dimanche 24 juin 2018

LE POINT DE VUE DE JEAN GIROU / Itinéraire en terre d'Aude

Ce que nous dit Girou du « Kerkorb » dans son Itinéraire en Terre d’Aude (Montpellier CAUSSE, GRAILLE & CASTELNAU / 1936.
  
Chalabre Vue_sur_le_Chalabreil Author Wlehoux
 « … un petit pays distinct dont la capitale est Chalabre. Dans les chartes, vers l’an 1000, on le nomme sous le nom de Caircorb, Chercorb, Chercorps, puis Kerkob, Querecorb, Kercorbez, Kercorbin… /… à la partie sud-ouest du département de l’Aude, ayant pour frontière, les contreforts pyrénéens du sud, à l’ouest l’Hers, à l’est le faîte rocheux qui sépare l’Aude de l’Ariège ; en somme, la rive droite de l’Hers, c’est le Kerkorb, la rive gauche s’appelait d’un vieux nom : le pays de Keille ou Queille, c’est l’Ariège, le Mirepoix…
/… la petite ville industrielle (Chalabre) a gardé la position militaire qui commande les trois vallées de l’Hers, du Blau, du Chalabrais, qui sont les portes du Razès, du Pays de Sault et du Mirepoix…  »

Chalabre Halle aux Grains Author Ji-Elle (talk)
Jean Girou explique comment, suite à la croisade des Albigeois, les occupants français de Lévis et de Pons de Bruyères se firent peu à peu accepter par les vaincus grâce à « une sage administration ». Cela valut à la contrée de devenir « Terre Privilégiée », exempte d’impôts, bénéficiaire de privilèges.
Plus loin, néanmoins, mention est faite des pillages et incendies dus aux armées de Montfort, futurs « usurpateurs d’Ile-de-France » : 

Occitania_y_Aragon_en_1213.svg Author SanchoPanzaXXI

« … la ville de Pendels (Rivel aujourd’hui) fut détruite, le château seul fut épargné… /… Cette armée, qui ne faisait que ruines sur son passage, reçut la soumission de Chalabre, de Sainte-Colombe, de Villefort… »   

L’auteur de L’Itinéraire parle d’une région industrielle allant de Chalabre à Mazamet et dont Rivel serait « la porte d’entrée ».

« … Chalabre est devenu un centre industriel, les fabriques de drap lui apportèrent la prospérité ; aujourd’hui, c’est le chapeau de laine et les peignes en corne qui sont l’industrie du pays… »

samedi 23 juin 2018

UN MIREPOIX DE PETITS PAYS / Le Kercorb / Languedoc-Occitanie

Avant d’emprunter le sillon audois qui verse doucement vers le Golfe du Lion, quelques pistes encore à l’ouest de l’Aude déjà au-delà de la ligne de partage des eaux entre Atlantique et Méditerranée. Au départ de Quillan, plus que le col du Portel (601 m.), c’est le village de Nébias qui matérialise le versant déjà aquitain. Heureusement que les cours d’eau courent vers où ils penchent ; à ces pays apparemment protéiformes suite aux aléas historiques, ils dessinent une réalité physique qui repose des dénominations intriquées dues par les aux hommes. 
 
La_Bastide_sur_L'Hers_1_(Ariège) Author M l'instant
L’Hers[1] et ses affluents marquent en effet ce coin. Entre les Pyrénées et encore un bourrelet montagneux (774 m.) que l’Aude a coupé des Corbières, les plis est-ouest du Plantaurel semblent plus comprimés encore. Les rivières ne les passent que grâce à de nombreuses cluses : une double pour le Blau après Puivert, une série de trois pour l’Hers (L’Aiguillon, Lesparrou, La-Bastide), deux pour le Touyré (Lavelanet, l’Entounadou [l’entonnoir]), deux (?) pour le Doctouyré dont les gorges de Péreille. 
 
Chateau Puivert Author Arno Lagrange
Avant Lavelanet et déjà la Gascogne sinon le Comminges, le Kercorb, entre Sarvatès
[2] et Razès, « Terre privilégiée », avec les curieux hameaux appelés « camps » de Puivert[3], Rivel le village des sonnailles et des comportes, Sainte-Colombe où on mangeait un sacré cassoulet (cocos ou lingots les haricots ?). 
Pont_rouge,_Chalabre_(2) Author LucasD
Chalabre, au confluent de l’Hers, du Blau et du Chalabreil, capitale du Quercorb (dit aussi Chercorb ou encore Cheircorb), se confondant avec le Chalabrais des Chalabrois, à environ 25 kilomètres de la vallée audoise, est difficilement accessible depuis Limoux. L’altitude semble modeste mais même vers 600 mètres, la neige, plus fréquente en février, n’est pas rare sur les cols peu fréquentés. L’appartenance de Chalabre à la Communauté des Pyrénées Audoises est tout aussi révélatrice. Sur l’itinéraire depuis Espéraza, le village de Saint-Jean-de-Paracol où Momon Billès (Fleury), je crois, passa quelque temps, pendant la guerre (encore si je ne fais pas erreur… Mais qui nous dira maintenant que les témoins de sa génération ne sont plus ?). La commune est classé village le plus pauvre de France… Prenons garde d’abord qu’une statistique orpheline ne vienne fausser notre ressenti… Et puis, gageons, à regarder de plus près la géographie locale, qu’en plus de l’originalité de la situation, sur un col qui n’en serait pas un car sur un vallon, que les habitants y sont riches d’une qualité de vie ne se monnayant pas ! Le cours du Faby (Ruisseau de Fa), confluant avec l’Aude à Espéraza, confirme cette originalité. 

Chalabre (qui a perdu, depuis 1836, plus des deux-tiers de sa population (1111 / 3529)) formait un centre jadis très industriel, connu pour travailler le caoutchouc, la laine, le textile, les chaussures, la corne, le jais encore, trouvé dans l’est du Plantaurel ariégeois.



[1] Hers-Vif, principal affluent de l’Ariège, 135 km du col du Chioula à Cintegabelle. A distinguer de l’Hers-Mort, affluent de la Garonne, 89 km entre le Lauragais et Saint-Jory en aval de Toulouse, plus mort du tout puisque plus jamais à sec depuis qu’il alimente les cultures maraîchères grâce au barrage de la Ganguise.
[2] Si quelqu’un sait à quoi correspond le Sarvatès ?.. Mystère… 
[3] Le 16 juin 1289, suite à de fortes précipitations, le verrou du lac de Puivert lâcha. Une vague de submersion suivit le cours du Blau et détruisit Chalabre puis, s’ajoutant à la crue de l’Hers, Mirepoix avec un millier de victimes. A Puivert, les terres désormais émergées furent confiées à des usufruitiers devant, en échange, défendre le château du suzerain. Une dizaine de nouveaux hameaux portant le préfixe Camp- virent ainsi le jour.   

dimanche 10 juin 2018

LIMOUX, SI TU N'EXISTAIS PAS ! / la goulotte audoise (6)

Limoux d’un Carnaval qui dure trois mois. Son origine remonte aux meuniers qui fêtaient la remise des redevances aux autorités. Riches, ils avaient une réputation de voleurs… Une constance de la part des nantis, toujours très actuelle ! 

Pierrots 2007 Wikimedia Commons auteur tagon.
Limoux capitale oubliée de la chaussure avec une vieille tradition du travail des peaux, du tannage, quartier de la Blanquerie (blancariè[1], mégisserie en occitan). 

Repas de famille, l'été à Saint-Pierre-la-Mer.
Limoux de la fameuse Blanquette[2] (toujours avec la majuscule chez nous !) 


Au musée, on peut voir des scènes de la vie quotidienne, peintures de Marie Petiet. Achille Laugé, le peintre du Razès, y avait aussi son atelier. Quiétude, immortalité de ce que les artistes, grands ou petits, extériorisent sur une toile dévoilant aussi de leur âme. Si l’inspiration, le talent, trop bien cotés, finissent chez les milliardaires d’où elles ne sortent qu’exceptionnellement pour des enchères astronomiques, l’émotion, elle, n’a pas de prix et si Limoux était un tableau, on le devrait à Georges Coroir, le coiffeur de la rue Jean Jaurès, peintre à ses moments perdus.  


Et quel sujet plus attachant que le dernier cheval de trait de la ville, mené par Henri, déjà célèbre et honoré d’ouvrir maints défilés… Chez ces festéjaires, ce ne sont pas les occasions qui manquent ! Pêchard, cheval de la vigne passant le Pont-Vieux[3], pour sûr, un sujet à ne pas manquer !


Mais l’histoire n’en reste pas là ; elle a tout d’une Blanquette pétillante et seule Limoux, effervescente jusque dans les têtes, pouvait l’offrir ! 

Limoux Pont-Neuf auteur Tournasol7 commons wikimedia

Le temps n’arrangeant rien, un jour les arches sur l’Aude ne virent plus passer le fringant attelage : Henri était hospitalisé, Pêchard promis à une triste fin. Et c’est là qu’intervient à nouveau Georges, notre figaro inspiré ! Appuyé, suivi par tous les Limouxins, il a l’idée de reproduire en carte postale le tableau du vigneron et de son cheval. Une association est crée, de quoi payer la pension et soigner les rhumatismes du vieux Pêchard. Henri désormais à la retraite peut lui rendre visite régulièrement… Jusqu’au 18 avril 1994… 34 ans, un âge plus que respectable pour un cheval de trait. Henri Santisbèbe ne lui survivra que trois ans. 


Limoux du cheval de trait. Le 10 juin 1998, avec l’argent restant et le soutien des édiles, les amis de Pêchard sont à l’origine d’une statue équine, bien en vue, avec des ceps derrière, route de Carcassonne.  En 2016, l’association en cessation a fait don de 800 euros et d’un paquet de cartes postales pour parrainer l’adoption, au centre équestre, d’Uva de Bel Air, une trait comtoise. 


L'Ami, le cheval de papé Jean.
Vingt ans ce 10 juin 2018 que Pêchard, immortalisé, trône à l’entrée de la ville. 


Et dire que les gamins de l’Aude brocardaient jadis avec un « Va à Limoux ! » railleur, parce que la ville était plus connue pour son asile que pour son collège réputé.

Chapeau Limoux ! 

A propos, avec le nom de Georges, le coiffeur, celui de la Digne-d’Aval est cité aussi. N’y a prou, finaloment de toujours veïre de coïncidéncios !  


[1] Blanchisserie aussi en rapport avec une ancienne tradition drapière.
[2] Revue des œnologues et des techniques vitivinicoles et œnologiques, Bourgogne-Publications, 1998 p. 52 : « [...] à l'ancienne origine monastique (les bénédictins de Saint Hilaire, 1531) de l'élaboration naturelle du plus vieil effervescent du monde qui deviendra la Blanquette de Limoux. » (note issue de Wikipedia, article Blanquette de Limoux.
[3] Un Pont-Vieux datant des années 1300 alors que le Pont-Neuf, il est vrai refait, date des Romains.


INTRODUCTION AU BASSIN DE LIMOUX / La goulotte audoise (4).

Les petits ruisseaux font les grandes rivières... 

Pont sur l'Aude Alet-les-Bains Wikimedia Commons Auteur Graziephile
 A partir de l’Étroit d’Alet, laissant au levant les derniers escarpements remarqués des Corbières (802-804 m.), la vallée s’ouvre désormais avec le bassin de Limoux. L’Aude y reçoit à droite le Saint-Polycarpe,  les ruisseaux de Marceille, de Bouziers, à gauche, les ruisseaux de la Corneilla, des Lagagnous ou des Gours au nom plus long que le cours, le Cougain (« g » à la fin sur Geoportail et Wikipedia).
Le Cougain ? Oui, la rivière qui passe à La-Digne-d’Amont puis à La-Digne-d’Aval comme de bien entendu ! D’une chose à l’autre et parce que la tradition orale du village qu’il vaut mieux écrire un jour, passe par ces anecdotes qui reviennent lors des repas de famille. Justement, celle de Paul, surnommé Pitche, que les Pérignanais (habitants de Fleury-d’Aude) d’un âge certain ont bien connu, même qu’aux beaux jours, on allait au spectacle sous sa fenêtre, quand ils s’agantaient, avec sa femme, suite à leurs beuveries !

« … Paul M.[1] aimait raconter qu’une fois, à moto avec Germain H., son père adoptif, comme passager, ils sont vite partis de la Digne-d’Amont. A la Digne-d’Aval, guère plus d’un kilomètre plus loin, Germain perd la casquette. « Tant pis, intervient Paul, nous n’avons pas le temps ! ». La moto ronfle, les virages défilent, Germain perd le cache-nez. « Tant pis, nous sommes pressés ! », telle fut la version défendue par Paul Molveau, soutenant, mort et fort, ne pas s’être arrêté… »
Pages de vie à Fleury-d’Aude II / Caboujolette / 2008 / François Dedieu (1922-2017)    

Affluent encore de la rive gauche de l’Aude dans ce bassin de Limoux, le Sou que la rigolade, vue la mine déconfite de Germain perdant casquette et cache-nez, allait nous faire oublier.
Le Sou ? homonyme de l’affluent de l’Orbieu, Sou de Laroque ou de Vignevieille arrosant Termes ? Le Sou, comme l’Alsou, dit encore le Sou, rivière emblématique (avec la Bretonne et le Ruisseau des Mattes) du Val de Dagne, entre le Plateau de Lacamp, les hauteurs ultimes, vers le nord, des Corbières occidentales, encore affluent de l’Orbieu à Lagrasse ? Le Sou du Val de Daigne du Razès, en doublon donc du Val de Diane, du Val de Dagne précédemment cité, pays de naissance de Joseph Delteil (1894-1978) fils d’un bûcheron charbonnier et d’une mère « buissonnière ». Delteil[2] parlera d’une deuxième naissance à Pieusse où ce Sou du Val de Daigne veut bien rallier l’Aude… Décidément tout n’est que coïncidences ! 

Pieusse Aude maison de Joseph Delteil Wikimedia Commons Author Pinpin
    

[1] « Fils de Tué », une autre expression liée à la Grande Guerre, avec « Les gueules Cassées » et « Les moins de 20 ans »  par exemple.
[2] Son père achète, à Pieusse, une parcelle de vigne, en 1898. « … C’est là, dira Delteil, son « village natal », au cœur du terroir de la Blanquette de Limoux, « où le paysage s’élargit, où l’on passe de la forêt au soleil, de l’occitan au français. » Il y demeure jusqu’à son certificat d’étude (1907)… » Source Wikipedia.