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lundi 1 octobre 2018

ÉCHO DE VENDANGES : Coquet, cheval d'Ariège / Fleury d'Aude en Languedoc.

Préalable : à Isa, ma cousine. Sois gentille si tu repiques une ou des photos, de mentionner la source "François Dedieu". Tu peux aussi "JF Dedieu" même si ma modestie en pâtit... je compte sur toi.

Encore une chronique de papa (Pages de vie à Fleury II, "Caboujolette", chapitre "Les Vendanges", pages 277 - 278). 


Retour de vendanges. 1934. 

"... Coquet. Le petit et vaillant cheval noir répondait au nom de « Coquet ». C'était un Mérens, petit cheval d'Ariège (le GDEL écrit même « race fçse de poneys (!) ») vaillant comme pas un. Un jour, racontait mon père, il avait fait quatre gros voyages de comportes (sans doute seize ou dix-huit chaque fois) de la Pointe de Vignard (notre vigne la plus éloignée, à quatre kilomètres du village), ce qui lui totalisait 32 kilomètres dont seize à pleine charge, avec les côtes de Liesse et de Fleury. Il a tenu le coup, mais en arrivant le soir, trop fatigué, il s'est couché au lieu de manger. Papé Jean racontait cela avec une admiration non dissimulée. J'ai connu ce cheval à l'écurie jusqu'en 1935 à peu près. 
Nous l'avons sur des photos de vendanges. 

Cheval Merens commons wikimedia Author PANDA 81

 Race française… originaire des montagnes ariégeoises. Le mérens a une robe noire. Puissant dans son encolure, il se distingue par un chanfrein droit, un dos long, une croupe ronde et des membres solides. Rustique et résistant, il est encore apprécié pour certains travaux agricoles et convient au tourisme équestre en montagne. (GDEL passim)
Puis il avait fait son temps : il fallut bien le changer. L'oncle Pierre et son neveu (mon père) allèrent à Narbonne choisir un cheval chez le maquignon. 

Le mérens fait preuve "... d'un tempérament robuste, une santé à toute épreuve, une ardeur infatigable. C'est le bénéfice d'une existence indépendante, plus sauvage que domestique. On n'apprécie bien les chevaux de l'Ariège qu'après en avoir usé; mais alors on est étonné de la dépense d'énergie dont ils sont capables, de la dureté qu'ils montrent au travail le plus fatigant et le plus durable..."
 Jules Trousset, Grande Encyclopédie Illustrée d'économie domestique (cité par Wikipedia).

La Larousse Agricole de 1952 ne mentionne même pas le mérens. Il faut dire que depuis 1946, l'armée ne l'élève plus comme cheval d'artillerie en montagne et qu'après les transports, c'est la mécanisation de l'agriculture qui va le faire pratiquement disparaître. Un temps il est engraissé, alourdi comme animal de boucherie. Il ne sera sauvé que de justesse, en particulier, grâce au mouvement de retour à la terre des années 70, ensuite en tant que cheval de loisir d'où sa qualification de poney, ce qui, bien sûr a irrité et pu sembler déshonorant pour mon père.    

Combe de Caboujolette / Carrière de monsieur Sanchon. 1934. Depuis, avec les pins la végétation typique à la garrigue, la nature a repris ses droits, les petites vignes ont disparu.

dimanche 10 juin 2018

LIMOUX, SI TU N'EXISTAIS PAS ! / la goulotte audoise (6)

Limoux d’un Carnaval qui dure trois mois. Son origine remonte aux meuniers qui fêtaient la remise des redevances aux autorités. Riches, ils avaient une réputation de voleurs… Une constance de la part des nantis, toujours très actuelle ! 

Pierrots 2007 Wikimedia Commons auteur tagon.
Limoux capitale oubliée de la chaussure avec une vieille tradition du travail des peaux, du tannage, quartier de la Blanquerie (blancariè[1], mégisserie en occitan). 

Repas de famille, l'été à Saint-Pierre-la-Mer.
Limoux de la fameuse Blanquette[2] (toujours avec la majuscule chez nous !) 


Au musée, on peut voir des scènes de la vie quotidienne, peintures de Marie Petiet. Achille Laugé, le peintre du Razès, y avait aussi son atelier. Quiétude, immortalité de ce que les artistes, grands ou petits, extériorisent sur une toile dévoilant aussi de leur âme. Si l’inspiration, le talent, trop bien cotés, finissent chez les milliardaires d’où elles ne sortent qu’exceptionnellement pour des enchères astronomiques, l’émotion, elle, n’a pas de prix et si Limoux était un tableau, on le devrait à Georges Coroir, le coiffeur de la rue Jean Jaurès, peintre à ses moments perdus.  


Et quel sujet plus attachant que le dernier cheval de trait de la ville, mené par Henri, déjà célèbre et honoré d’ouvrir maints défilés… Chez ces festéjaires, ce ne sont pas les occasions qui manquent ! Pêchard, cheval de la vigne passant le Pont-Vieux[3], pour sûr, un sujet à ne pas manquer !


Mais l’histoire n’en reste pas là ; elle a tout d’une Blanquette pétillante et seule Limoux, effervescente jusque dans les têtes, pouvait l’offrir ! 

Limoux Pont-Neuf auteur Tournasol7 commons wikimedia

Le temps n’arrangeant rien, un jour les arches sur l’Aude ne virent plus passer le fringant attelage : Henri était hospitalisé, Pêchard promis à une triste fin. Et c’est là qu’intervient à nouveau Georges, notre figaro inspiré ! Appuyé, suivi par tous les Limouxins, il a l’idée de reproduire en carte postale le tableau du vigneron et de son cheval. Une association est crée, de quoi payer la pension et soigner les rhumatismes du vieux Pêchard. Henri désormais à la retraite peut lui rendre visite régulièrement… Jusqu’au 18 avril 1994… 34 ans, un âge plus que respectable pour un cheval de trait. Henri Santisbèbe ne lui survivra que trois ans. 


Limoux du cheval de trait. Le 10 juin 1998, avec l’argent restant et le soutien des édiles, les amis de Pêchard sont à l’origine d’une statue équine, bien en vue, avec des ceps derrière, route de Carcassonne.  En 2016, l’association en cessation a fait don de 800 euros et d’un paquet de cartes postales pour parrainer l’adoption, au centre équestre, d’Uva de Bel Air, une trait comtoise. 


L'Ami, le cheval de papé Jean.
Vingt ans ce 10 juin 2018 que Pêchard, immortalisé, trône à l’entrée de la ville. 


Et dire que les gamins de l’Aude brocardaient jadis avec un « Va à Limoux ! » railleur, parce que la ville était plus connue pour son asile que pour son collège réputé.

Chapeau Limoux ! 

A propos, avec le nom de Georges, le coiffeur, celui de la Digne-d’Aval est cité aussi. N’y a prou, finaloment de toujours veïre de coïncidéncios !  


[1] Blanchisserie aussi en rapport avec une ancienne tradition drapière.
[2] Revue des œnologues et des techniques vitivinicoles et œnologiques, Bourgogne-Publications, 1998 p. 52 : « [...] à l'ancienne origine monastique (les bénédictins de Saint Hilaire, 1531) de l'élaboration naturelle du plus vieil effervescent du monde qui deviendra la Blanquette de Limoux. » (note issue de Wikipedia, article Blanquette de Limoux.
[3] Un Pont-Vieux datant des années 1300 alors que le Pont-Neuf, il est vrai refait, date des Romains.


jeudi 20 octobre 2016

LOUIS, LA VIGNE et LES CHEVAUX (VII) / Fleury d'Aude en Languedoc

Avec le cheval, c'était un rythme de vie particulier. Le matin, on mettait le réveil (1) comme il était là haut, dans la rue Neuve et à six heures j'allais le faire boire. A sept heures, on partait travailler.
- Dans la rue Neuve, la rue de Titin, le boulanger ?
- Non c'était l'autre...
- Celle où y avait Anna la polonaise, mariée Roca, et là je me souviens, quand j'étais gosse que deux pauvres chevaux sont morts asphyxiés... ça m'avait choqué ça...
- Oui les chevaux étaient de Pesqui. Il avait l’écurie... maintenant c’est tout de Brun la moitié de la rue... Le ramonet il fumait tout le temps...
- André Pesqui ?
- Oui, André Pesqui... les chevaux quand ils se sont asphyxiés, le ramonet comme il fumait, ils avaient soufré et les restes du soufre qu'ils n'avaient pas employé, ils l'avaient mis à côté du portail et il a laissé le mégot sur le sac de soufre et il est parti : il a oublié qu’il avait laissé le mégot. ça a asphyxié les chevaux, ça n’avait pas foutu le feu, le soufre s’était consumé sans faire de flamme.
- Je m’en souviens, ça m’avait choqué... Sinon, le matin, avec le cheval...
- On faisait boire le cheval, grâce au réveil il avait déjà mangé le foin. Ensuite du temps qu’il mangeait l’avoine, un fortifiant en quelque sorte, on l’étrille, on le nettoie, on lui passe le collier. Nous partons tout le temps avec la jardinière, la charrue est dedans, le brancard dessous. Oh moi j’ai eu travaillé, j’y ai pensé quand le cheval il m’avait foutu un coup de pied qu’il a failli me tuer, j’ai eu travaillé en attelage libre que ça s’appelle. il y a deux fourreaux, un de chaque côté à peu près de la longueur du cheval, on les accroche au collier, une courroie s’attache sur le dos. Le cheval il est libre et si tu en as un qui fait le con, pour le tenir eh, bonsoir...
- Quand vous dites ça des chevaux dangereux, je pense au pauvre Rouaret...
-  Tout le monde des anciens s’est demandé comment c’est arrivé parce qu’il avait un cheval, quand il allait à Joie... il avait une vigne à Joie et de temps en temps je le voyais passer. Moi je mettais une heure pour aller à Joie et lui, une heure et demie ! Tu t’en rappelles pas de ce cheval ? Il marchait tout le temps plan, plan, plan, plan et tu pouvais lui dire ce que tu veux il marchait, marchabo coumo uno vaco (il marchait comme une vache) ! Et bé, il l’a tué ! Pour moi, il était au museau, il le tenait souvent par la bride alors il a dû vouloir le battre pour une raison ou une autre, on ne sait pas, ce cheval il s’est cabré, il l’a fait tomber et puis il s’est emballé, le cheval, et il lui est passé dessus...
- Moi, j’ai l’arrière-grand-père qui est mort comme ça, à la Montée des Cabanes...
- A la Pagèze ?
- Non, non, la montée de Bouisset... mais c’était en 1915... »  
     
De toutes les dépendances donnant sur le jardin extraordinaire de Louis, l’ancienne écurie où les hirondelles nichaient encore il y a peu, témoigne  toujours de cette époque où le nombre de chevaux donnait une idée de la grandeur de la propriété, ici, celle de Gibert à Fleury. Au dessus de quatre stalles figurent les noms des chevaux : Mignon, Coquet, Rip et Franco... des noms qui en auraient encore, des histoires à raconter... loin des images idéalisées et trop belles pour être vraies, de l'amitié entre le viticulteur et son compagnon de travail, le cheval de trait.  

(1) Louis veut parler du réveil à l’étage qu’on montait pour le cheval ! Non pas pour le réveiller mais pour que le déjeuner lui tombât automatiquement une paire d’heures avant la journée de travail sans que l’homme n’ait à se lever pour autant. Le réveil était installé dans une boîte accrochée au mur. A l’heure dite, une ficelle autour de la clé de la sonnerie se déroulait, libérant une trappe à claire-voie et la ration de fourrage aboutissait dans le râtelier. Dernièrement, José qui vient de prendre la retraite et qui a la remise dans la rue de mes parents, m’a invité à monter au palier pour voir le système ingénieux de l’époque de sa grand-mère maternelle. De quand date cette distribution automatique ?  

 photos autorisées commons wikimedia : 
1. Labour à St-Georges d'Orques carte postale ancienne. 
2. Peyriac-Minervois carte postale ancienne.

samedi 15 octobre 2016

UNO BESTIO INTELLIGENTO / Lou chabal dal paure Pepi / La Cigalo Narbouneso.

Louis Sabater témoigne d’une réalité du travail avec les chevaux loin d’un idéal bucolique, ce qui n’a rien d’étonnant avec des animaux de huit quintaux en moyenne, généralement tranquilles mais pouvant s’emballer, à fortiori lorsqu’ils restent entiers. Ainsi la relation avec le cheval pouvait aller du rapport de force à la persuasion amicale. Après le gousset de Victor, la chronique de la Cigalo Narbouneso (1), UNO BESTIO INTELLIGENTO, nous raconte une fine harmonie complice entre Pépi et César son cheval. 


Pour l’essentiel, même si l’original vaut toujours mieux que la copie (pour ceux qui se décourageraient la traduction vient juste après) :

«... Alabets lou vielh Tridòli .../... nous countèt aquelo :
.../... Uno brabo bestio e valento e tirairo...
Uno annado.../... lou Pepi - lou temps èro penible - se louguèt per carreja la sablo. Atalabo Cesar al tambourèl e tres ou quatre cops per jour fasion l naveto dal riu al chantiè : lou Pepi abio calculat que tres cents palados fasion lou tambourelat es a dire un mièch mestre cube. Lou paure ome .../... countabo a tres cents. Alabets, plantabo la palo dins la sablo dal tambourèl, plegabo las chambrièiros, descoutabo, tirabo la barradouiro e après un parelh de mots aimables a soun coumpaghou, ajustabo :
- Cesar, nous cal parti... Anem... 
E lou chabal vous enlevabo lou tambourèl sans canho.
Un jour, sabi pas couci anèt, lou papeto, distrait per un vol de canards ou d’estournèls - èro un cassaire de crano bourro - countèt fins a tres cents cinq e metèt tres cent cinq palados dins lou toumbarèl.
- Cinq de mai ou de mens, se pensèt, es pas uno affaire !
Coumo de coustumo, plantèt la palo, pleguèt las chambrièiros, descoutèt, tirèt la barradouiro.
- Anem, Cesar, nous cal parti !
E Cesar, aquest cop, remenèt pas mai qu’uno glèiso.
- De qu’as que te pico bougre ? Sios pas cançat paimens ? Sios pas malaut ? Al diable vai nous pourtaran pas lou dinna aici sabes ! Anem Cesar, hi !!!
Pas mai que lou prumiè cop, Cesar nou bouleguèt.
Dal cop lou Pepi, demoro un moument pensatiu, agacho lou chabal, agacho la carreto, remiro la mecanico, grapo lou davant de la rodos per rambar lous calhaus, agacho lou coula, la ventrièiro, la sofro, palpo lou ventre de Cesar :
- Anem cesar, i dits, fagues pas lou mainatge... Sion toujour estats amics, es pas bèi que nous cal broulha.
Cesar remenèt las aurelhos !
- I a quicon de mai ou de mens, se pensèt lou Pepi, desumpèi d’ans e d’ans es lou prumiè cop, bèi, que sansalejo per parti... Mès sul cop, uno belugo gisclèt de soun cerbèl :
- Ia quicon de mai ! I a cinq palados de mai dins lou tambourèl !!! E lou Pepi mountèt sul véicule, traguèt cinq palados de sable : un... dos... tres... quatre... cinq...
Quand coumandèt Cesar, lou chabal partiguèt laugé coumo un pinsard !
Lou bougre voulio pla carreja tres cents palados, un mièch mestre cube cado cop, mès pas uno mico de mai !!!
Quand se dis paimens de las bestios !
E. Vieu ». 

Traduction proposée et ouverte tant aux suggestions qu’aux corrections :

Alors le vieux Tridoli nous raconta celle-ci :
.../... Une brave bête et vaillante et de trait...
Une année.../... le Pépi - l'époque était pénible - se loua pour charrier du sable. Il attelait César au tombereau et trois ou quatre fois par jour ils faisaient la navette du ruisseau au chantier : le Pépi avait calculé que trois cent pelles correspondaient à la charge, soit un demi mètre cube. Le pauvre (2) homme.../... comptait jusqu'à trois cents. Alors, il plantait la pelle dans le sable du tombereau, repliait les chambrières, enlevait les cales (3), tirait la barre (4) (fermant certainement le panneau arrière), prenait la bride (5) :
- César, nous devons partir... Allons...
Et le cheval vous enlevait le tombereau sans flemme (« cagno » chez Frédéric Mistral).
Un jour, je ne sais pas comment c’est allé, le papé, distrait par un vol de canards ou d’étourneaux - c’était un chasseur au quart de tour - finassa jusqu’à trois-cent-cinq pelletées dans le tombereau.
- Cinq de plus, cinq de moins, se pensa-t-il, quelle affaire !
Il planta sa pelle, comme d’habitude, replia les chambrières, enleva les cales, tira la barre.
- Allons César, il faut y aller !
Et César, cette fois, ne remua pas plus qu’une église.
- Quelque chose te pique, bougre ? Tu ne serais pas à bout ? Tu n’es pas malade ? Que diable, va, ils ne nous porterons pas le dîner ici, tu sais ! Allez César, hi !!!
César ne bougea pas plus qu’au premier ordre.
Aussi le Pépi en reste perplexe, il fixe le cheval, regarde la charrette, vérifie la mécanique (le frein), gratte devant les roues pour enlever les cailloux, regarde le collier, la ventrière, la dossière, palpe le ventre de César :
- Allons César, il lui dit, ne fais pas l’enfant... On a toujours été amis, ce n’est pas aujourd’hui qu’il nous faut nous fâcher.
César remua les oreilles !
- Y’a quelque chose de plus ou de moins, pensa Pépi, depuis tant d’années, c’est la première fois, aujourd’hui, qu’il hésite (dictionnaire Lo Congres) à partir... Disant cela, une étincelle lui jaillit :
-Y’a quelque chose de plus ! le tombereau compte cinq pelles de plus !!! et le Pépi monta sur le véhicule, enleva cinq pelletées : une... deux... trois... quatre... cinq...
Quand il commanda au cheval, César partit, léger comme un pinson !
Le bougre voulait bien charrier trois cent pelletées, un demi mètre cube chaque fois, mais pas un grain de plus !!!
Quand on dit que ce ne sont que des bêtes ! 


Toute ma reconnaissance renouvelée à Frédéric Mistral pour son magistral Trésor dòu Felibrige. Par le biais de cette histoire, retenons aussi quelques termes liés à l'attelage, au harnachement.

(1) https://culture.cr-languedocroussillon.fr/ark:/46855/OAI_FRB340325101_KI3_frb340325101_ki3_1947_0235/v0013.simple.highlight=cigalo%20narbouneso.articleAnnotation=h::b40b522b-69da-47c4-9e7a-1b6ff9dda435.selectedTab=thumbnail
(2) « pauvre » est souvent employé en occitan pour indiquer que la personne n’est plus de ce monde. 
(3) Chez Mistral, « descouta », dans le vocabulaire de la vigne, signifie aussi couper un courson. 
(4) les verbes « barra », « tanca » indiquent qu’on ferme une porte, un portail au moyen d’une barre... fichée au sol, dans les montants ?
(5) faire corps, s’unir à comme dans « Tarn s’ajusto a Garouno e Garouno a la mar » Dom Guérin ( Trésor dòu Felibrige)... la première affirmation serait-elle fausse... noue en reparlerons un jour...


Pourquoi les tombereaux hippomobiles sont-ils si souvent bleus ? 

Photos autorisées commons wikimedia :
1. Tombereau mécanisme auteur Vassil.
2. Tombereau Nages musée charrettes auteur Fagairolles 34.
3. Tombereau Vieilles charrettes auteur Isasza.

jeudi 13 octobre 2016

LOUIS, LA VIGNE et LES CHEVAUX (VI) / Fleury d'Aude en Languedoc.

Dans son jardin extraordinaire, Louis reçoit. Il peut parler des bégonias si beaux cette année et de son api (céleri) capricieux par exemple qui se ressème tout seul au milieu des fleurs mais qui ne le fait pas une fois transplanté ailleurs. Il peut raconter ses pérégrinations d’ouvrier agricole et celles de ses parents de campagne en domaine, de clocher en village, la façon dont ils ont échappé aux Allemands. Je voulais qu’il me précise la vie avant, le travail à la vigne du temps des chevaux de trait. C’est bien loin tout ça or Louis en parle comme d’une chose ordinaire... C’est vrai que le fatalisme qui aide pour les épreuves personnelles permet aussi de relativiser, d'accepter des changements qui sinon, nous bouleverseraient...  

«... Mon dernier cheval était noir, j’en ai eu beaucoup, y en avait des blancs, y en avait des noirs, y en avait un de péchard. Péchard (1) c’est marron tacheté de blanc mais surtout marron. Le dernier, c’est sûr, il était noir. D’ailleurs il a failli me tuer et après il est devenu gentil comme tout.
Les animaux, quand ils croient eux que tu leur as fait une crasse... Voilà ce qui s’est passé avec ce cheval. Ce cheval il était méchant. il n’était pas entier mais quand il est arrivé... On nous l’a vendu qu’il avait déjà 7 ou 8 ans et quand tu l’approchais il cherchait souvent à mordre. Une fois quand il a présenté les dents, j’ai voulu lui foutre un coup sur le mourre... sur le museau, que je me méfiais. Mais c’est qu’il m’a coincé contre le bas-flanc !  C’est qu’il a failli me tuer ! Une autre fois, j’étais à la vigne, je passais la gratteuse. Tu sais ce que c’est la gratteuse ? Pour couper la terre, quand on arrosait surtout, et il n’y avait que six rangées sur 100 ou 150 mètres avec d’un côté un champ, un armas et de l’autre un mailheul. Je faisais en travers et t’arrête pas de tourner et retourner. A un moment que le cheval il en avait marre de tourner et retourner, tout d’un coup, quand on arrive au bout, il refuse d’avancer et se fout à reculer. Alors je me suis mis le brancard sur l’épaule et en reculant on arrive à la jeune vigne du voisin. Si j’arrive à avoir quelque chose pour lui foutre ça, il s’arrêtera mais je n’avais rien pour le battre, pour qu’il arrête de reculer. Alors j’arrive à la vigne du voisin, y avait uns souche neuve avec un tuteur. J’attrape la souche, le greffon et tout est venu avec et je lui fais péter un coup de tuteur sur le cul. Au coup de tuteur il a jeté les deux pattes en arrière, mais comme il y avait le brancard, il s’est tapé là, les chevilles, tu sais le creux au-dessus du sabot (2), les chevilles quoi, contre le brancard qui m’a protégé. Il s’est fait mal, il s’est foutu un tel coup qu’après il avait du mal à tenir debout.
- Il s’en est remis ? 


- Il s’en est remis avec la différence qu’après ça il était devenu gentil ! Il témoignait que c’était moi qui l’avait eu... je sais pas comment t’expliquer ça mais dans l’esprit de la bête, il a cru que j’étais plus fort que lui et ça été fini, il était devenu magnac comme tout...
- Mon papète s'est fait mordre, une fois à la fesse... il avait les marques. Après il était obligé de prendre un gros bâton pour lui donner à boire...
- Ils étaient nombreux, y en avaient qui avaient la foutre de mordre !     
A la fin, chez Lauthier, j'avais plus de cheval quand ils ont vendu la propriété. Et j'avais mes vignes aussi. Du coup j'allais tailler chez Ferry, à forfait. Quand l'héritier a vendu la propriété je me suis trouvé sans cheval pour travailler mes vignes... Comme tant d’ouvriers agricoles c’est comme ça qu’on s’en est sortis.  Et lui, au lieu de me payer, en échange il me passait le rotavator aux vignes. Comme je mettais de l'engrais tous les ans, une petite dose mais tous les ans. et bien je faisais 100 à l'hectare, même plus. J'en portais 90 à la coopérative qu'on pouvait pas davantage. Et le surplus, je le vendais, ça me payait l'engrais et les produits. J'ai fait ça jusqu'à la retraite... »

(1) synonyme de aubère, gris-roux. Voir aussi https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2016/08/le-cheval-pechard-de-louis-fleury-daude.html
(2) le paturon ? entre le boulet et la couronne ?  

photos autorisées commons wikimedia : 
2. trait breton à Landivisiau auteur Daniel Vaulot (après la guerre papé aussi était allé en acheter un en Bretagne !). 
3. trait breton aubère de profil auteur Tsaag Valren. 

mercredi 28 septembre 2016

LOUIS, FILS D’IMMIGRÉS (IV) / «... Ils ne savaient ni lire ni écrire ! ça les a sauvés ! » / Fleury en Languedoc.

Nous devions parler des chevaux de trait, ces compagnons indispensables au travail de nos vignerons et viticulteurs. Mais Louis conduit son propos comme il dirigeait ses chevaux. Il tient à réviser son passé, en prenant le temps nécessaire pour revenir, par touches successives, sur le siècle qui s’est égrené. Avec l’Aude en toile de fond, dans la plaine et dans les Corbières, il prend soin d’éclairer toute une époque de son regard particulier de fils d’immigré.   

«... Mes parents sont venus d’Espagne, du village de San-Mateu, province de Valencia. Ils sont arrivés en 29, moi je suis né en 30. Pour mon père, ce n’était pas la première fois  : il avait déjà un frère ici qui l’a fait venir. Il s’est installé à Paraza. On est trois frères, deux nés à Paraza, l’autre à Durban. 
Mes parents parlaient toujours valencian, c’est un peu comme le catalan. A Barcelone on entend beaucoup parler valencian. J’avais une cousine là-bas mais on ne se téléphonait pas souvent, que moi je parlais espagnol et elle valencian. Et le valencian, je l’avais perdu complètement. D’ailleurs mes parents parlaient une langue, c’était tout barejat entre le français, le patois, le valencian. Je les ai amenés une fois à San-Mateu. Il y a des anciens qui doivent se rappeler de moi, que j’avais un chien qui marchait debout. Je leur ai appris à tous mes chiens. Ils avaient une coutume là-bas, le matin à jeûn, c’était d’aller au café prendre la "barèje", en espagnol ou en valencian, c’était un peu de café et de la gnole mélangés. Je suis arrivé, j’ai fait marcher le chien jusqu’au bar, je les ai époustouflés. Mon père, on lui a demandé d’aller à la guerre. Mais qu’il leur a dit : 
« Si je m’engage dans l’armée française, qui va s’occuper de mes gosses ? Et si je viens à être tué ?
- Et bien, comme vous êtes engagé volontaire vous n’aurez rien du tout.
- Ah puisque c’est comme ça !.. »  


Mais au village, quand les vendanges sont arrivées, (mon père il était ramonet, il avait le logement et quand ça a été le moment d’aller vendanger, tu connais Paraza, il faut passer le pont sur le canal pour aller en bas dans les vignes. Il faut passer le canal ; la charrette était prête. Un ami qu’il avait lui a dit 
"Si tu passes là-bas ils vont te foutre, la charrette, le cheval et toi, dans le canal. Ils t’attendent !" 
Il a pris la femme, les deux gosses et le peu qu’ils avaient sur la charrette ; il est parti du village en catastrophe ; il sont allés à Canet. De Canet il est allé à une campagne. On est restés quelques mois et quand est arrivé l’hiver, il y avait un petit patron de Durban qui cherchait un espagnol pour travailler la propriété, parce qu’il était mobilisé. 

On a crevé la faim à Durban, que c’était la guerre ; on y est restés deux ou trois ans. 41, 42, 43. J’en ai des anecdotes... peut-être pour une autre fois...
Et alors tu vas voir. A Durban, du temps qu’il y était mon père était au syndicat, à la CGT et on disait que c’étaient des communistes. Un type de Paraza est venu un soir après souper à bicyclette et il lui a dit, "Écoute Isidore, (il s’appelait comme ça mon père), les Allemands ils ont passé la ligne de démarcation et ils font la chasse aux communistes et ils les foutent tous dans des camps de concentration et on nous a dit que tous ceux qui étaient au syndicat on va les foutre au camp de concentration. Alors je vais t’enseigner quelque chose que peut-être tu peux t’échapper de ça. On dit que tu étais révolutionnaire. Justement, en ce moment, il y a ceux qui étaient avec les Allemands, la gestapo et aussi un patron de Maisons, chef de la milice qui cherche quelqu’un pour travailler. Et il trouve personne. Si tu te fais connaître, lui il te parera peut-être... si tu travailles bien." 
Mon père est allé là-bas on est partis de Durban pour aller à Maisons. Les Allemands sont venus. Il y avait déjà un an, un bon moment qu’on était à Maisons. Ils ont dit au patron, le chef de la milice :
« Vous savez que vous employez un communiste ?
- Comment vous le savez que c’est un communiste ?
- Oui, on le sait. On a vu sa signature sur les papiers du syndicat...
- La signature de Sabater, c’est pas possible : mon ouvrier il ne sait ni lire ni écrire. Mon ouvrier quand je lui donne le salaire, il fait une croix ou des fois il met le doigt. »
Grâce que mon père et ma mère ils ne savaient ni lire ni écrire, ça les a sauvés ! » 

photos autorisées :
1. François Dedieu "Vendanges au Courtal Cremat" (route de Saint-Pierre-la-Mer) 1960 ? 
2. Paraza le pont sur le canal author Oyoyoy (commons wikimedia).
3. Château de Durban auteur ArnoLagrange (commons wikimedia).

mercredi 21 septembre 2016

LOUIS LA TOCANTE (III) / La roue tourne, l'heure aussi / Fleury d'Aude en Languedoc.

Il est le dernier à avoir mené un cheval à Fleury. Je me suis décidé, à force, à laisser mon golfe clair hypnotique, pour la garrigue, les vignes annonçant le village, à l’intérieur des terres. Sur une des avenues où, près d’un siècle et demi en arrière, les gagnants du grand boum de la vigne ont aligné en si peu de temps les maisons dites de maîtres, avec au moins deux fenêtres de chaque côté de l’entrée qui en impose, Louis l’ouvrier agricole a racheté un lambeau de celle qui fut peut-être la plus prospère de ces propriétés mais qui a fini vendue en morceaux.
« I a un tèms que trempo, un que destrempo » aimait dire Jeanil, le grand-père Dedieu, signifiant qu’après les jours fastes viennent les mauvais. Sagesse populaire à petite, à grande échelle, à moyen ou à long terme, que ce soit pour un individu, une famille, une communauté... La roue tourne.
Ses parents venus d’Espagne avaient, avant lui, réussi à devenir propriétaires d’une maison au village voisin.

Nous devions parler des chevaux mais Louis parle de son héritage. Il raconte :
«... Je rentre dans la maison de Salles je vois comme si c’était du son, je m’appuie à la poutre et boum une bonne partie est tombée ! Les termites ! C’était que nous n’étions pas d’accord avec mes frères. Moi j’étais ami avec les deux mais eux étaient fâchés. On s’est quand même mis d’accord pour la traiter. Un devis était à trois millions, l’autre à quatre... à l’époque c’était en francs. Quand il a eu fini de racler, de traiter, il a dit qu’il y en avait encore là-haut et que si on ne payait pas la rallonge d’un million il ne nous signerait pas le certificat de conformité. Quand on a voulu la vendre, les plafonds arrachés, une ruine, c’était une catastrophe. Ceux qui visitaient ressortaient de suite.
On aurait pu en tirer une quarantaine de millions, c'est à peine si on en a eu vingt et au bout de trois, quatre ans. Partagés en trois, après les frais qu’elle nous a coûtés, ça faisait plus grand chose pour chacun... »

Il en parle posément, sans que cela ne l’affecte outre mesure mais non sans regretter. Visiblement, il ne met pas en regard son bien présent. C’est vrai que le jardin compte beaucoup pour lui et qu’il en oublie peut-être la grande écurie à l’entrée, la maison pour les vendangeurs et derrière celle où logea monsieur Vidal, le mécanicien attitré du temps de Gibert-Crassous, accolée qui plus est à une remise aussi vaste que haute... La roue tourne... 
Ce qui n’était qu’une cour est devenu, par ses soins, un jardin luxuriant, son moyen d’expression mais aussi le biais pour éclairer sa trajectoire, évoquer sa famille. Un fauteuil sous le datura le repose quand les prothèses des deux genoux le fatiguent à la longue. Il ouvre toujours des parenthèses qui font revivre ses parents, la condition des ouvriers espagnols dans ce qui fut le culte de la vigne. Inutile de le couper, illustrerait-il une vérité profonde que Jules Michelet louant tous ses semblables, a eu le mérite d’exprimer :
« Chaque homme est une humanité, une histoire universelle » (1) Je le laisse aller, l’interrompant juste parce qu’il manipule imprudemment un rasséguet à souquets (2).
Je ne vais pas le perturber, pourtant, sans le vouloir, en prenant garde aussi de ne pas hacher son propos, je pousse un peu à la roue, plus par intérêt que par curiosité... Les chevaux, nous en reparlerons après.
Sauf que Louis, l’a-t-il entendue sonner au clocher ou à sa tocante sans que j’y fasse attention, part dans la remise tourner sa voiture. Il est onze heures, il n’a plus une minute à perdre, il doit y aller !  
Le portail reste grand ouvert sur une nature vivante du douanier Rousseau. Un panneau joliment décoré prévient « SI VOUS AIMEZ LES FLEURS, ENTREZ ICI ! » ou quelque chose comme ça... Vous n’y entendrez pas que le langage des fleurs, sauf qu’après onze heures, attention, le jardinier reprend sa peau d'homme ordinaire !   
  
(1) Histoire de France, tome II, livre VIII, 1. Václav Havel a aussi pensé ainsi, le concernant, quelques semaines après la chute du mur de Berlin :
« Chacun de nous peut changer le monde. Même s’il n’a aucun pouvoir, même s’il n’a pas la moindre importance, chacun de nous peut changer le monde ». 
(2) la rassègue est une scie ; c’est ce qu’on rappelle aussi à ceux qui reprennent à tout bout de champ la même rengaine... le rasséguet est la petite scie portative que le poudaïre (celui qui taille la vigne) fait suivre pour conduire et anticiper la croissance harmonieuse du cep. 

Pour voir Louis (photos sous licences) : 
page 5 http://www.communefleury.fr/files/ot-fleury/files/brochures/pdf/vignoble_septembre_2015_internet_2.pdf

http://saintpierrelamer.blogs.lindependant.com/archive/2012/09/24/le-jardin-du-louis.html

https://www.google.com/search?q=Louis+sabater+fleury&client=firefox-b&tbm=isch&tbo=u&source=univ&sa=X&ved=0ahUKEwi4tp6AgaDPAhXpJ8AKHQwXCcQQsAQIHw&biw=1366&bih=659