jeudi 20 octobre 2016

LOUIS, LA VIGNE et LES CHEVAUX (VII) / Fleury d'Aude en Languedoc

Avec le cheval, c'était un rythme de vie particulier. Le matin, on mettait le réveil (1) comme il était là haut, dans la rue Neuve et à six heures j'allais le faire boire. A sept heures, on partait travailler.
- Dans la rue Neuve, la rue de Titin, le boulanger ?
- Non c'était l'autre...
- Celle où y avait Anna la polonaise, mariée Roca, et là je me souviens, quand j'étais gosse que deux pauvres chevaux sont morts asphyxiés... ça m'avait choqué ça...
- Oui les chevaux étaient de Pesqui. Il avait l’écurie... maintenant c’est tout de Brun la moitié de la rue... Le ramonet il fumait tout le temps...
- André Pesqui ?
- Oui, André Pesqui... les chevaux quand ils se sont asphyxiés, le ramonet comme il fumait, ils avaient soufré et les restes du soufre qu'ils n'avaient pas employé, ils l'avaient mis à côté du portail et il a laissé le mégot sur le sac de soufre et il est parti : il a oublié qu’il avait laissé le mégot. ça a asphyxié les chevaux, ça n’avait pas foutu le feu, le soufre s’était consumé sans faire de flamme.
- Je m’en souviens, ça m’avait choqué... Sinon, le matin, avec le cheval...
- On faisait boire le cheval, grâce au réveil il avait déjà mangé le foin. Ensuite du temps qu’il mangeait l’avoine, un fortifiant en quelque sorte, on l’étrille, on le nettoie, on lui passe le collier. Nous partons tout le temps avec la jardinière, la charrue est dedans, le brancard dessous. Oh moi j’ai eu travaillé, j’y ai pensé quand le cheval il m’avait foutu un coup de pied qu’il a failli me tuer, j’ai eu travaillé en attelage libre que ça s’appelle. il y a deux fourreaux, un de chaque côté à peu près de la longueur du cheval, on les accroche au collier, une courroie s’attache sur le dos. Le cheval il est libre et si tu en as un qui fait le con, pour le tenir eh, bonsoir...
- Quand vous dites ça des chevaux dangereux, je pense au pauvre Rouaret...
-  Tout le monde des anciens s’est demandé comment c’est arrivé parce qu’il avait un cheval, quand il allait à Joie... il avait une vigne à Joie et de temps en temps je le voyais passer. Moi je mettais une heure pour aller à Joie et lui, une heure et demie ! Tu t’en rappelles pas de ce cheval ? Il marchait tout le temps plan, plan, plan, plan et tu pouvais lui dire ce que tu veux il marchait, marchabo coumo uno vaco (il marchait comme une vache) ! Et bé, il l’a tué ! Pour moi, il était au museau, il le tenait souvent par la bride alors il a dû vouloir le battre pour une raison ou une autre, on ne sait pas, ce cheval il s’est cabré, il l’a fait tomber et puis il s’est emballé, le cheval, et il lui est passé dessus...
- Moi, j’ai l’arrière-grand-père qui est mort comme ça, à la Montée des Cabanes...
- A la Pagèze ?
- Non, non, la montée de Bouisset... mais c’était en 1915... »  
     
De toutes les dépendances donnant sur le jardin extraordinaire de Louis, l’ancienne écurie où les hirondelles nichaient encore il y a peu, témoigne  toujours de cette époque où le nombre de chevaux donnait une idée de la grandeur de la propriété, ici, celle de Gibert à Fleury. Au dessus de quatre stalles figurent les noms des chevaux : Mignon, Coquet, Rip et Franco... des noms qui en auraient encore, des histoires à raconter... loin des images idéalisées et trop belles pour être vraies, de l'amitié entre le viticulteur et son compagnon de travail, le cheval de trait.  

(1) Louis veut parler du réveil à l’étage qu’on montait pour le cheval ! Non pas pour le réveiller mais pour que le déjeuner lui tombât automatiquement une paire d’heures avant la journée de travail sans que l’homme n’ait à se lever pour autant. Le réveil était installé dans une boîte accrochée au mur. A l’heure dite, une ficelle autour de la clé de la sonnerie se déroulait, libérant une trappe à claire-voie et la ration de fourrage aboutissait dans le râtelier. Dernièrement, José qui vient de prendre la retraite et qui a la remise dans la rue de mes parents, m’a invité à monter au palier pour voir le système ingénieux de l’époque de sa grand-mère maternelle. De quand date cette distribution automatique ?  

 photos autorisées commons wikimedia : 
1. Labour à St-Georges d'Orques carte postale ancienne. 
2. Peyriac-Minervois carte postale ancienne.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire