"Du bord de la mer, il suffit de chercher l'horizon...
- L'horizon ? Allons donc ! Même pas cinq kilomètres à ce niveau ! Il n'y a rien à voir depuis un trou !
-
Pas si vite ! c'est juste symbolique d'être dans l'eau. Sinon monte en
haut de Périmont et déjà tu verras cinq fois plus loin ! Tu fais la
moue ? Tu ne devrais pas. Écoute Pierre, inspiré par la vue
en haut de la barre des Karantes ou de Saint-Pierre-la-garrigue :
" Tout à coup son regard s'emplissait de merveilles :
Depuis le Mont Saint-Clair jusqu'aux Côtes Vermeilles,
Tel un vaste arc-en-ciel sur le sol allongé,
Le sable, de la mer semble prendre congé ;
Le Golfe du Lion secouant ses crinières
Brillant de mille feux et d'autant de lumières
Et brassant dans l'air pur le bienfait de ses flots,
Enseignait aux humains la richesse des mots...
Plus loin, elle voyait un bras des Pyrénées
Caresser en rêvant la Méditerranée,
Tel un amant distrait : l'oeil pourpre du Levant
Tomber à l'horizon une larme de sang..."
Pierre Bilbe. La Légende du Cascadel.
" Tout à coup son regard s'emplissait de merveilles :
Depuis le Mont Saint-Clair jusqu'aux Côtes Vermeilles,
Tel un vaste arc-en-ciel sur le sol allongé,
Le sable, de la mer semble prendre congé ;
Le Golfe du Lion secouant ses crinières
Brillant de mille feux et d'autant de lumières
Et brassant dans l'air pur le bienfait de ses flots,
Enseignait aux humains la richesse des mots...
Plus loin, elle voyait un bras des Pyrénées
Caresser en rêvant la Méditerranée,
Tel un amant distrait : l'oeil pourpre du Levant
Tomber à l'horizon une larme de sang..."
Pierre Bilbe. La Légende du Cascadel.
Cherche-le,
cherche-le ! Il viendra à toi l'horizon ! Les cônes d'Agde et de Sète
d'un côté, la ligne de crête des Albères de l'autre, comme le dit le poème. Et va voir si ce "bras des Pyrénées" n'arrive pas au Cap de
Creus, surplombant Cadaquès, le village de Dali, de près de 700
mètres... Vois aussi un peu à l'intérieur la masse pyramidale du
Canigou, le pic sacré des Catalans, magnifique à en donner des frissons,
même sans ses inclusions de neige !
Le Canigou, quand
on le voit, annonce le vent marin, le temps de mer idéal dans les deux
ou trois jours à venir. Aujourd'hui, les traînées plus ou moins longues
des avions qui tracent leur route haut dans le ciel, signalent une météo
similaire traduisant l'humidité de l'air (ils sont de retour en ce
temps de disgrâce pour cause de covid). Dans les années 60, ce sont les
navires qu'on regardait passer au large.
La dune aux Cabanes-de-Fleury avec, au loin, les Pyrénées au pied desquelles le Golfe du Lion semble se lover... |
2013. Par un
beau matin de mer, du Mont Saint-Clair à la Côte Vermeille, le Golfe du
Lion
éparpille ses voiles et ses bateaux : pêcheurs de bleu, marins du
dimanche, hauturiers de passage. J'en compte jusqu'à cinquante-cinq, plus ou moins
gros fétus de paille dansant sur LE Golfe clair (1) quelque part au
sud-est. J'en perds le compte quand je rêve de ces flottilles de voiles
latines partant ou rentrant de la pêche et parce qu'un éclat lumineux
semble
envoyer un message en morse. C'est un hublot qui doit ainsi
renvoyer l'éclat dansant du soleil, plus intense que le miroir de la
mer. Il est juste dans la direction de la pointe vermeille, de ce bout
de Pyrénées qui s'enfonce dans les
flots, face au levant. L'air transparent permet de voir un promontoire
coupé par un col insignifiant. Ce n'est qu'après que le relief mérite
son nom d'Albères peut-être jusqu'au goulet marquant le Perthus. La
ligne de crête court au-delà, vers l'ouest, coupée par la masse
imposante du Canigou. Avec ce qui reste de deux névés, sa pointe fière
trône sur fond de nuages, un train de nuages semblant rouler vers l'est :
peut-être ces orages annoncés par les bulletins météo. Vers
l'intérieur, les sommets s'enchaînent, formant cortège. Sur les marches,
les Corbières jouent aux princesses et aux pages. Dans l'azur, la
longue traînée d'un avion marque une humidité à venir.
La platitude d'une carte de l'atlas ne saurait donner ce galbe prononcé qui inscrit le Golfe du Lion dans une projection courbe, qui tendrait à se fermer presque, aux confins de la Costa Brava... Les hommes, vraiment, déforment tout à leur image : les Pyrénées
rétrécies, la courbe du Golfe redressée, tout est resserré comme si on
voulait nier l'arrondi de la côte et de l'horizon qui, à vue d’œil
donnent tant, attachent fort et entretiennent à jamais des rêves de
gamin d'autant plus que la montagne et la frontière entretiennent les mystères de l'Espagne voisine...
Comment ne pas s'exalter à le voir en vrai, le Golfe, lapis lazuli serti dans le littoral ? Sauf que ce bonheur contemplatif est désormais plombé de remords, de mauvaise conscience, de l'angoisse de tout perdre, de ne laisser à la postérité qu'une Terre à l'agonie. C'est que les griffes de joaillerie vont, de notre fait, par notre faute, lâcher la pierre précieuse. Comme la nature en général on la croyait éternelle. Sauf qu'entre la pollution notamment plastique de la mer (bientôt plus de déchets plastique en mer que de poissons / Arte, Le Dessous des Cartes) et celle de l'air vectrice du changement climatique se traduisant par l'érosion des côtes et une submersion majeure des littoraux, l'horizon est porteur de menaces, au ras du golfe clair... et mon inspiration poétique, en ce qu'elle témoigne de la complicité passive des générations du baby boom par rapport aux côtés délétères du progrès, en devient insensée, pour le moins pathétique sinon carrément haïssable à force d'aveuglement irresponsable.
(1)
"La mer qu'on voit danser le long des golfes clairs..." a des reflets
de Trénet mais d'un Trénet acquis à la réussite française et cosmopolite
seulement possible à Paris. Infidèle, il descend en été plutôt sur la
Côte d'Azur que sur notre Golfe clair, du Lion. Et s'il est quand même
si aimé au bord du golfe et dans les Pyrénées, c'est qu'on pardonne
toujours au fils prodigue qui reste quoi qu'il en soit, un enfant du
pays.