ses yeux, vient de frapper si sauvagement d’un coup de pied au ventre un autre soldat que cette douloureuse image mettra longtemps, longtemps à s’estomper ? « Quelle chance, se dit Porphyre, je suis donc du bon côté ».Il y sera encore quand il pourra, lui qui sait à peine écrire, qui n’a jamais appris la moindre note de musique, faire partie de l’orchestre de balalaïkas. Cette espèce de guitare triangulaire lui avait plu d’emblée, et il chantait lui aussi, avec les autres, les soirs de permission, dans les estaminets à bon marché où des serveuses accortes leur apportaient kvas, casse-croûte et tord-boyau.

C’était à plusieurs voix, les filles se mêlaient au chœur, et ceux qui touchaient de la balalaïka comme celui qui jouait de l’accordéon, tous redoublaient de courage.

Un jour, un copain lui apprend à pincer les trois cordes. « Tu as de l’oreille, Porphyre, tu réussiras ». Et le voilà embauché dans le petit orchestre officiel du régiment, d’abord comme remplaçant, puis peu à peu à part entière. Être « dans la musique », c’est une bonne planque dans tous les régiments de toutes les armées du monde.

Ainsi passent les mois, les années : le service est bien long dans l’armée tsariste. Qu’à cela ne tienne. Maintenant il peut voir venir, il pourra arriver au bout. Encore quelques mois, et ce sera la « quille », le retour sans regret, sans doute, à la vie civile. Encore quelques mois… et c’est la guerre, celle que les manuels d’histoire appelleront « La Grande Guerre ».

Après l’attentat de Sarajevo, l’Allemagne entre en conflit avec la Russie le 1er août, avec la France le surlendemain. C’est le tour de l’Autriche le six août. Il faut vite traverser, à pied, l’immense pays jusqu’au front du nord-ouest. Marches forcées bien pénibles. Adieu la musique, plus d’accordéon, plus de balalaïkas. Les Russes passent à l’offensive en Prusse orientale. Hélas ! ils seront arrêtés à Tannenberg dès le 26 août 1914. Porphyre va arriver avec son régiment… pour le repli, qui se continuera en 1915 sur Riga, avant que cette ville elle-même soit prise le 3 septembre 1917. Trois mois plus tard, le 15 décembre, ce sera l’armistice russo-allemand de Brest-Litovsk. La grande révolution d’octobre a eu lieu, elle a réussi. Alors que la guerre continue en France, en Italie, dans les Balkans, les troupes tsaristes, après avoir vu leurs officiers disparaître pour être remplacés par de nouveaux venus acquis au régime communiste, sont peu à peu démobilisées. Porphyre retourne à Odessa. Il y est libéré et retrouve enfin Touzora. Son vieux père, ses sœurs, ses cousins et cousines accueillent à bras ouverts celui qui était soldat depuis près de sept ans..." 

François Dedieu. Caboujolette 2008. 

"... Un jour Lara, quand tournera le vent, 
Un jour Lara, ce sera comme avant..." 
La Chanson de Lara / Les Compagnons de la chanson. 

Robert Guenine (1884 - 1941) Mann_mit_Balalaika wikimedia commons domaine public source photo artnet


dimanche 27 mars 2022

Porphyre Pantazi, le "RUSSE" de Pérignan (5).

 Cet épisode doit se situer entre 1909 et 1911, peut-être 1912. Depuis longtemps, Porphyre Pantazi veut laisser derrière lui une vie de paysan qui ne lui ouvre pas un avenir enthousiaste. A l'amour de la terre, il préfère les lumières de la ville. 

"... Comment papa réagira-t-il ? Ne serait-ce pas sa mort, à lui aussi ? Et les petites toutes seules, si jeunes dans la pauvre maison !..

Partir.

 Longtemps il avait hésité, remis sa décision irrévocable à plus tard. Et, un jour, une lumière se fait, qui unit l’irréconciliable. PARTIR, oui, mais partir … pour se réfugier dans un couvent ! Quand papa l’apprendra, il fulminera contre son rien-qui-vaille de fils, il pensera aller à la police ; il le fera rechercher, fouetter peut-être. Et voilà : il est chez des religieux. Alors, sa colère tombera. La réconciliation viendra ensuite. Le nœud gordien est tranché. Reste à faire le pas décisif.

 Quand il va sur ses dix-huit ans, Porphyre le franchit. A Kalarach, il s’est renseigné sur les bons frères qui ont un couvent à Kichinev. D’ailleurs, il en existe en quantité. Si les premiers refusent, on verra chez d’autres. Pensez : une ville de plus de cent vingt mille habitants, cent cinquante mille peut-être. Maman en parlait souvent, de Kichinev. Elle disait d’ailleurs ChiSinau – elle était Roumaine, tiens ! 

Chisinau marchand d'ail vers 1900. Wikimedia commons Auteur inconnu. 

C’est dit : il part un beau matin – tous les matins sont beaux quand on veut partir –, passe par StraSeny et arrive le lendemain dans la capitale de la Bessarabie. Les renseignements sont bons. Porphyre s’adresse au meilleur couvent (il se dit que c’est le meilleur). Victoire ! On le gardera. Il travaillera les vignes de la communauté et sera nourri en échange. Vite une carte à papa Pantazi pour le rassurer sur le sort de son énergumène de fils. 

Chisinau marchand de bière artisanale vers 1900. Wikimedia commons. Auteur inconnu. 

Quelque temps plus tard, l’adolescent aura une place en ville, chez un libraire. Il sera toujours hébergé au couvent, moyennant un écot raisonnable. Et le rêve commence à se réaliser : il a déjà acheté une belle chemise, des chaussures, un mois plus tard un veston, puis un pantalon. Quelle joie de toucher ce tissu qui embaume ! Enfin bien habillé ! Ce n’est pas du luxe, tout de même ; et il gagne son argent, non ? Alors ? Si maman le voyait, comme elle serait fière de son fils ! Elle le comprendrait mieux que son père. Et pourtant, papa a bien fini par pardonner. 

1915 élément d'une affiche de propagande russe. Wikimedia commons. Author unknown. 

Mais un bon citoyen doit faire son service militaire. La carte lui arrive un jour, après un détour par Touzora. Et le voici embrigadé dans l’armée russe, celle du tsar de toutes les Russies. L’apprentissage lui est pénible, mais il a appris au couvent à se plier à la discipline. Il apprend maintenant à se taire, même s’il a raison. Vertu du silence, vertu surtout de la bonne conduite : on remarque ce soldat de Bessarabie toujours propre dans son pauvre uniforme, à la tenue impeccable, à la conduite exemplaire. Jamais un rapport quelconque sur lui. A peine touche-t-il à la vodka, même si les copains en boivent beaucoup. Certains ont de l’argent, ils achètent la célèbre eau-de-vie de grain. Tous les prétextes leur sont bons pour rentrer ivres. Un jour il a bien failli l’être. Il s’est arrêté à temps, a pris avec sa fourchette un morceau supplémentaire de viande en conserve pour calmer le feu de l’alcool. Jamais il n’avait vu boire ainsi. On se met à trois ou quatre devant une ou deux boîtes de conserve de viande, un verre ordinaire pour la vodka (la dose « normale » est de cent grammes !) et une chope, si possible, pour l’eau ordinaire. « Kouchat’ ! » (manger !) puis le soldat ingurgite sa vodka… et éteint le feu avec de l’eau, et en mangeant à nouveau. Alors, bien sûr, à ce régime, il faut souvent ramener un copain qui demande encore désespérément à boire, avec cette insistance qu’y mettent les ivrognes..." 

Apples_for_Sale,_Chișinău wikimedia commons Author Tony Bowden de Tallinn Estonie

Prolongements : 

Ce fut presque instinctif de repenser à la vie de Porphyre Pantazi à cause de la guerre en Ukraine. A nous de réfléchir aux parallèles possibles, le premier étant que cette guerre nous replonge plus de quatre-vingt-ans en arrière et qu'en cela Poutine nous rappelle Hitler... Un coup dur pour l'Europe ! 

En mer Noire : 

* une mine de 30 kilos a été retrouvée dans le Bosphore, elle a mis 20 jours pour traverser... A quand celles de 120 kilos ? (info Habertürk du 26 mars 2022 passée sur fb [teşekkür, merci BMG). 

* le Royaume-Uni s'inquiète de la présence de sous-marins russes avec charges nucléaires dans l'Atlantique Nord... Nous a-t-on fait savoir que le 21 juin 2021, le destroyer HMS Defender était à Odessa pour finaliser le projet de base navale et la vente de navires lance-missiles ? Non bien qu'il n'y ait rien à redire sinon moralement... Par contre, la Royal Navy n'a-elle-pas ordonné au HMS Defender, cap sur la Géorgie, de pénétrer les eaux territoriales russes, ce que fit le destroyer ? 

Mer_Noire_partage (2015) wikimedia commons Auteur Claude Zygiel (travail personnel).

* Sans le trompeter sur les toits, la municipalité de Fleury a pris sa part de solidarité dans le drame ukrainien : 

"... C'est à la fois bouleversés et heureux, que nous revenons en France demain, avec la possibilité d'offrir une parenthèse de paix a une cinquantaine de femmes et d’enfants qui ont choisi de rentrer avec nous.../... Les dons alimentaires ont été déposés en grande quantité à Lublin et sont déjà partis pour l’Ukraine..." André-Luc Montagnier, maire.

vendredi 25 mars 2022

Un "RUSSE" à Pérignan (4)

Charcuterie_en_train_de_sécher wikimedia commons Author Shutter_Lover

"... Même pour manger, il suffit de lever la tête pour voir ces barres de saucisse et de charcuterie sèche. Jambon, boudin, rien ne manque. Si, justement, tout manque, souvent. Le père Pantazi ne badine pas avec les jours de jeûne et d’abstinence. Et lorsque, du mercredi des Cendres au Jour de Pâques, ce sera le Carême si redouté, la période où il est interdit de manger de la viande, de ces salaisons qui se balancent doucement au-dessus de leurs têtes, il ne fera pas cadeau d’une demi-journée : ces QUARANTE jours annuels marqueront Porphyre, autant que le marquera le manque d’habits décents. Cela devient une hantise. La classe n’est plus qu’un lointain souvenir, qui s’auréole à présent du sentiment de regret des choses qui ne sont plus.

Heureusement, maman Pantazi est là, et le garçon puise dans les souvenirs qu’elle raconte à la veillée la force d’espérer. Son père à elle était maquignon, donc bien habillé. Il faut être bien vêtu pour faire des affaires, non ? Et il en faisait. Il accompagnait ses bêtes à pied à travers la forêt. Ses marchés une fois conclus, il revenait par le même chemin. A l’aller, c’était pour avoir de beaux spécimens à la vente ; au retour, pour couper court et épargner les jambes. Il avait alors deux fois plus de force en sentant sous sa belle blouse de paysan bessarabien la bosse sympathique du portefeuille bien garni.

Ah ! oui, bien sûr, ce portefeuille fut la cause de sa fin tragique. Argent, sentier forestier, tout était facilité pour les bandits qui l’avaient traqué et qui le tuèrent froidement.

Cela aussi, il le savait, Porphyre. Qu’importe ! Il fallait essayer d’évoluer, de se moderniser. Et il reprenait courage. Avec sa mère, ils parviendraient tous deux à convaincre le patriarche qui, n’ayant pas lu Tourguéniev, était persuadé que les paysans, parias de la terre, sont faits pour travailler, souffrir et croire en Dieu pour supporter leurs souffrances. Croire en Dieu, oui, il voulait bien, pourvu que s’assouplissent les règles du carême…

 En mil neuf cent six, le malheur devait frapper la famille. Porphyre n’avait plus de maman. Un mal sournois l’avait emporté en quelques semaines. Tout se dérobait sous les pieds du garçon de quinze ans. Dans l’affaire de trois ou quatre mois, son père avait terriblement vieilli. Seul avait redoublé en lui le fanatisme religieux. Il le voyait bien, Porphyre, quand il allait, une fois tous les deux jours, chercher le pétrole et les maigres achats à Kalarach. Pas un kopeck de plus pour l’épicier. Et il suffisait de proposer de passer à l’église pour obtenir sans sourciller le prix de plusieurs cierges à faire brûler dans la sombre chapelle, devant les saintes icônes. Il ne manquait pas d’y passer, moins pour obéir au père que pour retrouver, l’espace de quelques instants, dans la fraîcheur de la voûte, le souvenir de maman. 

Perpetual_help_original_icon XVe s. wikimedia commons Unknown author

Est-ce là que l’idée lui était venue ? Porphyre, à quinze ans, devenait presque le chef de famille. Quelle responsabilité ! Ses sœurs encore insouciantes, son père vieilli avant l’âge mais toujours aussi travailleur, toujours hélas ! aussi ennemi de tout progrès dans l’exploitation. De toute manière, la résolution du garçon était prise : il s’enfuirait un jour prochain du logis paternel. Tantôt l’idée lui semblait normale ; tantôt pourtant l’audace de cet acte lui faisait peur, ses conséquences lui paraissaient néfastes..." 

François Dedieu. 

Prolongements : 

Chisinau, la capitale actuelle, un simple bourg sur la rive sud du Bîc, a été modernisée par les Russes au XIXe siècle : le train pour Odessa permettait d'exporter les produits agricoles. Parallèlement à la déportation de nombreux locaux ailleurs dans l'empire, l'occupant russe a encouragé l'installation de colons. Ainsi la réussite des artisans, commerçants, banquiers, Juifs ou Arméniens tranche avec la survie des paysans. La différence de traitement par l'administration provoque, en 1903, une émeute qui sera réprimée dans le sang par les Cosaques du Danube. Tout comme à Odessa et en maints endroits d'Ukraine, ces mêmes Cosaques massacrent et pillent autant les attaquants que les victimes.

Les 6 et 7 avril 1903, lors de la Pâque orthodoxe et de la Pâque juive, eurent lieu les violents pogroms de Kichinev, provoqués par des calomnies dont l'accusation contre les Juifs de meurtres rituels (environs de Dubasari) et par des appels antisémites parus dans le journal Bessarabetz (« Le bessarabien » en russe), dont le rédacteur était Pavel Krouchevan. 49 personnes furent tuées et 586 blessées, environ 1 500 maisons et magasins pillés et détruits (source wikipedia / Moldavie Histoire). 

Est-ce à propos de ce pogrom que le site Hérodote note : "premier grand pogrom du XXe siècle, à Kichinev, dans la province russe de Moldavie : une soixantaine de juifs ont été assassinés sans motif par la foule. " 

Porphyre n'a alors que 12 ans. Ses souvenirs semblent indiquer que ces violences ne l'ont pas plus marqué que le reste de sa famille au village.  

Ces jours-ci, avec les reportages sur l'Ukraine, ils montrent les colonnes de femmes et de gosses qui passent en Moldavie, deuxième pays après la Pologne pour le nombre de réfugiés. A Palanca, la frontière n'est qu'à une soixantaine de kilomètres d'Odessa où on s'attend à une attaque russe. Le pays craint d'autant plus Poutine que le territoire se retrouve amputé de 20 % suite à la sécession violente des Russes de Transnistrie aidés par une 14e armée russe toujours sur place. Suite à de brefs mais violents affrontements, les Moldaves durent alors abandonner leurs biens pour se réfugier sur la rive sud du Dniestr. 

Cet hôtelier qui, dans son village, a racheté bon nombre de maisons (la Moldavie est une terre d'émigration), accueille des réfugiés ukrainiens. Sa cave contient de belles réserves de bocaux stérilisés... la terre est favorable aux productions agricoles. En parlant des Russes, au bout du pont où plus personne ne se croise, il dit : 

" On était des frères, on est devenus des ennemis." 



Que ce serait beau si ce vieux monsieur de 88 ans, toujours alerte, qui a subi la guerre contre Hitler, buvait son verre de vin à la paix revenue !   

Les photos 3 et 4 sont des captures d'écran de la chaîne Arte. 

PS : pas même un plan de paix hier alors qu'ils étaient 30 pour l'Otan, 7 au G7 et je ne sais combien au machin sur l'Europe. 


jeudi 24 mars 2022

Ukraine de toutes nos craintes...

 

Nouvelles incertaines des fronts : 

* encerclée, Marioupol subit l'anéantissement de Grosny et d'Alep. 

* n'est-ce pas l'armée russe, justement, adepte de l'encerclement, qui se retrouve dans le chaudron aux abords de Kyiv ?  

* Poutine fait donner les barbus intégristes du barbare Khadirov... on dit, on laisse dire que des miliciens tueurs de Syrie pourraient aussi... la poutinerie mobilise aussi des conscrits... 

* Pour fléchir Poutine, l'Occident voudrait faire donner Alina Kabaeva, sa femme cachée avec leurs trois ou quatre enfants, quelque part dans un chalet suisse bien gardé. 

* Il y a aussi des volontaires tchétchènes qui défendent Kyiv. La télé qui montre ce qu'elle veut, ce qu'elle peut, en a montré un hier en train de tirer un sol-air ou un sol-sol, sans casque, à découvert, bien exposé en haut d'une butte... 

* des Iliouchine, des Tupolev ou autres Sukhoi officiels volent vers l'Est, l'Oural, l'Altaï vers des refuges antiatomiques cachés ou alors pour assurer un poste de commandement en haute altitude, à l'abri des radiations. Faire peur, menacer. Du cynisme et aucune moralité chez Vladimir !

* La Russie a fait revenir 500 avions (Boeing, Airbus) des compagnies civiles loués à l'Ouest. Il y en a pour quelques milliards... Pour le moment ils ne les rendront pas... 

* Zelensky se dit prêt à négocier, mettant dans la balance le sort de la Crimée et des républiques sécessionnistes. 

* suite à l'entrevue Lavrov- Kuleba, Erdogan se propose comme médiateur dans le conflit russo-ukrainien. 

* Macron, le "Macha Béranger" d'"Allo Vladimir", ne s'est entretenu qu'une heure avec Poutine (a fait mieux... peut mieux faire).  

* Et pendant ce temps,  les scientifiques annoncent entre 35 et 132 millions en plus de personnes plongées dans "la pauvreté extrême" en 2030. Au rythme où on va, d'ici à 2050, "le sud de l’Asie, le golfe Persique, à savoir l’Iran, l’Oman et le Koweït, ainsi que l’Égypte, l’Arabie saoudite, le Soudan, l’Éthiopie, la Somalie ou encore le Yémen ne seront plus des terres vivables."... Qu'est-ce que ça peut faire à côté de la testostérone de Vladimir, des couilles molles de l'UE, de notre Macrounet couillu seulement pour les couillons ?  

mercredi 23 mars 2022

Un "RUSSE" à Pérignan (3)

Le ? La ? Bic, wikimedia commons Unknown author
Petit affluent (débit comparable, dans l'Aude, à celui de la Berre à Villesèque-des-Corbières) de la rive droite du Dniestr, passe à Calarasi, rivière du pays de Porphyre. La photo date de 1889, époque de sa naissance. La maison ruinée peut nous laisser penser que celle de Porphyre était en torchis recouverte de chaume ou de roseaux... Comme dans le film pathétique de Verneuil, "La 25e heure" avec Anthony Quinn en paysan roumain du delta ou de Moldavie... 
 

".. Le jeune Porphyre est déjà à l’âge où il faut aller à l’école : école russe, langue russe, alors que chez soi il faut parler roumain. Qui dira jamais les avantages et les difficultés que connaissent ces petits élèves des terres frontalières, écartelés entre plusieurs langues et fascinés de bonne heure par les tentations du voyage, du grand large, du vaste monde à parcourir ? Le russe, ma foi, cela s’apprend, et même bien. L’alphabet cyrillique n’a bientôt plus de secrets pour l’élève, et le père tout fier reconnaît au passage, lui qui déchiffre avec peine un ou deux noms par-ci, par-là, un caractère grec. Ces Grecs, quand même ! Ils étaient partout. Et sa fierté de fils exilé de la vieille patrie de Socrate va s’en trouver consolidée. 

Moldavie_(1979) wikimedia commons Author Ion Chibzii

 Pourtant, les études ne sauraient remplacer la vie aux champs. A onze ans, Porphyre a maintes fois aidé aux travaux de la vigne ; souvent il est allé faire de l’herbe pour les lapins. Il a connu ces départs de grand matin où l’horizon, là-bas, vers la vallée du Dniester, s’habille de brume. Quel plaisir de respirer à pleins poumons l’air de la campagne !

Mais que de travail aussi : préparer le maïs et les pommes de terre pour la pâtée du cochon, « soigner les bêtes », comme on dit, tailler la vigne, travailler à la houe, sulfater et soufrer, vendanger, labourer – il va commencer sans doute à treize ans – on n’en finit plus ! Et quelle misère ! Le foyer s’est enrichi (comme ce verbe sonne…) de trois filles, et Porphyre partage à présent les plus durs travaux avec son père. Heureusement, le soir, et quelquefois à midi quand on ne prend pas le manger à la vigne, il y a maman. Elle, Roumaine dans l’âme, lui a inculqué l’amour de sa patrie perdue. Non, ils n’ont pas toujours été aussi nécessiteux. Certes, ils peuvent manger à leur faim ; mais le vin ne se vend pas, ou se vend mal. Ils sont vêtus comme des mendiants : pas moyen d’acheter le moindre costume à Kalarach. Et Kichinev, c’est comme le tsar du proverbe russe : que c’est loin…"

François Dedieu.

Prolongements : 

"petits élèves .../... écartelés entre plusieurs langues..." 
Aujourd'hui, le constat est net, le bilinguisme sinon le plurilinguisme apportent beaucoup  au développement intellectuel de l'enfant. 

 "... fascinés.../... par les tentations du voyage." 
Les bords de la Mer Noire, entre l'Est et l'Ouest, le Nord et le Sud, évoquent le carrefour commercial (Grecs, Perses, Romains, Varègues, Russes, Byzantins,Venise, Gênes...),la route de la soie, les invasions (Huns, Mongols, Tatars, Turcs...), la rivalité Russo-Turque... Mais aussi des populations restées sur place pour des conditions plutôt favorables à l'agriculture. 
Eternel dilemme dont les extrêmes se traduisent par "partir en emportant sa terre à la semelle de ses souliers" ou "rester à toujours fouler son coin de terre" et, entre les deux, "partir pour revenir un jour". 

Les noms de lieux : la tendance est à respecter la langue en vigueur. De même qu'on préfèrera "Beijing" à "Pékin" sinon, pour des raisons politiques, il vaut mieux dire "Kyiv" que "Kiev", idem pour "Kharkiv". Au pays de Porphyre Pantazi où le roumain s'oppose à la langue de l'occupant russe, on dira "Chisinau" pour Kichinev, "Călărași" pour Kalarach. Quant au village natal de Porphyre, ce doit être "Tuzara" comme indiqué sur la carte.

mardi 22 mars 2022

ET le "RUSSE" de Pérignan par rapport à tout ça ?

 Laissant chacun à sa conscience à propos d'un crétinisme (1) meurtrier terre-à-terre, d'un autre âge, alors que le sort de la planète est en jeu, je veux seulement conjuguer le verbe aimer à propos de ceux qui sont obligés de fuir les bombes, de quitter la partie détruite de la maison pour l'autre bout encore debout où nous nous devons de bien les accueillir. Aux guerres qui ont aussi brassé les peuples, a succédé la liberté de bouger, d'aller chez l'autre pour mieux comprendre qu'il est comme nous, d'autant plus sous le même toit, celui de notre maison (2), qui va de l'Atlantique à l'Oural comme l'espérait de Gaulle, notre grand homme du XXe siècle. 

World_War_II_memorial_near_Leușeni,_Moldova. Domaine public. 

En m'attardant sur la Bessarabie, la Moldavie, la Transnistrie, les emprises latines et slaves qui se superposent, je rêve d'une "Europe Ensemble" avec la Russie... Plutôt que de rabaisser l'URSS anéantie, l'a-t-on proposé à  Gorbatchev, l'homme de la conciliation à l'origine de la réunification de l'Allemagne ? N'était-ce pas un biais pour traiter des tensions séculaires entre la Russie, l'Ukraine, la Roumanie, la Turquie, les Grecs, Tatars, Cosaques et autres Gagaouzes, apaiser  les bisbilles liées aux territoires revendiqués par les uns ou les autres, le liman du Dniestr, le bras nord du Danube avec toujours le gros ours qui fait peur jusqu'à manger les petits ? Et pas que, puisque, dans un jeu mondialisé, l'Europe persiste dans une alliance atlantique archaïque qui nous met sous tutelle de l'autre grand frère qui ne nous veut pas que du bien (3). 

Et le "Russe" de Fleury par rapport à tout ça ? On ne le sait que trop bien : l'Histoire éprouve les peuples et saboule les êtres qui en réchappent... les plus anciens croient revivre la Deuxième Guerre Mondiale. Nos politiques nous replongent dans une barbarie qu'on croyait révolue... Tout comme ils endossèrent le déshonneur de ne pas freiner Hitler, ils ne peuvent pas se targuer de n'avoir pas entretenu un terrain favorable à Poutine... pour le dire diplomatiquement ! 

 Oui, maman, 97 ans, est replongée d'un coup dans les années 40, dans la partie Bohême-Moravie de la Tchécoslovaquie dépecée par Hitler. Oui, nous repensons à papa qui a fui le bombardement de Dresde en 1945. Nul besoin de s'appeler Gary pour se prévaloir d'un destin exceptionnel (4), celui de Pantazi subissant l'Histoire vaut pour tous les anonymes oubliés. 

"... Touzora.

Touzora, petite bourgade de quelques feux, qui dépend de Kalarach, à cinquante verstes de Kichinev, entre les fleuves Prut et Dniester.

Nous sommes en 1891, le 24 février. Le foyer du Grec Pantazi – il est d’origine grecque, mais a épousé une Roumaine, et c’est en roumain qu’on parle à la maison sur cette terre qui appartient pourtant à l’Empire russe –, son foyer donc vient de voir la naissance d’un garçon. A l’église orthodoxe, il recevra le nom de Porphyre : souvenir du philosophe néoplatonicien, ou noblesse de la roche rouge semée de taches blanches ? Prénom grec en tout cas, qui montre que ce paysan pauvre de Touzora songe à la terre de ses aïeux.

 Et la vie va continuer, dans cet ancien pays des princes de Valachie, disputé aux Moldaves, puis aux Russes par les Turcs. Plusieurs fois envahie par les Russes au dix-huitième siècle, cette terre, alors sous la domination turque, avait été cédée en 1812 à la Russie par le traité de Bucarest, rétrocédée en 1856 aux principautés danubiennes par le traité de Paris, réincorporée à la Russie par le traité de Berlin de 1878. Mais la population restait roumaine à soixante pour cent, si le reste était composé de Russes, d’Allemands et de Bulgares. Elle devait redevenir roumaine le 28 octobre 1920 par un traité passé entre la Roumanie et les Alliés, les Russes refusant toutefois de reconnaître cette cession et reprenant la région en 1940.

 Le père Pantazi cultive cette terre féconde en céréales, qui produit un maïs de qualité et un vin fort apprécié. Pour lui, ce sont surtout quelques arbres fruitiers et la vigne. Il travaille dur, ne connaît comme jour de repos sacré que le dimanche, consacré au Seigneur. Toute la famille doit aller à la messe solennelle à Kalarach, à trois kilomètres de Touzora, et à la maison le coin de l’icône est sacré : une branche de laurier l’orne en permanence, ce laurier que la mère de famille a fait bénir à l’église le jour des Rameaux..." 

François Dedieu. 

Călărași-Gară wikimedia commons Author Szabi237


(1)  Poutine s'adressant aux Occidentaux " Vous êtes intelligents, pourquoi nous prenez-vous pour des abrutis ?"... sans commentaire... 

(2) Je ne savais pas qu'un personnage illustre, Mikhail Gorbatchev, parlait, en 1985, de l'Europe en tant que "maison commune" ! 

Quant à la formule "l'Europe de l'Atlantique à l'Oural", les termes exacts de de Gaulle se rapportant à une « solidarité européenne de l’Atlantique à l’Oural », elle se réfère à Vassili Tatichtchev, le géographe de Pierre Le Grand (XVIIIe s.) indiquant, pour justifier la modernisation de Moscou, que sa capitale est bien dans un espace européen de l'Atlantique à l'Oural. 

(3) Brzeziński ne jouait pas que du biniou... Après avoir prédit la réaction de l'URSS en Afghanistan, il a annoncé non sans cynisme, la déstabilisation entretenue de la Russie afin d'écarter un rapprochement avec l'Europe pour que les Etatsuniens nous gardent sous tutelle. 

(4) "Chaque homme est une humanité, une histoire universelle." Jules Michelet. 


lundi 21 mars 2022

Babička, ma grand-mère d'Holoubkov

 "... Moi, à coup sûr quand cela m’arrive de prendre mal, comme avant Noël où j’ai fait la queue pendant deux heures pour obtenir 100 grammes de pulpe de noix de coco râpée, eh bien dès le lendemain j’étais souffrante, vraiment atteinte. Et chaque fois que je prends mal j’ai une crise de vésicule..." 

Babička Bohumila, ma grand-mère d'Holoubkov. Lettre du 17 janvier 1955. 



Et moi qui vois toutes ces noix de coco, même si cela devient rare sur l'île puisque les cocotiers classiques, qui montent si haut et mettent tant de temps à produire, ne sont pas remplacés, puisque la surpopulation ici explose, puisque les vols suite à une immigration clandestine qui nous submerge, sont monnaie courante, puisque les variétés hybrides, au goût différent, à l'image des bananiers, ne sont pas appréciées... sans oublier le paysan mahorais d'alors, rentrant tous les jours au crépuscule, chargé des produits du champ pour la famille et pourtant si plein de bienveillance et d'amabilité pour le vazaha, le blanc, porteur malgré lui d'une outrecuidance oppressive et qui revient, supérieur, oisif, musard, de prendre en photo le soleil couchant, de penser à ma grand-mère deux heures dans la queue, dans le froid, toujours vaillante malgré ses problèmes de santé, confrontée aux pénuries même pour des légumes locaux, en me transportant au petit pays de mes grands-parents, l'émotion me brise le cœur, mes yeux s'embuent d'un désarroi, d'un chagrin profonds.  





dimanche 20 mars 2022

ESPAGNOLS, ITALIENS, GITANS, migrants divers au village pour parler du GREC plutôt "RUSSE"...

La guerre entre frères, la mort en Europe... On en reste muets de consternation et pourtant il y a tant à dire sur le crime de Poutine, tant de fils historiques à remonter... Pas question ici, de refaire l'Histoire face à l'autodestruction, sous notre même toit, de deux membres, quand toute la famille pourrait y passer, qu'elle s'en mêle ou non... Quand j'étais gamin, au cinéma du village, le père Barthe nous avait commenté son film sur les Papous : ils chassaient les têtes puis se mangeaient entre eux, de village à village, de vengeance en vengeance... Qui serait évolué ? Qui est arriéré si la quête de lumière aboutit à l'aveuglement atomique ? L'Humanité reste aussi fascinée qu'éblouie par un feu d'artifice, sauf que le bouquet final sera le dernier... 


Je préfère ces étincelles que dans nos yeux allument ces différences entre semblables. Qu'est-ce que j'ai pu voyager dans ma tête grâce aux vendangeurs espagnols, porteurs d'un souffle plus fort que celui d'un écrivain, d'un cinéaste plus lointain, moins accessible à l'enfant, à l'adolescent. Au village, il y avait aussi les Italiens (le 21 mars, à 20h 55, Arte programme La Strada... je réserve ma soirée), les Gitans qu'on appelait "Caraques". Pour cause de mariage, dans la rue de mes grands-parents, la Polonaise, pas loin une Algérienne, je crois, dans la dernière maison avant les vignes du coteau, les Allemands aussi, restés après la guerre... et je ne sais pas s'ils n'ont pas dit de ma mère, "la Tchèque" ou "l'étrangère"... 

Si les lectures apportent encore à cette polychromie enrichissante, il en est une, singulière, qui me ramène non loin de la maison paternelle. D'ailleurs je la dois à mon père dans une monographie en deux volumes pour laquelle, concernant sa partie, je lui ai forcé la main. A propos de Fleury-d'Aude, notre village natal, entre les chapitres "L'hiver" et "Premiers sourires du printemps", n'y cherchons pas une quelconque logique, se trouvent insérées une quinzaine de pages bien tassées (c'est une autoédition). Le titre : "Un Russe à Pérignan" (1). Parlons-en justement de ce Russe à Pérignan.  



Papa n'avait pas pour habitude de se mettre en avant. Si je me doute que c'est par amour des langues, pour le plaisir d'échanger, de faire vivre l'humanisme qui rapproche les grandes familles de langues en Europe , ce qui lui importait beaucoup (il en parlait sept) , rien n'a percé des visites qu'il a dû rendre auprès de ce Russe au village, des notes, du récit qu'il en fit. Laissons-lui la parole.   

" Un "Russe" à Pérignan. 

19 juin 1974 : 

Une soirée qui annonce l’été tout proche. Dans la rue baptisée « Rampe de la Terrasse », les gens prennent le frais, assis au dehors. Les uns ont sorti leur chaise, qu’ils enfourchent souvent à califourchon pour mieux reposer sur le dossier leurs bras fatigués d’une journée de labeur. D’autres se sont mis sur les bancs de ciment prévus à cet effet.

Monsieur Pantazi est là aussi ce soir. Sans s’en douter, il vit les dernières heures d’une vie bien remplie. A minuit, la crise cardiaque va le réveiller, puis le terrasser. Il aura le temps d’aller à la cuisine, de frapper en passant à la porte de la femme dont il partage la maison depuis tant d’années, et, tandis que la vieille dame lui fait une tisane qu’il ne boira jamais, que la bave de l’agonie lui monte déjà aux lèvres, qu’il montre du doigt, sur une demande, la place du cœur, il revoit dans un vertige les vignes de sa Bessarabie natale, les visages aimés et depuis si longtemps disparus ; un nom chante à ses oreilles : Touzora. Et tout est fini… " François Dedieu. 

(1) le nom d'origine du village, historiquement repris et supprimé, au moins à deux reprises. 

Fleury-d'Aude. Rampe de la Terrasse. 


jeudi 17 mars 2022

NOSTALGIE dans le BOIS ! Balade et ballade (4e épisode)

OUI à la chanson des blés d'or, NON au fracas barbare des bombes !

Lu à l'âge où il laisse sa griffe, le roman d'Alain-Fournier nourrit à jamais quelques réminiscences qui veulent bien, à l'occasion d'une circonstance, réveiller une nuance de la palette de sensations alors ressenties. A l'époque où le parvis de l'église accueillait la fête de Salles, devant, la joie des villageois endimanchés, derrière le mur, le calme des grands arbres, en moi mes premiers émois, la hantise du lycée-prison, tout me rapprochait d'Augustin Meaulnes. 

Quoique fugace, assagie après la tempête, cette perception revient, de si loin depuis l'adolescence. Etrange. Comme ces mystères qui demeurent malgré une exploration menée à bien puisque, ici, le parc est devenu public et que le bois contigu semble appartenir à la commune. Alors reviennent aussi les vers de Verlaine :

"Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé..." 

Deux formes parcourent une allée... Compagnie de deux amis ? Approche galante ? Rapprochement de deux amants ? Imaginaire, fantasmagorie se promènent aussi dans nos têtes...

Une promenade nimbée de brume, comme, plus prosaïquement, lors du récent déluge, sous une chape épaisse de nuages noirs et un rideau de pluie à verse, alors que nos pas, sur un petit pont, nous avaient menés au passage du ruisseau des Fontanelles. 



Un petit ruisseau qui ne vient pas de loin, à peine des hauteurs du moulin du phare (1) ; le sens unique vers Fleury, le village voisin, là où passait le petit train, en remonte le cours jusqu'aux bains-douches. Son lit est cimenté pour évacuer du mieux possible les quantités phénoménales d'eau lors d'un orage, sinon d'un aigat, un épisode aussi cévenol que méditerranéen. C'est arrivé ce dernier week-end, il est tombé presque 200 millimètres d'eau (158 en plaine à Narbonne, 180 vers Villedaigne et dans le Minervois à Siran), l'équivalent de la moyenne sur trois mois ! 

Du passé ancien au présent proche, revenons au passé récent, en septembre, quand les photos ont été prises. 



Impressions magnifiques à la vue de ces grands platanes, un marronnier (2), un figuier aussi (mais lui s'en sait mal de cette promiscuité !) dans un étonnant cadre de verdure qui doit donner, si on poursuit vers la sortie du village en direction de Nissan, sur un grand parking ombragé (surtout gardez les arbres !)... Oh ! deux chiens à mon encontre, le muscle ferme, le fouet vif ! Je vois, c'est un coin à promenade, à crottes quoi !  Et ce cagnot qui saute pour des caresses et me salit le pantalon ! Et son maître qui trouve que c'est normal, sourire en coin ! Et moi qui ne dis rien, macarel ! Finies pourtant, les rêveries émollientes ! Trop tard, toute cette poésie m'a endormi, sur le coup je n'ai pas réagi... Chicanes et querelles ne grandissent personne... tant mieux pour la poésie ! 

(1) Quel est le nom de ce moulin ? Sabarthès en mentionne au moins quatre avant 1800 :
Combe d’Alprat moulin à vent Salles 1781
Taysseferrals moulin vent Salles 1781
La Lauze moulin à vent Salles 1781
Le Moulin à vent, écart, Salles : la Moulinasse moulin ruiné Salles. 
Nos amis sallois sauront nous le dire. 

(2) les ormes ont disparu, les marronniers disparaissent, le fric fait planter des champs de résineux qui poussent vite... nos chênes centenaires partent en Chine parce que notre industrie ne travaille que pour le pin et l'épicéa, d'un rapport plus rapide. Pourquoi le souci du climat ne pousse-t-il pas l'appareil d'Etat à imposer la plantation de plus de feuillus, plus efficaces de 40 % pour l'atmosphère ? Ne cherchez pas, la réponse est dans ce petit paragraphe...  


dimanche 13 mars 2022

La guerre d'Ukraine doit-elle alarmer le monde entier ?

Ukraine drapeau wikimedia commons flagpicture1-xFpfHq 

Un article sur Hérodote notant une "rupture historique"...  

"... Pour le reste du monde, y compris même les États-Unis, elle demeure un non-événement, si ce n’est par ses possibles répercussions économiques..." 

Guerre d'Ukraine - Notre avenir en questions - Herodote.net 

Réaction n'engageant que son auteur : 

Une "rupture historique", un "sens de l'Histoire", Le retour de l'Histoire ? Il faut être naïf pour user de poncifs... Parce que, d'une part, entretenir une politique de blocs par définition agressive, et de l'autre laisser noyer la Russie dans la décennie 90, a consisté à entretenir le sens de l'Histoire dans ce qu'il a de plus rétrograde et négatif, à persister dans l'héritage le plus nocif du XXe siècle. 

Sinon plus une guerre est lointaine moins elle concerne, relève d'une lapalissade (temps de réaction des USA dans les deux guerres mondiales). Encore faut-il considérer l'écho qu'en donnent les médias, référence faite, si proche de nous, au conflit Serbie, Kosovo, analysé partiellement car partialement. Encore faut-il considérer que les ogives atomiques font partie du mondialisme... 

Le "Méfiez-vous de vos amis" par rapport aux Etatsuniens aurait dû figurer dans le fil rouge peut-être gaulliste d'une Europe de l'Atlantique à l'Oural : pourquoi n'avoir pas proposé à la Russie et ses satellites proches, une adhésion à l'UE... à l'OTAN, sinon un statut de membre associé, une solidarité de destin ?! 

Isolement ou non de la Russie, l'essentiel n'était-il pas de rompre avec le cycle suicidaire hérité de la seconde guerre mondiale ? 

Le monde entier devrait seulement considérer que l'extinction de l'humanité suite à une "ère" anthropocène aussi débile, insensée que ridicule dans la durée, est pour tout à l'heure et même pour tout de suite si les champignons atomiques sortent comme les morilles !  

La guerre en Ukraine en restera-t-elle au stade de "non-évènement... ""... pour le reste du monde" avec ou sans majuscule...