vendredi 31 août 2018

VOYAGE EN TCHÉCOSLOVAQUIE (8) / De la Porte de Bourgogne à la Forêt-Noire.

Roppe. Quitter l’autoroute devenant payante pour vingt-six petits et mesquins kilomètres (ça ne va pas arrêter d'augmenter !). Les vieilles maisons massives avec, à côté, sous un même toit, les gens, les bêtes, la grange, la remise, évoquent l’habitat traditionnel de ces pays car même entre Bourgogne et Alsace, les larges auvents contre la neige parlent aussi du Sundgau, des Vosges, de la Forêt-Noire, du Jura d’un temps où le climat n’était pas tourneboulé comme aujourd’hui. Sauf que le village ne sent plus bon la bouse… M’en veuillez pas pour ces vieilles impressions qui ne veulent pas mourir, avec papa conduisant la Dauphine ou la 403, la tente « Cabanon » sur la galerie ou la caravane « Digue » derrière… La descente en sortant de Besançon, les toitures-capuches des fermes : deux marches vers l'Europe centrale et devant, le grand Est des pays slaves...

Ah, la portion droite de la vieille nationale bordée par les gros et vieux peupliers ! Le pré spongieux au bas de cette côte où nous avions pris une cigogne en photo ! Souvenirs, impressions bucoliques liées à l'agriculture généreuse de l'Alsace, l'opulence des maïs, les branches chargées de prunes et de pommes, la gadoue de pissat et de bren sur le chemin des vaches, la réclame pour la potasse... 
Burnhaupt-le-Haut, Burnhaupt-le-Bas. Des dénominations qui nous rappellent l’oncle Pierre qui, à quarante ans passés s’est retrouvé en première ligne du front de 14-18 dans le Sundgau. 

Mais la fatigue, la monotonie de l’autoroute à nouveau libre accablent. Pas question de rallier le prochain parking à 20 kilomètres : arrêt et nuit au centre de Lutterbach, 12 kilomètres plus loin, devant un mini-city-market d’une enseigne connue et bien française à l’origine, du moins de nom.     

2h du matin. 359 kilomètres parcourus.

Lundi 30 juillet 2018. 8h 30. Mulhouse. La forêt de la Harth avec, au-dessus de l’autoroute, les ponts végétalisés pour le passage du grand gibier. Ils ont le mérite d’avoir fait partie du projet dès l’origine et l’impression reste forte pour un languedocien ne connaissant à l’époque, que le petit gibier (le sanglier était rare alors !) et une ouverture de la chasse sans gestion. Je dis toujours « Chalampé » alors que le poste-frontière d’alors est un peu au-dessus de la jonction autoroutière qui s’achève, côté français avec une limitation à 10 à l’heure ! l’appareil photo n’était pas à portée… Dommage !

Deutschland ! 4ème puissance mondiale et un écart, économiquement parlant, qui se creuse avec une France (7ème) qui se voudrait plus un pays de profits et de dividendes que celui qu’elle fut, d’un peuple solidaire. « Un pognon dingue !» déplore un Macron voulant aplanir et rabaisser les retraites comme  chez Angela natürlich… où de plus en plus d’Allemands sont obligés de travailler pour compenser (montant souvent inférieur aux 1100€ théoriques de retraite moyenne)[1] ! Diantre, on se croirait aux States !  

  https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-retraites-les-laisses-pour-196371  
Freiburger_Münster Wikimedia Commons Author Oberth Permission GFDL-self

Freibourg-in-Brisgau, dont la cathédrale fait harmonieusement pendant à celle de Strasbourg en Alsace, ville verte aux énergies naturelles, se traverse facilement en direction du Titisee puis d’Ulm. 
Du tourisme a minima pour compenser l’impérative migration.   
Hirschsprung Wikimedia commons Author photograph Frank C. Müller Baden-Baden

Hirschsprung Wikimedia commons Author Rauenstein
9h 30 – 10h 20. Petit-déjeuner en bas du Hirschsprung, un classique « saut du cerf » fuyant le chasseur. Comme chez nous, la voie ferrée de service local aurait été abandonnée. A-t-elle eu le même destin que d’autres sur la ligne, rachetées par les municipalités, transformées en charmants restaurants ? 

L’impeccable et doux ruban de la route aboutit entre des croupes boisées coupées par la courbe de niveau des vertes prairies. Çà et là, de grosses fermes abondamment fleuries de géraniums, aujourd’hui cossues mais témoins d’une vie jadis rude où bêtes et gens cohabitaient, où seul le cadet héritait[2]. Sur les cartes postales typiques d’antan, rouges comme les géraniums, les gros pompons des Bollenhut, littéralement « chapeaux à boules » des jeunes filles à marier. Le Schwarzwald ce sont aussi les sources thermales, les coucous qui sonnent les heures, le gâteau gourmand relevé de cerises confites, le jambon sec et, moins connu, le cheval de la Forêt-Noire, un trait de travail en montagne, alezan aux crins lavés comme le Comtois, mais plus petit, moins lourd. 

De trop parler nous fait rater la route du lac Titi « -see » à ne pas confondre avec le « -caca » du Titi des Andes…



[1] Un reportage récent atteste qu’il vaut mieux être retraité en Autriche ou aux Pays-Bas et pour ceux qui croient encore que nous sommes des Français privilégiés, à en croire une étude américaine, nous ne faisons pas partie des 5 meilleurs en Europe (dont la Grèce en première position !) !  
Il n’y a pas que de l’ivraie à la télé mais quand un invité-intervenant a comme justifié le prix élevé des péages chez nous en prétendant qu’en Allemagne, ce sont encore les plaques bétonnées qui usent tant les pneus, pour avoir parcouru près de 800 kilomètres, je ne peux que m’inscrire en faux. Ajoutons que de même les trois dizaines de kilomètres en travaux avec 2,20 m pour la voie la plus étroite sont particulièrement étudiés pour fluidifier au maximum la circulation…     
[2] Les frères et sœurs recevaient l’argent et avaient le droit de rester à la ferme comme domestiques.

lundi 27 août 2018

VOYAGE EN TCHÉCO (7) / De Dole à la Porte de Bourgogne.

Passant devant l’Hôtel de la Cloche qui semble attendre sa diligence, nous quittons Dole. Sur la nationale déclassée départementale 673, la circulation est d’autant plus fluide que nous sommes dimanche.   

Saint-Vit… « Vit » signifie aussi Guy non ? Aux abords de Besançon, un des rares camping-cars croisés ou rencontrés cet été, allemand, comme celui qui hier (ce 23 août qui me voit avancer sur le compte-rendu du voyage passé), aux infos, achetait des poulets de Bresse sur une aire consacrée non loin de Bourg, 16,95 €/kg, un prix d’autant plus raisonnable que le sac isotherme est fourni. Ainsi que Kaa le python qui veut hypnotiser Mowgli  (« Aie confiance ! »), la télé d’État, avec ses magazines en guise d’actualités, m’aurait-elle aussi endormi ? 

Besançon Quai_Vauban Wikimedia commons No machine-readable author provided. Arnaud 25 assumed (based on copyright claims).

Usine Rhodia / vue sur l'amont de la boucle du Doubs depuis la Citadelle.

Besançon. Un itinéraire d’évitement toujours aussi ch… agaçant avec une cohorte de feux qui arrêtent, bloquent clouent de façon complètement désynchronisée et foldingue… La prochaine fois, j’essaie la voie rapide vers la Comtoise… Déprimant pour qui n’a pas eu la chance d’apprécier, au centre, la « première ville verte de France » (dite « la plus propre » du temps des migrations avec papa), « d’art et d’Histoire », avec ses palais et hôtels particuliers, la boucle du Doubs dominée par la Citadelle, bordée en amont par des usines d'une industrie historiquement implantée.
Comment passer Besançon sans évoquer Hugo, rendant, à propos de sa naissance, un si bel hommage à sa mère : 

« Ce siècle avait deux ans.
Alors dans Besançon vieille ville espagnole
Jeté comme une graine au gré de l'air qui vole
Naquit d'un sang breton et lorrain à la fois
Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix… »
  
Et dire qu'à présent une voix du Doubs, celle du député-toubib Alauzet, a osé parler de retraités gagnants... Or le temps décante les calculs, multipliant, de fait, les réfractaires à la lumière jupitérienne... On laisse « Besac » avec une longue descente vers l’Est, apportant jadis au mythe de la route, du voyage. Si les temps modernes ont vu pousser ces zones commerciales où remplir sa besace, l'âme du migrateur frémit d’instinct à cette attraction vers l’Alsace, l’Allemagne, la Tchéco, une attraction toute pacifique et ouverte, loin de ce Drang nach Osten repris par les nazis pour justifier la légitimité d'un Lebensraum, un espace vital contestable.

La présence des hommes, si semblables et si différents quand ils le décrètent, sous-tend, de toute évidence, une Histoire, plus ou moins ignorée mais à laquelle, sous peine de voir les heures sombres se répéter, il faut s’atteler. 

Été 2015.

Il est midi passé. La grosse chaleur pèse déjà. En bas, un camping ombragé, une grande piscine dite « de la Plage ». Sourires dans le camping-car par solidarité avec ces pauvres humains qui cherchent l'ombre et le plaisir du bain... Mais que se passe-t-il ? Des barrières ferment les accès ! Une ? des noyades ?[1] L’air est immobile, la sécheresse accable. Les gens se cachent ou ont fui ailleurs. A Osselle où la municipalité fait payer cher la baignade dans une ancienne gravière du Doubs ? Peut-être, avec un peu de chance, au pays de Pergaud avec les cascades de l’Audeux (460 m. alt), qui sait, encore vives et fraîches dans la verdure ? 

Cascade de l'Audeux en 2014.

Halte dans un village plus loin où un neveu fête son bac, son permis et ses 19 ans. La canicule oppresse et avec l’interdiction des feux dans la forêt qui jaunit et brunit, se déshabillant déjà, le barbecue se fera obligatoirement à la maison. L’ombre tourne en bas des murs et chacun suit. Une amie appelle qu’on aille la chercher… Plus de vingt kilomètres de galère pour se rendre à Planoise et revenir ? Non merci… pour le dire poliment… Djaz, notre fille, ne finit le boulot qu’à 9 ½ h. Elle sera du voyage. Je n’en rajoute pas pour sa minette si mimi qui va rester dans l’appart, perchée à guetter au dehors depuis son arbre à chat, par un espace resté ouvert en bas du volet roulant. Une amie viendra tous les jours mais je repense trop à Coco, notre brave minou qui miaulait si tristement, comprenant trop bien en voyant nos valises. 

Nous essaierons de rouler un peu, de gagner l’Alsace  au crépuscule et à la faveur de la nuit.
Chaleur du Sud, habitudes du Nord… Les tomates sortent désormais aussi bien quelle que soit la latitude mais les localités, les rues sont vides : personne sur le devant des portes pour apprécier une relative fraîcheur ou alors c’est qu’ils sont moins mauvaise-langue que dans le Midi. Mea culpa, au village métastasé par les lotissements souvent dortoirs, tant horizontalement que verticalement, la population s'est fragmentée... les individualismes mis bout à bout ne forment pas une communauté...
Baume-les-Dames dans la boucle du Doubs Wikimedia commons Author JGS25

Baume-les-Dames, L’Isle-sur-le-Doubs, le moteur ronronne le long d’une vallée toujours belle mais désertée où seuls des fourgons bâchés immatriculés en Pologne semblent circuler à vive allure.
Montbéliard, Belfort. 

Le pays de Chevènement et du parachuté Moscovici, éminent socio-traître et qui n’en finit pas de parasiter le pauvre peuple orphelin de gauche… Mon peu de sympathie, ma répulsion même pour ce genre de personnage, manipulateur comme un voyageur de commerce en tant qu’opposant à Sarko, véreux, fourbe et traître, bradant les idéaux une fois ministre puis mandarin de l’UE. A 25000€/mois, ce bouffon de Bruxelles, qui fait détester la politique (Agoravox), contribue à booster notre exigence de justice sinon la vigilance d'un pilote seul dans la nuit !



[1] Une réfection complète a nécessité la fermeture durant toute la saison 2018. La piscine au joli nom ne rouvrira qu’en juin 2019.

samedi 25 août 2018

Août 2018. MAYOTTE / IMPRESSIONS DE RENTRÉE.

Petite-Terre. Ce 19 août, ça et là ils sont plusieurs à marcher sur la chaussée, en grande tenue religieuse, et grands, et élégants qui plus est, mais obligeant le taxi à des écarts. Un coup de pub du tout puissant ? Des trottoirs trop sales ? Un sentiment d’invulnérabilité ?

La rade : deux vedettes bleu-blanc-rouge sagement rangées. Si elles n’y étaient pas, penserait-on pour autant qu’elles gardent la frontière ?

Grande-Terre : sur le front de mer sud (camion rouge), un embouteillage incroyable pour un dimanche. Faut-il autoriser seulement les plaques paires le jour 2 et impaires le jour 1 ?  

Ironi-bé : Retour « en brousse » : une heure et demie de circulation bloquée pour cause d’accident. Et si les coupeurs de route en profitaient pour dévaliser ? D’instinct on fourre l’argent et les papiers sous le siège. Et on réalise combien, pour des malfaisants, il est facile de bloquer Mayotte !

2015.

Malavouni (« en brousse ») : une nouvelle maison est peinte de neuf « sang de zébu ». Le blanc pour les villes des climats chauds, ça ne doit pas servir à grand-chose…

Rentrée scolaire : le nouveau vice-recteur assure une première rentrée « correcte », selon ses dires, pour Mayotte. C’est donc que les grippages, les accrocs relèvent d’une norme. 4000 élèves de plus ! Et combien de salles de classe construites ? Et toujours près de 45 % de contractuels dont une part d’enseignants immigrés ? Mais chut… seuls les titulaires doivent être français… Et puis il y a eu l’essaim de séismes et les effets de la politique (oh qu’en termes suggestifs ce second point est évoqué !). Rien sur les élus de Mayotte car toute la population sait combien ils sont dévoués à leur population, avec comme souci premier, les enfants et la jeunesse…   
A Kwezi, on continue de passer la brosse à Roukia, la maire de Chirongui. Plutôt que de fayoter, flatter, flagorner, demandez-lui plutôt comment une élue de la République peut se définir en premier comme musulmane…         

Rentrés scolaire (bis) : Alors que le nouveau vice-recteur paraît plus réaliste et moins prétentieux que Constance Cynique sa prédécessrice (N. Costantini), on apprend qu’il aurait demandé à dormir à l’hôtel et non dans son logement de fonction. Du coup, les réseaux le traitent déjà en tant que « gouverneur de l’éducation ».

Rivo le syndicaliste prévient qu’il est dangereux de banaliser une situation inacceptable pour l’éducation sur un territoire français si discriminé comparativement aux autres outres-mers… Le journaliste de Mayotte 1 a bien relevé que la Guyane, la Guadeloupe étaient bien mieux loties, ce qui nous a valu une pirouette d’évitement de la part de monsieur encore vice-recteur… Olé !

Consommez, dansez villageois ! Miss Mayotte est de Chiconi ! Moussa Vita, S’cotram, Kavani gonflent le jabot alors que nous devrions tous marquer le deuil pour cette île qui n’en finit pas d’agoniser ! Triste spectacle…

vendredi 24 août 2018

VOYAGE EN TCHÉCOSLOVAQUIE (6) / Halte ombragée à Dole.

 

Depuis cette esplanade magnifique où les camping-cars peuvent faire halte, dominant le canal et les robines des tanneurs de la Petite Venise, superbe, la Collégiale nous gratifie de son carillon dominical. 
Louis Pasteur par Nadar.
Dole, berceau de Pasteur, ville aussi d’un jeune apprenti pâtissier qui en laissera un témoignage poignant dans « La maison des Autres ». C’est bien de Bernard Clavel qu’il s’agit (1923-2010). Sa description de la salle à vivre parentale à Lons-le-Saunier, une pièce sans un livre, assaillie d’obscurité en dehors du cercle blafard et restreint autour de l’ampoule centrale me bouleverse toujours autant. Loin d’être d'une quelconque déloyauté de sa part à l’encontre d’un père et d’une mère certes pas démonstratifs comme aujourd'hui mais présents, cela peut-être perçu seulement comme un constat sur les temps difficiles qui l’ont vu grandir (il a 17 ans quand la Deuxième Guerre Mondiale éclate). 
Avec la parabole des coins noirs et vides d’écrits de la maison paternelle, Clavel, auteur de talent, autodidacte, a seulement conscience de la trajectoire qui fut la sienne.  Dans Les Fruits de l'Hiver (Goncourt 1968), il parle d'une mère aimante, exprimerait-il aussi un remord pour avoir longtemps laissés ses parents sans nouvelles. 
Il m’est arrivé de vadrouiller dans les vieilles rues de Dole et si j’en suis revenu avec un bout de ce fameux comté, c’est surtout une pâtisserie que je n’ai pas trouvé… Serait-ce dévalorisant, pour une municipalité portant aux nues Pasteur le savant, d’indiquer la pâtisserie de l’apprenti Clavel ? Lui en voudrait-on d’avoir dit que son patron dolois était « un vrai salaud » ?
Non loin de Dole, en aval, le Doubs reçoit la Loue de Tiennot cet autre personnage de l’auteur, vivant sur une île de la rivière. Et depuis cette Bresse Chalonnaise, cette montagne bleue dans le matin, cet éperon omniprésent à l’horizon, si marqué par rapport à la plaine, n’évoquait-il pas, tout au long de la route, le Revermont, les contreforts du Jura, les vignobles d’Arbois qui forment le cadre de L’Espagnol, ce roman superbe adapté à la télé en deux parties (1. L’étranger dans la vigne. 2. Les dernières vendanges.) ? Le DVD me suit, dans ma maison roulante. Il est là dans le casier des livres et des cartes. 


Retour sur la carte où la proximité du Doubs et de la Saône, délimitant un entre-deux-eaux marécageux pourrait expliquer le brouillard matinal. J’ouvre aussi le bouquin « Bourgogne » et à la fin, lors de cette halte paisible sur cette belle esplanade de Dole, face à la Collégiale (érigée en basilique mineure 1951), superbe, couvant les vieilles rues depuis Louis XII et même Philippe-le-Bel si on tient compte de la Collégiale d’origine, un article inattendu ici de Guy de Maupassant sur le Creusot.
                   
MAUPASSANT « Au Creusot.
Le ciel est bleu, tout bleu, plein de soleil. Le train vient de passer Montchanin. Là-bas, devant nous, un nuage s’élève, tout noir, opaque, qui semble monter de la terre, qui obscurcit l’azur clair du jour, un nuage lourd, immobile. C’est la fumée du Creusot. On approche, on distingue. Cent cheminées géantes vomissent dans l’air des serpents de fumée, d’autres moins hautes et haletantes crachent des haleines de vapeur ; tout cela se mêle, s’étend, plane, couvre la ville, emplit les rues, cache le ciel, éteint le soleil. Il fait presque sombre maintenant. Une poussière de charbon voltige, pique les yeux, tache la peau, macule le linge. Les maisons sont noires, comme frottées de suie, les pavés sont noirs, les vitres poudrées de charbon. Une odeur de cheminée, de goudron, de houille flotte, contracte la gorge,oppresse la poitrine, et parfois une âcre saveur de fer, de forge, de métal brûlant, d’enfer ardent coupe la respiration, vous fait lever les yeux pour chercher l’air pur, l’air libre, l’air sain du grand ciel ; mais on voit planer là-haut le nuage épais et sombre, et miroiter près de soi les facettes menues du charbon qui voltige. C’est le Creusot.
Un bruit sourd et continu fait trembler la terre, un bruit fait de mille bruits, que coupe d’instant en instant un coup formidable, un choc ébranlant la ville entière.
Entrons dans l’usine de MM Schneider… »

Les Gueules Noires, la Bande Noire, nous les avons déjà évoquées mais si la fabrication des locomotives me rappelle forcément Holoubkov, le village sur la ligne Praha-Plzeň, où se sont fixés mes grands-parents maternels,  je me dois de saluer mon oncle Stanislav, un tonton Staňa dont la présence et la personnalité ont tant compté pour moi et qui fut fondeur à l’aciérie de Hradek proche de Rokycany, en bas de la vaste forêt du Trhoň…  
Alors, quand, à mon grand étonnement se livre à moi cet article de cinq pages signé Guy de Maupassant, plutôt lié à une Normandie à la fois bourgeoise et bocagère, et que je vois moins impliqué socialement que Vallès ou Zola (même s’il a d’un côté été sensible aux destinées des filles modestes humiliées, même s’il a toujours voulu se démarquer du milieu snob et intello de la capitale), ce n’est pas sans une inclination aussi admirative qu’attendrie que je reçois ce don d’un auteur si réaliste jusque dans l’érotisme, émaillant des écrits si marquants et inoubliables depuis l’adolescence.  
Bien sûr que nous suivrons Maupassant dans l’usine Schneider, lorsque j’irai voir au moins le portail de celle de tonton, loin là-bas en pays slave, avec en tête la mélodie des « Mains d’Or » de Lavilliers.