mardi 30 juillet 2019

LE PEUPLE ÉLU DE L'EMBOUCHURE / Fleury d'Aude en Languedoc.

Parmi les grands projets qui ont concerné notre commune et son voisinage, bons ou mauvais, certains ont abouti, d'autres non.

Chronologiquement, en 1963, suite à la perte de la base de Reggane en Algérie, citons le projet de cosmodrome entre Pissevaches, Lespignan et l'étang de Vendres. Finalement il se fera à Kourou, en Guyane. 




L'aménagement touristique du littoral par la mission RACINE (années 60), se traduira seulement chez nous par les campagnes de démoustication, et, de façon moins directe, par le développement imputable à la création des stations nouvelles (Gruissan non loin).

Au début des années 80, la possibilité d'une centrale nucléaire a mis dos à dos tenants et opposants, heureusement avec le résultat que l'on sait concernant cette énergie soit disant propre et indépendante (sauf que l'uranium vient surtout d'Afrique !) et malgré la manne en milliards potentiellement alléchante...

Encore dans ces années 80, des scientifiques menés par monsieur Pignolet ont repris l'idée du cosmodrome européen sur les étangs de Vendres et Pissevaches. Cette "chance" des 200.000 emplois pour Narbonne-Béziers ne se concrétisera pas, au grand soulagement de ceux qui préfèrent une nature d'étangs et d'oiseaux.

http://www.montpellier.fr/uploads/Externe/d0/398_254_FRAC34172_MNV097_041987.pdf

Dans ces mêmes années 80, l'architecte Roland Castro travaillait sur le projet NYSA (« la vallée retrouvée ») pour une station de 20 000 lits à l’embouchure de l’Aude reliée au canal du Midi ! Plus fort que l'arche de Bercy, un bâtiment enjambant le fleuve était prévu, non sans se soucier, paraît-il, de l'intégration à l'environnement ! Vaut-il mieux être sourd que d'entendre ça ? 


Après tant de périls sinon autant d'occasions ratées, le peuple élu de l'embouchure de l'Aude hérita enfin d'une bulle qui devait accueillir Mitterand sous l'eau et J.L. Chrétien, ex adepte de Pignolet, dans l'espace ! Une "chance" pour nos impôts qui grimpèrent d'un coup de 30 % ! Mais plaie d'argent n'est point mortelle... Et s'il faut refuser les pompes à fric et tout ce qui est sale chez les politiques et les flatteurs divers (1), restons heureux et optimistes, en gardant ce qui demeure de la "vallée perdue" !

http://anticor11.org/?p=366 (17 avril 2010).

(1) dont le publicitaire Séguela qui en aurait eu l'idée... vous savez, ce gars-là, celui qui n'existe, plus intelligent que les autres, qu'avec  une montre de grande marque au poignet...

samedi 27 juillet 2019

LE TEMPS NOUS A-T-IL POSÉ UN LAPIN ? (fin) / passé, nature et guerre / Maurice Genevoix. .

Avec Maurice Genevoix,  loin de tout académisme, le talent se fait scalpel pour livrer une réalité à vif, celle d'une guerre "Grande" surtout à cause de l'horreur dont les hommes sont capables, celle d'une nature dans laquelle il faudrait se faire oublier plutôt que de tout vouloir régenter. 
Homme de conviction, Genevoix reste un auteur d'une grande modernité. "Tendre bestiaire", pourtant de 1969, en témoigne. Avant l'ablette et le castor, ne débute-t-il pas par l'abattoir, avec le sang de la vache puis l'abattoir qui le hante, celui des hommes qui meurent au combat ?

Fleury-d'Aude / aux limites du village, l'abattoir de Soldeville, un des deux bouchers du village.

"J'en demande bien pardon. Si ces pages luminaires sont dures, elles étaient nécessaires. Elle éclairent, en lueur contrastée, tout ce livre, tout ce "tendre" bestiaire vivant." M. G. 

Wikimedia Commons. Maurice Genevoix. Portrait. Auteur et autorisation Anne Tassin. Photo Jacques Tassin. 
Page 49 : "... J'ai connu l'âge d'or du lapin. C'est au garenne que je pense, on l'entend bien. 

Page 52 : "... L'air était doux, presque immobile [...] On se croisait, on se saluait, on faisait claquer ses oreilles, on se frottait le bout du nez [...] 
Depuis, il s'est trouvé un "Monsieur" qu'irritaient les "dégâts des lapins". C'était un savant. Il a écrit à un autre savant, expert en microbiologie, spécialiste en ultra-virus. Un tout petit paquet est arrivé par la poste, et les lapins sauvages ont eu la myxomatose. 

Page 53 : C'est une épouvantable maladie, qui fait flamber et enfler la tête de ses victimes, leur tire les yeux hors des orbites [...]
Il m'est arrivé encore, en Sologne, d'avoir devant les yeux, par un beau soir, à la lisière d'une pinède et sur une lande fleurie de bruyères, le spectacle d'une ville de garennes sortie de ses terriers, sous le ciel. Tordus, contraints, perclus de tous leurs membres, de tous leurs reins,les lapins se traînaient, allaient au devant les uns des autres comme pour se prendre mutuellement à témoin, en appeler de leur souffrance, et peut-être implorer, des uns aux autres, un secours qui ne viendrait pas. 
Et soudain, l'un ou l'autre, il y en avait un qui hurlait. un cri perçant, vrillant, prolongé, qui venait du fond des entrailles. Cela, je l'avais entendu, au soir tombant, sur des champs de bataille meurtriers. Qu'un blessé vienne à crier ainsi, un autre crie, et bientôt, tous les autres. Et ces cris, mutuellement, s'exacerbent, tendent vers un paroxysme que l'on peut bien dire infernal, et que l'oreille ne peut plus supporter. 
La nuit tombait sur le bois, sur la lande. Je ne voyais plus les garennes. Mais toute la plaine continuait de crier." 

Oryctolagus cuniculus (European_rabbit) Wikimedia Commons Auteur Bj.schoenmakers.



LE TEMPS NOUS A-T-IL POSÉ UN LAPIN ? (suite) / passé, chasse et nature.

Dans la rubrique "Vous avez la parole" du bulletin municipal "Le Cagnard" n° 9 de juillet 1998, un article de Francis Patrac, non en tant qu'ancien adjoint au maire de la municipalité "de gauche" mais en tant que Président du Syndicat de Chasse :

"LE LAPIN DE GARENNE

 Notre Garrigue à Fleury, il y a quelques années à peine, était une véritable lapinière, tellement elle était dense en lapins de garenne, ce rusé petit gibier qui faisait la joie de nombreux chasseurs pérignanais. Les combes de la Pagèze, de Canibel, du Léger, de Tuffarel, le Fourayou, Bouïsset, la Broute, la Cresse, Courtillou, les Pins de la Mairie : autant de lieux, autant de tènements qui, dès le lever du jour, résonnaient de la voix des chiens, de la musique des petites meutes de courants. Découragement ! Désespoir ! il n'y a plus aucune empreinte,aucune crotte, aucun "îcagadouî" comme disaient nos anciens, signalant la présence de ces véloces boules grises.

Quelles sont les véritables raisons de la disparition de ce gibier de base qui permettait de chasser toute la saison, sans jamais compromettre son capital reproducteur ?

Bien sûr, il y a eu cette épidémie dévastatrice qu'a été la myxomatose. Mais alors que le lapin paraît de mieux en mieux résister à cette maladie, il doit maintenant faire face à un autre terrible virus, celui du V.H.D., maladie hémorragique virale. cette maladie a été répertoriée par la France en 1988, sans doute importée d'autres continents. Elle est foudroyante et l'incubation dure d'un à trois jours seulement. Les lapins n'ont pas le temps de maigrir et meurent en poussant quelques cris. On ne retrouve que très peu de carcasses car les prédateurs, aussitôt, les font disparaître. Mais tel territoire où l'on avait cru voir quelques traces d'une colonie de lapins, est retrouvé, du jour au lendemain, vide de leur présence.

 Une autre cause, plus naturelle, est l'abandon de la Garrigue à la friche et aux broussailles : "la Garrigue se ferme", nous disent les techniciens. Plus d'espaces cultivés, plus de champs, plus de ces petits lopins de vignes entretenus à la main par de modestes viticulteurs : ils étaient journaliers et le soir ils défrichaient, bichonnaient des parcelles de quelques dizaines de ceps de vigne, disposées en terrasses. Il fallait couper les racines des chênes kermès, entretenir les murailles de pierres sèches, aplanir les trous des sentiers, aménager les abris et les caches pour les outils et les produits de la vigne, curer la citerne, excellente réserve d'eau toute l'année.

Ces petits espaces où l'on voyait aussi quelques arbres fruitiers, quelques plants d'artichauts étaient fréquentés par le lapin de garenne que les murailles protégeaient des prédateurs. On voit encore dans la Clape ces vestiges d'une époque qui n'est pas très lointaine. Il serait intéressant, pour les randonneurs, pour les chasseurs, pour tous les amoureux de notre garrigue, d'en dégager quelques coins, d'en restaurer quelques vestiges, de retrouver ces anciens sentiers que l'on empruntait à pied, fusil et gibecière au dos par les matins frisquets d'automne. On prévoyait petit-déjeuner et déjeuner, et on ne rentrait qu'à la tombée du jour. Le sac pesait le matin et s'alourdissait quand la chasse avait été bonne.

Bien sûr cultiver la garrigue comme au début du siècle est définitivement révolu, nous le comprenons, et nous ne pratiquerons plus la chasse comme autrefois. Mais qui sait ? Rêvons, agissons, racontons-nous ces souvenirs, essayons par une action raisonnable et intelligente, de favoriser le retour de ce petit gibier irremplaçable qu'est le lapin de garenne.

Le sanglier et sa présence dans la Clape est-il responsable de la raréfaction du lapin ?

Un prochain article pourrait en parler." 








vendredi 26 juillet 2019

LE TEMPS NOUS A-T-IL POSÉ UN LAPIN ? / passé, chasse et nature.

Il y a encore 60 ans, plus qu'un mode de vie la chasse représentait une ressource non négligeable pour les familles, surtout concernant le petit gibier. En un demi-siècle, le rapport à la nature a  été chamboulé, les conditions de vie ont complètement été bouleversées, les mentalités ont suivi. 
Voilà une paire de mois, sur le bulletin municipal "Le Cagnard" de juillet 1998, un article sur la chasse au lapin signé par le président du syndicat de chasse, resté aussi dans les mémoires en tant qu'instituteur, aujourd'hui disparu (novembre 2018), Francis Patrac. 
Et pas plus tard qu'hier, la page la plus émouvante sur la détresse des lapins, il est vrai signée par une plume des plus prestigieuses, Maurice Genevoix. 

1939 Tableau de chasse aux lapins de garenne et autres gibiers. Wikimedia Commons. Auteur Unknown 1939.
Vers 1950 et même avant  : 

"... C’est encore l’oncle Noé qui avait ce chien étonnant nommé Picard. Lorsque sa sœur Marie-Louise et son beau-frère Jean Grillères (ça s’est produit au moins une fois, et lui, faisait comme si cela avait été habituel) décidaient de venir à Fleury manger chez eux, et que rien n’avait été prévu au menu, l’oncle et son chien – la chasse étant déjà fermée – allaient faire un petit tour dans les vignes voisines, à commencer par la grande vigne qui laissa la place à la maison Fabregas, au centre médical, et dans un mois … à la pharmacie, et ils revenaient dès que Picard avait pris un lapin. C’était l’époque où les  « garennes » (plur attesté in Petit Robert) étaient nombreux, sans pulluler comme ils le firent en 1942 : à cette époque, en une semaine, papé Jean en avait pris (les trappes étaient forgées à Villesèque-des-Corbières) quarante-trois !!! De quoi garnir le « riz au gras », les « pâtes en sauce », ou de les rôtir à la broche, alors qu’il n’y avait pas grand-chose à se mettre sous la dent … et que la myxomatose, heureusement, ne sévissait pas encore..." 
Histoires de chiens, chapitre La Rentrée, Caboujolette (2008) François Dedieu.

Ce passage venait prolonger un constat représentatif des années 60 : 
"... La garrigue, en septembre, c'est l'ouverture de la chasse. Le premier dimanche, passées les dernières maisons, ça pète sur tous les coteaux. 
Les hommes crient, font le siège des buissons (1)[...] le plus vaillant (des chiens) investit la garrouille, les hommes le suivent au bruit du grelot. Affolé le lapin déboule. Les fusils tonnent, le lapin roule, stoppé dans son élan et finit dans la gibecière [...]
 La chasse au lapin est une chasse populaire. Chacun est sûr d'amortir le prix des cartouches : les lapins prolifèrent [...]. Dans la garrigue pas moyen de faire venir un mailheul (2)... "

(1) garrouilles de kermès.      
(2) jeune plantation de vigne. 

jeudi 25 juillet 2019

COLON ? COLONISATEUR ? les deux assurément !

Texte de Sacha Ranc!!
A ce petit mariole qui ne connait même pas son histoire
"En 1962, la France a légué à l’Algérie un héritage exceptionnel et non des « Broutilles » et des « choses sans valeur », à savoir 54 000 kilomètres de routes et pistes (80 000 avec les pistes sahariennes), 31 routes nationales dont près de 9000 kilomètres étaient goudronnés, 4300 km de voies ferrées, 4 ports équipés aux normes internationales, 23 ports aménagés (dont 10 accessibles aux grands cargos et dont 5 qui pouvaient être desservis par des paquebots), 34 phares maritimes, une douzaine d’aérodromes principaux, des centaines d’ouvrages d’art (ponts, tunnels, viaducs, barrages etc.), des milliers de bâtiments administratifs, de casernes, de bâtiments officiels, 31 centrales hydroélectriques ou thermiques, une centaine d’industries importantes dans les secteurs de la construction, de la métallurgie, de la cimenterie etc., des milliers d’écoles, d’instituts de formations, de lycées, d’universités avec 800 000 enfants scolarisés dans 17 000 classes (soit autant d’instituteurs, dont deux-tiers de Français), un hôpital universitaire de 2000 lits à Alger, trois grands hôpitaux de chefs-lieux à Alger, Oran et Constantine, 14 hôpitaux spécialisés et 112 hôpitaux polyvalents, soit le chiffre exceptionnel d’un lit pour 300 habitants. Sans parler d’une agriculture florissante laissée en jachère après l’indépendance, à telle enseigne qu’aujourd’hui l’Algérie doit importer du concentré de tomates, des pois chiches et de la semoule pour le couscous…
Tout ce que la France légua à l’Algérie avait été construit à partir du néant, dans un pays qui n’avait jamais existé et dont même son nom lui fut donné par la France. Tout avait été payé par les impôts des Français. Daniel Lefeuvre a montré qu’en 1959, toutes dépenses confondues, l’Algérie engloutissait 20% du budget de l’État français, soit davantage que les budgets additionnés de l’Éducation nationale, des Travaux publics, des Transports, de la Reconstruction et du Logement, de l’Industrie et du Commerce !

 http://www.planete-tv.fr/2019/07/video-gros-malaise-en-direct-sur-l-equipe-lorsque-qu-un-supporter-algerien-affirme-la-france-nous-a-colonise-c-est-maintenant-a-nous?fbclid=IwAR2X1LWY8XxZ1JMvFOC7Wt_N8uRRORsRmXvoDBBUokeFA-qbSHvDTOXGUfE

Bêtise qui voudrait que dans une volonté de résistance puis de justice, la colonisation, l’assujettissement soient reconnus au moins comme une faute sinon comme un crime dont tout un peuple serait coupable ! Venez donc me dire que mes ancêtres ariégeois se sont enrichis grâce à la colonisation ! Au nom de quel amalgame aussi méprisable que coupable, se permettrait-on de les accabler alors que, pour ne pas mourir, ils sont descendus de leurs montagnes parce que la récolte de pommes-de-terre était anéantie ! Je vous laisse deviner ce que s'est entendu dire un de ces étudiants prétentieux prétendant que je portais la faute de l'esclavage ! Non mais ! 

Double bêtise puisqu'elle ne veut pas se poser la question de savoir si le colonisé n'a pas été colonisateur. En Algérie puisqu'il en est question, un rapport colonisateur-colonisé n'a-t-il pas impliqué les Kabyles et les Arabes ? Et, nous concernant, les barons du Nord ne sont-ils pas venus piller et coloniser le Languedoc en prétextant une hérésie cathare à éradiquer ?  

Au lieu d'endosser des souffrances souvent insincères, plutôt ne pas accepter, dénoncer et lutter contre les formes modernes de colonisation et d'esclavage, conséquences de l'accaparement insatiable des richesses pourtant limitées de la planète par une infime minorité de milliardaires que nous sommes coupables de laisser faire...         

lundi 22 juillet 2019

LE TOUR DE FRANCE DANS LE COUSERANS (ARIEGE)

Petite chronique des années 40.

Le Tour de France passe souvent dans l’Ariège, le Port de Lers, le mur de Péguère sans parler cette année de ce final inédit à Foix avec le Prat d'Albis, à plus de 1200 mètres d'altitude.
Ils sont passés à Massat, non loin du pays de naissance d’Henri-René Garaud, l'avocat connu pour ses convictions très marquées. Il a défendu Christine Villemin.

Mon père ne manquait pas d'évoquer ce copain de 1947 à la fac de droit de Paris :

"... Nous avons échangé des lettres. Il est mort en 1972... il était pas vieux... je crois qu’il a été longtemps maire d’un petit patelin au-dessus d’Ax-les-Thermes. Il y est enterré..." 

 En 2011, l'étape du 16 juillet (St-Gaudens, Plateau de Beille), au contraire, descendait vers Vicdessos. 



 

vendredi 19 juillet 2019

Mèchmèch, damasco, abercoc, albricot, albicocca, abricot / Pour les noyaux...

Nous ne sommes que le 19, finalement pas si en retard par rapport à ces grandes vacances qui se prenaient du 14 juillet au 30 septembre avant que, vers 1960, ce ne soit du 14 juillet au 15 septembre. Encore un de ces détails marquant une époque, mais pas dans le registre du "c'était mieux avant" puisque les congés de Toussaint ou ceux dits "d'hiver" n'existaient pas ! 

Ce temps gourmand d'avant les vacances. CM2, la dernière année avant le collège. L'été déjà avec les récrés qui se prolongent, les maîtres en blouses grises, de front, qui passent et repassent, indulgents, permissifs. Pourtant le préau et le mur d'enceinte ont des airs de kermesse avec ses forains et ses chalands. L'élève boutiquier met en jeu un sujet, un petit soldat, un coureur du Tour de France voire l'hippopotame en plastique gris offert au fond du paquet de lessive Omo. Ses collègues clients déambulent d'échoppe en boutique.
    A trois mètres environ de chaque étal, une ligne à la craie. Sans mordre sur le tracé, l’intéressé vise et lance un cœur d’abricot sur le petit sujet. Touché et tombé, c’est gagné, sinon le tenancier ramasse les noyaux épars. Des sacs gonflés font le tour des platanes ; les autres se voient moins et pour cause. De vrais fortunes passent de main en main... Héritage, d'une certaine manière, des foires du Moyen-Age,  irruption encore du droit de frapper monnaie. On se trimballe avec des bourses pleines. Pas d’emporte-pièce, l’atelier est à la maison avec les abricots du dessert ou mieux, de la confiture. « Maman, ne les jette pas ! ». Chacun amasse, thésaurise un trésor de noyaux aussi précieux que les cauris des îles ! Certains ont l’œil sur le compost des jardins, d'autres n'hésitent pas à faire les poubelles ! 



Avec les années qui apportent à l'être, on réalise combien ce fruit orangé a inspiré et nourri l'imaginaire. Ainsi, au-delà de la précision scientifique, la suture carpellaire, le sillon médian ont vite débouché sur une interprétation érotique à la portée de tous : 

 "... Après quoi, sans accorder un gramme d'attention au conducteur, elle attrapa lestement son panier de linge, et le collant encore ruisselant sous son bras, elle s'en alla, pieds nus et déhanchée, un bout de chanson aux lèvres, en tortillant son abricot, déjà hardi sous les plis de sa jupe..." La Caverne des Pestiférés, Jean Carrière. (très bel extrait à lire plus étoffé dans la page "abricot" de Wikipedia !). 

Et Wikipedia, l'encyclopédie des partageux, ajoute même les paroles d'une chanson érotique, chantée en 1963 par Colette Renard : 

"... Je me fais remplir le vestibule, je me fais ramoner l'abricot..." Les Nuits d'une Demoiselle, Guy Breton.  

Fermez la parenthèse.  

Avec les années qui érodent l'être, on réalise un jour qu'oreillons et noyaux d'abricots marquent l'Histoire de la Méditerranée occidentale, du berceau d'un natif de l'embouchure de l'Aude... Les mots d'une belle chanson font mouche : 

"... Tes souvenirs se voilent
Tu les aimais ces fruits
Les noyaux d'abricots 
Pour toi, c'étaient des billes..."  
Le café des délices (2000). Patrick Bruel. 

Les paroles, les sons venus de la rive sud, de Tunisie, ouvrent d'un coup la mémoire cantonnée jusque là à la plaine languedocienne. Début des années 60, les rapatriés d'Algérie, sans que ce soit le triste et terrible flux de 1962, regagnent la métropole. Le succès des noyaux d'abricots nous est-il arrivé avec eux, avec le couscous notamment, après les crispations dues au vin d'Algérie ? 


Si l'abricot nous est venu d'Orient, on disait d'Arménie mais ce serait plutôt de Chine où il est cultivé depuis quatre millénaires, son nom aussi aurait pérégriné : mèchmèch en Afrique du Nord, damasco en Ibérie (venu de Damas comme la rose), albaricoque en castellan puis albercoc chez nos cousins catalans, albricot ou aubricot en Occitanie. Ici on pense plutôt qu'il s'est répandu avec les Arabes depuis le détroit de Gibraltar. Mais une autre route le ferait venir l'albicocca  d'Italie, avec René d'Anjou, roi de Naples...

Est-ce pour une plaie ouverte telle celle évoquée dans le « Temps des cerises » ou peut-être parce qu’ils ont sur la peau les mêmes taches que moi sur le nez et les joues mais en avant-goût des grandes vacances, j'aimerai toujours le temps des abricots qu’on ouvre en rêvant, oreillons moelleux au parfum des beaux jours.    

samedi 6 juillet 2019

FLEURY ET LE TOUR DE FRANCE / Fleury-d'Aude en Languedoc.

Ils partent d'où aujourd'hui ? Ils ? les coureurs du Tour de France bien sûr ! Le Tour accompagne les Français depuis plus d'un siècle ! 

Avant guerre, pour suivre la course et plus particulièrement l'étape en montagne, on se regroupe autour des quelques postes de TSF avant que la radiophonie ne se démocratise. 

Veille des années 60, avec la télé encore chère, le transistor on peut l'écouter dehors et au ramonétage, cette petite place qui nous paraissait si grande, René pousse le son et partage le débit incroyable des reporters qui suspend même le concours de pétanque. 

Si le Tour passe dans le coin, d'un coup de vélo par la plaine nous rejoignons la nationale entre Coursan et Nissan pour au mieux, profiter de la caravane publicitaire avant que le peloton, en coup de vent, dans un bruissement de chaînons sur les pignons, ne nous laisse un sillage de voitures pressées et de motos suiveuses.         

Le Tour, c'est aussi le souvenir de Roger, postier à Paris mais revenu pour les congés et qui, tous les matins, épluchait L’Équipe sur les marches du monument aux morts...  

Et qui se souvient qu'en 1981, Hinault, Van Impe et Alban moulinèrent en venant de Lespignan pour filer vers la mer ? (3ème étape du 28 juin / Martigues - Narbonne-Plage). 

Les diapos sont de papa ! 



vendredi 5 juillet 2019

LA DERNIÈRE CLASSE / Pour des langues régionales reconnues...


 Le village s’est adapté aux chaleurs estivales ; au mois de juin, l’heure d’été s’impose : les hommes partent à quatre heures vieilles pour sulfater et soufrer tant que le vent n’est pas levé encore. A onze heures la journée de longue est terminée : frais et changés, ils se regroupent au cagnard que la rage du soleil n’étouffe pas encore ; la preuve, pour les gens de passage, qu’on se s’en fait pas dans le Midi ! Nos vignerons et viticulteurs parlent de la santé des ceps, de la floraison bien sûr mais pas que, puisque, aussi, sinon plus incisifs que la gent féminine, ils colportent nouvelles et ragots.
Le 14 juillet, date charnière pour la saison à la mer qui commence mais pour un mois seulement et pour les femmes, les vieux, les gosses, parce que pour les hommes, à moto et surtout à mobylette, l’ouvrage continue dans l’océan de vignes, suivant un même emploi du temps.
Maintenant, comment ne pas évoquer ces récréations à rallonges de fin d’année, veille du 14 juillet ? Innocence d’un âge loin de se douter des bas instincts, de la filouterie du genre humain, d’une crapulerie congénitale à l’aune des grands principes clamés de liberté, d’égalité, n’en jetons plus… du bourrage de crâne patriotique avec la complicité inconsciente de générations d’enseignants, la duplicité, intentionnelle ou non, de littérateurs conditionnés…

« La dernière classe » c’est celle racontée par Alphonse Daudet dans ses Contes du Lundi :

« Mes enfants, c’est la dernière fois que je vous fais la classe. L’ordre est venu de Berlin de ne plus enseigner que l’allemand dans les écoles de l’Alsace et de la Lorraine… Le nouveau maître arrive demain. Aujourd’hui, c’est votre dernière leçon de français. Je vous prie d’être bien attentifs. »

[…] M. Hamel se mit à nous parler de la langue française, disant que c’était la plus belle langue du monde, la plus claire, la plus solide : qu’il fallait la garder entre nous et ne jamais l’oublier, parce que, quand un peuple tombe esclave, tant qu’il tient bien sa langue, c’est comme s’il tenait la clef de sa prison… »

Il est culotté Daudet, ce Petit Chose passé au Nord et qui, narquois, n’hésite pas à cracher sur l’Occitanie puisqu’une note fait référence à Mistral « …qu'un pople toumbe esclau, Se tèn sa lengo, tèn la clau Que di cadeno lou deliéuro. » (… qu’un peuple tombe esclave, s’il tient sa langue, il tient la clé qui des chaînes le délivre). 


Comment ne pas penser aussi à un Tomi Ungerer qui, bien que duplice (est monté à Paris recevoir ses légions de breloques) a exprimé une déception alsacienne à contre-courant :
« … Après la guerre ça ne valait guère mieux. Bon on s’attendait à une libération… On appelle ça libération avant que ça arrive, une fois que c’est arrivé c’est plus de la libération parce qu’alors là pour un mot d’alsacien c’était une heure de retenue à l’école, y avait la même chose en Bretagne et ailleurs… » 

En 1999 la France a signé la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, traité européen adopté en 1992.
En 2014, les députés voudraient, le président Hollande ayant promis en 2012, mais les sénateurs rejettent en 2015 tandis que le Conseil Constitutionnel rechigne à l’idée de triturer la Constitution… Ce doit être sacrilège alors qu’il ne reste que 30 articles inchangés sur les 92 de 1958 ! 

« La Charte ayant été signée mais pas ratifiée, la France n'a mis en vigueur aucun engagement. »   

« France mère des arts, des armes et des lois… » pleurnichait Du Bellay l’Angevin, contemporain de l’ordonnance de Villers-Cotterêts en faveur du français. Permettez que le Languedocien ne relève que la promotion de la langue française aux dépens du latin et non des langues autochtones, souffrez que l’Occitan ne retienne que la France des armes et des lois. Sous cet angle là, les paroles des chansons récemment évoquées ici, de Claudi Marti et de La Sauze, ne passent pas pour aussi outrancières qu’il y parait…