mardi 5 juin 2018

L'EAU DE L'AUDE / La goulotte audoise (3)


Vue de Ginoles depuis l'Ouest / Wikimedia Commons /Author Thomas Doussin

L'eau de l'Aude dévale des Pyrénées en torrent, vite et fort. Mais les roches aussi la filtrent ; elle ressort alors au bout d'un cheminement de milliers d’années, aussi invisible que mystérieux, chargée d'éléments minéraux qui ont de toujours intéressé les hommes car plutôt bons pour la santé sinon pour le moral. Des établissements thermaux ponctuent le cours de la haute vallée "première" : Escouloubre-les-Bains, Bains-de-Carcanières, Bains-Esparre, Usson-les-Bains[1]. Dans le cadre de la curiosité du moment pour notre goulotte audoise entre Axat et Carcassonne, le thème du thermalisme nous a retenus encore dans une "haute vallée seconde" de l'Aude, entre Ginoles et Alet. 

GEOPORTAIL Cours de l'Aude de Ginoles (Quillan) à Alet-les-Bains.

A côté de Quillan, Ginoles, un nom rappelant le genou mais en levant les yeux, plutôt serti contre une épaule formidable, dépassant les 1100 mètres avec le Pech Tignous, le bien nommé « teigneux ». Un dénivelé impressionnant ! En bas les figues, en haut les sapins[2] ! En bas de l’escarpement, deux sources chaudes, Prosper et Rosita, des noms comme en écho à la recherche du temps perdu… des années 1900 et quelques… 
 
Belle Otero Author Unknown/ Wikimedia Commons
Jules Laure 1806-1861 Portrait_of_Lola_Montez,_1845 /Wikimedia Commons
Rosita rappelle Lola Montès, ou la Belle Otéro, ces Cocottes, Grandes Horizontales du Second Empire à la Belle Époque… Des 25 degrés des eaux à la fièvre pour la « bête d’or » des Demi-Mondaines… Ces Courtisanes relèvent à coup sûr d’un fantasme parmi tant d’autres même si Gide (et non Proust), emblématique d’un rang plus élevé, fréquenta Ginoles-les-Bains. On y soignait l’arthrite, le foie, les voies urinaires. Un hôtel, un parc aux arbres vénérables, une buvette : cinq-cents curistes y séjournaient alors… Mais le vieux casino démoli, tas de pierres[3], est à mettre sur le compte exotique des Espagnoles… « C’était une Espagnole à moitié folle… » qu’il chantait dans le car du rugby, pas vrai Momon ? C’est fou tout ce qui peut mentalement divaguer, par un matin serein, aux tenilles, activité ô combien ouverte à la méditation, à l’imaginaire, prémices à des nourritures plus terrestres, aux saveurs d’une poêlée de bivalves aillés et persillés.   

A sept kilomètres plus au nord, Campagne-sur-Aude ! Le joli nom que voilà pour ceux qui disent d'instinct « campagne » plutôt que « mas » en parlant d’un domaine agricole ! S’il a produit des dinosaures[4], le village cultive des pêches savoureuses, qui, comme à Ginoles peut-être, partaient se vendre dans les Pays de Sault et d’Olmes, moins favorisés. La carte précise « Campagne-les-Bains », mention flatteuse pour un coin où ne flotte pas le souvenir des intrigantes. L’établissement thermal accueillit un hôpital militaire (1916-1922) lié à la Grande Guerre. On peut faire provision d’eau ferrugineuse à la source de la grotte et profiter un moment de l’ombre reposante des platanes centenaires… 

Plus en aval, connue depuis le fin fonds du département (au sens propre concernant Fleury-d’Aude) pour sa limonade, Alet l’est, extra muros, pour son eau[5] minérale exploitée depuis 1886. Riche en calcium, en magnésium et sodium (la même qu’à Ginoles ?), elle est indiquée contre les inflammations gastriques, intestinales, les affections cardiaques, l’obésité. Dommage que la mise en bouteille, arrêtée depuis 2011, ne reprenne pas encore.
Enterré à Alet-les-Bains, auprès de ses parents, Roger Peyrefitte (1907-2000) homme des « Amitiés Particulières » au collège religieux d’Ardouane (proche de Saint-Pons-de-Thomières, Hérault), amant à 57 ans d’Alain-Philippe Malagnac alors âgé de 12 ans et demi, futur mari d’Amanda Lear. Roger Peyrefitte disait « Le soufre est mon élément naturel ». Sulfureuse, en effet, l'ambiance pour des bien-pensants, les "braves gens" de Brassens, qui condamnent et tolèrent à la fois des déviances exprimant mieux la nature profonde des êtres qu’ils sont, serait-ce en secret… Avec le soufre, abrégeant par asphyxie la mort des condamnés au bûcher, comment ne pas penser aux Cathares se jetant dans le brasier pour ne pas abjurer ! Ces « Bons hommes » et « Bonnes femmes » rappelant dans leur foi l’arianisme chrétien du royaume wisigoth[6], nous ramènent à l’Église hégémonique[7], créant, en 1318, pour prévenir les hérésies, le diocèse d’Alet avec sa cathédrale (détruite par les Huguenots en 1577). Un diocèse qualifié par Nicolas Pavillon, son « évêque de village », un parisien expédié loin de la cour par Richelieu, de « l’un des plus crottés de France ».  D’une chose à l’autre, comme tout peut revenir au commencement, le pape à qui l’on doit le diocèse d’Alet est Jean XXII… et le XXIIIème du nom Angelo Roncalli (1881–1963), élu pape le 28 octobre 1958 est venu, alors qu’il n’était que nonce apostolique, dans cette même haute vallée de l’Aude, mais pour une raison bien plus sereine, pour voir sa famille, des cousins jadis venus d’Italie.  


Alet_les_Bains abbaye Author Devisme alain / Wikimedia Commons



[1] La mentalité faisant qu’il est plus valorisant de se trouver en haut qu’en bas, à moins de 300 mètres d’altitude, à Quillan, ils se croient quillés dans la haute vallée. Comment appeler alors le secteur Puyvalador-Axat ? Et l’appellation de « Très Haute Vallée » est-elle acceptable concernant le parcours de l’Aude au Capcir (entre 2150 et 1400 d’altitude) ? Quant à la Moyenne et à la Basse vallée ?..    
[2] 44% sur moins de deux kilomètres.
[3] « Y’a d’la rumba dans l’air » Alain Souchon.
[4] Reconstitué au Musée des Dinosaures d’Espéraza, un squelette complet de 12 m d’Ampelosaurus Atacis nommé Eva comme l’étudiante qui le découvrit (2001). 
[5] Rennes-les-Bains sera évoquée dans la partie Corbières.
[6] La Provence et à l’ouest tout le Sud de la France actuelle jusqu’à l’embouchure de la Loire 412 à 507 (défaite de Vouillé). Il leur est resté la Septimanie correspondant au Languedoc jusqu’à l’invasion musulmane et la prise de Narbonne en 719.
[7] « Il y a deux Églises, l’une fuit et pardonne ; l’autre possède et écorche ; c’est celle qui fuit et pardonne qui tient la droite voie des apôtres ; elle ne ment ni ne trompe. Et cette Église qui possède et écorche, c’est l’Eglise romaine. » Bon homme Pierre Authié, vers 1300.


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