lundi 21 février 2022

LE POUMAÏROL (14) du vin, du pain, un peintre d'icones et toujours Ferrat !

Apparemment égrillards mais pour rire, à l'âge où l'autodérision fait envisager la vieillesse avec une certaine philosophie, au prétexte que les filles du Poumaïrol sont fraîches et charmantes (le présent n'est que de narration...), Serge et Roger, copains de longtemps, ont voulu voir ce pays de montagne aussi perdu qu'inconnu. "Heureux comme avec une femme", de découvrir, d'en apprendre davantage, de réfléchir sur un passé riche d'enseignements, ils cultivent une amitié aussi rare que vraie, faite de joies, de plaisanteries, de confidences parfois, quand les bons plats et le verre plein aident à délier les langues. 

Route du Poumaïrol. 

Serge : ...les hêtres sont redevenus taillis, la forêt de sapins a repeuplé les prairies, les genêts et broussailles ont pris la place des navets, des oignons, des haricots. Les filles sont descendues, définitivement, de l'autre côté cette fois, dans les usines du Tarn, travailler les laines, les peaux venues du monde entier. Avec le souvenir des eaux claires du Poumaïrol, à présent celles, indigo, chargées, noires presque, du Thoré pollué. 
Finie, bien finie la chanson coquine pour la Barraquetto :

"Las castagnos et le bi noubel
Fan dansa las fillos et le pandourel."... (1) 

De toute façon le cliquetis acharné des machines à tisser couvre définitivement la voix des filles de la montagne... 

Roger : arrête, tu vas me faire pleurer... "Ma môme, elle joue pas les starlettes, elle met pas des lunettes de soleil..."

Serge : oui, tout à fait ça ! Ferrat toujours ! avec sa môme... "elle travaille en usine..."... à Mazamet pas à Créteil où l'ail de Lautrec ne pousse pas... Mais Ferrat a préféré la montagne à la banlieue...

Roger : hier on chantait son châtaignier... comme quoi, par certains côtés, les Cévennes vont bien de l'Ardèche à l'Aude en passant par l'Hérault et le Tarn tandis que nous pleurons sur notre jeunesse perdue, les filles qui nous ont plu, celles qu'on a aimées... la nostalgie, quoi... L'autre jour j'ai entendu Valls, tu sais, le premier ministre du président ordinaire, prétentieux au point de toujours vouloir paraître, un peu comme Ségolène, ici ou à Barcelone :
"Non ce n'était pas mieux avant !" il le dit sans nuance, je crois que c'est ce qui me heurte le plus. Sinon, évidemment que nous évoluons, d'ailleurs, comment faire autrement ? Sauf que le progrès, si valable par exemple, dans la médecine, ne nous a pas épargné des dégradations, souvent une fin de vie solitaire, la fin d'une vie solidaire, plus saine par bien des aspects même si on ne vivait pas si vieux... Enfin, il faudrait y réfléchir quoique, sans aller plus loin, tu connais quelqu'un qui aujourd'hui sortirait de chez lui sans fermer sa porte à clé ? 

Serge : et Interneiges en hiver, Intervilles en été ? Une impression souriante de l'Europe, pas techno comme maintenant... il y a Arte mais c'est plus académique, moins chaleureux, pas aussi sympa... Oui, tu as raison, c'est dommage de n'avoir pas évalué et gardé ce qui en valait la peine... et puis, cette course au toujours plus, le fric, le fric, le fric avant tout... et pour la planète, après moi le déluge !

Roger : arrête que ça nous gâcherait la balade. Nous y sommes au Poumaïrol ! Dire que j'y suis passé, il y a dix ans peut-être, sans savoir le joli nom et ce qu'était ce pays... "Pourtant que la montagne est belle..."

Serge : encore Ferrat ! magnifique cet homme ! Tu as vu le panneau du village de Sales à deux-cents mètres ? 

Roger :  ... l'école, l'église mais c'était avant... l'école pour les enfants : des kilomètres à pied par tous les temps ! l'église où tout le plateau se retrouvait pour la messe du dimanche, un baptême, les communions, un mariage, un enterrement ! Le poids de la religion, des siècles durant... Ah ! avant d'oublier, tout à l'heure, pour le col de Serières, qui donne vers Les-Verreries, que je te finisse : là-haut se trouve une stèle pour les cinq habitants que les Allemands ont exécutés. 

Les Verreries-de-Moussans, monument aux morts& mémorial de la Résistance Wikimedia commons Author Fagairolles 34

Serge : des maquisards ? 

Roger : oui et non. Suite au débarquement, la guerre s'annonçant mal pour Hitler, après juin 1944, les maquis ont été de plus en plus actifs. Avant celui de la Montagne Noire, à l'ouest de Nore, ici, les paysans qui les ravitaillaient ont été dénoncés par un gendarme de la brigade de Saint-Pons. En plus de ces morts, pense que ces Allemands ont pillé les ressources, saccagé les maisons, tué les bêtes, violé les femmes... 

Serge : les guerres, la guerre... Tiens, vraiment il faudra qu'on revienne, je vois qu'en bas, dans la vallée du Thoré, dans des églises, figurent des fresques de style byzantin d'un nommé Nicolaï Greschny, estonien de naissance... Il a peint en échange d'un lit et du manger... Elle en a chamboulé des destins, la guerre... et tous ces hommes d'un bord ou de l'autre, capables de commettre des atrocités, du meilleur autant que du pire... Un saint homme ce Nicolaï ! Et ce gendarme de Saint-Pons ?

Roger : zigouillé, sauf erreur, après la libération... Mais va voir, j'avais trouvé ces précisions en tapant "maquis de l'Alaric". C'est Signol, figure-toi, qui m'a mis sur la piste. Dans "La Lumière des Collines", la suite des "Vignes de Sainte-Colombe", il l'évoque rapidement.

Serge : c'est pas possible ! On venait pour des filles pimpantes, vaillantes comme des abeilles, piquantes en essaim et seul le silence de la mort nous répond ! 

Roger : oh ne le vois pas comme ça ! il n'y a que des souvenirs vivants qui nous poussent à apprécier la vie... "La vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie..." chante Souchon... et rien n'est noir ! Regarde, on se maintient malgré le covid, on s'enflamme pour une histoire de jolies filles, tu as presque revécu tes amours aux Verreries-de-Moussan ! Et comment ! royalement, dans une Peugeot 203 ! En fouinant, tu découvres un Nicolaï qui a apporté sa passion sur une terre jadis disputée entre protestants et catholiques mais pas fermée à l'orthodoxie byzantine ! Qu'est-ce que tu veux que j'ajoute ? cette terre en partage mais qu'on veut nôtre, l'intégrisme religieux dépassé, le bon vin qu'on s'autorise encore, parce que les raisins, nos vendanges et celles, magnifiques, des paysans du Poumaïrol, qu'ils montaient jusqu'ici, sous les étoiles, la nuit, au rythme lent et balancé des attelages de bœufs... 

Serge : "J'ai deux grands bœufs dans mon étable...
Deux grands bœufs blancs tachés de roux... "

Roger : Arrête, le refrain est choquant... Il me gâcherait ces foudres et pressoirs, certainement encore dans quelque cave ou remise du plateau... J'en ai les larmes aux yeux... C'est trop beau pour être mort ! un vrai conte de Noël ! Formidablement magnifique ! Mieux encore, pour qu'il y ait la vie, avec le vin il faut le pain... j'en perds le fil mais je te garde la merise sur le Poumaïrol...  
"Quand il n'y a plus personne, que le plateau est déserté, du pain pour qui ?" tu peux me le dire... 

Serge : tu m'as claqué le clapet... je ne dis plus rien...  

Roger : ... et il ne nous resterait encore que les yeux pour pleurer ! Sauf que ! détrompe-toi, déjà, vingt ans en arrière, quelque chose comme ça, deux boulangers et peut-être des gens du coin, ont créé l'association du Moulin de Poumaïrol... qui dit moulin dit farine et leur farine biologique, traditionnelle, moulue par des meules de pierre qui, entre parenthèses, pourraient venir de Saint-Julien-des-Meulières... laisse moi imaginer... par contre, ce lien avec le bas-pays, comme pour le vin, correspond au réel ; il me plaît beaucoup... Bref, la bonne farine a eu petit à petit de plus en plus de succès, ce qui a permis de tenir jusqu'aux premières récoltes de blés locaux, bons, équilibrés, oubliés par l'industrie car moins productifs... Attends, je clique pour ces variétés de blés anciens, pour avoir leurs noms plein la bouche ; ils colorent les pains, donnent un goût unique : blé barbu de pyré dit aussi "du Roussillon", la touselle à l'épi sans barbe, "la bladette" de Puylaurens dans le Tarn, le rouge de Bordeaux (2a, 2b, 2c), de ceux qui ont la "force boulangère". Tu peux rouler les "R" ! Enfin, cette belle aventure continue et se développe... "... rien ne vaut la vie...". Tu vois qu'on peut finir cette virée sur une note d'espoir ! Zut je m’écœure à force de sortir des banalités ! A propos, qu'est-ce qu'on mange de bon à midi malgré la bière sans alcool ? 

Serge : non, pas banal du tout, et puis, on se supporte même sans les nanas parce qu'on veut des moments heureux à partager... Cela dit, tu sais qu'ils font du vin sans alcool à présent ? 

Roger : Bèèèèh, rien que d'y penser ! 

Serge : et non, aberit, dégourdit, il reste aussi bon et pas plus cher avec une TVA qui passe de 20 à 5,5 %... Et que les beaux jours du Poumaïrol fleuri reviennent ! 

Roger : tu crois que "le Poumaïrol", c'était un pays de pommes, à neuf-cents mètres d'altitude ? 



   
 


(1) graphie originale de l'auteur de l'article P. Andrieu-Barthe (voir le premier article [je crois] de la série Poumaïrol.  
(2a) plus assimilables par ceux qui craignent le gluten.
(2b) le canton de Peyriac-Minervois est pionnier pour des blés bio semés là où la vigne a été arrachée. Avant le boum de la vigne, la plaine de Coursan était réputée pour ses récoltes de blé.  
(2c) le rouge de Bordeaux aux très grands épis (1,75 m !), riche en béta-carotènes, qui lui aussi avait presque disparu. Avec les autres variétés bio, on ne le retrouve parfois que dans les greniers d'une famille de paysans conservateurs... Des démarches encourageantes mais Monsanto la pieuvre mondialiste et ses "ogénismes" conteste, contre ces tendances, voudrait interdire l'échange de semences entre paysans et amateurs, voudrait breveter, s'accaparer le vivant... La vigilance reste de mise tant pour les corrupteurs que pour les politiques corruptibles !   

Quand on aime la vie, on aime le passé, parce que c'est le présent tel qu'il a survécu dans la mémoire humaine.
Marguerite Yourcenar dans Les yeux ouverts (1980) 

Fin 1930 / Extrait du journal paroissial à Sales du Poumaïrol. 


 

dimanche 20 février 2022

CHEMIN D’ÉCOLE (7) Depuis la côte cette fois...

Jean, le vigneron, mon grand-père paternel, est né le 4 juin 1897 à la métairie de La Pierre, domaine des Karantes, commune de Narbonne, en pleine Clape. Comme les enfants des châteaux de Tarailhan et Marmorières, administrativement sur le territoire de Vinassan, ceux des Karantes allaient à l'école à Fleury, la seule alors accessible, entre 1903 et 1910. 

J'ai essayé de refaire ce chemin d'école mais on dirait que certains chemins publics ne le sont plus... Arrangements passés entre la mairie et un gros acheteur terrien ? Des propos ont couru sous cape... Au moins que les chemins publics soient connus du grand public... En attendant peut-être d'essayer à nouveau, je me devais d'aller voir ce qui reste de ce lieu de vie ; avec les années qui passent, un jour ce ne sera plus possible. Ne voulant pas être celui qui a coupé le fil d'Ariane vers un passé familial à partager, je veux en témoigner déjà auprès des miens, auprès du plus grand nombre aussi, d'une communauté de destin, pour plus tard... Quant à ce que tous feront du témoignage, impliqués ou non à prendre puis à passer le relais : à eux de voir... 

Cette fois, depuis Saint-Pierre-la-Mer et la côte, au prétexte d'une balade aux oeils-de mer des Exals (1), cette incursion dans les terres travaillait trop ma conscience. 

Le vélo caché dans une garrigue haute aux airs de maquis, il s'agit de suivre en gros le lit asséché du ruisseau de St-Pierre en contournant deux mamelons de trente puis cinquante mètres où pousse une profusion de pins serrés qui ne grandiront pas. 

Ce chemin d'école nous a obligés à constater un égoïsme profond de propriétaires actuels... Avant, nous allions partout pour des petits profits naturels comme les poireaux, les asperges, les salades sauvages, les blèdes, les épinards, les guines, quelques figues ou amandes, des feuilles de mûriers, de la réglisse... Pas besoin, néanmoins, de clôture, de barbelés, pour respecter le cerisier, l'abricotier, les melons de quelqu'un, les "raisins bons", isolés dans les vignes. Certes, si la campagne réprouve les voleurs, les propriétaires n'étaient pas animés par cette arrogance de nantis envers celui qui passe. Aujourd'hui sont mal vus ceux qui n'apportent pas à leur commerce de vin, de miel ou d'huile... l'échange se fait moyennant espèces sonnantes. Cette tendance s'accompagne même d'abus sinon d'intentions de cet ordre si le chemin est libre par exemple et que l'occupant mitoyen pose pourtant un panneau ambigu derrière son grillage pour inciter à aller voir ailleurs, manière de finlandiser les abords. Ça m'agace d'évoquer ce côté désagréable qui altère la liberté d'aller, qui plus est lors d'un itinéraire sentimental. 




Ici, comme pour répondre à mes préoccupations, seul un panneau discret, haut sur la colline, indique le caractère privé des lieux. Rien sur le chemin pour interdire, dissuader, repousser, alors qu'on aborde les vignes. Il n'empêche, mieux vaut passer au large, longer la vigne, le bord de la garrigue, ne pas abuser. Au bout de la deuxième pièce du vallon, inattendu, surréaliste, un pont de pierre, superbe, qui ne dépareillerait pas pour un petit train. Mais là, saugrenu, servant un modeste chemin de terre vers les hauts de Saint-Pierre, révérencieux au point d'enjamber avec tant d'élégance l'oued qui lui ne peut impressionner que lors d'une tempête, un de ces aigats, épisode méditerranéen enroulant sa crosse d'intempéries violentes dans le sens inverse des aiguilles, déversant son déluge d'un coup, bloqué qu'il est par le rebord des Cévennes. 



Raisonnable, l'âge aidant, je ne me risque pas dans le lit de rochers à sec : en amont, un fouillis de broussailles opportunistes, là où l'eau s'est infiltrée et pour tout dire la frousse aussi soudaine qu'irraisonnée d'une vipère hallucinée dans un pays de couleuvres ! Rien d'autre à faire sinon me rabattre vers des chemins plus fréquentés. En effet, des promeneurs plutôt seniors, tout comme moi, échangent sur leurs balades, de vive voix. Vite, passons, juste un bonjour timide, je suis pour la discrétion. Il faut laisser le chemin à gauche qui va vers le domaine, une direction qu'eux ne craignent pas d'aborder, comme de plein droit. Vite vers des abords plus éloignés et tranquilles malgré les gros tuyaux de PVC gris qui serpentent, anacondas entre les touffes de romarin. Effet ou non du réchauffement climatique, du déficit hydrique : chaque pied de vigne a droit désormais à biberonner son goutte-à-goutte.            

 (1) je crois avoir écrit "yeux-de-mer" dans l'épisode 6.


mardi 15 février 2022

Dans le PARC & les abords d'un des CHÂTEAUX, balade & ballade.

 


"Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé.../...
  Et la nuit seule entendit leurs paroles."
Colloque sentimental / Fêtes Galantes. Paul Verlaine.

 
Bien que non revêtue, avec cette passerelle, à gauche, qui donne sur le lotissement actuel, l'allée semble publique. Au fond, de grands arbres au-delà du parc, avec des arbres aussi beaux, un espace boisé, comme indépendant, comme rendu à la nature, laissé à sa poésie. j'aime l'idée que le propriétaire ne tenait pas à avoir des ares de blé ou du vignoble en plus. Quel âge peuvent-ils avoir, ces arbres ?

Avec les dépendances, écuries et bien plus tard la cave, lors du boum de la vigne, tous ces extérieurs devaient faire partie du château de Salles. A propos d'une origine plausible du nom du village, le francique "Saal", le germanique "sala » signifient "château, demeure fortifiée, manoir" (1). 
 
Par ailleurs, le poète, auteur et chercheur cultivé, Alexandre Macabiès, qui a si bien défendu notre langue, monté comme tant d'autres, pour raison vitale à Paris, lui, comme courtier en vins à Levallois-Perret Hauts-de-Seine, heureux de rentrer au pays (2) pas vieux encore, évoque l'existence passée de deux autres châteaux à Salles-d'Aude, celui de Maurel, un kilomètre au sud (XIV ou XVe siècle) et celui de Rouch (XVIIe s., en prolongeant après le cimetière neuf, en direction de Coursan par la plaine de l'Aude, mentionné seulement en tant que ferme dans le dictionnaire topographique de Sabarthès).   
 

 Délabré, ne barrant plus le passage, un vieux portail aux bandes de fers plats rivetées marquant une époque à présent introuvable, le web détournant nos demandes exclusivement vers des sites marchands... 
 

Pas de panneau, ma foi, la tentation d'une incursion pour un papi dissipé, se souvenant trop bien du galapiat qu'il fut, justifiant un tant soit peu sa mauvaise conscience puisque, finalement, ne faisant rien de mal, voulant seulement transmettre son petit "pas grand chose"... (3)
 
 
Autre grille en fer forgé, belle, d'avant Alazet et Guilleré, les maréchaux-ferrants sinon forgerons d'une époque plus contemporaine, disons. C'est étonnant qu'elle soit encore en place alors que tout se vole et se monnaye (j'ai vu, pour les gogos, les 4700 € demandés pour un portail de récupération !)... Cette jolie grille précède une brèche dans le mur du parc... à donner encore des idées aux galopins... 
 

Plus loin, à peine, un petit pont sur un ruisseau, des Fontanelles, précise l'IGN, toujours aussi fidèle auxiliaire. (à suivre)

(1) Mention du "Castrum de Salis 1322" dans le dictionnaire topographique de l'Aude de l'abbé Antoine Sabarthès en 1322. 
(2) "Escrivi coumo lou pople parlo, es per aco que me coumpreni" (J'écris comme le peuple parle, c'est pour cela que je me comprends / 1935) "... Siai tornat al pais "natal"..." / Al pè dal foc de mon ostal / Cigala Narbonesa n° 201-202, nov-déc 1934. 
(3)  "Hâte-toi, hâte-toi de transmettre ta part de merveilleux, de rébellion, de bienfaisance." . - René Char (Commune présence).
 

dimanche 13 février 2022

AMANDIER ROSE, AMANDIER BLANC (1).

7 février 2022.

L'autre jour, c'est Laeti ma nebeude qui m'a fait le plaisir d'en épingler un, même vite fait, en rentrant du boulot... Aujourd'hui, enfin, grâce à Véro et aux sorties de son groupe, des amandiers de 2022. 
 
21 janvier 2022.

 Heureusement que Loulou, le copain d'enfance, avait, avec quelques pétales éclos dès le 12 janvier, sauvé l'honneur des amandiers ! Sinon, je commençais à désespérer. Pas vous ? 
 
Bon, Midi-Libre a marqué l'événement avec un exemplaire du côté de Minerve, pris le 5 février... Bon, le commentaire ne mérite pas une bonne note mais on ira jusqu'à "passable" vu qu'ils sont gentils de laisser voir l'arbre même si on continue sans accepter (à propos des couquies... cokkies... pardonnez l'orthographe). 
 
Celui d'Aurore, du côté de Gruissan (3 mars 2018).

Un de ceux de Pierrot, en 2016.


24 février 2019 : un de ceux de Fabien. 

Celui de Martine au pied de l'Alaric (2018).

Même Guy, poète de l’éternel (c’est pour la rime) trop pris par le temporel, a noté :
« Les amandiers sont en fleur depuis une semaine et les premières asperges sauvages ont fait leur apparition… Janvier a été très doux pour les Pérignanais. » (fin janvier 2018)
En prime, l’orthographe « en fleur » nous offre la floraison absolue de milliers de fleurs au grand bonheur des abeilles… 
 
Sur un talus aux herbes folles, celui de Monique la Gardoise.

 
 

LE POUMAÏROL (13) Passage dangereux pour les mineurs !

Pour couper aux restrictions liées au covid, deux copains se sont mis d'accord pour une petite virée pas loin et pourtant dans une contrée à la vie rude, dans la Montagne Noire sauvage, à l'écart de l'axe Mazamet-Carcassonne. 
Depuis Narbonne, en passant par Minerve, ils ont suivi le cours étonnant de la Cesse avant de monter vers le Plateau du Poumaïrol.  
"ATTENTION : ces individus ne souhaitent pas révéler leurs visages, nous les avons appelés Serge et Roger ; sur quelques lignes, ils se laissent aller à un certain vocabulaire réservé aux adultes et pas encore à une jeunesse chaste, innocente et fragile... du moins, c'est ce qu'on croit.  
Roger : avec plus d'eau, des conditions idéales pour une forêt dense, même si elle est cultivée depuis longtemps. Beaucoup de petites industries du verre dans le coin ; il en fallait du bois ! 
 
Les Verreries-de-Moussans Eglise St-Thomas wikimedia commons Author Fagairolles 34
 

Serge : et oui, les Verreries-de-Moussan... Dire que j'y suis monté en bonne compagnie à l'arrière de la 203 du copain lui aussi en couple ! 
 
Roger : hééééé tu n'en avais jamais parlé ! 
 
Serge : et oui, à propos d'amour, on ne dit jamais tout... 
 
Roger : ou l'inverse : on en dit trop quitte à en rajouter... sauf pour nous qui avons dépassé ce plafond de verre depuis longtemps ! 
 
Serge : le printemps débutait à peine... chacun dans une chambre de la maison inoccupée, de sa grand-mère, sauf l'été. Du concret, pas le virtuel des filles du Poumaïrol ! Pas même le souvenir d'avoir eu froid !

Roger : tu vas bien, c'est loin derrière nous... Être ou avoir été...
 
Serge : et oui, bien cinquante ans en arrière ! 
 
Roger : c'est sûr que tu n'as pas regardé les châtaigniers, les hêtres, les épicéas, les pins et les séquoias ! tu ne t'es pas demandé pourquoi la forêt était si dense, seule comptait la gonzesse qui avait tout pour plaire ! Qu'est-ce que ça a donné ? 
 
Serge : ah ! m'en parle pas... du plaisir, on s'aimait... c'était avec mon ex... Hélas, ces deux lettres suffisent pour connaître la suite... Que la vie passe vite quand même... 
 
Roger : ne nous plaignons pas, nous n'avons pas connu la guerre ! quel reproche injuste, définitif, trop commode de la part des parents qui n'ont pas d'autre argument ! Dans ce coin, pourtant, des familles gardent en mémoire des faits plus tragiques. On laisse à droite la route du col de Serières qui redescend, justement, vers les Verreries-de-Moussan... Dis, avec ou sans protection l'amour des années 60 ? 
 
Serge : tu es bien indiscret, animal ! Sans si tu veux savoir... Je te renvoie à la chanson de Stromae qui a fait beaucoup de bien dans la psychologie machiste, question pureté ou impureté de la femme... "Rendez-vous aux prochaines règles..." : au moins nous savions qu'elles nous protégeaient, enfin, je n'en sais pas plus, on ne savait rien, les tabous et non-dits empêchaient tout... Je n'ai retenu que ça, comme pour les paroles de Stromae, le leitmotiv, sans rien chercher le sens profond du morceau... Il fait déjà partie des chanteurs qui comptent, une classe au moins au dessus... Hé ! ne raconte pas tout dans tes articles, attends d'écrire un jour des pages olé olé pour les plus de dix-huit ans... 
 
Roger : Holà ! il faut être connu pour se le permettre ! La Fontaine, Apollinaire, Miller, le seul que j'ai lu... tu vois, je ne suis pas initié...
 
Serge : c'est que dans ce domaine, la théorie peut venir après la pratique... Gare-toi un moment qu'on ne capte pas partout par ici...   
 
Roger : tu as de la chance ! Là on peut stationner, il y a un point de vue... et puis allume mon bidule, mon module, enfin mon capteur que je ne sais plus comment ça s'appelle !
 
Serge : bon, c'est encore sur Wikipedia que les références sont les plus complètes. la littérature érotique et même porno a existé de tous temps et je te dis pas les illustrations, de même que la libido des religieux des deux sexes !  Ah ! Kessel, "Belle de Jour", Léautaud, je ne savais pas, et Aragon dis, "Le con d'Irène" ! Virginie Despentes "Baise-moi" ! fallait oser !
 
Roger : et cette femme, devenue chroniqueuse, attention, pas commode, agressive, qui donne pas envie... son nom m'échappe... 
 
Serge : je la cherchais aussi : elle est marquée dans les autobiographies, ça y est, je l'ai : "La vie sexuelle de Catherine M.", Catherine Millet ! 
 

 
Roger : oui, c'est ça ! je suis d'une inculture crasse... On va le voir ce point de vue, manière de se laver l'esprit de ces pulsions lubriques ? J'y suis monté en été, dans les bruyères fleuries, un temps frais avec une brume étonnante, si près de la Méditerranée. Dans le vallon en dessous, le ruisseau, la Cesse, je l'ignorais à l'époque. Tu as regardé la carte ? le Roc Suzadou ça s'appelle, dans les sept-cents mètres à quicon proché (à quelque chose près)... 
 
 
Serge : oui, j'ai vu, ensuite ça grimpe encore mais dans deux ou trois kilomètres, ce sera le plateau du Poumaïrol d'où les filles fraîches descendaient pour les vendanges, les pommes, les châtaignes en remontant, les olives, les sarments à nouveau dans la plaine... 
 
Roger : quelle belle histoire ! Heureusement que ce numéro de Folklore de l'hiver 1974, ils publiaient à chaque saison, nous est tombé sous les yeux ! Chez elles, une vie rustique entre huit et neuf-cents mètres d'altitude, avec le froid, la neige, les brouillards, le printemps et l'automne plus courts et seulement une paire de vaches, le foin pour l'hiver, des pommes-de-terre...
 
Serge : oui, je l'ai là, l'article, il dit aussi qu'ils cultivaient des navets noirs, des oignons qu'elles tressaient par douzaines les jours de pluie, les moungils, une variété de haricots qu'elles triaient à la veillée... ah, pour un cassoulet ! Le nôtre on l'a bien digéré, tu as vu ! Enfin, une économie de subsistance, du lait, des fromages sûrement, peut-être aussi des stères de bois de chauffage, des charbonnières... c'est sûr que les quatre sous gagnés en bas étaient les bienvenus... Ah ! je lis aussi qu'ils entretenaient des glacières remplies de neige l'hiver et qu'ils descendaient la glace l'été, pour les cafés de Carcassonne.
 
Roger : c'est sûr que les Mountagnols appréciaient de remonter avec l'argent des vendanges, ça me fait penser aux Ariégeois... la montagne était pauvre et faisait beaucoup d'enfants. 
 
Serge : c'est après la guerre de 14 que le plateau a commencé à se dépeupler... 
 
Roger : avant, peut-être, regarde, mon grand-père Jean, né en 1897, sa famille avait déjà quitté les montagnes de Montagagne, au-dessus de la haute vallée de l'Arize et de La-Bastide-de Sérou (1). 
 
(1) En 1926, 45 familles soit 285 habitants vivaient encore sur le plateau. En 1960 les familles n'étaient plus que 4 avec 18 personnes ; l'école a fermé en 1962, l'activité agricole a été abandonnée. Dans les années 70, alors qu'il ne restait que les vieux, de nouvelles familles sont venues, même si leurs visées étaient plus personnelles, apporter du sang neuf pour que le Poumaïrol ne meure pas. 

 

vendredi 11 février 2022

LE POUMAÏROL (12) un fameux cassoulet !

Décembre 2020. Roger et Serge, copains de toujours, ont décidé de faire un pied de nez au covid. Ils ne sont pas à court d'idées quand il s'agit de partir quelques jours, en célibataires. Cette fois, c'est un article de 1974 de la revue Folklore, traitant du département de l'Aude et des contrées voisines, qui les a décidés pour un pays perdu dans les brumes, aux confins du Tarn, de l'Hérault et de l'Aude, le Poumaïrol. Les filles de là-bas, aussi pimpantes qu'exotiques, descendaient s'embaucher dans la plaine, des vendanges aux olives et au ramassage des sarments de vigne...  
 
Roger : et non... à la tienne, va, que je n'en reviens pas de ton blanc, bio et pourtant bon, même si les sulfites, à faible dosage, ne donnent plus le mal de tête comme avant...
Serge : c'est le nom je crois qui fait peur, je parle des sulfites... le Saladou c'est gentil, au début d'une boucle à l'ouest de Ferrals, comme un plateau d'où la vue donne sur les Corbières et jusqu'aux Pyrénées ! Passage, ensuite, par le Serre d'Alaric, pas l'Alaric de Gaston Bonheur, à portée de l'Aude, qui change le temps qu'il fait, pas loin de Carcassonne, dans le couloir du Cers... tu les a entendus ces couillons, se gargariser de longue avec la "tramontan" quand ça souffle à 120 km à l'heure ? 
Roger : moi je les collerais à l'oral, ces météorologues au rabais !
Serge : surtout que Météo France le reconnais, le Cers... un des plus vieux noms de vent en France quand même !  
Roger : oui mais ton Serre d'Alaric, il est au pays des filles ? 
Serge : tu es terrible, tu sais ! oui, en descendant de "la" Serre d'Alaric, plutôt, au féminin, je crois, pour dire la montagne, ça doit venir de l'occitan... on y arrive au pays du Poumaïrol, pour consoler tes pieds qui chauffent, et pas qu'eux, pour des rêves fantasmés !
Roger : à mon âge qu'est-ce qu'il me reste sinon des rêves qui font revisiter ma vie en mieux ? Quoique, tu sais, Lacarrière Jacques, cet auteur amoureux-fou de la Grèce et qui a écrit au moins deux versions de son livre "Chemin Faisant", des Vosges à Leucate, par le Massif-Central, justement, il a quand même eu au moins deux ou trois aventures amoureuses en route... je te dis pas la puissance érotique d'une rencontre dans la platitude désertique et glacée du Causse Méjean, quand il cogne à une maison, que c'est une femme seule qui lui ouvre et que tout est possible... au premier regard, ils ont su qu'il y aurait une suite...  
Serge : tu vas bien toi, il devait être bien plus jeune que nous... 
Roger : "ça c'est vrai"... 
Serge : ne nous refais pas la Mère Denis que cette pub nous ensuque d'un petit coup de vieux en prime !
Roger : si tu avais connu mamé Antoinette, une grand-mère formidable à Vinassan... un grand bol d'oxygène de penser à elle... avec son tablier, on aurait dit la mamé de la pub !
Serge : je comprends... moi j'ai eu un grand-père formidable, comme tu dis, qui finalement ne languissait pas trop de redescendre dans le Midi, la guerre finie, la première s'entend... Il racontait, m'oubliait tant il entrait dans les détails, parfois de ce qui se dit avec les yeux, mais finissait toujours par m'aviser : "Ne le dis pas à ta grand-mère !".
Roger : hum, ton cassoulet ! 
Serge : je m'y mets rarement mais si je me lance, tu me connais, il faut que ce soit bien ! D'abord tu fais tremper tes lingots toute la nuit... 
Roger : dans l'Ariège ils font avec des cocos, enfin, certains... sinon figure-toi que je me souviens d'un que je n'ai pas mangé, tellement mon père en a bien parlé, c'était à Sainte-Colombe-sur-l'Hers, un restaurant connu pour sa recette mais qui a fermé une paire d'années plus tard. Ils y sont allés pour, en janvier, enfin, en hiver... le feu dans la grande cheminée... on en oublie que le système et le foie sont devenus plus fragiles... Combien tu mets de haricots ? 

2006 photos familiales

janvier 2006. Photos familiales

janvier 2006. Photos familiales. Ste-Colombe-sur-l'Hers.

Serge : toujours pareil, que j'aie du monde ou que je congèle. Là c'est pour quatre personnes, 500 grammes de haricots. Pour la recette, que veux-tu, chacun a la sienne, je serais bien en peine de te dire si le mien rappelle Carcassonne, Toulouse ou Castelnaudary ! Dans l'eau de pluie je les laisse tremper ; le matin, je les cuis dans l'eau froide avec un pied de cochon, les couennes, un oignon piqué de clous de girofle, le bouquet garni ; quand ça a bouilli, une heure de cuisson encore, à petits bouillons... Ah, j'oubliais, je sale à mi cuisson. Ensuite je fais revenir la viande et les couennes du bouillon, je réserve, puis, dans la même cocotte, sans la laver, deux oignons hachés, quatre ou cinq gousses d'ail et les couennes ; je mets tout dans la cassole. Par-dessus,  les haricots, les tomates, quatre ou cinq, les viandes sauf les bouts de saucisse, je mouille en allongeant le jus de cuisson... au four, pour finir, à 180 degrés ; trois heures après, j'ajoute la chapelure, la saucisse et si j'y pense, je casse la croûte au moins une paire de fois. C'est comme pour la bouillabaisse, faut se lever matin !
Roger : c'est du boulot mais c'est bon... Qu'est-ce que tu as mis comme viande ? 
Serge : oh je le fais simple, sans être au top de la gastronomie, je m'arrange pour mettre un peu plus d'un kilo de viande, presque un kilo et demi disons : là je n'avais que des côtes dans l'échine et de la poitrine, pas de jarret, puis des couennes, du confit de canard, de la saucisse de Toulouse.  
Roger : avec ce rouge de Fleury, super ! 14 degrés quand même, c'est beaucoup et demain il pourrait rester des traces... En Europe de l'Est, la police contrôle de bon matin et certains sont loin du zéro réglementaire ! 
Serge : oui ! faut voir ce qu'ils picolent aussi ! Si ce n'était que la bière... et suite à une nuit courte, pardi ! 

Un petit tour du camion, sans trop s'éloigner, manière d'apprécier la nuit si tranquille dans ce coin perdu. Démarrage, au matin, vers neuf heures. Trois degrés au thermomètre : supportables. 
 
La route du Poumaïrol à la belle saison.

Serge : c'est beau, des arbres partout avec la route qui monte ! 
Roger : et là les bois sont nus ; en été par contre, quelle verdure !
Serge : et oui, à l'opposé du versant méditerranéen, ils nous étonnent ces grands arbres, un dépaysement complet... des séquoias même ! et de belle taille !
 

jeudi 10 février 2022

LE POUMAÏROL (11) Ferrals-les-Montagnes et le châtaignier de Ferrat

Roger et Serge, complices depuis des lustres, se jouent (légalement) des limites imposées par l'épidémie de covid. En décembre 2020 ils ont entrepris de monter voir un pays aussi montagneux que mystérieux, pour les filles de là-bas qui ont de toujours laissé un souvenir si pimpant aux hommes émoustillés de la plaine. Depuis Narbonne, l'itinéraire des deux amis quitte le couloir de l'Aude pour gagner les causses et les garrigues du village historique de Minerve. De là, en suivant le cañon de la Cesse, ils vont monter jusqu'aux rudes reliefs du Poumaïrol ce pays méconnu oublié dans les brumes, aux mountagnoles si vaillantes, charmantes et piquantes... 
 
Ferrals-les-Montagnes_-_Vue_générale Wikimedia Commons Author Mossot. 

 

Roger : regarde comme c'est joli, on arrive à Ferrals-les-Montagnes ! 
Serge : c'est le village de la Cesse qui prend sa source, enfin d'une des sources car la rivière vient de plus loin encore et qu'un coude au sud la fait naître sur le territoire de Cassagnoles... disons que c'est à Ferrals que le ruisseau s'appelle la Cesse. 
Roger : ah oui, on ne va pas trainer que ce cassoulet, dans les châtaigniers ou les hêtres, loin de tout, ça va être quelque chose... 
Serge : tu sais que la braise de châtaignier peut offrir des surprises : je n'oublierai jamais, d'ailleurs dans ces Avant-Monts, vers Pardailhan, pas loin d'ici à vol d'oiseau, des coquelets avec, en plus des girolles à la poêle comme pour couronner ce feu si lumineux alors que nous étions loin de tout...
Roger : en attendant les coquelets, on peut toujours rapporter quelques branches mortes. 
Serge : ce n'est pas la place qui manque... Ferrals, j'ai un copain qui venait y chercher des fossiles. 
 
Vue de Ferrals et du vallon de la Cesse vers le sud.

Roger : c'est joli, j'y suis passé en été, quand les vacanciers reviennent ouvrir les maisons de famille. Il y avait un petit marché avec des produits nature : du miel, des fromages de chèvre... Oh j'ai dépassé l'ancien tracé de la route où on peut passer la nuit, après le cassoulet... On ne risque rien même si ça me rappelle, sur la nationale 86, la route des vacances, une mère et son fils qui avaient roulé longtemps, assassinés alors qu'elle dormait un peu... 
Serge : tu te souviens de l'endroit ? 
Roger : attends, il n'y a personne, je mets les feux de détresse ; marche arrière... Voilà on sera bien là. Pour ce que je disais, je m'en souviens : la nationale bien rectifiée, laissant les anciens virages plus marqués comme autant de parkings, avec des platanes pour une ombre appréciée avec la chaleur de l'été. Vers Remoulins, à partir de Pouzilhac, ça descend en pente douce, de longues courbes et ces virages coupés ; on y a souvent fait une pause, sur la route des vacances nous aussi... 
Serge : tu aurais un nom précis, je ne trouve rien sur internet... 
Roger : je te l'ai dit "Pouzilhac", entre Bagnols-sur-Cèze et Remoulins... mais tu peux essayer Valliguières aussi... nous y sommes passés tant de fois avant que je n'obtienne ma mutation pour l'académie de Montpellier... 
Serge : oui Pouzilhac ! C'était le 16 juillet 1979 ; il y avait aussi une petite, miraculeusement épargnée... un an après, une prostituée violée et tuée, en 1983 deux sœurs attaquées à Valliguières et rien d'élucidé depuis ! 
Roger : qu'est-ce que tu veux, la vie, la mort, une question de destin et de chance... Je sors le pâté, le vin de reste...  
Serge : et ta bouteille que je veux goûter. Le cassoulet à réchauffer, à feu doux... tu as tout mis ? 
Roger : hé ça a décongelé... ça se mangera... aujourd'hui ou demain... Revenons à nos moutons, donne-moi quelque chose de plus gai, surtout que l'assassin court toujours... 
Serge : pour te rassurer, dans l'autre sens, ils parlent d'une affaire à Villeneuve-les-Avignon, pas loin : en 1987, le viol et le meurtre d'une fille de seize ans ; en 2003 suite à une bagarre et à une prise d'ADN, on retrouve le coupable, un nommé Greiner, pompier volontaire ; en 2008, condamné à perpétuité... sauf que pour ce qu'on sait de la justice en France... Sinon, pour revenir à Ferrals bien dans ses montagnes, à côté il y a un hameau, Authèze, avec une chapelle en lauzes de schiste blond, un peu ferreux peut-être... même les voutes sont appareillées avec ces pierres... et la charpente en bois au-dessus, du châtaignier peut-être... 
 
"J’entends les vieux planchers qui craquent
J’entends du bruit dans la baraque
J’entends j’entends dans le grenier
Chanter chanter mon châtaignier..."  
 
Tu le connais ? Le châtaignier de Jean Ferrat, sa montagne, la continuité de celle d'ici, finalement... 
Roger : mon père reprenait à l'occasion sa leçon de géographie sur le Massif-Central avec un rebord à l'est qui remonte loin, il aimait réciter en commençant par Nord, les noms finissant en -ais : Charolais, Mâconnais, Beaujolais, Lyonnais, Vivarais... et pour finir Cévennes... c'est vrai qu'on les fait descendre aussi bas qu'on les fait monter haut le long du Rhône. Après tout, il est rare d'entre parler des Avant-Monts dits parfois monts du Minervois...
Serge : tout comme on disait couramment au village qu'on voit les Cévennes; ici, il faut qu'on revienne, aux beaux jours, pour randonner dans le coin, j'ai déjà repéré un parcours qui ne compte que seize kilomètres... 
Roger : que seize kilomètres ! 
Serge : dans la journée, même un fainéant comme toi en est capable... c'est bon pour réduire ton tour de bedaine ! 
Roger : oh ça va toi ! parce que depuis que tu es en couple tu n'es pas à plaindre non plus... Et puis, n'oublie pas, Churchill, le cigare et "no sport..."
Serge : "whisky" qu'il aurait dit, sauf que cette phrase a été inventée... 
Roger : en attendant il est mort vieux... 
Serge : assez mal foutu, le pauvre, quand même !
Roger : si tu m'emmènes voir les filles du Poumaïrol, par contre, tu peux me faire marcher et oublier, à y être, que la vie est une plaisanterie qui finit toujours mal... 
Serge : bien sûr, animal ! couquinas va ! par le Saladou, tu connais le Saladou ?