L'eau de l'Aude dévale des Pyrénées
en torrent, vite et fort. Mais les roches aussi la filtrent ; elle ressort
alors au bout d'un cheminement de milliers d’années, aussi invisible que
mystérieux, chargée d'éléments minéraux qui ont de toujours intéressé les
hommes car plutôt bons pour la santé sinon pour le moral. Des établissements
thermaux ponctuent le cours de la haute vallée "première" :
Escouloubre-les-Bains, Bains-de-Carcanières, Bains-Esparre, Usson-les-Bains[1].
Dans le cadre de la curiosité du moment pour notre goulotte audoise entre Axat
et Carcassonne, le thème du thermalisme nous a retenus encore dans une "haute vallée seconde" de l'Aude, entre Ginoles et
Alet.
GEOPORTAIL Cours de l'Aude de Ginoles (Quillan) à Alet-les-Bains. |
A côté de Quillan, Ginoles, un nom rappelant le genou mais en levant
les yeux, plutôt serti contre une épaule formidable, dépassant les 1100 mètres
avec le Pech Tignous, le bien nommé « teigneux ». Un dénivelé
impressionnant ! En bas les figues, en haut les sapins[2] ! En bas de l’escarpement, deux sources
chaudes, Prosper et Rosita, des noms comme en écho à la recherche du temps
perdu… des années 1900 et quelques…
Belle Otero Author Unknown/ Wikimedia Commons |
Jules Laure 1806-1861 Portrait_of_Lola_Montez,_1845 /Wikimedia Commons |
Rosita rappelle Lola Montès, ou la Belle
Otéro, ces Cocottes, Grandes Horizontales du Second Empire à la Belle Époque… Des
25 degrés des eaux à la fièvre pour la « bête d’or » des
Demi-Mondaines… Ces Courtisanes relèvent à coup sûr d’un fantasme parmi tant
d’autres même si Gide (et non Proust), emblématique d’un rang plus élevé,
fréquenta Ginoles-les-Bains. On y soignait l’arthrite, le foie, les voies
urinaires. Un hôtel, un parc aux arbres vénérables, une buvette :
cinq-cents curistes y séjournaient alors… Mais le vieux casino démoli, tas de
pierres[3], est à mettre sur le compte exotique des
Espagnoles… « C’était une Espagnole à moitié folle… » qu’il chantait
dans le car du rugby, pas vrai Momon ? C’est fou tout ce qui peut
mentalement divaguer, par un matin serein, aux tenilles, activité ô combien
ouverte à la méditation, à l’imaginaire, prémices à des nourritures plus
terrestres, aux saveurs d’une poêlée de bivalves aillés et persillés.
A sept kilomètres plus au nord, Campagne-sur-Aude ! Le joli nom que
voilà pour ceux qui disent d'instinct « campagne » plutôt que « mas »
en parlant d’un domaine agricole ! S’il a produit des dinosaures[4], le village cultive des pêches savoureuses, qui,
comme à Ginoles peut-être, partaient se vendre dans les Pays de Sault et
d’Olmes, moins favorisés. La carte précise « Campagne-les-Bains »,
mention flatteuse pour un coin où ne flotte pas le souvenir des intrigantes. L’établissement
thermal accueillit un hôpital militaire (1916-1922) lié à la Grande Guerre. On peut
faire provision d’eau ferrugineuse à la source de la grotte et profiter un
moment de l’ombre reposante des platanes centenaires…
Plus en aval, connue depuis le fin fonds du département (au
sens propre concernant Fleury-d’Aude) pour sa limonade, Alet l’est, extra
muros, pour son eau[5]
minérale exploitée depuis 1886. Riche en calcium, en magnésium et sodium (la
même qu’à Ginoles ?), elle est indiquée contre les inflammations
gastriques, intestinales, les affections cardiaques, l’obésité. Dommage que la
mise en bouteille, arrêtée depuis 2011, ne reprenne pas encore.
Enterré à Alet-les-Bains, auprès de ses parents, Roger
Peyrefitte (1907-2000) homme des « Amitiés Particulières » au collège
religieux d’Ardouane (proche de Saint-Pons-de-Thomières, Hérault), amant à 57
ans d’Alain-Philippe Malagnac alors âgé de 12 ans et demi, futur mari d’Amanda
Lear. Roger Peyrefitte disait « Le soufre est mon élément naturel ».
Sulfureuse, en effet, l'ambiance pour des
bien-pensants, les "braves gens" de Brassens, qui condamnent et tolèrent à la fois des déviances exprimant
mieux la nature profonde des êtres qu’ils sont, serait-ce en secret… Avec le soufre, abrégeant par asphyxie la
mort des condamnés au bûcher, comment ne pas penser aux Cathares se jetant dans
le brasier pour ne pas abjurer ! Ces « Bons hommes » et
« Bonnes femmes » rappelant dans leur foi l’arianisme chrétien du
royaume wisigoth[6],
nous ramènent à l’Église hégémonique[7],
créant, en 1318, pour prévenir les hérésies, le diocèse d’Alet avec sa
cathédrale (détruite par les Huguenots en 1577). Un diocèse qualifié par Nicolas
Pavillon, son « évêque de village », un parisien expédié loin de la cour par Richelieu,
de « l’un des plus crottés de France ». D’une chose à l’autre, comme tout peut revenir
au commencement, le pape à qui l’on doit le diocèse d’Alet est Jean XXII… et le
XXIIIème du nom Angelo Roncalli (1881–1963), élu pape le 28 octobre 1958 est
venu, alors qu’il n’était que nonce apostolique, dans cette même haute vallée
de l’Aude, mais pour une raison bien plus sereine, pour voir sa famille, des
cousins jadis venus d’Italie.
[1]
La mentalité faisant qu’il est plus valorisant de se trouver en haut qu’en bas,
à moins de 300 mètres d’altitude, à Quillan, ils se croient quillés dans la
haute vallée. Comment appeler alors le secteur Puyvalador-Axat ? Et l’appellation
de « Très Haute Vallée » est-elle acceptable concernant le parcours
de l’Aude au Capcir (entre 2150 et 1400 d’altitude) ? Quant à la Moyenne
et à la Basse vallée ?..
[2]
44% sur moins de deux kilomètres.
[3]
« Y’a d’la rumba dans l’air » Alain Souchon.
[4]
Reconstitué au Musée des Dinosaures d’Espéraza, un squelette complet de 12 m
d’Ampelosaurus Atacis nommé Eva comme l’étudiante qui le découvrit (2001).
[5]
Rennes-les-Bains sera évoquée dans la partie Corbières.
[6]
La Provence et à l’ouest tout le Sud de la France actuelle jusqu’à l’embouchure
de la Loire 412 à 507 (défaite de Vouillé). Il leur est resté la Septimanie
correspondant au Languedoc jusqu’à l’invasion musulmane et la prise de Narbonne
en 719.
[7]
« Il y a deux Églises, l’une fuit et
pardonne ; l’autre possède et écorche ; c’est celle qui fuit et
pardonne qui tient la droite voie des apôtres ; elle ne ment ni ne trompe.
Et cette Église qui possède et écorche, c’est l’Eglise romaine. » Bon
homme Pierre Authié, vers 1300.