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vendredi 19 juillet 2019

Mèchmèch, damasco, abercoc, albricot, albicocca, abricot / Pour les noyaux...

Nous ne sommes que le 19, finalement pas si en retard par rapport à ces grandes vacances qui se prenaient du 14 juillet au 30 septembre avant que, vers 1960, ce ne soit du 14 juillet au 15 septembre. Encore un de ces détails marquant une époque, mais pas dans le registre du "c'était mieux avant" puisque les congés de Toussaint ou ceux dits "d'hiver" n'existaient pas ! 

Ce temps gourmand d'avant les vacances. CM2, la dernière année avant le collège. L'été déjà avec les récrés qui se prolongent, les maîtres en blouses grises, de front, qui passent et repassent, indulgents, permissifs. Pourtant le préau et le mur d'enceinte ont des airs de kermesse avec ses forains et ses chalands. L'élève boutiquier met en jeu un sujet, un petit soldat, un coureur du Tour de France voire l'hippopotame en plastique gris offert au fond du paquet de lessive Omo. Ses collègues clients déambulent d'échoppe en boutique.
    A trois mètres environ de chaque étal, une ligne à la craie. Sans mordre sur le tracé, l’intéressé vise et lance un cœur d’abricot sur le petit sujet. Touché et tombé, c’est gagné, sinon le tenancier ramasse les noyaux épars. Des sacs gonflés font le tour des platanes ; les autres se voient moins et pour cause. De vrais fortunes passent de main en main... Héritage, d'une certaine manière, des foires du Moyen-Age,  irruption encore du droit de frapper monnaie. On se trimballe avec des bourses pleines. Pas d’emporte-pièce, l’atelier est à la maison avec les abricots du dessert ou mieux, de la confiture. « Maman, ne les jette pas ! ». Chacun amasse, thésaurise un trésor de noyaux aussi précieux que les cauris des îles ! Certains ont l’œil sur le compost des jardins, d'autres n'hésitent pas à faire les poubelles ! 



Avec les années qui apportent à l'être, on réalise combien ce fruit orangé a inspiré et nourri l'imaginaire. Ainsi, au-delà de la précision scientifique, la suture carpellaire, le sillon médian ont vite débouché sur une interprétation érotique à la portée de tous : 

 "... Après quoi, sans accorder un gramme d'attention au conducteur, elle attrapa lestement son panier de linge, et le collant encore ruisselant sous son bras, elle s'en alla, pieds nus et déhanchée, un bout de chanson aux lèvres, en tortillant son abricot, déjà hardi sous les plis de sa jupe..." La Caverne des Pestiférés, Jean Carrière. (très bel extrait à lire plus étoffé dans la page "abricot" de Wikipedia !). 

Et Wikipedia, l'encyclopédie des partageux, ajoute même les paroles d'une chanson érotique, chantée en 1963 par Colette Renard : 

"... Je me fais remplir le vestibule, je me fais ramoner l'abricot..." Les Nuits d'une Demoiselle, Guy Breton.  

Fermez la parenthèse.  

Avec les années qui érodent l'être, on réalise un jour qu'oreillons et noyaux d'abricots marquent l'Histoire de la Méditerranée occidentale, du berceau d'un natif de l'embouchure de l'Aude... Les mots d'une belle chanson font mouche : 

"... Tes souvenirs se voilent
Tu les aimais ces fruits
Les noyaux d'abricots 
Pour toi, c'étaient des billes..."  
Le café des délices (2000). Patrick Bruel. 

Les paroles, les sons venus de la rive sud, de Tunisie, ouvrent d'un coup la mémoire cantonnée jusque là à la plaine languedocienne. Début des années 60, les rapatriés d'Algérie, sans que ce soit le triste et terrible flux de 1962, regagnent la métropole. Le succès des noyaux d'abricots nous est-il arrivé avec eux, avec le couscous notamment, après les crispations dues au vin d'Algérie ? 


Si l'abricot nous est venu d'Orient, on disait d'Arménie mais ce serait plutôt de Chine où il est cultivé depuis quatre millénaires, son nom aussi aurait pérégriné : mèchmèch en Afrique du Nord, damasco en Ibérie (venu de Damas comme la rose), albaricoque en castellan puis albercoc chez nos cousins catalans, albricot ou aubricot en Occitanie. Ici on pense plutôt qu'il s'est répandu avec les Arabes depuis le détroit de Gibraltar. Mais une autre route le ferait venir l'albicocca  d'Italie, avec René d'Anjou, roi de Naples...

Est-ce pour une plaie ouverte telle celle évoquée dans le « Temps des cerises » ou peut-être parce qu’ils ont sur la peau les mêmes taches que moi sur le nez et les joues mais en avant-goût des grandes vacances, j'aimerai toujours le temps des abricots qu’on ouvre en rêvant, oreillons moelleux au parfum des beaux jours.    

mardi 6 février 2018

AUX MARCHES DE L'AIGOUAL, LE VIGAN / André CHAMSON, Jean CARRIERE.



Le Vigan, la soie, les bas de luxe. André Chamson (1900 Nîmes – 1983 Paris) confié à sa grand-mère, le temps des vacances. Si, devenu académicien, il suivit la voie par excellence de la méritocratie jacobine, il fut homme de convictions, pour le Front populaire, le soutien aux républicains espagnols, la résistance dans laquelle il s’engagea malgré ses idées pacifistes de jeunesse. Son œuvre raconte la vie dans les Cévennes, l’homme aux prises avec une nature sans pitié. Avec le temps, il s’attachera à témoigner de la rébellion déterminée des Camisards confrontés aux dragons d’un Louis XIV devenu dévot après avoir engendré seize ou dix-sept enfants naturels… un « grand » roi par ailleurs ! Au col de la Lusette, sur les pentes de l’Aigoual, sa tombe porte l’inscription « REGISTER », résister[1] en occitan[2] du Vivarais.



« Dans l’ordre humain, je ne connais rien de plus beau que cette aventure héroïque d’un peuple montagnard qui semble avoir voulu donner la preuve de la primauté de la conscience humaine » André Chamson, 1935.



Au Vigan toujours, avec Jean Carrière (1928 – 2005), Goncourt en 1972 avec l’Épervier de Maheux, la porte sud des Cévennes ouvre sur une nature rude, rêche, à l’opposé de la plaine plus conciliante. Le milieu modelant les consciences a poussé une majorité de Cévenols à refuser viscéralement un catholicisme corrompu, suppôt du pouvoir, versé dans la vénalité, les plaisirs terrestres, au point d’atteindre au puritanisme. 
Après André Chamson, Jean Carrière en témoigne avec son personnage principal, contemporain des années 50. Dernier habitant d’un hameau où il est déraisonnable de s’accrocher pour seulement survivre, Abel dont le père s’est marié de justesse grâce à des lettres d’amour recopiées sur un magazine, s’entête à trouver de l’eau après que la source se soit tarie. La Noiraude, la femme, est finalement redescendue au village, auprès des siens :  



« … Le matin, il fallait se laver à la source, boire où venaient boire les sangliers ; la barbe, il ne la coupait plus. Plus de femme, à quoi bon se raser… »



Abel a son secret, il fait sauter la montagne à coups d’explosifs. Il a sauté avec. Accident ? Suicide ? Il mourra enseveli.



Ici le hameau éteint d’Abel, là-bas celui rallumé de Panturle. Ici un néant après sa mort, là-bas, la réhabilitation de Florette grâce à Manon, sa fille. Ici le maquis, là-bas la garrigue. Ici la montagne austère, là-bas la plaine souriante. Étrange point commun, la quête primordiale de l’eau, le rôle des explosifs… Gravitation dissymétrique autour d’un même barycentre de deux écrivains formidables : Carrière, Pagnol.




Le Mont Aigoual[3] « château d’eau » avec les sources du Tarn, du Gard, de l’Hérault. Mont de tous les records : rafale de marin en tempête à 360 km/h ! 908 mm de pluie, 186 cm de neige, 120 cm de givre en 24 heures ! Le Mont Aigoual, une arène que se disputent les influences de l'Atlantique et de la Méditerranée... 

Aigoual des camisards, des maquisards… le repaire de Castanet[4], ce chef qui, prenant pour femme Mariette, de bonheur exalté libéra d’un coup vingt-cinq prisonniers. Par malheur, une milice catholique prit Mariette, lui promettant un sort tragique. Un homme de cœur comme Castanet ne pouvait laisser faire : il fit irruption à Valleraugue d’où il repartit avec une femme en otage. Ce fut, paraît-il, le seul échange de prisonniers de cette guerre ignoble.

Des ombres hantent l’Aigoual quand la grisaille accroche ses nuées sur ses pentes. Mais par beau temps, serait-il plus incertain, il offre un panorama exceptionnel du Puy-de-Sancy au Monte Viso en Italie, du Mont-Blanc au Pico de Aneto en Espagne et à ses pieds, les chances sont plus grandes de découvrir tout le Golfe du Lion, depuis Marseille jusqu’au Cabo de Creus !   




[1] Inscription gravée dans la pierre par Marie Durand, sœur d’un pasteur du Désert et pour cette raison, prisonnière 38 ans à la Tour de Constance (Aigues-Mortes) (les hommes étaient envoyés aux galères)… Louis XIV ? Un grand roi…
[2] Chamson Majoral du Félibrige qui écrivit aussi des poèmes en occitan se laissa embringuer dans une secte d’auteurs irrédentistes revendiquant seulement le parler de Provence. Dommage !
[3] Jean Carrière a habité quarante ans au pied de l’Aigoual.
[4] J’avais dix ans. Mon professeur de piano, Mlle Florac ou peut-être était-elle de ce bourg des Cévennes m’avait raconté cette histoire que je retrouve non sans émotion, par André Chamson :  http://www.revuedesdeuxmondes.fr/wp-content/uploads/2016/11/98fb1c59e84c9626e119a3fe0fa1668f.pdf 

Photos autorisées : 
1 & 2. wikimedia commons Le Vigan Author DePlusJean / André Chamson en 1962. 
3. flickr : versant ouest de l'Aigoual.