mercredi 31 août 2022

Du ROUSSILLON catalan au FENOUILLEDES occitan...

 Demi-tour. Avant, un filet faisait suite à la poche grillagée du large tenillier. A présent le pêcheur amateur doit relever son petit appareil bien plus souvent, trier les prises et garder celles qui font la maille, avec une marge, l’équivalent de la dernière phalange de l’index, soit plus de deux centimètres. Où les mettre ? Le short de bain a des poches plus que suffisantes pour une assiette de tenilles.  

En piétinant, courbé sur le manche, je plains le vieux paysan de Millet sur la glèbe, dans la survie, lui. Ma position est incommode mais ce n'est qu’un loisir sauf qu'il s'agrémente d'un point de vue, pourtant au ras de l'eau, de part et d’autre : la courbe du Golfe du Lion rendue splendide parce que la Terre est ronde, une sensualité d’autant plus émouvante qu’une carte de qualité n’arrivera jamais à rendre, avec une prédisposition impérieuse à se faire la belle dans tous les sens de l’expression... Pardon mais quand on se grise de sensations... « heureux comme avec une femme » disait Rimbaud (Sensation) il n'y a aucun hasard dans la beauté des rondeurs... Y est-on déjà sensible, à quinze ans passés seulement, sans expérience ? Il n'y a pas d'âge pour une volupté de gourmet ? 
En partant des Pyrénées, les montagnes bleues descendent embrasser la mer et mettent sur un cou de déesse, un collier de plages d’or jusqu’au pêcheur-penseur hédoniste. L’esprit revient mais sur un orbe moins lointain, un deuxième cercle.

Perpignan, le dépaysement des palmiers, la gare stimulant «l’éjaculation mentale» «l’extase cosmogonique» de Salvador Dali, plus que des mots puisque l’huile sur toile mesure trois mètres par quatre ! La gare aussi des femmes assassinées si un fait divers doit venir délaver, ternir et choquer quelque peu le fantasmagorique du propos. 

Camp_of_Rivesaltes_5_October_1942 départ du 8e des 9 convois de déportés juifs. wikimedia commons Auteur tracy Strong

Rivesaltes, les fèves de février, les cinq variétés de figues du marché de septembre sur la promenade... Mais sont-ils encore là les platanes malmenés lorsque la modernité, le changement à tout prix vient balayer le respect du passé ? Avec ce coup au moral, le camp Joffre aussi, de rétention, d'internement sinon de concentration, un camp aujourd'hui militaire, de triste mémoire, pour les Républicains espagnols, les Juifs, les Tziganes, les prisonniers de guerre, les indépendantistes algériens, les Harkis ainsi que pour "l'accueil" des supplétifs de l’armée française des colonies en Afrique, en Indochine.   

Estany_de_Salses_(agost_2013) wikimedia commons Auteur Elizir

  
La morne platitude de la Salanque, les vendanges dans le Roussillon, dans un petit roman : «Adoracion», une perle écrite depuis Le Caire vers 1945, par François Tolza, un auteur dont la trace semble perdue : je ne connais de lui que le nom, rien sur le réseau. Salses, sa forteresse de ville frontière. L’Etang de même nom sans les hydravions testés pour la ligne de l’Aéropostale jusqu’au Brésil, mais avec les maisons de roseaux, les élevages de truites dans l’eau de résurgences généreuses, les huîtres dans cet Etang dit aussi « de Leucate », au pied de ces Corbières Maritimes qui pointent à 700 mètres d’altitude à seize kilomètres à peine des falaises de  Leucate-La Franqui.

Invitations aux voyages avec Henri de Monfreid loin vers Bab-el-Mandeb, Jacques Lacarrière qui ne pouvait mieux terminer sa marche à travers la France que face à cette mer, au-dessus des flots d’un bleu unique, sous une lumière aussi éclatante qu’en Grèce, le pays qui le fascina, interdit, à l’époque de sa marche, par la dictature des colonels.

Sur les hauteurs pelées qui malheureusement viennent d’être parcourues par un énième incendie d’été, la tour de guet en bas de laquelle se niche, invisible, le village d’un des plus vieux humains d’Europe, celui de Tautavel. Plus haut, peut-être emmêlées avec celles du château d’Opoul, une masse ruiniforme impressionnante évoquant d’inévitables conflits sanglants. 

Caudiès-de-Fenouillèdes_Notre-Dame-de-Laval wikimedia commons Auteur ArnoLagrange

Au couchant, les pensées, rêveries et l’imagination se libèrent à nouveau vers la boutonnière du Fenouillèdes, en bas des Corbières, ce quadrilatère peu accessible et si prenant à explorer. La barre rocheuse continue, à peine entrouverte par les gorges de Galamus formait frontière avec l’Espagne ; tel un dé sur son doigt, le château de Quéribus confirme. A l’autre bout, plus convivial, le col de St-Louis où, avec les marchandises, s’échangeait aussi, paraît-il, le dialogue devenu dicton : « Catala bourrou, gavach porc ! » (Catalan âne, occitan porc... pas simple de définir le «gavach»... on est souvent le gavach de quelqu’un dans notre Sud ; traduit par « étrangers », « montagnards »... aussi rustres et mal dégrossis les uns que les autres, le sens ne se limite pourtant pas à cette nuance péjorative). 

vendredi 26 août 2022

Il faut savoir danser...

"Pour passer le Rhône... il faut savoir danser..." La chanson enfantine raconte-t-elle autre chose ? Toujours est-il que de part et d'autre des flots puissants du fleuve, après avoir divagué dans les montagnes avec la Durance, l'esprit se sent encore libre de danser en suivant l'ourlet des Cévennes...    

Ensuite, la plaine, l’opulence du Vaucluse, le flux tendu des vacanciers vers la Méditerranée contrastent complètement. Pourtant d’autres noms : René Char, Jean Giono, Alphonse Daudet dansent dans ma tête comme les balancelles sur les vagues d’Henri Bosco. 

Delta du Rhone wikimedia commons Photo par Aldipower / Sous l'aile de l'avion, le Petit Rhône entre la Camargue et la Petite Camargue au-delà. Plus loin les étangs de la côte montpelliéraine ; au fond l'étang de Thau : on distingue même "l'île singulière" de Sète. 

Le fleuve et son delta, la Camargue, portent les tempéraments en partage du Sud et de la Méditerranée, violemment passionnés, que les amours contrariées exacerbent. C’est le pays de Mirèio de Mistral et d’une Magali séduite par les accords d’une guitare gitane : des amours sublimées finalement si proches des scénarios des romans-photos, qui captivent même pour leurs fins tragiques.

Pour passer le Rhône il faut être deux... Allons passe passe passe, allons passe donc... Revenons en Languedoc, repassons-le fleuve. L’Ardèche, de Ferrat, des châtaigniers, de la montagne encore puisque notre Sud est riche des hauteurs du Massif-Central aussi, des contrées courues par la Burle ce vent des neiges mauvais comme le blizzard. Un camarade de classe, à l’Ecole Normale, venait, comme la Loire, d’une ferme au pied du Gerbier-de-Jonc... Des pensées qui nous ramènent au cinéma, derrière le café Mestre et le tabac Prola de madame «Zan». Ah ! Fernandel en moine dans l’Auberge Rouge !

Gard_Le_Mont_Aigoual wikimedia commons Auteur rené boulay. 

Les Cévennes, Robert Louis Stevenson dans son voyage avec un âne à travers les Cévennes ! Modestine, qui l’accompagnait, dans le titre même de l’ouvrage, de ces animaux fidèles qui ont tant aidé à sortir les humains de la survie. Et ce prénom ! Adeline, Pauline, Joséphine, Céline, Ernestine, mes aïeules, directes ou non, ne m’en voudront pas d’associer Modestine à la grande tendresse qu’il me reste d’elles. C’est que les ânes aussi, reviennent dans ce large panorama, comme quelques notes d’une ritournelle (« Je connais une histoire... Hugues Aufray) sur un monde perdu même si les Cadichon, ,jadis compagnons de travail, vivent aujourd’hui seulement pour être aimés ou apporter dans la zoothérapie. Les Cévennes mythiques aux limites incertaines suivant les époques, jusqu’à désigner toute la bordure est du Massif Central pratiquement jusqu’au Morvan. Cévennes du mûrier et du ver à soie, Cévennes des Camisards, en butte aux dragonnades par la volonté d’un roi trop catholique, persécutés, en écho, plus au sud, aux Cathares éradiqués quelques siècles auparavant. Cévennes des mines de charbon... Cévennes sévères de Jean Carrière, auteur nîmois ("L'épervier de Maheux", "La caverne des pestiférés"). Cévennes d’André Chamson... « Cévennes », le nom de guerre de Jean Guéhenno... En suivant, ces montagnes ourlent aussi les Causses ; c’est souvent le rugby qui a contribué à nous éveiller à toutes les nuances de relief, de climat, de végétation, de cultures qui brident et modèlent les modes de vie. Suivre nos bleus et noir, au rugby. Accéder au Larzac en laissant un cirque du Bout du Monde à droite. Évaluer le printemps qui tarde par rapport à la plaine. Réciter «Lou pastre» d’Antoni Roux avec la consolation de voir la langue occitane respirer encore puisqu’elle figurait en option au baccalauréat et qu’elle grave dans la mémoire la grande humanité d’un professeur, monsieur Couderc... « Gardaren lou Larzac » contre un camp militaire qui envahit comme le firent les dragons du Roy ou les barons du Nord ! Les Causses, grands ou petits, Larzac, Sauveterre, Méjean, Rouge, Noir, de Campestre, de Blandas... Que n’irais-je revoir la grotte des Demoiselles, le cirque de Navacelles, les gorges de la Vis, de l’Hérault ? Et voir une fois dans la vie les pivoines de la Buège ?  A découvrir aussi, en poursuivant au-delà des ruffes rouges du Salagou, du cirque de Mourèze, des hauteurs de Pézènes-les-Mines où naît la Peyne, la rivière de Pézenas, la haute vallée de l’Orb. Les coulées stromboliennes qui ont rempli les sillons forment le plateau de l’Escandorgue depuis le Larzac jusqu’en bas, au pays de Michel Galabru.  des envies de découvertes tant notre territoire est riche de ses diversités ? Les Monts d’Orb couverts de forêts et où, comme dans le bassin minier d’Alès, on extrayait le charbon. En haut des Monts-d’Orb, parfois à près de 1300 mètres d’altitude, les Monts de Lacaune, ses lacs, sa charcuterie, ses eaux minérales (La Salvetat-s-Agout... et ses champignons). Un peu moins haut mais ligne de partage des eaux vers l’Atlantique ou la Méditerranée, les Monts de l’Espinouse, le Caroux, les Monts du Somail.  

Vieussan,l'Orb et la Caroux au fond wikimedia commons Auteur Christian Ferrer


dimanche 21 août 2022

La GEOGRAPHIE modèle les HOMMES.

Juste une poignée (18 août 2022)

Vision depuis l'embouchure de l'Aude ; fin de ce panorama en partant des Pyrénées plongeant dans la mer, avec le Lauragais et le Tarn, avant le demi-tour vers le sud pour cette pêche aux tenilles... alors les pensées et l'imaginaire se tournent vers le nord du Golfe, la Provence, son haut-pays et au-delà...  

Saint-Felix-Lauragais wikimedia commons Auteur Asabengurtza

Le Lauragais de la polyculture, des volailles de grain, d’une humanité paysanne des années (50-60) si bien retracée par Sébastien Saffon (roman "Ceux de la borde perdue"). Loraguès aussi d’un cassoulet historique à Castelnaudary. Seuil de Naurouze, pays de cocagne pour le pastel où les moulins tournaient au vent marin devenu d’autan à l’intérieur des terres... Les rigoles de la Montagne Noire qui alimentent le Canal du Midi.

Ce tour d’horizon se termine avec le Tarn « en haut », la vallée du Thoré pour ses laines et le cuir, Mazamet connue internationalement pour sa renommée industrielle et Laurent Jalabert, champion cycliste... Castres pour son rugby et Jaurès, Lautrec, un patronyme que nous retrouverons, plus proche de notre village et là-bas pour un ail rose si doux en bouche.

Libre de plonger dans un panorama sans fond, dans de l’eau pourtant peu profonde, c’est inouï d’être ainsi emporté dans une exploration à côté, plus pittoresque et enrichissante qu’une vacuité de plage à cocotiers... non, je suis partial : à Mayotte aussi une culture ancienne est plus que respectable... " Chaque homme est une histoire universelle " disait Jules Michelet !

Comme le cheval dans la vigne, à un moment donné, au bout de la rangée, il faut tourner dans l’autre sens, surtout si l’instinct dit de revenir sur un possible banc de coquilles, reprendre le piétinement, s’aider de lents zigs et zags pour soulager les reins attelés à la lame qui fait geindre le sable. Tourner le dos aux Pyrénées bleues, au voyage en Espagne. 

Vers un nord toujours du Midi, quelque part à tribord, ce sont les collines de Pagnol, si cousines, par la géologie, par nature, de notre Clape. Avec la Provence, l’occitan vient, de son accent, de ses consonances, confluer avec la langue française même si le mariage entre la Durance et le Rhône n’a pas tenu, à cause des humains, pour l’économie mettant à mal la géographie (détournement des eaux), pour l’ethnocentrisme du français, langue du Jacobin dominant (qu’en est-il, chez nous encore, du romand dit francoprovençal ?). Et pourtant, ce n’est pas une ligne de crête des Alpes, montagne si présente pour l’Europe jusqu’aux Carpates de même nature, qui couperait l’entité occitane puisque la langue est officielle sur l'autre versant, dans les vallées italiennes !

Comme en pendant à l’Espagne, le cousinage avec l’Italie, le brassage avec l’immigration aussi, jusque chez nous bien que plus marqué de l’autre côté du Rhône, au point de figurer dans la littérature, la filmographie, je pense à Manon et aux charbonniers de Jean de Florette ; à Nice, les réseaux sociaux n’ayant pas que du mauvais, Bébert de Garibaldi, par ses dialogues avec sa mémé fait beaucoup pour garder un parler niçard qui nous reste familier !

Et ce cinéma italien, aussi proche des méridionaux qu’il est distant avec l’Europe nordiste ! Le Voleur de bicyclette ou la Strada d’un néoréalisme touché par la vie difficile des pauvres, à la télé, parce qu’au cinéma la programmation préférait  divertir avec les peplums et les westerns-spaghettis. 

La Durance vers Oraison wikimedia commons Auteur Wikicecilia

Pour passer en Italie, sur la route, Manosque de Jean Giono, Sisteron de Paul Arène... Le barrage de Serre-Ponçon (1), Briançon... Il est intéressant de constater que le Sud qui nous anime ne se limite pas à la façade méditerranéenne, Après les Pyrénées, les Alpes, pour Emilie Carles, Marcel Scipion et toujours la Durance descendant de là-haut.  05 Hautes-Alpes, 04, Alpes-de-Haute-Provence, oh la jolie appellation qu’on dit devoir à Jean Giono de Manosque. «L’eau vive», le film, on lui doit aussi. Comment ne pas se surprendre à fredonner «Ma petite est comme l’eau...» mise en musique et en chanson par Guy Béart. Comme la Durance « domptée » est emblématique des hommes triturant la nature à leur profit. En rejoignant Nyons par l’ancienne nationale venant de Gap, serait-ce en passant par la Drôme provençale, l’eau vive de l’Eygues fredonne de même en moi... 

(1) après une longue sécheresse, le lac a enfin vu son niveau au plus bas remonter de 20 centimètres (août 2022). 

mardi 16 août 2022

DU CONFLENT au MASSIF DE L'ARIZE


Le Train Jaune, la route qui monte vers Mont-Louis, toujours Vauban ; le Capcir des premières descentes à ski aux Angles, piste verte ; les débuts de l’Aude, là-haut dans la montagne, qui, suite au Capcir, nous parle de petits pays attachants : le Donezan, Querigut, Le Pla et une main de villages rapprochés nous laissant croire que le plateau n’est pas morose, un pays audois en pratique puisque coupé de son entité administrative ariégeoise par le Port de Pailhères à plus de deux-mille mètres d’altitude, connu même pour le Tour de France.


La Cerdagne de Gastibelza l’homme à la carabine» (Brassens), Bourg-Madame, Puigcerda en Espagne voisine, le destin historique de l’enclave étrangère de Llivia alors que les villages voisins sont devenus français.

Plus haut, par des cols escarpés dans la rocaille, l’Andorre, l’exotisme, le particularisme encore, l’attraction de ce qui nous est étranger.

Ax-les-Thermes, l’embouteillage historique, pas d’une eau minérale mais celui de la descente automobile d’Andorre d’avant la voie d’évitement, ses eaux chaudes, le téléphérique vers Bonascre et le ski. Les vallées de l’Ariège, de l’Oriège, des chercheurs d’or. La vallée d’Orlu, un nom de montagne qu’on n’oublie pas : la Couillade des Bourriques. Sorgeat, un petit village sur la route du col du Chioula, à la mémoire gardée vivante par ceux qui ont à cœur de ne pas l’enterrer (ils ont même gardé un sermon de curé pas piqué des vers !).

Côté soulane la mine de talc de Tremouns, de l’autre, la beauté sauvage du Plateau de Beille ; entre les deux, au fond la vallée glaciaire où la circulation est dense, surtout le week-end, vers et au retour d’Andorre.

Les Cabannes, Tarascon-sur-Ariège, sa race de moutons peut-être liée aux foires de mai et septembre. A proximité, la grotte de Lombrives où cinq-cents hérétiques furent emmurés vivants par l’inquisiteur et futur pape benoît XII (1328), celle de Niaux renfermant des peintures de bisons, de chevaux et d’autres bêtes encore, sur les parois, celle de la Vache, elle, habitée (harpons, os et bois d’animaux sculptés)...

Plus bas dans la vallée, Foix et son château, de mille ans d’âge, symbole entre les XIe et XIIIemes siècles, d’une résistance culturelle occitane, lié au renom de ses comtes dont Gaston Febus (1331-1391) et Henri IV (1553-1610) qui apporta ses possessions au domaine de la couronne. Jamais pris, le château offre un cachet certain à la plus petite préfecture de France. Sa tour ronde de 32 mètres et ses tours carrées lui donnent l’allure d’un aïeul bien conservé. Il en impose. En haut, exposées, des pièces d’artillerie médiévale, à savoir, un trébuchet et une pierrière, arme de défense des femmes et des enfants (un des projectiles ainsi lancés causa la mort de Montfort [1150-1218] lors du siège de Toulouse). Le château appartint à Gaston Febus, comte de Foix mais surtout seigneur de Béarn... on lui devrait « Se Canto », la chanson avec les Pyrénées empêchant de voir l’aimée (exaltation peu sincère de sa part quand on sait qu’une sombre histoire de dot est à l’origine du rejet sinon de la répudiation de l’épouse). Dépassant cette réalité, la chanson est néanmoins considérée à présent en tant qu’hymne occitan.

L’Ariège des vallées montagneuses, au-dessus de l’Arize, Montagagne justement, le village perdu d’où descendent mes ancêtres, une histoire de malnutrition sinon de ventres creux, de « Demoiselles » en guerre contre l’autorité oppressive interdisant les forêts aux défavorisés. Mon patronyme y est commun, de la plaine aux Pyrénées ariégeoises, Couserans du Salat et de ses affluents, ses cascades, cirques et sommets, fromages, myrtilles, traces d’ours et de néo-ruraux.   

Montagnes occitanes avec plus à l’ouest la langue mise à l’honneur par Nadau, si fédérateur d’une identité occitane... La Haute-Garonne se résumera peut-être à une boîte de camembert Mariotte puisque, la faim qui vient en mangeant peut se prolonger en fringale de géographie. 

le cousin Baptiste 1968

Retrouvons la rivière, la plaine fertile le long de l’Ariège, le cousin Baptiste dans la plaine de Pamiers... C’est surtout le rugby, avec ses phases finales du championnat de France, qui m’a rendu boulimique de ces contrées lointaines : mes premières pommes dauphine au restaurant (Varilhes), mes premières vaches puisque à l’instar du camembert Mariotte, nos yaourts en pots de verre venaient de Rieucros.   

Et tous ces petits pays entre l’Ariège et l’Aude, la vallée de l’Hers en gros, le Pays d’Olmes, Montségur des Cathares,

Lavelanet du jais, de l’osier, de la corne, des laines, des noisettes et du gardien chauve de l’équipe nationale championne du monde, le Quercorbès, la Piège, le Razès (les amandiers en fleur d’Achille Laugé à Cailhau), la Malepère, toute une mosaïque de petits pays aux noms et à l’existence méconnus. 

dimanche 14 août 2022

LA FRANCE N'EN FINIT PAS D'ALLER MAL (suite et fin)

Où va notre système de santé jadis envié ?

Une amie a eu la volonté de témoigner du triste et malheureux problème de santé enduré par sa mère.

La honte, ce pays ! Suite et fin, enfin j’espère…
Je me demande bien ce que sont ces soi-disant médecins généralistes du Samu qui décident si ton cas est une urgence ou pas. Des étudiants en médecine ou vraiment des médecins diplômés ? Dans ce dernier cas, c’est quelque peu effrayant !
Jeudi soir, j’avais donc réussi à relever ma mère et à la mettre au lit, espérant que cela irait mieux le lendemain. Sauf qu’en la levant vendredi matin, elle n’arrivait toujours pas à tenir sur ses jambes et avait, en position debout accrochée à mon cou, des douleurs dans sa hanche droite qui n’ont fait qu’empirer au cours de la journée. Il fallait donc trouver une solution pour qu’elle puisse aller aux urgences.
Son médecin traitant étant fermé ce vendredi en raison de la Féria de Béziers, j’ai tenté ma chance auprès de quelques médecins du coin, sans me faire trop d’illusions, sachant que rares sont ceux qui se déplacent, et encore moins s’il ne s’agit pas d’un de leurs patients habituels. Résultat : négatif.
Vers 14 h 30, je me suis dit, tant pis je rappelle le Samu, d’autant qu’entre temps ma mère m’avait (enfin !) expliqué que l’assise du vieux fauteuil de jardin avait en partie lâché sous son poids en s’y asseyant. Je tombe sur un autre médecin que la veille, lui explique la situation et ose avancer qu’il faudrait éventuellement faire une radio. Peut-être vexé que j’empiète sur ses prétendues compétences, il me répond : « Oui, il serait bon de faire une radio pour voir s’il n’y a pas des fissures dans le bassin au niveau de la prothèse, mais ce n’est pas une urgence, il faut voir avec le médecin traitant » !!!! Donc dans le meilleur des cas, attendre environ une semaine pour en savoir plus ! Et il me dit une nouvelle fois d’un ton sec : « Ce n’est pas une urgence ! » Je lui rétorque : « Ça, c’est bien la France » et lui raccroche au nez. C’est quand même inimaginable qu’un médecin diplômé (du moins je l’espère) réagisse de la sorte, c’est comme s’il m’avait lancé, la vieille nous emmerde, elle n’a qu’à rester dans son fauteuil et souffrir en silence ! Ce n’est rien d’autre que maltraiter sciemment les malades !
Me restait une troisième solution, avant la quatrième que je voulais en fait éviter : trouver une ambulance qui veuille bien la conduire aux urgences de la clinique Saint-Privat de Boujan, dont mes parents et moi, qui ai dû y aller en 2019, avons toujours été satisfaits. Mais c’était sans compter avec le bureaucratisme et l’autoritarisme français ! Des personnes charmantes m’ont expliqué que sans bond de transport délivré par le médecin ou… le Samu , ils ne pouvaient pas l’y conduire. Je me suis mise à rêver de Stuttgart où j’ai souvent dû appeler une ambulance pour conduire mon mari chez le médecin, aux urgences ou à l’hôpital. Sans bon de transport, ils t’envoyaient la facture et après c’était à toi à voir comment te faire rembourser.
Donc pas possible d’échapper à la quatrième solution : arriver par mes propres moyens à installer ma mère dans la voiture, qui n’est pas une grosse berline . Après avoir placé la voiture de telle sorte que la portière du passager soit devant l’une des portes-fenêtres et pris des mesures pour être sûre que ce soit faisable, je me suis passé plusieurs fois un film dans ma tête sur la façon dont je devais procéder. Et ce matin j’ai tenté le coup. Oh, je n’ai pas réussi dès la première fois, mais à la troisième ou quatrième tentative, c’était bon : ma mère était bien installée et on prenait la direction de la clinique. Un infirmier est venu la chercher avec un fauteuil roulant dans la voiture et en deux gestes (est-ce que ça fait mal là et là,), il se doutait déjà de ce que c’était. Ils l’ont fait tout de suite entrer dans la zone des urgences et moi j’ai attendu dans la salle d’attente. Au bout de trois heures et demie, ce qui m’a permis de finir un livre en allemand et d’en commencer un nouveau en français , ils sont venus me chercher et m’ont expliqué qu’il s’agissait d’une luxation de la prothèse de la hanche droite, qu’ils avaient essayé par deux fois de la remettre en place en sédatant ma mère, mais sans succès. Il fallait donc qu’elle passe au bloc opératoire pour que le spécialiste la remette en place, cette fois sous anesthésie. Peu de temps après j’ai quitté la clinique.
Vers 17 heures le médecin m’appelait pour me dire que cela s’était bien passé et que je pourrais venir chercher ma mère vers 19 heures, sans oublier les consignes pour les quatre prochaines semaines. Quelques minutes plus tard, c’était l’infirmière du service chirurgie qui m’appelait pour me dire à peu près la même chose. À 19 heures, j’étais à la clinique. Mais quand l’infirmière a vu que ma mère n’était pas très sûre sur ses jambes, elle a proposé de la garder pour la nuit et de voir demain avec le médecin avant de me rappeler. J’étais vraiment soulagée, car je ne me voyais pas rentrer avec ma mère encore chancelante.
Quand je repense à l’abruti du Samu hier qui voulait que ma mère attende au minimum une semaine avant d’en savoir plus, avec une prothèse luxée ! Non mais, là c’est de l’incompétence totale !!! On peut comprendre (ce qui ne veut pas dire être d’accord) que certains patients deviennent agressifs !

LA FRANCE EST MAL, LA FRANCE VA MAL... témoignage vécu.

Où va notre système de santé jadis envié ? 

Une amie a eu la volonté de témoigner du triste et malheureux problème de santé enduré par sa mère.

La honte, ce pays ! ou quand le SAMU te fait comprendre dans un langage certes plus châtié que le mien : Démerdez-vous toute seule !!!

Ma mère, 93 ans, s’est assise cet après-midi à l’ombre dans un des fauteuils du jardin, pas un des récents qui aurait eu une bonne hauteur mais dans un ancien plus bas. Et est arrivé, ce qui devait arriver : elle n’arrivait plus à se relever. J’ai réussi par deux fois à la relever en la faisant s’accrocher à mon cou mais ses jambes ne répondaient pas : douleurs et tremblements dans la jambe droite, la « saine », et un genou qui flanchait pour la jambe gauche aux séquelles de polio. J’arrivais à redresser la jambe gauche en appuyant mon genou contre le sien, mais dès que je retirais le mien son genou gauche flanchait à nouveau. Donc retour dans le fauteuil.
 
Selon ma bonne habitude allemande, j’ai donc fini par appeler le 112. Je suis tombée sur le central des pompiers et me suis presque fait engueuler ! Si elle était tombée par terre, ils seraient venus, mais comme elle était encore dans son fauteuil, ils ne viendraient pas. Ils m’ont quand même transmis au 15 où j’ai dû à nouveau expliquer le problème à un monsieur qui a seulement dit qu’il allait me mettre en relation avec un médecin généraliste. Et j’ai attendu, attendu, attendu …. en me disant que la batterie de mon portable serait presque vide quand j’aurais enfin quelqu’un au bout du fil ! Et puis j’ai enfin pu expliquer une troisième fois le problème. Et là, il me dit qu’il ne peut rien faire et que je dois voir avec les voisins s’ils peuvent m’aider ! Tu parles ! La plupart des voisins de ma mère ont plus de 70 ans, très souvent même plus de 75 ans (l’une des voisines de ma mère en a 86 !!!) et les deux qui sont un peu plus jeunes sont partis en vacances ! Et vu les handicaps de ma mère, il faut que ce soit des personnes qui aient un minimum de connaissance des gestes techniques que, personnellement, j’ai acquis en observant les infirmières qui venaient soigner mon mari. Je me suis alors mise à cogiter, à passer en revue ce que je faisais dans un cas semblable avec mon mari. À la troisième tentative j’ai réussi à relever ma mère, toujours en lui disant de s’accrocher à mon cou, et à l’asseoir dans un fauteuil de jardin récent que j’avais légèrement imbriqué dans celui où elle était assise. En tirant sur le fauteuil sur environ un quart du tour de la maison, je l’ai installée dans la salle à manger où elle a pu manger et boire. Là je viens de la mettre au lit non sans badigeonner sa jambe droite d’une pommade allemande à base de plantes (Teufelskralle = griffe du diable) qui a déjà donné de bons résultats sur ses cervicales ainsi que sur les miennes et mes genoux. J’espère que demain ça ira mieux ! Mais pour ma part, je risque d’avoir un sacré mal de dos !
Presque quatre heures plus tard, je suis toujours offusquée de l’attitude des secours. S’ils m’avaient dit on viendra quand on pourra, on aurait attendu au besoin jusqu’au milieu de la nuit.
 
Les trois dernières années avec mon mari, je ne sais combien de fois j’ai dû le relever parce qu’il était tombé, le transférer du fauteuil roulant dans un fauteuil « normal » ou le lit et inversement. Et puis une paire de fois j’ai dû appeler les secours car je n’y arrivais pas. Jamais je n’ai été rembarrée, tout au plus on me disait presque en s’excusant que cela pouvait mettre un certain temps car ce n’était pas un cas prioritaire. Je me souviens encore de la dernière fois où j’ai dû les appeler : le dimanche ou le lundi de Pentecôte 2016 et on m’avait prévenu que cela pourrait prendre deux heures avant que les secours n’arrivent. 45 minutes plus tard, ils sonnaient à notre porte. Ils ont relevé mon mari, l’ont ausculté sommairement. Je les ai remerciés chaleureusement et le monsieur et la dame m’ont humblement répondu : « Mais, on est là pour ça, Madame » !!!!! Je doute fort qu’en France on ait droit à une telle réponse !

samedi 13 août 2022

"La Terre est bleue comme une orange" Paul Eluard.

 Alors, les pieds tanqués dans ce Golfe du Lion en partage, à tirer en arrière ce tenillier des temps nouveaux, ridicule au point de ressembler à une épuisette de gosse, du genre pousseux, contraint qui plus est par un règlement draconien interdisant de se harnacher, parce qu’à force de ne pas aller contre le pillage des professionnels, les autorités l’ont plus facile (comme pour les impôts) de frustrer le vulgum pecus. Oublions. Si labourer le sable est presque un crime aujourd’hui, la lente progression n’évoque pas que la dure condition des travailleurs de la mer si bien nommés par Victor Hugo, dont Yves le pêcheur. 


En effet, pour le plaisir d’une poêle de haricots de mer, libre à nous de voir, jusqu’à l’horizon, celui à poursuivre dans une quête pas si vaine que cela puisque le regard porte au large vers les profondeurs de nos pensées. La beauté de la planète de vie, la présence éphémère des Hommes, l’éternité de la mer. Le ciel offrant son bleu lumineux à la Méditerranée, ces ronds de chaleur qui tournent dans nos yeux tels ces cieux de Van Gogh et, dans le Golfe, ces éclats, ces reflets, bordés de boucles claires d’écume, où dansent des voiles, de plaisir certes, mais toujours aussi blanches.

La Terre ? la terre ?  majuscule ou non ? Bien sûr que si... c'est un élève qui me l'a appris, il y a près de trente ans... leçon inoubliable... un prof se doit de rester modeste... Quant à Eluard, trêve de surréalisme, à propos de notre planète il faut la majuscule ! 

Et tout au bout là-bas, toujours dans un bleu mais qu’un temps de mer idéal estompe et teinte de gris, la pointe des Pyrénées au cap Béar sinon Cerbère et peut-être, déjà en Catalogne, le cap de Creus. L’Espagne voisine, cousine, qui nous est chère pour le dépaysement qu’elle procure, l’authenticité due à un régime politique sévère, asservie qu’elle est par la dictature franquiste (jusqu’en 1975), comme elle le fut, de longs siècles durant, par la noblesse alliée à l’Eglise. Avant de profiter, plus loin, de la Costa Brava, de Barcelone et d’incursions plus lointaines, le rapprochement initié par la forte présence espagnole dans nos départements du sud vaut une prise de contact pour tâcher de savoir qui est l’autre plutôt que de le côtoyer sans se soucier de son altérité. Les premiers pas se font du côté de Port-Bou, Rosas, Figueras, et bien sûr La Jonquera, le Perthus.  

Par dessus la ligne de crête, le peintre Dali, le sculpteur Maillol et les fauves à Banyuls (Matisse, Derain, Braque...), le passeur, berger des abeilles d’Armand Lanoux, Antonio Machado venu finir de tristes jours d’hiver à Collioure, pourtant un si beau site, inspirant, entre autres, les cubistes... Toujours, sous le « clocher d’or » mais aux beaux jours, Charles Trénet, pour la sardane. Toute cette Côte est Vermeille avec Port-Vendres, Banyuls, Cerbère.

Au pied des Albères, Le Boulou, Amélie pour les bains, Céret pour les cerises, le sillon du Tech, les artistes Manolo et Picasso, à Thuir, la plus grosse cuve du monde, Pablo Casals à Prades, la vallée de la Têt, les pêches de l’été qui se vendaient jusque chez nous, sur la plage du camping sauvage, par cageots (on ne disait pas « plateau »).

Pyrène, Cerbère, une mythologie sur laquelle règne le mont Canigou qui s’éclaire chaque année des feux de la Saint-Jean. Il ne domine pas que le Roussillon, l’Empurdan : on le voit depuis la Costa Brava, depuis nos rivages méditerranéens, du haut du Mont Aigoual et, par temps clair, depuis Notre-Dame-de-la-Garde à Marseille ! Bonne Mère !   

Le Conflent : à deux pas de Villefranche, la vieille ferme des parents d’une amitié aux heures comptées... Que reste-t-il des pages qui se tournent ? Les mots sur le papier sont moins volatiles que les électrons octets, bits et pixels... pardon de tout mélanger mais de simples hectares me donnent déjà à réfléchir... 

"... Tu as toutes les joies solaires
Tout le soleil sur la terre
Sur les chemins de ta beauté." Paul Eluard. 

Alors, sans la Terre majuscule, où serait la terre minuscule, marron, de la planète Bleue ? Orange il a dit le poète ? sûrement pour le fruit venu d'ailleurs, rare, précieux, unique cadeau que le Père Noël portait...   

vendredi 12 août 2022

LE PÊCHEUR DE TENILLES

 L’eau est froide. On dirait qu’elle crispe chacun des pores, qu’elle horripile chacun des poils. Il est tôt ce matin, plus encore si on considère la montre avec un tour d’avance sur le soleil (années 50-60). Ici on parle d’heure vieille. Vieille ou nouvelle, il faut y être, tôt, à l’instar des opiniâtres convaincus que la vie ne peut se gagner qu’à la sueur du front et qu’il est mauvais de flemmarder au lit. Même la religion affirme que ce qui tombe du ciel ne peut être que de l’ordre des nourritures célestes. 

Yves le pêcheur s’accommode de cette vérité première : mieux vaut en adopter les principes que réaliser qu’on y est soumis. Au petit matin, il a souqué ferme et traversé le fleuve avant de récupérer son vélo à peine caché au pied de la bâtisse du Chichoulet, un petit mas sur l’autre rive. Et le voilà parti sur son bicycle grinçant, sans frein, rouillé plus encore par les bruines salées de la mer que par les pluies ; fixé au cadre et sur le porte-bagages, l’engin de pêche et les sacs de jute pour rapporter le produit de ses efforts. 

D'après photo. 

Mais qui a été le premier à trouver la ressource ? A qui a-t-il confié sa découverte ? Qui a vendu la mèche ? Encore faut-il être courageux pour la récolter cette manne ; se lever tôt pour écouler la production au meilleur prix, l’offre et la demande sans l’avoir formalisée dans des études en classe. L’école ? Yves ne voulait plus y aller ! Marin-pêcheur depuis l’apprentissage, autant se mettre à son compte. Pour faire bouillir la marmite il cale son vélo sous un tamaris. Ensuite l’eau froide qui pique les jambes puis glace le ventre ; faut être rude ! C’est qu’il faut le rejoindre, loin au large, le banc de sable, sans avoir pied, chargé de l’engin. Sans combinaison comme aujourd’hui. C’est qu’avec un gisement exceptionnel, on en fait trois fois plus en trois fois moins de temps : vingt-cinq kilos environ en une heure et demie ! Griserie des sous qu’on va ramasser... Porté par son souvenir, il a dit « C’est le Mexique ! » Encore faut-il le gagner, cet eldorado, chargé du butin mais fatigué, frigorifié, à la limite de ses forces pour regagner le rivage. "Fallait être jeune !" ajoute-t-il quand même. 

Yves... quelques années plus tard... 

J’y suis, mais en touriste, seulement à supporter l’eau froide qui pique jusqu’aux genoux. Les tenilles ne baraillent (1) qu’avec le « Nord », le vent de terre, forçant jusqu’à s’appeler Cers, cousin germain du Mistral. Même cette situation a changé : de plus en plus de vents marins, de moins en moins de ce « Cercius » des Romains, chassant les miasmes, purifiant l’air et pour cela honoré dans un temple non loin de Sallèles-d’Aude. La mer va mal, passée par pertes sans profits... Finis ces arrivages de poissons bleus, sardines, maquereaux, anchois, qui faisaient le bonheur de toute une population adaptée aux ressources locales, synchrone avec la ronde des saisons, le cycle naturel, profitant avec modération des ressources de la planète... oh la tranche de thon, et sa sauce tomate, de temps en temps avant qu'on aille  trop loin dans une prédation déraisonnable. Finis ces bancs de tellines, ces cranquettes (2), crabes verts sinon enragés, qui, à l’occasion, avec les étrilles nageuses donnaient une soupe si goûteuse. Désormais, la mer semble morte, le peu de coquilles desséchées sur l’estran en atteste. Et pourtant, parce qu’il est au bout du connu, nous l’aimons ce présent sans lequel le futur ne se projetterait pas. Il porte le passé, il porte les bonheurs qu’on n’a pas su apprécier, pourtant plus forts que les malheurs que le temps, heureusement, émousse ; il est en train de mettre à nu le délire mortifère du système économique de la mise à mal, par une minorité, de la survie de tous... ne parlons pas de cet anachronisme barbare qui nous fait retomber dans une guerre si proche.  

(1) varaia, en occitan = se promener, s'agiter, rôder.  

(2) de cranquièiro en occitan = lieu où on trouve des crabes. 

mercredi 10 août 2022

Un Russe oublié à Pérignan (Pantazi fin)

Oh ! j'ai oublié la fin de l'histoire, enfin, oublié de vous en faire part... mais il faut dire aussi que vous n'avez rien demandé... Parce que Porfiri Pantazi au destin finalement banal puisque le propre des Hommes n'est que de passer, mérite, comme chacun de nous, de ne pas être balayé d'une mémoire commune appartenant à chacun. 

"Chaque homme est une humanité, une histoire universelle." Jules Michelet. 

Nous l'avions laissé en chemin, mais où ? Porfiri a bien gagné de la Légion de pouvoir revenir chez lui. Pardon de traîner, non pas lui, c'est seulement que je dois retrouver le fil, et en priorité la date : 1924. A Odessa il ne peut débarquer, les rapports sont tendus avec une Union Soviétique non encore reconnue. De fait, dans l'impossibilité de fouler la marche qui lui permettrait de gagner sa Moldavie natale, le soldat défait ne peut que se repasser un film de souvenirs : les vignes, les vergers, les jardins aux abords du village, les tilleuls de la place, la vieille chaumière avec le poêle aux carreaux de faïence craquelés et, sous le plafond, les tresses d'ail et d'oignons, la barre aux charcuteries interdites ; dans la rue, les copains qui seraient venus l'entourer, Anna la jeune femme de Petru avec sa palanche aux deux seaux, et son vieux père qu'il ne reverra peut-être plus...   

UN RUSSE à Pérignan (dernier volet)

"... Alors, avec son copain, légionnaire comme lui, ils iront de nouveau au bureau de recrutement et … « rempileront » pour cinq ans… puis cinq années encore. Quand la Légion vous a attiré, elle vous tient bien.

Alors, oui, il va pouvoir enfin se retirer à Montargis. C’est là, dans cette sous-préfecture du Loiret, sur le Loing, que la vague de l’exode de juin 1940 va le submerger. Par petites étapes, à bicyclette, Porphyre arrive jusqu’à Narbonne, et c’est à la gare même qu’il s’est engagé à venir vendanger à Fleury. Il y restera jusqu’à la fin, introduit par monsieur Calavéra dans cette famille qui va désormais devenir la sienne. 

Depuis Fleury, sur la route de Marmorières, à droite un chemin vicinal qui monte dans les vignes jusqu'au Pech de la Pistole couronné de pins. En face de ce muret de lauzes, un jardinet faisant pointe, au croisement. C'était celui de Pantazi ; des figuiers continuent d'y pousser... 


Il n’osera plus écrire chez lui. Une fois pourtant, il a envoyé une carte à Touzora. On ne sait jamais ? Et c’est même un petit-neveu, postier, qui l’a remarquée dans le petit tas de courrier. C’est par la réponse qu’il a appris la mort de tous ses proches. Alors, à quoi bon écrire ? A des personnes que tu n’as jamais vues, qui ne te connaissent pas ? Non, vois-tu : ici, j’ai le même climat que chez moi, je touche une belle pension, je m’habille bien, même si je n’ai plus le prestige de l’uniforme qui faisait bourdonner autour de moi des essaims de jolies femmes – mais aucune n’égalait tout de même en beauté notre reine de Roumanie, pour laquelle j’avais joué dans notre fanfare lors de sa visite au Maroc ! – Une belle fin de vie, quoi. Et Touzora, ma foi, j’y pense toujours, surtout lorsque je prie devant l’image sainte qui remplace l’icône de mon enfance, ou quand je bois mon thé quotidien au citron. Mon village, même s’il est perdu, vit toujours en moi. Mes souvenirs d’enfance sont si vivaces que j’y suis encore souvent en pensée. Et qu’y a-t-il de plus précieux que le souvenir ?

Tu reçois mes pages sur monsieur Pantazi : je ne fais pratiquement que recopier et mettre au propre un de mes rares tapuscrits. Je dois te signaler que les dates ayant trait à la carrière militaire de Pantazi sont les vraies dates. Papé Jean était devenu en effet secrétaire des Anciens Combattants, et il avait toutes les fiches de ces derniers, en particulier celle, sans doute la plus complète de beaucoup, de notre « Russe de Pérignan ». Au cours des quelques visites que je lui ai rendues à la maison de la Rampe de la Terrasse, où j’ai pu voir un jour, dans sa chambre, le « coin de l’icône », celui que les Russes appellent « krasnyï ugol », krasnyj ayant le sens, non pas de « rouge », mais son sens primitif de « beau » qui avait qualifié la « Belle Place » de Moscou devenue la Place Rouge ; mais principalement lors de ses nombreuses visites ici chez nous où j’ai pu noter une foule de choses et de détails sur sa vie, j’en ai su suffisamment pour pouvoir aborder, une fois passé le choc de sa mort brutale et sans doute à cause de cette fin, le récit à peine romancé de cette vie. Tu as sans doute remarqué sa hantise, qui m’avait toujours frappé dans ses propos : être toujours bien habillé, sans être tiré à quatre épingles, mais avoir constamment des habits décents.

Tu auras ainsi une vue exacte, je crois, de M. Pantazi, telle que pouvait l’avoir sa nouvelle famille pérignanaise de M. et Mme Caravéla, dont une fille était épicière : c’était l’épouse du peintre Noël Pujol, dit Pujolet, et son magasin se trouvait juste en face de la rue Etroite. Toutes ces personnes ont disparu, et je songe en cet instant au geste de Momon qui, lors de son séjour en URSS (juste en même temps que moi, mais lui a pu se baigner dans le DON), a acheté un petit souvenir en plastique qui fut scellé sur la tombe de notre légionnaire, avec un ou deux mots en russe, comme « Nous n’oublions pas ». Il avait travaillé la vigne avec lui à Marmorières."

François Dedieu, Un "Russe" à Pérignan / Caboujolette, Pages de vie à Fleury II, 2008. 

« … Le temps du muguet ne dure jamais
Plus longtemps que le mois de mai
Quand tous ses bouquets déjà se sont fanés
Pour nous deux, rien n'aura changé… »
 
Francis Lemarque. 

Hier encore, je regardais le Tour de Pologne dans les Basses Carpates, pour les paysages, pour avoir à l'esprit que la frontière de l'Ukraine est toute proche... Avec les champs si verts, le maïs, le houblon fringants, les maisons coquettes, les stères de bois au bord de la route, comment penser que le pays à côté est en guerre, que le nôtre souffre tant d'une grave sécheresse tue par le pouvoir et que Touzora, le village de Porfiri Pantazi ne manque pas d'eau, quelque part, à moins de 600 kilomètres vers l'est !   

lundi 8 août 2022

Ariège de mes racines (suite & fin).

Le Salat à Saint-Girons en 2020 / wikimedia commons / Auteur Olybrius. 
 

Pour rentrer de l'argent, on travaille parallèlement dans la petite industrie encore épargnée par la concurrence : drap à Lavelanet, papier à Saint-Girons, verre au Mas-d'Azil, clous de la vallée de l'Arget dans des forges catalanes actionnées par les torrents et dévoreuses de charbon de bois. Dans un même but, les Ariégeois rayonnent, depuis leurs montagnes, tant en France qu'en Andorre et en Espagne une première fois pour la fenaison, une deuxième pour la moisson, le décalage climatique leur permettant ensuite d'assurer ces mêmes travaux chez eux. En hiver aussi on descend se louer pour l'entretien des grands domaines, pour les olives... Des hommes travaillent dans les ports, des équipes œuvrent aussi comme forgerons... 

Vers 1850, les montagnes vont connaître un mouvement inverse et commencer à se vider. En plus d'une évolution humaine avec plus d'interdépendances, la fin des petites industries, des printemps pluvieux et des étés pourris provoquent de mauvaises récoltes céréalières et le mildiou détruit la quasi-totalité de celle de pommes de terre. La vie chère, le dénuement, le chômage, la disette provoquent encore des révoltes et les autorités doivent faire donner la troupe. 

La misère et le désespoir amènent l'exode et une baisse de la natalité. En 1854, la situation empire à cause des dégâts du choléra dans une population vivant à l'étroit au fond des vallées. Par la suite, alors qu'une normalisation des conditions rééquilibre les tensions, les Ariégeois continuent de se louer pour les moissons dans les plaines, les Mountagnols offrent leurs bras pour la vendange puis, le reste de l'année, pour les autres travaux nécessaires à la vigne. Dans le bas-pays, le développement du chemin de fer et le bâtiment emploient aussi de nombreux travailleurs. 

C'est aussi l'époque des montreurs d'ours jusqu'en Amérique et des colporteurs jusqu'en Bretagne : pierres à faux, objets de piété, eau de Lourdes, vanille ! 
Esplas-de-Sérou 2011

Esplas-de-Sérou 2011


Après 1886, c'est une véritable hémorragie, l'exode sans retour pour fuir la misère. Les jeunes sont les plus portés à franchir le pas. Mes arrière-grands-parents en étaient, partis de Montagagne, d'Esplas et Sentenac-de-Sérou (canton de La Bastide-de-Sérou), et peut-être même la génération précédente dont les parents d'un arrière-grand-oncle Pierre, né en 1872 (mobilisé à 42 ans en Alsace, blessé en 1915 par un éclat d'obus)... Les articles "Chemin d'école" les ont, ici même, déjà évoqués. 

Montagagne / avril 1968. L'école au second plan ; au fond à gauche, l'église et le cimetière.  



Alors, avec un respect aussi profond que viscéral pour la diversité de mes semblables, qu'on ne vienne pas me stigmatiser pour des pages sombres de l'Histoire, surtout de la part de ceux qui se présentent en tant qu'indigènes et qui, niant une évolution positive bien qu'imparfaite et inachevée, retournent un même racialisme contre des descendants qui n'ont rien à voir avec ce qui s'est passé. Quant à ces familles de Bordeaux, Nantes, la Rochelle, Saint-Malo etc, si des héritages les lient à la traite d'esclaves, dans quelle mesure peut-on demander réparation ? La question reste entière...     

L'Ariège de mes aïeux (1)

Dans les années 2000, un étudiant "de la diversité républicaine", virulent de l'anticolonialisme de par une réflexion aussi orientée que partiale, m'envoya un message violent sur mon héritage peu reluisant de colon esclavagiste. Heureusement, je m'étais intéressé à mon ascendance ariégeoise pour comprendre les raisons qui les ont poussés à descendre dans le bas pays, dans l'Aude. Aussi n'ai-je pas fait dans la dentelle en guise de réponse : 

"Espèce de salopard, à cause de la maladie des pommes-de-terre, mes ancêtres crevaient de faim en Ariège et ont dû émigrer ! Va voir plutôt les façades immorales jusque dans leurs sculptures, des trafiquants de Bordeaux, Nantes ou Saint-Malo avant de baver ta haine !" 

Avril à Montagagne : on plante les pommes de terre... (1968)

C'est trop commode de pointer du doigt, d'accuser tout un peuple autochtone et historique pour sa couleur de peau, surtout venant de nos égaux de la France ultramarine. Depuis, grâce au portail Persée et à deux articles "Disette et vie chère en Ariège à la fin de la monarchie de Juillet 1845-1847" par Philippe Morère 1920 (1) et "Le mouvement de la population en Ariège de l'an IX à 1936" de François Gadrat 1938 (2), j'en sais un peu plus sur le cas particulier que représente l'Ariège avec, en corollaire, l'émigration définitive de ma branche paternelle, trois générations en amont, entre 1870 et la fin du XIXe siècle.  

En 1845, en Ariège, 25.000 personnes sont sur le point de n'avoir plus d'aliments. En 1847 avec l'augmentation des céréales, la hantise de la famine se fait plus d'autant oppressante que les disettes chroniques de 1817 à 1837 marquent les mémoires... Plutôt voler quelques pommes de terre pour se retrouver en prison mais nourri ! 

Pour ajouter à un tableau de l'Ariège encore à contre-courant, quelques  indications. 
En 1846, le département nourrissait 55 hab/km2, dans la moyenne nationale sauf que les montagnes, moins productives, difficiles à vivre auraient dû baisser ce chiffre. Or, en 1806 c'est avec les Pyrénées que l'Ariège augmente sa population ! L'administration pense s'être trompée et refais ses comptes mais rien n'est plus vrai : les arrondissements de montagne, Foix et Saint-Girons, sont plus peuplés que la plaine !  Le montagnard s'avère être plus cultivateur qu'éleveur. Est-ce une conséquence du code forestier de 1927 réservant la forêt au charbonnier payé par les riches (alimentation des forges que possèdent ces derniers), l'interdisant au paysan qui doit garder ses bêtes à l'étable, ce qui ne peut qu'animer un cercle vicieux de mauvais rendements par manque de fumier. Aux disettes chroniques, aux mauvaises récoltes qui se répètent, s'ajoutent de fortes augmentations d'impôts. Le code forestier causa une révolte importante au point de prendre le nom de guerre (des Demoiselles 1829-1830 ), s'ensuivirent des soubresauts (1834, 1836, 1842, 1848). 


Vue de Massat et des Pyrénées depuis le col de Péguère commons wikimedia Auteur Daieuxet d'ailleurs

Mais comment pouvaient-ils vivre si nombreux (3) seulement au fond de vallées encaissées ? Sur les soulanes (à l'opposé de l'ombrée) les restes des terrasses montées à main d'homme (4) sont-ils encore visibles ? Comme partout alors à la campagne, il fallait subvenir à son besoin essentiel, l'alimentation, du sarrasin pour le pain noir, des choux, des blèdes et surtout des pommes de terre avec de la graisse, du lard ou un morceau de cochon. (à suivre)

(1) 1870-1926 naissance et décès à Mercus-Garrabet (entre Tarascon et Foix). Historien, professeur à Foix (son village natal ne le mentionne pas dans les personnalités liées à la commune). 

(2) 1891-1971, né à Foix, agrégé d'histoire et de géographie, grand blessé de guerre, professeur à khâgne Toulouse puis Paris, inspecteur général en 1945, historien de grande culture (la ville de Foix ne le mentionne pas dans les personnalités liées à la commune).   

(3) en dessous de quatre enfants, les couples "peu productifs" étaient raillés. 

(4) "... Avec leurs mains dessus leurs têtes
Ils avaient monté des murettes 
Jusqu'au sommet de la colline..." Jean Ferrat "La Montagne" 
... et remonté la terre ravalée par les orages et intempéries.