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vendredi 16 juin 2023

SÈTE 5. Thon et pognon !

Un reportage peut-être à la télé régionale : deux frères, armateurs-thoniers, se confient visiblement sûrs d'une logique économique se suffisant à elle-même ; ils sont dans la quarantaine ; un investissement sur vingt ans reste raisonnable, à deux qui plus est ; ils font construire un bateau moderne, plus cher mais fabriqué en Roussillon, plus léger mais plus solide, économique en carburant et ça compte quand la puissance développée atteint les mille chevaux. Ce serait presque hors sujet de poser une question sur la ressource, sur l'activité durable... Que s’est-il passé ? 

Le thonier-senneur Saint_Antoine_Marie  GNU Free Documentation License. Auteur Jean-Pierre Bazard On peut voir les bras articulés qui permettent de lever et de manœuvrer la senne (le filet de pêche) pour la retirer et à droite l'annexe qui se met à l'eau pour encercler et prendre les thons. 

Vingt ans en arrière, pourtant, la race des thons qui viennent se reproduire en Méditerranée, se perdait ; pour une fois, les scientifiques ont été plus qu’écoutés puisqu’il s’en est suivi une interdiction ; c’est dire si la situation était désespérée... À un moment donné, seules les mesures radicales, coercitives sont susceptibles d’être suivies d’effets... Je me souviens d’un reportage à Marseille, un mec (j’assume une condescendance allant au delà, vous allez comprendre !) au micro, vulgaire, volubile mais dans l’indécence sordide, contre l’interdiction, parce que lui, un de la famille sinon un allié avait misé des millions vu que ça devait rapporter, qu’il n’en avait rien à foutre de la réglementation. Un témoignage outrancier à garder en mémoire, donnant une piètre et fausse image des Pieds-Noirs auprès de ceux qui ont une vision simpliste, lapidaire, arrêtée sur les gens et l’Histoire. On reste stupéfait de la véhémence affichée au seul motif d’un gros investissement avec pour seul souci un retour bénéficiaire et la légitimité d’être un riche qui risque et à qui la piétaille, avec pour seul droit celui de la fermer, devrait tout ! Que sont devenues ses mises de fond en quinze ans ? Ce qui est sûr est que nous ne pouvons pas compter sur un changement de mentalité de la part d’un tel individu. N’attendons pas sagesse, humanité, solidarité de la part de tels prédateurs économiques, forts, de par leur pouvoir financier, de tenir les politiques en main. Aujourd’hui, en effet, comme quoi la nature est bonne fille, en dépit des quotas (89 % pour la Méditerranée, 10 % pour l’Atlantique, 1 % à la pêche de loisir... pas contente de n’avoir que si peu de bagues), le thon rouge de Méditerranée est de retour, ses effectifs se renforcent... Quasiment un miracle tant le pessimisme, malheureusement lié à la façon de traiter la Planète par ce foutu système libéral délétère à force d’excès, régnait et règne encore. Était-ce parce que ce monde d’armateurs pesait moins que d’autres corporatismes ? Considérez dans l’affaire actuelle des « méga bassines » (qui plus est financées à 70 % par l’argent public !) voulant légaliser le vol par une minorité de la ressource phréatique, comme l’État, actuellement, préfère se mettre à dos toute la population plutôt que ces agro-industriels ne méritant plus d’être appelés agriculteurs dans notre monde de paysans éradiqués ! Avec Macron, histoire d’avancer (un mot répété plusieurs fois hier, 19 avril 2023, malgré les casseroles des opposants, lors de sa sortie en Alsace), la nature aurait-elle eu l’opportunité de nous rendre une manne de magnifiques poissons ? Comme disait l’autre, on a les gouvernants qu’on mérite et apparemment les thons qu’on ne mérite pas... (à suivre) 

Bluefin-tuna-catches-fr source  ICCAT web site domaine public. Intéressante évaluation des prises illégales (environ 66 % des quotas légaux et rien ne dit que cela ne perdure pas...


jeudi 15 juin 2023

SÈTE 4. Pêche, migrations et capitalisme...

Robert_Mols_-_port_de_Sète 1891 domaine public musée Paul Valéry. 

Sète, un Languedoc maritime, mâtiné de Catalogne, de Campanie jusqu’en Calabre, Sète, port de pêche. Si, localement, l’activité concernait l’Étang, avec les Catalans d’abord, puis les Italiens, elle s’est tournée vers la mer. Encore au début du siècle passé, les Sétois originaires d’Italie faisaient construire à Agde des dizaines de bateaux-bœufs ainsi nommés parce qu’ils tiraient le filet comme les bœufs tiraient la charrue. Sauf que cette technique prévoit que le second fait la vache, pour dire qu’il ne bénéficie pas du partage de la pêche, à charge, la fois d’après, d’inverser les rôles, exception faite de la semaine sainte où tout le monde a besoin d’argent frais pour fêter Pâques. Même au port, coques alignées, rangées, quel bel ensemble ces voiles carguées sur les antennes ! Au point que Paul Valéry, le penseur qui ne se voulait pas philosophe, d’habitude plus compliqué, avait revendiqué la beauté des voiles de Sète ! (si quelqu’un me retrouve cette citation, je suis preneur !) Et cette antenne ! vingt-deux, vingt-quatre mètres de longueur... imaginons le mousse chargé d’y grimper ! D’ailleurs on le voit sur le détail d’une marine « Le Port de Sète », du peintre Mols. Autre détail : les filets hissés en haut du mât ! Superstition ou simple prévention contre les vols ?

Ces immigrés particuliers (beaucoup, dans l’agriculture, les forêts, sont longtemps venus du Nord de l’Italie) nous les retrouvons, par exemple, à la tête de chantiers de construction maritime ou comme patrons de bateaux, des « dynasties » toujours à la barre. Pêcheurs, ils sont originaires de Cetara dans le Golfe de Salerne. A partir de 1850, comme à Sérignan, ceux de Cetraro (Calabre), à Frontignan, ceux de Gaete (golfe au nord de Naples). Par les lettres au pays puis le bouche à oreille, ils seraient partis parce qu’il n’y avait plus chez eux, ni sel ni anchois, le long de cette côte au Sud de Rome. Ce sont eux qui ont impulsé la pêche en mer, les locaux démontrant moins de courage ou se révélant plus terrestres que marins, moins aguerris, disposés seulement à exploiter la lagune du Thau et plus haut le long du golfe, la gourmette d’étangs jusqu’à Aigues-Mortes. 

Depuis, prenant le pas sur Agde, Sète reste notre plus important port de pêche sur la Méditerranée. Dans les années 60, ce sont les rapatriés d’Algérie, souvent arrivés sur leurs propres bâtiments, qui ont apporté du sang nouveau. 

Sète chalutiers et thoniers Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Auteur Christian Ferrer


A voir les belles unités flambant neuves, alignées le long du quai, le polyester immaculé à la place de l’acier qui lui-même avait repoussé les coques en bois, une génération de plus en arrière, nous n’allons pas regretter les voiles pittoresques appréciées de Valéry, le ravaudeur de filets sur le quai qui chante si bien l’Italie (si, si ce n’est pas une carte postale, j’en ai été témoin), une belle voix qui doit faire le bonheur des tablées de fêtes. Non, nous n’allons pas fondre en commisération à la vue du quartier haut, le pauvre (à Mèze nous avions l’inverse, comme quoi...), celui des petites maisons des pêcheurs avec le linge pendu aux balcons. Rien ne saurait rester figé. Entre aimer le passé et rester passéiste, faut pas confondre. Comme partout, le confort, l’argent sont passés par là ; c’est un calcul, un investissement à long terme, envisageable si une pêche rapporte et que peut-il y avoir de plus exaltant même pour ces pêcheurs-hommes d’affaires, qu’une fièvre pour le thon égale à celle du chercheur d’or d’une autre époque ? 

Tuna_ensnared, pris au piège.  Domaine Public  from the U.S. National Oceanic and Atmospheric Administration Auteur Danilo Cedrone (United Nations Food and Agriculture Organization)


Dans quelle limite ce calcul reste-t-il acceptable ? C'est bien parce que le système complètement amoral ne s'impose pas de limites qu'une fin du Monde, du moins de l'anthropocène, est devenue plausible... Inutile d'en référer à Nostradamus et à Malachie...