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samedi 24 juin 2023

SÈTE 9, Un quinze juillet

 Pour être venue sans qu’on eût à faire référence aux Celtes, aux Ligures, aux Ibères, aux Grecs, aux Romains, ce qui fut une île et qui devint Sète, attire et attache tant elle est singulière... « L’île singulière », on devrait l’appellation à Paul Valéry pour une ville à la génétique particulière et qui, de ce fait, a engendré sa palette de célébrités à part, aux destins atypiques.

SÈTE, un 15 JUILLET 

Qui, mieux que Paul Valéry, et avec quelle modestie, sut insister sur la grande influence des origines géographiques dans la convergence des forces qui comme par l’effet d’une chimie magique et inexplicable, arrive à précipiter le génie, l’art et l’esprit dans une enveloppe humaine ? C’est plus primaire et prosaïque avec les imbéciles heureux de Brassens... heureux, malheureux, les imbéciles sont forcément nés d’un quelque part n’y étant pour rien... Revenons à plus de rêve...  

Comment ne pas imaginer le poète, depuis le Mont-Saint-Clair, adressant sa soumission et sa révolte d’Homme à la Mer tant aimée, un jour de Grec et de marinade (vent de NE avec embruns)... 

Ce ne sont pas les éclats de Stentor mais la voix est sûre, charpentée, bien que soumise aux forces d’une nature faisant si peu de cas de notre espèce, mais mue aussi par une énergie propre à arrêter la vague au moment où sa transcendance ne peut que déferler... Je veux croire que la tessiture n’est pas plus emphatique que datée... Ce n’est pas le ton affecté de la culture, travaillé pour se fondre dans un milieu de précieux, riches et oisifs, de conserve avec un monde définissant non sans prétention un who's who des arts et des lettres à son image. Ce n’est pas le débit haché, souvent coupé par la toux (il roulait ses cigarettes), de l’écrivain devant travailler pour vivre, mal à l’aise parmi les rentiers.
Sa voix est celle de la nature, de la naissance dans une famille modeste, méridionale avant tout. L’accent n’a pas encore trahi le Sud, ne dépareillant pas au berceau méditerranéen : le père est corse, la mère génoise, ils vivent à Sète... Et puis, quelle sincérité peut-on exprimer si on parle parisien à la Mer originelle, matrice de civilisations ? Aussi, c’est sûrement par rancœur que Paris continue de dévorer la province afin de l’assimiler. A moins que ce ne soit l’amertume refoulée d’un esprit trop rebelle et indépendant qui me fait digresser à ce point... On se veut comme les autres mais différent, sociable mais solitaire... et on ne fait qu’imiter Valéry qui eut l’occasion de se définir ainsi... 

Sète Môle_Saint_Louis 2017  the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Auteur Christian Ferrer

Il n‘empêche, l’autre jour à Sète (mercredi 2 août 2017), face au môle Saint-Louis, au pied du cimetière marin où il repose, c’est un pays, un Sétois, un Paul Valéry proche, loin de la pompe de la capitale qui nous accueille. Au milieu du rond-point, les mots, le ton intime, à l’opposé d’autres, somptueux mais d’une froideur de pierre tombale, témoignent de l’amour insondable d’un enfant bien de « l’île singulière » pour notre mer glorieuse : 

« ...je remonte le long de la chaîne de ma vie, je la trouve attachée par son premier chaînon à quelqu'un de ces anneaux de fer qui sont scellés dans la pierre de nos quais. L'autre bout est dans mon cœur... » A lire, relire, méditer en laissant tout notre être s’en imprégner. 
Rond_point_Paul_Valéry 2018 the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Houss 2020


vendredi 12 août 2022

LE PÊCHEUR DE TENILLES

 L’eau est froide. On dirait qu’elle crispe chacun des pores, qu’elle horripile chacun des poils. Il est tôt ce matin, plus encore si on considère la montre avec un tour d’avance sur le soleil (années 50-60). Ici on parle d’heure vieille. Vieille ou nouvelle, il faut y être, tôt, à l’instar des opiniâtres convaincus que la vie ne peut se gagner qu’à la sueur du front et qu’il est mauvais de flemmarder au lit. Même la religion affirme que ce qui tombe du ciel ne peut être que de l’ordre des nourritures célestes. 

Yves le pêcheur s’accommode de cette vérité première : mieux vaut en adopter les principes que réaliser qu’on y est soumis. Au petit matin, il a souqué ferme et traversé le fleuve avant de récupérer son vélo à peine caché au pied de la bâtisse du Chichoulet, un petit mas sur l’autre rive. Et le voilà parti sur son bicycle grinçant, sans frein, rouillé plus encore par les bruines salées de la mer que par les pluies ; fixé au cadre et sur le porte-bagages, l’engin de pêche et les sacs de jute pour rapporter le produit de ses efforts. 

D'après photo. 

Mais qui a été le premier à trouver la ressource ? A qui a-t-il confié sa découverte ? Qui a vendu la mèche ? Encore faut-il être courageux pour la récolter cette manne ; se lever tôt pour écouler la production au meilleur prix, l’offre et la demande sans l’avoir formalisée dans des études en classe. L’école ? Yves ne voulait plus y aller ! Marin-pêcheur depuis l’apprentissage, autant se mettre à son compte. Pour faire bouillir la marmite il cale son vélo sous un tamaris. Ensuite l’eau froide qui pique les jambes puis glace le ventre ; faut être rude ! C’est qu’il faut le rejoindre, loin au large, le banc de sable, sans avoir pied, chargé de l’engin. Sans combinaison comme aujourd’hui. C’est qu’avec un gisement exceptionnel, on en fait trois fois plus en trois fois moins de temps : vingt-cinq kilos environ en une heure et demie ! Griserie des sous qu’on va ramasser... Porté par son souvenir, il a dit « C’est le Mexique ! » Encore faut-il le gagner, cet eldorado, chargé du butin mais fatigué, frigorifié, à la limite de ses forces pour regagner le rivage. "Fallait être jeune !" ajoute-t-il quand même. 

Yves... quelques années plus tard... 

J’y suis, mais en touriste, seulement à supporter l’eau froide qui pique jusqu’aux genoux. Les tenilles ne baraillent (1) qu’avec le « Nord », le vent de terre, forçant jusqu’à s’appeler Cers, cousin germain du Mistral. Même cette situation a changé : de plus en plus de vents marins, de moins en moins de ce « Cercius » des Romains, chassant les miasmes, purifiant l’air et pour cela honoré dans un temple non loin de Sallèles-d’Aude. La mer va mal, passée par pertes sans profits... Finis ces arrivages de poissons bleus, sardines, maquereaux, anchois, qui faisaient le bonheur de toute une population adaptée aux ressources locales, synchrone avec la ronde des saisons, le cycle naturel, profitant avec modération des ressources de la planète... oh la tranche de thon, et sa sauce tomate, de temps en temps avant qu'on aille  trop loin dans une prédation déraisonnable. Finis ces bancs de tellines, ces cranquettes (2), crabes verts sinon enragés, qui, à l’occasion, avec les étrilles nageuses donnaient une soupe si goûteuse. Désormais, la mer semble morte, le peu de coquilles desséchées sur l’estran en atteste. Et pourtant, parce qu’il est au bout du connu, nous l’aimons ce présent sans lequel le futur ne se projetterait pas. Il porte le passé, il porte les bonheurs qu’on n’a pas su apprécier, pourtant plus forts que les malheurs que le temps, heureusement, émousse ; il est en train de mettre à nu le délire mortifère du système économique de la mise à mal, par une minorité, de la survie de tous... ne parlons pas de cet anachronisme barbare qui nous fait retomber dans une guerre si proche.  

(1) varaia, en occitan = se promener, s'agiter, rôder.  

(2) de cranquièiro en occitan = lieu où on trouve des crabes. 

samedi 1 janvier 2022

CHEMIN D'ÉCOLE (5) Le soleil roi, les facettes de la mer et des éclats de révolte...

Quel cépage ? Mourvèdre ? Syrah ?

Le chemin des "quaquatre", pas des charrettes non !

Pour quelle raison devrait-on se sentir inquiet, déjà délinquant, hors-la-loi peut-être, seulement pour vouloir prendre des chemins et fouler des espaces naturels ? Ainsi tout doit être possédé par quelqu'un ? A se retourner à peine sur un demi-siècle en arrière, le fait de voir que la propriété privée a pris le pas sur le domaine public semble flagrant tout comme un enrichissement indécent à milliards accompagne l'endettement, lié au covid, d'une communauté nationale si mal servie par les traîtres qui gouvernent. Non mais, vous l'entendez ce ministre de l'économie, transfuge LR, vendu à la macronie, qui nous assène qu'il faudra payer la dette rubis sur l'ongle ?!?! Et s'il se prenait un 1789 dans les dents, cet outrecuidant ? Et si le peuple souverain en venait à faire comme le monarque, justement, Philippe IV le Bel, affirmant "la plénitude de la puissance royale" ? Allez donc demander au Capétien s'il s'est gêné pour capter tour à tour la richesse du clergé, des Juifs, des Lombards puis des Templiers ! Que le peuple prenne exemple ! Qu'il réfléchisse aussi à ce principe peut-être indien mais si humaniste par rapport à de prétendues valeurs occidentales d'accaparement sinon de prédation... la terre, la Terre, n'appartiennent à personne ! 

Bien sûr que, bien qu'étant sur leurs traces, je suis loin de ces digressions historico-philosophiques alors que, tel un maraudeur, en papi indigne, j'essaie de me fondre dans la nature pour ne pas être repéré. Si le manoir des Bugadelles, par bien des aspects, exclut, repousse, évince, le domaine de Camplazens, ouvert, au contraire, ne campe pas sur ses prérogatives de possédant. Et si, dans le sens de ce qui précède, il y aurait à redire sur l'évolution peu positive de la chasse, touché seulement par le désir de découvrir un paysage qui compte pour notre famille, je monte vers ce qui s'annonce déjà comme une fusion entre le ciel, la mer et la fragile emprise des hommes sous un soleil roi. 

Montée vers la barre de Vires.

 

Vue vers le nord.

Vue vers Agde et plus loin, Sète.

Oh mais c'est donc là que la quête aboutit ? D'abord l'impression magnifique de ce paysage sublimé : les éclats de l'astre sur les facettes taillées d'une Méditerranée sertie dans la courbe du Golfe et la griffe, tout au fond, des Pyrénées. Car cette lumière magique reste liée à la courbure, à l'inflexion grandiose du Golfe du Lion, perceptible seulement du regard, une féérie que les cartes, ouvrant pourtant sur les rêves, ne savent pas montrer... 

Font écho, suite à "... l'enfant amoureux de cartes et d'estampes...", toujours de Charles Baudelaire, dans "Le Voyage", ces vers pour dire un peu l'esprit de cette randonnée : 

"... Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme, 
Le cœur gros de rancune et de désirs amers, 
Et nous allons, suivant le rythme de la lame, 
Berçant notre infini sur le fini des mers..." 
 
Et là haut c'est un autre poète qui prend le relais, plus intimiste, familier, déjà rencontré au cours de cette balade : 
 
"... Tout à coup son regard s’emplissait de merveilles :
Depuis le Mont Saint-Clair jusqu’aux Côtes Vermeilles,
Tel un vaste arc-en-ciel sur le sol allongé,
Le sable, de la mer semble prendre congé ;
Le Golfe du Lion secouant ses crinières
Brillait de mille feux et d’autant de lumières
Et, brassant dans l’air pur le bienfait de ses flots,
Enseignait aux humains la richesse des mots...
Plus loin, elle voyait un bras des Pyrénées
Caresser en rêvant la Méditerranée,
Tel un amant distrait : l’œil pourpre du Levant
Tomber, à l’horizon, une larme de sang..."
Pierre Bilbe "La légende du Cascabel". (1) 
 
Les garrigues de Vires.

 

Avec Pierre qui, rappelons-le, a parcouru ce coin en tant que garde, observateur attentif et amoureux d'une nature qu'il aimait tant partager, le cascavèu est le grelot accroché au cou de la brebis, permettant au berger de retrouver ses bêtes et utile aussi pour protéger le troupeau contre les forces maléfiques... 
 
Pas la peine de chercher la chaumière des aïeux, ce n'est pas ici ! Avec, sur la droite, le radar de l'armée, j'étais préparé à ce demi-échec, il est vrai, poussé vers le sud que j'étais, par les panneaux et grillages comme les palombes le sont, lors de la migration, par les rafales d'un cers puissant. Néanmoins, avec la contemplation de ce panorama hors du commun à venir, la déconvenue sera vite oubliée. Et puis, cette barre rocheuse, le vallon abrité derrière, les vignes, les configurations sont comparables. Je suis au-dessus du domaine de Vires, non loin du point de vue, de la belle inspiration de Pierre, à peine plus au nord avec les campagnes des Karantes et Saint-Pierre-la-garrigue à ses pieds.   
 
Au fond la ligne bleue de la Montagne Noire.
 
 
Pour apprécier l'inflexion du Golfe du Lion, il faut choisir un autre moment de la journée.

Ce chemin d'école, dans son trajet retour, qui procure l'apaisement d'avoir, au nom de tous les miens, cherché à réparer un trou de mémoire, laisse pourtant un petit sentiment d'inachevé. Je n'ai toujours pas vu La Pierre, ce refuge lové dans une combe en pleine garrigue, un milieu complètement étrange, sûrement, pour mes aïeux, réfugiés économiques descendus des forêts et monts de l'Arize, passant d'un coup du frais au sec, du froid au chaud, des sapins et myrtilles aux pins et asperges sauvages. Nous ne verrons donc pas encore le débouché de ce chemin d'école qu'il serait peut-être judicieux et moins difficile de retrouver par l'autre côté, en partant de la côte, dos à la mer. De plus, le mot "FIN" a quelque chose de brutal ; dans bien des situations, même positives, il laisse souvent  son goût sucré-salé, aigre-doux, sa pointe d'insatisfaction, comme si on se retrouvait soudain abandonné, orphelin de quelque chose. Alors, pour que ça dure encore, accolons lui un "5", ce n'est qu'un cinquième volet, une balade du cœur à poursuivre...  

(1) Le Cascabel, l'IGN nous le mentionne deux fois. La carte au 25000ème indique deux ruisseaux à ce nom, de ces cours d'eau qui ne savent que rouler la colère des cieux, quelques jours par an. Quand l'un s'en va vers l’Étang de Fleury pour former celui du Bouquet après son cours souterrain, l'autre contribue avec, notamment, le ruisseau de la Combe Figuière (le ravin que seul le chemin des "quaquatre" sait franchir), à former celui de Combe Levrière finissant, hors aigats, en toute discrétion, dans l’Étang de Pissevaches. 

jeudi 4 novembre 2021

Gruissan, ses pêcheurs et l'étang de l'Ayrolle (fin).

La longue piste sur la laisse d'hiver rendue à la plage d'été, avec ses passages de sable sec à bien négocier ; la mer, toujours belle, tôt le matin, sous un soleil montant de début juillet, nue sous les écailles miroitantes d'eau soumises au faisceau encore limité de l'astre, vierge de voiles et bateaux avant que le Golfe ne les éparpille ; la plage vide quoique ensuite si peu occupée par de rares parasols. (1)

Quatre kilomètres plus loin, le grau de la Vieille Nouvelle, qui joint l'étang à la mer, au tracé et au flux  changeants. Pour bien s'en rendre compte, le site ami mais remarquable :
      

L'étang ! Perle précieuse dans les bleus ou les verts, suivant l'atmosphère, dans un écrin de sable doré ou, plus à l'intérieur, la verdure mordorée de la végétation des dunes. Puis, à droite de la vieille redoute, la réfraction de l'air réchauffé brouille la forme des pêcheurs de palourdes en un mirage digne d'un tableau de maître, imprimant à jamais la mémoire d'une émotion toujours à vif. Au fond, les pins de l'Île Sainte-Lucie et les caténaires de la voie ferrée qui loin de gâcher le panorama, amènent à se questionner sur les agissements de notre espèce. Sinon, seulement des senteurs de sel et d'iode, loin des pestilences qu'on associe trop mécaniquement aux lagunes surchauffées par les températures excessives. L'eau reste fraîche malgré une faible profondeur relative (0,75 m. en moyenne, 1,5 m au maximum). D'ailleurs,  tout à l'observation des faux cils des siphons d'un couteau, on peut se retrouver carrément au bain dans le courant d'un fossé immergé, artère qui fait respirer et nourrit, fragile garantie pour la vie de  l'étang, appelé ""cannelisse", ce dont je ne suis pas certain du tout...  
 
Photo aérienne. Source Geoportail.  
 
L'Ayrolle, j'en ai eu un aperçu l'hiver, quand le Cers donne libre cours à sa hargne et lève déjà des vagues sur l'étang. Il y avait un pêcheur à Fleury, ouvert, aimant et aimé. Nous le connaissions pour la pêche au globe, à Aude, celle, à la traîne entre Saint-Pierre et Les Cabanes. Je veux parler de Robert Vié. Il m'avait invité à le suivre sur l'étang. Un jour je retrouverai bien quelques diapos sur cette sortie : elles existent. Je n'en ai pas rêvé, lui, sur son betou, dans son ciré jaune, les pommettes rougies par le froid, les doigts gercés. Avions-nous pris des anguilles ? je ne saurais dire. Dans ces années 70, comme aujourd'hui, un camion-vivier faisait régulièrement la tournée. A l'époque Robert me disait que c'était surtout pour l'Italie où l'anguille, fumée ou non, est un poisson de luxe. 


Robert Vié

C'est sûr, j'ai beaucoup à demander aux pêcheurs de l'Ayrolle. Après l'émission, j'oserai, mieux que la dernière fois pour l'escapade à vélo sur l'Île Saint-Martin :    

"... Photos de l'Ayrolle sans la bonne odeur iodée des posidonies que les locaux appréciaient jusque pour les matelas des petits... L'étang est-il, après les calanques de Marseille notamment, envahi par ces autres algues brunes, trop vivantes elles, arrivées du Japon avec les naissains d'huîtres du bassin de Thau ?

Photos des cabanes de pêcheurs et de la cale avec les barques, les pieux et partègues ; les ganguis, trabacous et autres filets des petits métiers de l'étang. Justement un pêcheur, son placide korthal aux basques (il doit se faire vieux le pauvre), charge sa barque . 

"Pardon monsieur, est-ce que, par derrière, on peut rejoindre la route de l'Evêque ? 
- Et non il vous faut revenir jusqu'à l'embranchement... Oh ! mais vous êtes à vélo, alors suivez le canal, la route est au bout !" 
Oh qu'elles ont du chien, ces vieilles baraques, plus ou moins délabrées et pétassées ! Photos !..." 
 
https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2021/09/lile-saint-martin-velo-3-viree-en-terre.html

Il faudrait vous raconter aussi comme la prud'homie les unit et comment les pêcheurs fêtent Saint-Pierre. Cette cérémonie garde un lien certain avec le cimetière marin des Auzils, il faudrait l'évoquer aussi... Quant aux photos, sûr que d'y revenir sera une des priorités : les pêcheurs, heureusement, sont toujours là mais quelques "maisons rouillées", comme le chantait Trénet, menacent ruine. Elles comptent pourtant, elles aussi, pour la mémoire. 

(1) est-ce que les voitures sont autorisées sur ces presque 5 kilomètres de sable ? On comprendrait que la réponse soit NON ! La beauté, la nature se méritent... sous peine d'être vite dénaturées...



Gruissan, ses pêcheurs et l'étang de l'Ayrolle (première partie).

Thalassa, l'émission mythique, avec, pour sujet, la mer de la région Occitanie. On passe des beautés sous-marines de la Côte Vermeille à la pêche à Gruissan, plus particulièrement la pêche à l'étang de l'Ayrolle, pour finir avec la Prud'homie et la fête de Saint-Pierre. 

Bateau Thalassa à Paris wikimedia commons Author Peter Potrowl
 

C'est de vagabonder sur la cinquantaine de chaînes du "bouquet" qui m'a arrêté sur les images, si heureux de voir que les pêcheurs de l'Ayrolle restent. Et dynamiques, solidaires, sérieux quant à la ressource, respectueux des traditions, de la fête dédiée à Saint-Pierre, notamment. Au point que l'étang le leur rend bien on dirait. Allez voir plutôt ! 

 https://www.france.tv/france-3/thalassa/1274539-de-banyuls-sur-mer-a-gruissan.html?fbclid=IwAR2-HRj7k7Bzo5X5mjnWetDl8GGZ4CKoJfmI5iXijkUD7QwePy6wOnlLpVY

Et moi qui les croyais sur le déclin ! Et moi qui pensais l'étang moribond sinon mort ! Il faut dire qu'à une époque des nouvelles affligeantes nous sont arrivées, sur des maux mettant à mal la fragilité de ce milieu à part... Des ravageurs, des pillards, toute une escouade de mercenaires, venus, paraît-il, en minibus, dans la logique exacerbée de l'offre, de la demande, de l'exploitation de main-d’œuvre, auraient déversé du poison pour faire remonter les palourdes d'un commerce lucratif au profit de gens à hauts revenus, en deçà et au-delà des Pyrénées, vu le prix au bout de la chaîne. Ma consternation fut telle que j'en restai paralysé, incapable d'aller au bout de l'info. Qu'y avait-il de vrai dans la rumeur ? Représentait-elle un désastre irrécupérable ? Je le pensais.

En regardant Thalassa, touché par la lumière à part de notre Méditerranée, reprenant d'un coup les couleurs d'un monde que je croyais à jamais perdu, vibrant encore de l'avoir parcouru il y a peu parce qu'à vélo (ou à pied) le pays qu'on aborde pénètre à cœur, frémissant de la foi en héritage de ces pêcheurs si forts pour se projeter dans l'avenir, pour la première fois depuis mon incapacité au moins trentenaire à faire le deuil de cet étang aimé, c'est à eux, désormais, que je devrai demander. 

Loin des jérémiades, les causes en seraient-elles fondées, dans une dignité remarquable où domine l'attache indéfectible à leur pays de ciel et d'eau, l'attitude toute pétrie de fraternité, de communion aussi avec un milieu qu'ils veulent préserver, ils ne minimisent pas les bienfaits que l'étang offre. Au fil des images, on peut voir des loups énormes, des dorades bien royales, ainsi qu'une "perruque" géante d'anguilles s'entremêlant en vain, accumulée dans les pièges terminaux du filet qui fait barrage et les oriente. Ils ne cachent pas, ils n'exagèrent pas, ils ne sont pas dans l'exubérance dois-je ajouter à l'intention des demeurés qui, avec Renan, Méry, et même Michelet ou Hugo bien qu'en marge, sans parler du traître Maurras ou de ce salop intégral de Destouches qui aurait dû finir son voyage dans un fourgon de la gestapo fuyant dans la nuit... Pardon pour cette parenthèse digressive mais qui n'entame en rien ma sérénité... L'âme légère, je crois entendre gangui ou pantane pour désigner ces filets sauf que, plus proche de la lévitation (tous des Tartarins vantards ces Méridionaux !), loin d'une objectivité minimale, je m'en remets plutôt à Gilbert Larguier : 

Pêche, environnement et société littorale autour du golfe du Lion au XVIIIe siècle.

 https://books.openedition.org/pupvd/5358?lang=fr 

Comment rester objectif lorsqu'on l'a aimé de près, cet étang ? Pourtant, dans les années 70, la beauté du site, son cadre, l'horizon des Corbières et des Pyrénées, s'appréciait, mais de façon ordinaire, sans évaluer le caractère exceptionnel de cette nature préservée... c'est comme trouver belle la femme de qui on se sépare, comme ne voir le bonheur que lorsqu'il s'échappe... C'était un temps où tonton Vincent partait de Narbonne à mobylette pour se casser le dos sur des palourdes. Nous mêmes avons dû y aller, une ou deux fois, en début de saison. Et si, dans la baignoire du petit faisant office de "boîte à pêche", pour régaler la famille, nous rapportions, sur un lit de laitues de mer pour la fraîcheur, des moules, des huîtres plates de la race perdue, des couteaux remontés au gros sel, quelques palourdes aussi malgré la technicité de cette pêche, c'est toute une ambiance qui imprégnait tous nos sens. (à suivre)

Carte des abords au sud de Gruissan. Source et remerciements à Geoportail.



samedi 14 août 2021

PISSEVACHES DEPUIS PÉRIMONT (2) / Saint-Pierre-la-Mer.

Côté terre, la Barre de Périmont domine ce hameau de tôles et de bois, plus bois flotté, plus fantaisiste, moins aligné que les chalets de Gruissan. Une douzaine de mètres de haut offrent un beau point de vue sur ce monde entre terre et eau... J'écris "beau" en pensant "magnifique" sûrement parce que je tiens trop à ce pays qui me vit naître et ne cessera de m'accompagner... 

Chardon d'Espagne.

Il n'empêche, cet ultime rempart de la Clape sur la mer est déjà remarquable par sa nature. Imaginez une échine rocheuse en pente douce vers l'étang, des romarins, mouches et garrouilles (1), buissons à mener la nuit des chasses au dahut (ah... les nuits d'été à Saint-Pierre...). Des pins, seulement en bas d'une falaise morte, avec quelques roseaux qui disent l'eau pas loin et au premier plan, le vert malachite relevé de blanc et le jaune jaune des capitules du chardon d'Espagne (2). Tout s'oublie, pourtant il suffit un jour d'une circonstance, la découverte des couleurs de Cézanne, de sa palette bien du Midi, pour que jaillisse l'émotion profonde au souvenir de ce coin de Saint-Pierre avec cette fleur à ne cueillir qu'avec les yeux... mais présente aussi, quand on les ferme, avec les senteurs de la garrigue après l'orage de juillet... 

 


Ce qui reste des pins de Périmont...
 

Au bout, en contrebas, comme pour ne pas contrarier le Cers et ses rafales, une pinède, enfin une huitaine d'arbres ; une ombre rare et si goûtée pour le pique-nique du lundi de Pâques, la première fois gourmande d'une salade niçoise jusque là inconnue... Mais quelle idée ce riz froid bien blanc avec ces œufs durs et ces olives bien noires dans la mayonnaise ! Et ce n'est pas tout parce qu'il y a le secret que tout le monde connait... Non non, pas le tunnel sous la garrigue, creusé par les Allemands et où Daudel l'épicier a eu fait pousser des champignons de couche... Sous le transformateur, toujours au bout de Périmont (jadis il y eut une redoute / voir encore le site "Ma Clape à ce propos) une échelle de fer pénètre les entrailles de la Terre et donne sur un lac bleu bien mystérieux.  

Une douzaine de mètres à peine et après le village sur pilotis, la vue s'ouvre. Le regard porte à treize kilomètres environ (3). Presque dans la perspective de l'immeuble de Valras, le château d'eau de Saint-Louis des Cabanes borne une platitude de terres salées avec l'étang de Pissevaches, formé et déformé au fil des époques par le delta de l'Aude et la mer.  . 

A jouir de la vie, à s'éveiller aux merveilles de la nature, à apprécier le coin, on n'analyse pas plus loin... Tout vient à point, dit-on, petit à petit, quand sonne l'heure... Voilà que je fredonne, peut-être parce que, un peu à droite d'Agde, on voit Sète, la ville de Brassens qui me pardonnera de le pasticher "Il suffit d'être à Périmont, c'est tout de suite l'aventure..." Le nom déjà "Pissevaches", une aventure mais laissons cela aux années 10 et 20 de ce siècle (4)

(1) cistes et kermès.  

(2) le nom m'a été amicalement soufflé par "Ma clape" un site à ne pas manquer pour ceux qui aiment nos garrigues uniques jusqu'au bord du Golfe http://www.maclape.com/#propos sinon sur facebook https://www.facebook.com/maclape11. 

(3) https://fr.wikihow.com/calculer-%C3%A0-quelle-distance-se-trouve-l%27horizon 

(4) Dans la promotion touristique de la commune voici ce que nous avons vu fleurir comme panneau :

Je vous l'analyse "enraciné indécrottable" ! As pas vist ! T'as pas vu ! et tu assimilerais les vaches aux vagues qui rentrent en coin ? Et pourquoi pas le pis des vaches sinon dans le sens des sources qui pissent quand, plus français qu'occitan, j'apprenais le Plateau de Millevaches ? Et pour revenir aux années du camping sauvage, papa ne stockait-il pas l'eau dans un sac de toile suspendu, toujours suintant et frais, appelé "vache-à-eau" ? 

Tout reste audible et se discute : le panneau et son hypothèse univoque (photo de 2014) n'a pas été renouvelé. Désolé, mais l'autre jour je n'ai pris que le paysage... J'y retournerai...   

Au fond, la Barre de Périmont vers 1958.

      

jeudi 15 avril 2021

"VIENS AVEC MOI, PETIT" Pierre Bilbe / Fleury-d'Aude en Languedoc.

Au fond, "... la superbe prairie... aux pieds de Lespignan..."

Viens avec moi, petit... Viens, donne-moi la main
Nous allons parcourir le caillouteux chemin
Qui mène en serpentant aux Pins de la Mairie. 
Là, tu découvriras la superbe prairie
Qui met son tapis vert aux pieds de Lespignan. 
La vigne, un ceinturon aux reins de Pérignan. 
Les sinueux cours d'eau qui sillonnent les plaines
Jusqu'aux flancs où se noient l'ombre de nos Cévennes ; 
Le beau panorama, des monts pyrénéens
A l'écume des flots méditerranéens, 
Là toute la splendeur de ton beau patrimoine
Aux champs couverts de blé, de luzerne, d'avoine, 
De vignes cultivées, d'arbres abandonnés, 
De jachères aux sols d'épines couronnés, 
Témoignages meurtris du temps où la culture
Le disputait aux lois de la mère Nature. 
Là-même, sous nos pieds, de multiples buissons
Qui semblent par le vent secoués de frissons. 
Plus bas, le vieux clocher qui domine l'église, 
La maison où je vis, place de la Remise, 
Et là-haut, dans un ciel des approches de mars, 
Des lambeaux déchirés de nuages épars... 

Regarde bien, petit... remplis-en ta mémoire : 
Un jour tu conteras une curieuse histoire, 
L'histoire d'un enfant qui parcourut son bien
Et qui, depuis ce jour, ne reconnaît plus rien... 
Car tout ce beau décor de garrigue et de vigne
Lentement disparaît, comme une chose indigne
Qui plie, tombe à genoux, par un plus fort vaincu, 
Comme tout se déforme après avoir vécu... 

Allons nous promener à travers la garrigue, 
Jusqu'à ce que, fourbus d'une saine fatigue, 
Nous allions nous asseoir sous un pin parasol, 
Sur l'épais matelas qui recouvre le sol. 
Là, tu contempleras le troupeau de Labade,
La chaîne des rochers qui domine la Prade, 
Le reste des vieux murs lépreux de Tuffarel
Face au beau monument du Roc du Cascadel. 
Là, tu seras conquis par le Mère Nature, 
Par son festin d'amour pour chaque créature, 
Par son élan du cœur, par le don qu'elle fait
Pour que tout soit plus beau, grandiose, parfait. 
Là tu découvriras sa volonté sauvage
Telle qu'on la connaît depuis son premier âge, 
Depuis le lointain où la première fleur
Créa le premier fruit et première couleur. 

Là tu découvriras tout un monde nouveau, 
Un monde varié de sensations, si beau !

Du Plateau des Seigneurs au Pech de la Pistole, 
Du chemin de Besplats qui mène à Maribole, 
Des restes délabrés des murs de Châteauroux
Jusqu'au miroir profond du gouffre de l'Œil Doux, 
Jusqu'au bout du regard où porte la raison, 
Jusqu'au bout de la mer, son lointain horizon, 
Et jusqu'à l'infini du cosmos, du néant
Où s'égare l'esprit à grands pas de géant
Qui créent les sensations des vertiges de l'âme
Et dans ton cœur si pur la beauté d'une flamme. 

Quand tu retourneras dans les rues du village
Où tu rencontreras des enfants de ton âge, 
Dis-leur en souriant que la nature est belle, 
Pour chaque être vivant qu'elle a une mamelle, 
Pour les fleurs un parfum, un papillon, un temps 
Que des êtres savants ont appelé Printemps
Qu'elle a pour les oiseaux des trésors de tendresse, 
Et pour tout ce qui vit... au moins une caresse. 

Pierre Bilbe. 
 
Poème envoyé par mon père avec la note ci-dessous : 
 
"Fleury-d'Aude, récupéré d'un texte polycopié (à la pâte, ancienne façon) devenu presque illisible, le mardi 11 novembre 2008." (note de François Dedieu).   

"... Jusqu'aux flancs où se noient l'ombre de nos Cévennes..."

Entre ciel et garrigue la Méditerranée




mardi 25 août 2020

L’ÉTÉ SUR LA DUNE EST BIEN INQUIET / Fleury-d'Aude en Languedoc


Les remords, les pensées nocives ne peuvent que nous travailler. Raison de plus pour se laisser aller à ce qui nous lie encore aux souvenirs, à ce qui réchauffe le cœur, aux jours heureux de l'innocence.
Des sensations aussi remontent à l'enfance quand de s'enfoncer dans le sable fatigue et qu'on voit son camarade qui lui, au contraire, juste à côté, caracole sans peine. C'est qu'il a trouvé cette bande de sable plus compact entre le mou trop mouillé du bas que la mer recouvre presque toujours et le mou à demi-sec, en haut de l'estran, que toutes les vagues ne peuvent pourlécher. 




De lever la tête éblouit à cause des éclats dansants du soleil. Pourtant, l'atavisme de celui qui est né là fait instinctivement remarquer un fond d'un bleu plus terreux, un banc de sable. Et ces tenilles qui aussi nous faisaient faire des poutous à l'été quand, en rythme, presque en musique, nos reins tiraient gaillards sur le harnais, la tête emportée par les rafales du Cers et grâce à la magie des Pyrénées au fond du golfe enchâssé... Et ces crabes, favouios (verts) ou cranquetos (de sable) pris au fond du tenillier et qui à eux seuls donnaient l'essentiel d'une soupe capiteuse, sous la véranda de carabènes, au camping sur la plage, dit "sauvage" ! 



    
En hiver, il paraît que le lais de mer est jonché de coquilles... Une vie secrète sous-marine subsisterait alors ?

Plus loin que l'immeuble de Valras, Agde et Sète au-delà. Sète, "l'île singulière" chère à Paul Valéry... Ce ne serait pas plutôt Agde, l'originale, avec son mont Saint-Loup, cloque volcanique éclose dans l'alignement de l'Escandorgue pour ne pas le faire remonter plus haut dans le Massif Central jusqu'à l'Aubrac, le Cantal et le Cézallier ?

Après la zone réservée au kitesurf, l’œil peut différemment apprécier des formes et reliefs à l'obsolescence plus marquée s'agissant de l'anatomie humaine. M'en veuillez pas pour cette transition pudibonde entre le minéral et le charnel, le strombolien et l'épicurien, je parle de nudité, de gens à poil, pour ceux qui me croiraient bégueule. Bref, le naturisme y est, à ma connaissance, autorisé sur quelques kilomètres de sable. 





Les bulls ont regroupé et entassé de véritables forteresses de troncs et de branches emmêlés mais il en reste et certains nostalgiques des cabanes reconstituent des abris pour se protéger du Cers ou des regards.
Les dunes marquent la limite entre la plage et les marais, derrière. C'est délicat de s'y rendre. Discrètement alors. Mais en fredonnant pour bien montrer que je peux me montrer. Pas comme ces voyeurs dont les naturistes se plaignent régulièrement. (à suivre)

dimanche 23 août 2020

SOMBRE HORIZON AU RAS DU GOLFE CLAIR / Fleury-d'Aude en Languedoc

"Du bord de la mer, il suffit de chercher l'horizon...
- L'horizon ? Allons donc ! Même pas cinq kilomètres à ce niveau ! Il n'y a rien à voir depuis un trou !
- Pas si vite ! c'est juste symbolique d'être dans l'eau. Sinon monte en haut de Périmont et déjà tu verras cinq fois plus loin ! Tu fais la moue ? Tu ne devrais pas. Écoute Pierre, inspiré par la vue en haut de la barre des Karantes ou de Saint-Pierre-la-garrigue : 

" Tout à coup son regard s'emplissait de merveilles : 
Depuis le Mont Saint-Clair jusqu'aux Côtes Vermeilles, 
Tel un vaste arc-en-ciel sur le sol allongé, 
Le sable, de la mer semble prendre congé ;
Le Golfe du Lion secouant ses crinières
Brillant de mille feux et d'autant de lumières
Et brassant dans l'air pur le bienfait de ses flots, 
Enseignait aux humains la richesse des mots... 
Plus loin, elle voyait un bras des Pyrénées
Caresser en rêvant la Méditerranée, 
Tel un amant distrait : l'oeil pourpre du Levant
Tomber à l'horizon une larme de sang..." 

 Pierre Bilbe. La Légende du Cascadel. 

La Montagne de la Clape avec la Barre des Karantes au-dessus de Saint-Pierre-la-Mer.
Cherche-le, cherche-le ! Il viendra à toi l'horizon ! Les cônes d'Agde et de Sète d'un côté, la ligne de crête des Albères de l'autre, comme le dit le poème. Et va voir si ce "bras des Pyrénées" n'arrive pas au Cap de Creus, surplombant Cadaquès, le village de Dali, de près de 700 mètres... Vois aussi un peu à l'intérieur la masse pyramidale du Canigou, le pic sacré des Catalans, magnifique à en donner des frissons, même sans ses inclusions de neige !

Le Canigou, quand on le voit, annonce le vent marin, le temps de mer idéal dans les deux ou trois jours à venir. Aujourd'hui, les traînées plus ou moins longues des avions qui tracent leur route haut dans le ciel, signalent une météo similaire traduisant l'humidité de l'air (ils sont de retour en ce temps de disgrâce pour cause de covid). Dans les années 60, ce sont les navires qu'on regardait passer au large. 

La dune aux Cabanes-de-Fleury avec, au loin, les Pyrénées au pied desquelles le Golfe du Lion semble se lover... 


2013. Par un beau matin de mer, du Mont Saint-Clair à la Côte Vermeille, le Golfe du Lion éparpille ses voiles et ses bateaux : pêcheurs de bleu, marins du dimanche, hauturiers de passage. J'en compte jusqu'à cinquante-cinq, plus ou moins gros fétus de paille dansant sur LE Golfe clair (1) quelque part au sud-est. J'en perds le compte quand je rêve de ces flottilles de voiles latines partant ou rentrant de la pêche et parce qu'un éclat lumineux semble envoyer un message en morse. C'est un hublot qui doit ainsi renvoyer l'éclat dansant du soleil, plus intense que le miroir de la mer. Il est juste dans la direction de la pointe vermeille, de ce bout de Pyrénées qui s'enfonce dans les flots, face au levant. L'air transparent permet de voir un promontoire coupé par un col insignifiant. Ce n'est qu'après que le relief mérite son nom d'Albères peut-être jusqu'au goulet marquant le Perthus. La ligne de crête court au-delà, vers l'ouest, coupée par la masse imposante du Canigou. Avec ce qui reste de deux névés, sa pointe fière trône sur fond de nuages, un train de nuages semblant rouler vers l'est : peut-être ces orages annoncés par les bulletins météo. Vers l'intérieur, les sommets s'enchaînent, formant cortège. Sur les marches, les Corbières jouent aux princesses et aux pages. Dans l'azur, la longue traînée d'un avion marque une humidité à venir. 
La platitude d'une carte de l'atlas ne saurait donner ce galbe prononcé qui inscrit le Golfe du Lion dans une projection courbe, qui tendrait à se fermer presque, aux confins de la Costa Brava... Les hommes, vraiment, déforment tout à leur image : les Pyrénées rétrécies, la courbe du Golfe redressée, tout est resserré comme si on voulait nier l'arrondi de la côte et de l'horizon qui, à vue d’œil donnent tant, attachent fort et entretiennent à jamais des rêves de gamin d'autant plus que la montagne et la frontière entretiennent les mystères de l'Espagne voisine...    
Comment ne pas s'exalter à le voir en vrai, le Golfe, lapis lazuli serti dans le littoral ? Sauf que ce bonheur contemplatif est désormais plombé de remords, de mauvaise conscience, de l'angoisse de tout perdre, de ne laisser à la postérité qu'une Terre à l'agonie. C'est que les griffes de joaillerie vont, de notre fait, par notre faute, lâcher la pierre précieuse. Comme la nature en général on la croyait éternelle. Sauf qu'entre la pollution notamment plastique de la mer (bientôt plus de déchets plastique en mer que de poissons / Arte, Le Dessous des Cartes) et celle de l'air vectrice du changement climatique se traduisant par l'érosion des côtes et une submersion majeure des littoraux, l'horizon est porteur de menaces, au ras du golfe clair... et mon inspiration poétique, en ce qu'elle témoigne de la complicité passive des générations du baby boom par rapport aux côtés délétères du progrès, en devient insensée, pour le moins pathétique sinon carrément haïssable à force d'aveuglement irresponsable. 

(1) "La mer qu'on voit danser le long des golfes clairs..." a des reflets de Trénet mais d'un Trénet acquis à la réussite française et cosmopolite seulement possible à Paris. Infidèle, il descend en été plutôt sur la Côte d'Azur que sur notre Golfe clair, du Lion. Et s'il est quand même si aimé au bord du golfe et dans les Pyrénées, c'est qu'on pardonne toujours au fils prodigue qui reste quoi qu'il en soit, un enfant du pays. 


 

jeudi 4 juin 2020

UN LIVRE, UN JOUR / Alexis Zorba, Nikos Kazantsakis

La falaise de Leucate. wikimedia commons. Author Gerbil.
Hier nous étions à Leucate avec Jacques Lacarrière. Les cheveux défaits par le Cers, le regard fixe vers l'horizon, depuis la falaise blanche, plongé dans les bleus du ciel et de la Méditerranée, la mer mettant un terme à sa marche, il ne pouvait que songer à la Grèce de ses passions, suite à ses nombreux séjours entre 1950 et le coup d'état des colonels. D'ailleurs François qui nous fait la sympathie de suivre ce défi des dix couvertures de livres, nous a dit avoir adoré de lui "L'Eté Grec"... 

Lacarrière a séjourné en Crète or l'île a eu droit aux soleils de la saison 1965 avec le tube de l'été "Sirtaki". Attention ! rien qu'en musique... désolé pour Dalida si attachante par ailleurs avec par exemple les Enfants du Pirée, en 1960 mais qui s'est fourvoyée à chanter des paroles françaises complètement coupées de la Grèce des vacances... Enfin ma critique ne vaut peut-être que pour moi... Cet été là, les nuits de Saint-Pierre-la-Mer c'était quelque chose ! Aline bien sûr, Capri c'est fini, N'avoue Jamais, le Ciel, le Soleil et la Mer et ce sirtaki qui a fait planer mes quatorze ans vers le Levant ! 

Avec la musique de Mikis Theodorakis, il y a la Crète qui sert de cadre au film ZORBA. Un film tiré du livre de Nikos Kazantsakis, Alexis Zorba (1946). Anthony Quinn et son fameux sirtaki si grec, si historique et pourtant créé pour le cinéma, même s'il reprenait des thèmes musicaux authentiques, l'acteur s'étant foulé la cheville la veille du tournage. 

Et après si la jeunesse fait tourner trop vite les pages de la vie, à essayer de savoir qui je suis et pour continuer à être qui je suis, je tombe sur le livre  et rien de mieux pour bien fixer les sensations, ce qui reste vrai même à l'ère de l'Internet, même si ses lignes de force se contredisent parfois avec celles du film. 



Zorba représente le dragueur, le buveur, l'extravagant jusqu'au-boutiste fou de tout dilapider et de toujours repartir à zéro après une nouvelle phase : mille métiers, une mobilité permanente, une femme et souvent un mariage à chaque étape... Pourtant le mythe de l'homme libre qui danse pour exorciser ses doutes et extérioriser son défi lancé à l'existence compense presque. 


Sinon j'ai beaucoup apprécié l'approche sociétale d'une population méditerranéenne vers 1920. Comme en Italie, en Espagne, en Afrique du Nord, en Turquie, en France aussi, la femme assujettie par l'homme, le machisme, le poids de la religion avec ces moines grands propriétaires terriens, ce clergé pour l'ordre établi. Une constante historique aussi, l'incompatibilité viscérale entre christianisme et islam. Lépante et la Reconquista restent ancrées. Zorba s'est battu pour l'indépendance contre les Turcs (serait-ce symboliquement !) ; les Turcs commettent le génocide arménien avant de chasser les chrétiens grecs d'Anatolie... 

1965 : il y a le ciel, le soleil et la mer et le sirtaki qui fait planer mes quatorze ans vers le Levant.    

Pour un sirtaki non frelaté :    
https://www.youtube.com/watch?v=QskFT7AaKH0 

Quelques captures d'écran... merci dailymotion. 
https://www.dailymotion.com/video/xhtkw1