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vendredi 1 décembre 2023

MARSEILLE (3)

 Le port, le commerce maritime causant la peste, la fortune des armateurs, l’infortune d’Edmond Dantès, le départ de Marius sur la Malaysie, l’arrivée de thoniers d’Afrique-du-Nord dont un, colérique au possible contre une réglementation défavorable au pactole escompté. Non loin, le “ village ”, l’anse, la plage des Catalans où Alexandre Dumas met en scène Mercédès, la fiancée perdue de celui qui grâce à l’abbé Faria, codétenu au château d’If, deviendra le richissime comte de Monte-Cristo ; l’occasion, pour Dumas, d’écrire sur la présence des Catalans à Marseille :

« ...ils s’étaient abattus pareils à une bande d’oiseaux de mer, sans se mêler.../... se mariant entre eux, et ayant conservé le costume et les mœurs de leur mère-patrie, comme ils en ont conservé le langage... » 

Guerre d'Algérie - L'impossible commémoration La Cliothèque photo autorisée

Marseille a vu, notamment avec Port-Vendres en Roussillon, le débarquement de nombreux rapatriés surtout d’Algérie ; un grand port ne peut qu’attirer de grands voyageurs tels Arthur Rimbaud (1854-1891) qui y décède, Joseph Conrad (1857-1924) ; il représente aussi un refuge, le premier pas d’un exilé, Albert Cohen (1895-1981), fuyant avec sa famille l’antisémitisme de Corfou... Walter Benjamin (1892-1940) y passe dans son errance de persécuté (il se donnera la mort à Port-Bou). 

Cathédrale_La_Major 2017 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Vlad Mandyev

Notre_Dame_de_la_Garde the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Author Benh LIEU SONG

Des “ Hom-mes ” du paléolithique (la majuscule inclut les “ Fem-mes ”), à la population d’aujourd’hui forte de ses apports catalan, juif, piémontais, napolitain, corse, italien, arménien, pied-noir, maghrebin, comorien  en passant par les Ligures, Phocéens, Wisigoths, Romains, Sarrasins et autres pirates, la ville est d’autant plus cosmopolite qu’elle est ouverte vers l’Afrique, historiquement « Porte de l’Orient » et de l’Asie. Une empreinte que le style romano-byzantin et l’époque de construction de La Major, la cathédrale, et de la Bonne-Mère, basilique Notre-Dame-de-la-Garde symbolisent... Quant au lien à la France, avec l’axe PLM, Paris-Lyon-“ Méditerranée ” (pour ne pas dire “ Marseille ” ?), retenons avant tout l’épisode de la Marseillaise ! 1792 : présenté aux volontaires marseillais, le Chant de Guerre de l’Armée du Rhin leur plaît tant qu’ils vont le chanter de clocher en clocher lors de leur longue marche vers Paris ; électrisée, la population va aussitôt adopter La Marseillaise (1) ; 

(1) Délaissée par Napoléon, abandonnée par la Restauration, reprise en 1830 pour Louis-Philippe qui lui préfère « La Parisienne », interdite par Napoléon III, hymne national sous la IIIe République (1879), remplacée par la sénilité carriériste d’un maréchal décrépit (un plagiat qui plus est d’un air d’opérette, putain !), La Marseillaise ne saurait tolérer que quiconque y touchât, même de façon homéopathique avec VGE voulant en ralentir le tempo, ce qui n’avait rien de séditieux... ne parlons pas de ce fils de, acteur de naissance grâce à papa, qui nous fit une colère contre des paroles qu’il n’avait pas pris la peine de comprendre...  

jeudi 15 juin 2023

SÈTE 4. Pêche, migrations et capitalisme...

Robert_Mols_-_port_de_Sète 1891 domaine public musée Paul Valéry. 

Sète, un Languedoc maritime, mâtiné de Catalogne, de Campanie jusqu’en Calabre, Sète, port de pêche. Si, localement, l’activité concernait l’Étang, avec les Catalans d’abord, puis les Italiens, elle s’est tournée vers la mer. Encore au début du siècle passé, les Sétois originaires d’Italie faisaient construire à Agde des dizaines de bateaux-bœufs ainsi nommés parce qu’ils tiraient le filet comme les bœufs tiraient la charrue. Sauf que cette technique prévoit que le second fait la vache, pour dire qu’il ne bénéficie pas du partage de la pêche, à charge, la fois d’après, d’inverser les rôles, exception faite de la semaine sainte où tout le monde a besoin d’argent frais pour fêter Pâques. Même au port, coques alignées, rangées, quel bel ensemble ces voiles carguées sur les antennes ! Au point que Paul Valéry, le penseur qui ne se voulait pas philosophe, d’habitude plus compliqué, avait revendiqué la beauté des voiles de Sète ! (si quelqu’un me retrouve cette citation, je suis preneur !) Et cette antenne ! vingt-deux, vingt-quatre mètres de longueur... imaginons le mousse chargé d’y grimper ! D’ailleurs on le voit sur le détail d’une marine « Le Port de Sète », du peintre Mols. Autre détail : les filets hissés en haut du mât ! Superstition ou simple prévention contre les vols ?

Ces immigrés particuliers (beaucoup, dans l’agriculture, les forêts, sont longtemps venus du Nord de l’Italie) nous les retrouvons, par exemple, à la tête de chantiers de construction maritime ou comme patrons de bateaux, des « dynasties » toujours à la barre. Pêcheurs, ils sont originaires de Cetara dans le Golfe de Salerne. A partir de 1850, comme à Sérignan, ceux de Cetraro (Calabre), à Frontignan, ceux de Gaete (golfe au nord de Naples). Par les lettres au pays puis le bouche à oreille, ils seraient partis parce qu’il n’y avait plus chez eux, ni sel ni anchois, le long de cette côte au Sud de Rome. Ce sont eux qui ont impulsé la pêche en mer, les locaux démontrant moins de courage ou se révélant plus terrestres que marins, moins aguerris, disposés seulement à exploiter la lagune du Thau et plus haut le long du golfe, la gourmette d’étangs jusqu’à Aigues-Mortes. 

Depuis, prenant le pas sur Agde, Sète reste notre plus important port de pêche sur la Méditerranée. Dans les années 60, ce sont les rapatriés d’Algérie, souvent arrivés sur leurs propres bâtiments, qui ont apporté du sang nouveau. 

Sète chalutiers et thoniers Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Auteur Christian Ferrer


A voir les belles unités flambant neuves, alignées le long du quai, le polyester immaculé à la place de l’acier qui lui-même avait repoussé les coques en bois, une génération de plus en arrière, nous n’allons pas regretter les voiles pittoresques appréciées de Valéry, le ravaudeur de filets sur le quai qui chante si bien l’Italie (si, si ce n’est pas une carte postale, j’en ai été témoin), une belle voix qui doit faire le bonheur des tablées de fêtes. Non, nous n’allons pas fondre en commisération à la vue du quartier haut, le pauvre (à Mèze nous avions l’inverse, comme quoi...), celui des petites maisons des pêcheurs avec le linge pendu aux balcons. Rien ne saurait rester figé. Entre aimer le passé et rester passéiste, faut pas confondre. Comme partout, le confort, l’argent sont passés par là ; c’est un calcul, un investissement à long terme, envisageable si une pêche rapporte et que peut-il y avoir de plus exaltant même pour ces pêcheurs-hommes d’affaires, qu’une fièvre pour le thon égale à celle du chercheur d’or d’une autre époque ? 

Tuna_ensnared, pris au piège.  Domaine Public  from the U.S. National Oceanic and Atmospheric Administration Auteur Danilo Cedrone (United Nations Food and Agriculture Organization)


Dans quelle limite ce calcul reste-t-il acceptable ? C'est bien parce que le système complètement amoral ne s'impose pas de limites qu'une fin du Monde, du moins de l'anthropocène, est devenue plausible... Inutile d'en référer à Nostradamus et à Malachie...  

vendredi 19 juillet 2019

Mèchmèch, damasco, abercoc, albricot, albicocca, abricot / Pour les noyaux...

Nous ne sommes que le 19, finalement pas si en retard par rapport à ces grandes vacances qui se prenaient du 14 juillet au 30 septembre avant que, vers 1960, ce ne soit du 14 juillet au 15 septembre. Encore un de ces détails marquant une époque, mais pas dans le registre du "c'était mieux avant" puisque les congés de Toussaint ou ceux dits "d'hiver" n'existaient pas ! 

Ce temps gourmand d'avant les vacances. CM2, la dernière année avant le collège. L'été déjà avec les récrés qui se prolongent, les maîtres en blouses grises, de front, qui passent et repassent, indulgents, permissifs. Pourtant le préau et le mur d'enceinte ont des airs de kermesse avec ses forains et ses chalands. L'élève boutiquier met en jeu un sujet, un petit soldat, un coureur du Tour de France voire l'hippopotame en plastique gris offert au fond du paquet de lessive Omo. Ses collègues clients déambulent d'échoppe en boutique.
    A trois mètres environ de chaque étal, une ligne à la craie. Sans mordre sur le tracé, l’intéressé vise et lance un cœur d’abricot sur le petit sujet. Touché et tombé, c’est gagné, sinon le tenancier ramasse les noyaux épars. Des sacs gonflés font le tour des platanes ; les autres se voient moins et pour cause. De vrais fortunes passent de main en main... Héritage, d'une certaine manière, des foires du Moyen-Age,  irruption encore du droit de frapper monnaie. On se trimballe avec des bourses pleines. Pas d’emporte-pièce, l’atelier est à la maison avec les abricots du dessert ou mieux, de la confiture. « Maman, ne les jette pas ! ». Chacun amasse, thésaurise un trésor de noyaux aussi précieux que les cauris des îles ! Certains ont l’œil sur le compost des jardins, d'autres n'hésitent pas à faire les poubelles ! 



Avec les années qui apportent à l'être, on réalise combien ce fruit orangé a inspiré et nourri l'imaginaire. Ainsi, au-delà de la précision scientifique, la suture carpellaire, le sillon médian ont vite débouché sur une interprétation érotique à la portée de tous : 

 "... Après quoi, sans accorder un gramme d'attention au conducteur, elle attrapa lestement son panier de linge, et le collant encore ruisselant sous son bras, elle s'en alla, pieds nus et déhanchée, un bout de chanson aux lèvres, en tortillant son abricot, déjà hardi sous les plis de sa jupe..." La Caverne des Pestiférés, Jean Carrière. (très bel extrait à lire plus étoffé dans la page "abricot" de Wikipedia !). 

Et Wikipedia, l'encyclopédie des partageux, ajoute même les paroles d'une chanson érotique, chantée en 1963 par Colette Renard : 

"... Je me fais remplir le vestibule, je me fais ramoner l'abricot..." Les Nuits d'une Demoiselle, Guy Breton.  

Fermez la parenthèse.  

Avec les années qui érodent l'être, on réalise un jour qu'oreillons et noyaux d'abricots marquent l'Histoire de la Méditerranée occidentale, du berceau d'un natif de l'embouchure de l'Aude... Les mots d'une belle chanson font mouche : 

"... Tes souvenirs se voilent
Tu les aimais ces fruits
Les noyaux d'abricots 
Pour toi, c'étaient des billes..."  
Le café des délices (2000). Patrick Bruel. 

Les paroles, les sons venus de la rive sud, de Tunisie, ouvrent d'un coup la mémoire cantonnée jusque là à la plaine languedocienne. Début des années 60, les rapatriés d'Algérie, sans que ce soit le triste et terrible flux de 1962, regagnent la métropole. Le succès des noyaux d'abricots nous est-il arrivé avec eux, avec le couscous notamment, après les crispations dues au vin d'Algérie ? 


Si l'abricot nous est venu d'Orient, on disait d'Arménie mais ce serait plutôt de Chine où il est cultivé depuis quatre millénaires, son nom aussi aurait pérégriné : mèchmèch en Afrique du Nord, damasco en Ibérie (venu de Damas comme la rose), albaricoque en castellan puis albercoc chez nos cousins catalans, albricot ou aubricot en Occitanie. Ici on pense plutôt qu'il s'est répandu avec les Arabes depuis le détroit de Gibraltar. Mais une autre route le ferait venir l'albicocca  d'Italie, avec René d'Anjou, roi de Naples...

Est-ce pour une plaie ouverte telle celle évoquée dans le « Temps des cerises » ou peut-être parce qu’ils ont sur la peau les mêmes taches que moi sur le nez et les joues mais en avant-goût des grandes vacances, j'aimerai toujours le temps des abricots qu’on ouvre en rêvant, oreillons moelleux au parfum des beaux jours.