Affichage des articles dont le libellé est Holoubkov. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Holoubkov. Afficher tous les articles

jeudi 3 août 2023

LETTRES d'HOLOUBKOV 1


Sous le coup d'une expulsion (en représailles suite au renvoi par Paris d'une fournée de " diplomates " tchèques), François, lui-même secrétaire traducteur d'ambassade, n'a eu qu'une paire de jours pour plier bagage. Il a emmené sa jeune épouse Jirina (le mariage date seulement de deux mois) pour son village du sud de la France, au bord de la Méditerranée. Ces circonstances feront que la famille séparée par le Rideau de Fer ne pourra plus échanger que par lettres, encore une chance. 

Ces lettres, précieusement conservées, traduites, dorment dans des classeurs, attendant qu'un descendant curieux, le fils par exemple, veuille bien les réveiller. 

Lettre du dimanche 2 avril 1950 : první děda, d'abord papé. 
Une semaine avant, tonton Jenda (1923-1994) se mariait à Tabor, là où il habite et travaille (chez Bat'a). Ils ont une maisonnette de trois pièces, avec jardin. Trois voitures pour le cortège, à la mairie d'abord puis à l'église où la mariée a dû se geler. 

V patek rano, po vašem odjezdu, jsme jeli do Tabora k Jendovi... Maji hezky domek 3 mistnosti nejsou velke ale stačí. To zahradku maji take hezkou, bude mít Jenda co dělat... a odpoledne přesně ve tři hodiny jsme jeli třemi auty na M.N.V. ; odaval je sam předseda pak jsme šli jsme do kostela, tam  všem bila zima a nevěsta jistě vymrzla.  

Svickova_with_dumplings the Creative Commons Attribution 3.0 Unported Author Rkolarsky

Ensuite, à boire et à manger jusqu'à 4 h du matin. Le temps de ranger et les invités se sont couchés à 5 heures. 
Au menu : bouillon de boeuf (aloyau) et knedliky, porc au chou, quenelles au pain blanc. 
Le soir venu : soupe de tripes (demandée par le marié), salade de pommes de terre, escalope de veau, gâteaux dont deux au cacao apportés d'Holoubkov. 

Hamburská_vepřová_kýta_houskové_knedlíky the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Pohled 111

... jidla a piti hojnost, sedeli jsme asi do 4 hod rano pak jsme to trochu dali do pořádku asi v 5h jsme šli spat... 
Babička : ja jsem na svadbě zdobila dorty, chlebíčky,  krajela rohliky a zeli. Měli jsme hovezi polevku s knedlickem, sviskovou a veprove zeli a houskove knedliky, vecer salad bramborovy a teleci rizek dršťkovou kterou si Jenda porucil. Dortu měli dost. Doma jsem udělal dva čokoládové dorty to byli jediny tmavy... 



Les cadeaux : des parents, une radio 7.290 Couronnes, d'Holoubkov encore, de tante et l'oncle Stanek, un plat en cristal taillé. La demoiselle d'honneur a offert un tableau à l'huile, l'atelier Bat'a, un vase en cristal. 

 Děda : jsme take se Staňou  byli pro radio stalo 7.290 Kčs ; od tety Staň.  dostaly broušenou  misu, od družičky hezky obraz (olej), z dilny co pracuje Jenda krasnou broušenou vazu. 

 

    

lundi 21 mars 2022

Babička, ma grand-mère d'Holoubkov

 "... Moi, à coup sûr quand cela m’arrive de prendre mal, comme avant Noël où j’ai fait la queue pendant deux heures pour obtenir 100 grammes de pulpe de noix de coco râpée, eh bien dès le lendemain j’étais souffrante, vraiment atteinte. Et chaque fois que je prends mal j’ai une crise de vésicule..." 

Babička Bohumila, ma grand-mère d'Holoubkov. Lettre du 17 janvier 1955. 



Et moi qui vois toutes ces noix de coco, même si cela devient rare sur l'île puisque les cocotiers classiques, qui montent si haut et mettent tant de temps à produire, ne sont pas remplacés, puisque la surpopulation ici explose, puisque les vols suite à une immigration clandestine qui nous submerge, sont monnaie courante, puisque les variétés hybrides, au goût différent, à l'image des bananiers, ne sont pas appréciées... sans oublier le paysan mahorais d'alors, rentrant tous les jours au crépuscule, chargé des produits du champ pour la famille et pourtant si plein de bienveillance et d'amabilité pour le vazaha, le blanc, porteur malgré lui d'une outrecuidance oppressive et qui revient, supérieur, oisif, musard, de prendre en photo le soleil couchant, de penser à ma grand-mère deux heures dans la queue, dans le froid, toujours vaillante malgré ses problèmes de santé, confrontée aux pénuries même pour des légumes locaux, en me transportant au petit pays de mes grands-parents, l'émotion me brise le cœur, mes yeux s'embuent d'un désarroi, d'un chagrin profonds.  





vendredi 24 août 2018

VOYAGE EN TCHÉCOSLOVAQUIE (6) / Halte ombragée à Dole.

 

Depuis cette esplanade magnifique où les camping-cars peuvent faire halte, dominant le canal et les robines des tanneurs de la Petite Venise, superbe, la Collégiale nous gratifie de son carillon dominical. 
Louis Pasteur par Nadar.
Dole, berceau de Pasteur, ville aussi d’un jeune apprenti pâtissier qui en laissera un témoignage poignant dans « La maison des Autres ». C’est bien de Bernard Clavel qu’il s’agit (1923-2010). Sa description de la salle à vivre parentale à Lons-le-Saunier, une pièce sans un livre, assaillie d’obscurité en dehors du cercle blafard et restreint autour de l’ampoule centrale me bouleverse toujours autant. Loin d’être d'une quelconque déloyauté de sa part à l’encontre d’un père et d’une mère certes pas démonstratifs comme aujourd'hui mais présents, cela peut-être perçu seulement comme un constat sur les temps difficiles qui l’ont vu grandir (il a 17 ans quand la Deuxième Guerre Mondiale éclate). 
Avec la parabole des coins noirs et vides d’écrits de la maison paternelle, Clavel, auteur de talent, autodidacte, a seulement conscience de la trajectoire qui fut la sienne.  Dans Les Fruits de l'Hiver (Goncourt 1968), il parle d'une mère aimante, exprimerait-il aussi un remord pour avoir longtemps laissés ses parents sans nouvelles. 
Il m’est arrivé de vadrouiller dans les vieilles rues de Dole et si j’en suis revenu avec un bout de ce fameux comté, c’est surtout une pâtisserie que je n’ai pas trouvé… Serait-ce dévalorisant, pour une municipalité portant aux nues Pasteur le savant, d’indiquer la pâtisserie de l’apprenti Clavel ? Lui en voudrait-on d’avoir dit que son patron dolois était « un vrai salaud » ?
Non loin de Dole, en aval, le Doubs reçoit la Loue de Tiennot cet autre personnage de l’auteur, vivant sur une île de la rivière. Et depuis cette Bresse Chalonnaise, cette montagne bleue dans le matin, cet éperon omniprésent à l’horizon, si marqué par rapport à la plaine, n’évoquait-il pas, tout au long de la route, le Revermont, les contreforts du Jura, les vignobles d’Arbois qui forment le cadre de L’Espagnol, ce roman superbe adapté à la télé en deux parties (1. L’étranger dans la vigne. 2. Les dernières vendanges.) ? Le DVD me suit, dans ma maison roulante. Il est là dans le casier des livres et des cartes. 


Retour sur la carte où la proximité du Doubs et de la Saône, délimitant un entre-deux-eaux marécageux pourrait expliquer le brouillard matinal. J’ouvre aussi le bouquin « Bourgogne » et à la fin, lors de cette halte paisible sur cette belle esplanade de Dole, face à la Collégiale (érigée en basilique mineure 1951), superbe, couvant les vieilles rues depuis Louis XII et même Philippe-le-Bel si on tient compte de la Collégiale d’origine, un article inattendu ici de Guy de Maupassant sur le Creusot.
                   
MAUPASSANT « Au Creusot.
Le ciel est bleu, tout bleu, plein de soleil. Le train vient de passer Montchanin. Là-bas, devant nous, un nuage s’élève, tout noir, opaque, qui semble monter de la terre, qui obscurcit l’azur clair du jour, un nuage lourd, immobile. C’est la fumée du Creusot. On approche, on distingue. Cent cheminées géantes vomissent dans l’air des serpents de fumée, d’autres moins hautes et haletantes crachent des haleines de vapeur ; tout cela se mêle, s’étend, plane, couvre la ville, emplit les rues, cache le ciel, éteint le soleil. Il fait presque sombre maintenant. Une poussière de charbon voltige, pique les yeux, tache la peau, macule le linge. Les maisons sont noires, comme frottées de suie, les pavés sont noirs, les vitres poudrées de charbon. Une odeur de cheminée, de goudron, de houille flotte, contracte la gorge,oppresse la poitrine, et parfois une âcre saveur de fer, de forge, de métal brûlant, d’enfer ardent coupe la respiration, vous fait lever les yeux pour chercher l’air pur, l’air libre, l’air sain du grand ciel ; mais on voit planer là-haut le nuage épais et sombre, et miroiter près de soi les facettes menues du charbon qui voltige. C’est le Creusot.
Un bruit sourd et continu fait trembler la terre, un bruit fait de mille bruits, que coupe d’instant en instant un coup formidable, un choc ébranlant la ville entière.
Entrons dans l’usine de MM Schneider… »

Les Gueules Noires, la Bande Noire, nous les avons déjà évoquées mais si la fabrication des locomotives me rappelle forcément Holoubkov, le village sur la ligne Praha-Plzeň, où se sont fixés mes grands-parents maternels,  je me dois de saluer mon oncle Stanislav, un tonton Staňa dont la présence et la personnalité ont tant compté pour moi et qui fut fondeur à l’aciérie de Hradek proche de Rokycany, en bas de la vaste forêt du Trhoň…  
Alors, quand, à mon grand étonnement se livre à moi cet article de cinq pages signé Guy de Maupassant, plutôt lié à une Normandie à la fois bourgeoise et bocagère, et que je vois moins impliqué socialement que Vallès ou Zola (même s’il a d’un côté été sensible aux destinées des filles modestes humiliées, même s’il a toujours voulu se démarquer du milieu snob et intello de la capitale), ce n’est pas sans une inclination aussi admirative qu’attendrie que je reçois ce don d’un auteur si réaliste jusque dans l’érotisme, émaillant des écrits si marquants et inoubliables depuis l’adolescence.  
Bien sûr que nous suivrons Maupassant dans l’usine Schneider, lorsque j’irai voir au moins le portail de celle de tonton, loin là-bas en pays slave, avec en tête la mélodie des « Mains d’Or » de Lavilliers.

mardi 27 mars 2018

QUAND ON VOUS DIT "RÉPUBLIQUE TCHÈQUE" ?


Qu’est-ce qui vous vient à l’esprit quand on dit République tchèque ? Avez-vous visité la République tchèque et quelles étaient vos impressions ? Écrivez-nous à l’adresse suivante : cr@radio.cz 




Quand j’entends « République Tchèque », je pense d’abord « Tchécoslovaquie ». Dans ce mot il y a le « tch » des locomotives, il y a Holoubkov, le joli village de mes vacances d’enfant, des souvenirs souvent calqués sur les dessins de Josef Lada mais qui bougent et restent vivants. D’abord les grands-parents, děda et babička, les oncles, les tantes, une cuisine aux senteurs d’orient, la desítka de tous les jours, la dvanácka du samedi (bières titrant 10 et 12 degrés), l’usine qui turbine derrière le barrage, le lac des baignades de l’été, le ruisseau aux écrevisses, la forêt aux myrtilles et aux cèpes bonhommes. 



Difficile de s’arracher même pour une journée à Prague. Et pourtant, la Vltava de Smetana sous le pont Charles ! l’horloge de la Vieille Ville ! les trams, l’automat de Václavské náměstí !

Plus dur encore de partir visiter jusqu’en Slovaquie, au-delà des Carpathes Blanches. 





Vous le constatez, je suis complètement hors sujet. J’ai du mal à retenir l’émotion aux premières notes de Kde domov můj… Impossible de visiter un pays qui pousse ses racines au plus profond de mon être. Je pense à papa qui s’est enfui de Dresde pour le Protectorat, pour rejoindre celle qui allait être maman. Je pense à ce régime nous assimilant à l’ouest ennemi, nous obligeant au voucher. C’est l’Histoire avec ses côtés sombres et peut-être aussi une lumière nous élevant à une conscience d’Européens convaincus, de citoyens du Monde…  
   

Désolé de ne pouvoir exprimer des impressions. La Bohême, des étangs des collines au Polabi généreux (la plaine de l'Elbe),  participe d’une pulsion vitale coupant toute envie d’aller voir ailleurs. Je reste sous le sortilège du vodnik et des ondines pulpeuses (dessins, gouaches de Josef Lada [1887-1957]). Ils ont coupé en moi les envies de voyages. Mes ailes ramènent toujours au-delà de Rozvadov, la frontière désormais ouverte, faisant de moi un éternel migrateur qui languit de revoir le mauve des champs de pavot et les croupes aux sombres épicéas...

Les diapos sont de papa (1970, 1963, 1968), les dessins de Josef Lada. 
Rusalka, ondine des contes, créature des eaux. Aussi le titre d'un célèbre opéra d'Antonin Dvořák (1841-1904)
     
Vodnik, ondin, génie des eaux appelé aussi Hastrman. 

                      



mercredi 18 octobre 2017

DIX-SEPT ANS, IL Y A DES LUNES (fin)... / Československo, Holoubkov


Devant nous, l’usine. Pour ne pas être en reste avec la forêt qui fume, sa respiration paisible (le rythme n’est plus celui, plus poussé, de la semaine) exhale des bouffées de vapeur diaphane qui se lovent puis déroulent au-dessus des ateliers. 
 

Une fois en bas, il faut prendre à gauche. Le vieux corps de logement ouvrier, aux allures de château, haut perché sur un soubassement de pierres de taille, nous domine. J’y connais des gens aimants qui en faisaient trop pour un petit Français resté si tchèque... La grand-mère de Tonda y habite. Sa cuisine reste imprégnée des senteurs d'épices, du cumin (khmin), de skořice, la cannelle de tous les strudel sortis du four ! Côté usine, c’est le réfectoire transformé parfois en cinéma, le samedi. J’y ai vu “Sur un arbre perché” ; Louis de Funès parlant tchèque, ça ne s’oublie pas ! 
  
Le raccourci débouche sur le barrage avec la route de Hůrky ou Medový Újezd suivant qu’on prend à droite ou à gauche après le pont du chemin de fer, là où le vallon se resserre. Elle a décrit une longue boucle descendant vers le lac. Sur l’eau, se mêlent aussi des écharpes de brume... Sûr qu’au-dessus du déversoir, le vodník, le génie des eaux, médite dans les ronds de fumée de sa pipe... 
Dans l’air frais qui les fait résonner, des halètements de locomotive se font entendre. A la faveur de la nuit passent souvent les lourds convois de l’armée. Enfant, je ne voulais que l’éruption d’escarbilles des machines à vapeur, aux grandes roues couplées patinant sur les rails, crachant leurs entrailles d’acier dans la rampe. Par la suite, malgré les bâches de camouflage, j’étais bien obligé de voir, souvent, braqués vers les étoiles, les canons des tanks d’une troisième guerre mondiale en suspens, des fûts autres que ceux, souples, oscillants, des épicéas abattus. 
Un sentier dévale vite le remblais à main droite. Strěda (tonton) s’arrête pour pisser et nous nous retrouvons à trois à arroser longuement (la bière) les pieds de bardane qui n’en demandaient pas tant. Silence. Le regard se perd au loin ou plus loin encore. Là-bas, montant du thalweg, les volutes de la loco de tête se détendent ; elles voilent quelque peu la lune. Plus bas, à l’arrière du convoi, la machine qui pousse crache, dans une quinte n’en finissant pas, un panache puissamment comprimé dont les boursouflures cachent un instant la forêt qui fume.

“ Dedo, grand-père, quand pourrons-nous aller aux champignons ? “

En descendant vers le fond glauque de la smrdlava ulička, la ruelle puante pas si désagréable pourtant (il faut que je la raconte un jour, promis), grand-père se lance dans une tirade improvisée, presque un exposé sur la pluie, les sorties, la pousse, la croissance, les lieux propices, ceux à explorer en début de cycle si les circonstances ne sont pas favorables, les conditions météo dans les mois sinon l’année qui précède. Il se laisse même aller à raconter le cèpe roi, les gros cachés sous la mousse, la rencontre avec le cerf, des histoires à repasser des dizaines de fois, dont on ne se lasse jamais, parce qu’elles sont ces pulsions de vie léguées en héritage, ces petites graines fragiles, semées à tous les vents et qui ne peuvent toutes s’éteindre.
La maison n’est pas loin et sous le pont j’aimerais plutôt prendre la route forestière de  Hůrky pour l’entendre encore des kilomètres durant, par cette nuit à la magie éternelle... Il marche, nous parle, parle aux grands arbres. Dans le fossé, les biches, les chevreuils, les lutins des sources, les gnomes des mines, les sorcières apaisées, le vodnik pensif, apprécient et se confortent de voir passer un émissaire des hommes auprès des sylves... 
  

Děda n’est plus, strejda non plus et papa qui a parfois été de la sortie vient de nous quitter. Pourtant, pas seulement l’envie, la nécessité aussi de les garder vivants, s’impose telle une évidence... L’oubli, la fuite en avant ne peuvent que précipiter la perte de la seule espèce prétentieuse de sa capacité à se pencher sur son passé.

Aujourd’hui comme quand j’avais dix-sept ans, la forêt continue de peser dans notre histoire au point de conditionner notre survie. Malheureusement, la toute puissance mortifère de l’argent sape et réduit dangereusement sa biodiversité : plus de la moitié des oiseaux a disparu depuis 1980... 

Doit-on, peut-on décemment accepter une mise à mort programmée des générations à venir parce que nous sommes coupables d’avoir tué la poule aux œufs d’or, lâches que nous sommes d’accepter des poisons chimiques dans un présent trop facilement lié à un progrès global ?   

“Rien n’est plus vivant qu’un souvenir.” a dit Federico Garcia Lorca... Que ce ne soit pas celui d’un monde mort et disparu à jamais... Quel malheur ! quelle honte pour notre génération de devoir raconter un jour à nos enfants un paradis qui leur serait interdit... 

J’avais dix-sept ans... il y a bien des lunes... 

photo autorisée : 2. l'usine derrière le barrage http://www.obecholoubkov.cz/cs/o-obci-holoubkov/

lundi 16 octobre 2017

DIX-SEPT ANS, IL Y A DES LUNES... (suite) / Československo, Holoubkov

“Rien n’est plus vivant qu’un souvenir.” Federico Garcia Lorca.

L’apparition d’un tableau, en effet, mêlant l’infini de l’univers avec, plus proche, la nature dans ce qu’elle peut créer de terrestre, de spirituel aussi, et plus à portée, en premier plan, un site industriel, ce qui ne saurait traduire seulement le matérialisme propre à notre espèce. 

Bien sûr, devant nous, en bas de “Na Pekarně” (1), la pente abrupte, le regard devrait aller spontanément à l’usine (2), la tovarna historique d’Holoubkov dont le cœur bat jour et nuit mais c’est la lune, encore oblique et juste derrière le mont Trhoň qui invite, par la vision magique qu’elle offre, à l’humilité, au respect qui élève et non à la soumission de celui qui se prosterne. Un vieux réflexe judéo-chrétien pourrait donner à voir le mont Tabor sous des rayons divins si une orthodoxie religieuse obligeait à interpréter ainsi cette luminosité aussi irréelle que renversante. L’irradiation est telle que si j’en oublie qu’elle n’est qu’un ricochet d’étoile, je me sens pénétré par une harmonie céleste. La lune, telle un vaisseau spatial qui éblouit de ses projecteurs, ouvre nos horizons, occulterait-elle, au dos de sa face sombre, l’espace infini vers les galaxies. Son éclat efface même les étoiles d’un ciel trop pur. Sur Terre, la fraîcheur vient à bout de l’impression de chaleur encore ressentie en sortant de l’hôtel... sûrement le coup de rhum pour la route, après la bière !
  

Děda (grand-père) tourne la tête vers le mont :
“ Regarde ! la forêt fume ! c’est bon pour les champignons !"
C’est vrai que sous le Trhoň, une vapeur déjà ouatée rampe autour des épicéas dont seules les pointes émergent. Sous le couvert des branches basses, sous le tapis d’aiguilles, l’humus est une matrice tiède que le mycélium investit de ses nébuleuses. Le rêve transporte facilement en enfance... Effacées les bières, les cigarettes ! Oublié ce souci d’apparence extérieure, ce désir d’exister dans les yeux des filles, choses que l’on prend trop au sérieux quand on a dix-sept ans ! 
 

Les images de Budulinek défilent comme elles défilaient grâce au petit cinéma, l'obscurité venue, par un même clair de nuit, en haut de ce même quartier “Na Rudě”. C'est un petit garçon qui habite avec ses grands-parents à l’orée de la forêt. A la belle saison, ils restent assis dehors, à voir monter la lune et le grand-père raconte des histoires d’enfants attirés puis perdus sous les sombres futaies. C’est le renard qui est venu tenter Budulinek en lui promettant un monde merveilleux, autre chose que la maisonnette et son petit jardin ! Et si l’histoire se termine bien, l’essentiel, que ce soit conscient ou non, sont ces graines semées chez l'enfant, des graines dont certaines germeront vite ou dans très longtemps ou jamais, qui sait ? A dix-sept ans peut-être.

(1) Une boulangerie a dû s'y trouver par le passé.
(2) mentionné vers 1379, le village est connu pour ses forges. La force hydraulique, la proximité de minerai de fer et les vastes forêts alentour permettent la production d’acier (un haut-fourneau a fonctionné au XVIIe siècle). Mise à part une période marquée par la production de cellulose et de pâte à papier, c’est la fabrication de machines-outils pour l’usinage des métaux (tours de mécanicien, de serrurier) qui prévaut encore aujourd'hui. En dehors de l’occupation nazie ( protectorat de Bohême-Moravie 1939-1945), notons les consonances germaniques des propriétaires successifs : Strousberg (wagons), Hopfengärtner et actuellement Weiler (KOVOSVIT pendant la période communiste ).
L’historique de la firme Weiler précise qu’Holoubkov a été un des plus anciens centres industriels de Tchéquie et peut-être d’Europe. http://www.weilercz.com/cz/ 
  

Photos autorisées : 
1. Holoubkov Trhoň Autor HudryHudry. 
2. O Budulinkovi Mandelince. Josef Lada, 1946, Nezbedne Pohadky.
3. Panorama Holoubkov HudryHudry.

samedi 14 octobre 2017

DIX-SEPT ANS, IL Y A DES LUNES... / Holoubkov, Československo


La pleine lune qui met en relief le cimier des arbres me transporte aussitôt vers une autre lune, une autre nuit, une forêt plus boréale, peut-être perdue dans un passé presque galactique.

La porte fait passer par le couloir d’entrée où donne le guichet à présent fermé de la vente à la pression (točene), au litre, au pichet, là où défilent, surtout en fin de semaine, les pichets blancs, bleus, bruns (le džbanek des grands-parents est bleu ciel, celui du grand-oncle, blanc). 
 

Dans ce hall, la senteur amère du houblon l’emporte sur le tabac froid filtrant de l’ambiance si enfumée de la grande salle encore bien remplie.  
 
 

Une fois sortis, si un roulement de voix mâles mêlées de rires gras, fait tourner la tête vers les lourds rideaux sombres de l’hôtel (réputation des buveurs oblige) tombés sur la concupiscence à la bière de ces hommes, par ailleurs si durs à la tâche, c’est la nuit qui investit nos sens. Nous traversons la nationale Praha-Plzeň qui passe devant l’établissement. A cette heure avancée, les véhicules sont rares. Au loin, seulement, un bruit de moteur crescendo, amplifié par la saignée de bitume, la montagne russe entre les épicéas. 
  

Ensuite le carrefour de la route de Hůrky (1) avec le kiosque presse-tabac, jaune et rouge pétard, pour offrir un soleil d’Espagne au ciel trop souvent couru par les nuées d’ouest. Si je n’y achetais pas les “kubánsky”, ces brunes cubaines si exotiques au pays des blondes (2), je penserais à un arrêt de bus sauf qu’un tube métallique porte l’enseigne de la ČSAD juste à côté... 

  

Logique, sur ce carrefour, cette patte d’oie qui fait graviter le village autour. D’ailleurs, à l’opposé, vers Těškov et au delà Lhota-pod-Radčem, proche du tilleul et contre le mur de la salle de bal de l’hôtel, stationne souvent la remorque-passagers des autobus Škoda (3).  
  
La nuit est trop douce, trop claire pour qu’il n’y faille rien voir et au seuil de “Na Pekarně”, la descente si raide, faite, on dirait, pour les seuls piétons, s’annonce la symbiose mystérieuse entre l’univers, la nature et l’homme cherchant à s’en émanciper... (à suivre)      

(1) elle limite le quartier “Na Rud
ě” regroupant surtout des logements ouvriers, une promiscuité en apparence sereine pour les deux bâtiments du bas tandis que les deux du haut, plus individualistes (quatre logements de plain-pied mitoyens chacun) expriment une conception du logement social méritant une mention au même titre que les villas célèbres d'Holoubkov (dont la Markova vila de 1908 / architecte Jan  Kotěra). Mes grands-parents y ont habité jusqu’au début des années 60 ; tonton et ma grande-tante y résident.  Ils aiment rester dans le jardinet, juste un lopin de terre mais, plein de fleurs ! (presque sous la route et le kiosque). Le quartier est d’autant plus aimable que la vue, au-delà du lac, en bas, de l’usine souriant peut-être de se trouver à la campagne, puis de la voie ferrée, la gare, se perd dans la forêt jusqu’en haut de croupes sombres  
(2) lieu d’achat aussi des cartes postales, des timbres pour la France et des kři
žovsky de papa (le nom m'échappe).
(3) prononcez “chkoda” et non comme dans la pub pour les bagnoles ! 


Photos autorisées : 
1. Pixabay creativ common. 
2. Svátečni hospoda. Josef Lada. 1932. Kolorovaná kresba.
3. Kiosque à Rokycany. 
4. ČSAD csUserŠJů.
5. Bus Beroun,_DOD_Probotrans, RTO městské s vlekem Author Aktron Wikimedia Commons