C’est loin et pas si loin que ça, finalement, pour ceux qui voyagent
dans leur tête, pour ceux qui croient aux signes, pour ceux dont le cœur
bat plus vite, qui restent convaincus que chaque vie, loin d’aller
son cours de fleuve tranquille, reste une aventure, une
succession de surprises, pour le moins, mi-figue mi-raisin (1). Le raisin justement, ce fruit mythique qui attirait sur nous les faveurs de Dyonisos et Bacchus, divinités que nous célébrions, sans le savoir presque, chaque année, pour des vendanges exclusives qui emplissaient tout notre univers villageois. Pour le célébrer, permettez que nous passions par l'Alsace qu'un natif du vignoble, quelle que soit sa latitude, ne peut qu'aimer, charmé à jamais par le vert magique des vignes qui... voyagent.
L’Alsace,
justement, une terre attachante, particulière mais si semblable : toujours la diversité dans un destin partagé, comme pour
n’importe quelle autre région française, comme les pays dans le concert
mondial. Pour un enfant du Sud, voilà un demi-siècle, cette plaine entre Vosges et Forêt-Noire, un enchantement ; ces vaches, ces
champs de maïs, ces cigognes sur les maisons à colombages, quel ravissement ! La senteur des bouses après celle du crottin ! Et le vignoble sur les coteaux pour ne rien gâcher, ce vert unique des pampres donnant aussitôt son éclat au paysage !
L’Alsace, c’est aussi notre cousin Jojo, plus que jamais dans nos cœurs,
lors de son service militaire à Bühl, juste sur l’autre rive du Rhin,
si impressionné, en chasseur passionné qu'il était, par les escadrilles de faisans
et les lièvres en campagne ! Un rêve pour nos nemrods inquiets d’un
gibier toujours moins présent sur nos terres moins grasses...
Alsace Cleebourg et son vignoble en automne auteur Lamoi |
Enfin, si l’Alsace s'impose à mon esprit, c'est qu'elle a su me
transporter un jour vers les vignes de Fleury comme dans une machine à
remonter le temps. Si, si, même que la tête m’en a tourné avec
l’estomac tout retourné, comme mon pauvre cousin Jacky, quand les avions,
pour la fête du village, le 11 novembre, tournaient au Ramonétage, sur l’aire de la Batteuse
(2) !
L'Alsace me rattrapa alors que j’étais à la Réunion, un comble pour un Languedocien ! J'étais donc au milieu des cannes à sucre,
en train de boire un jus de raisin. Un jus ? puis-je en parler aussi banalement quand sur mes lèvres, passa la quintessence de mon pays perdu !
Un jus peut-être, une potion, un élixir sûrement, tel le long baiser des contes qui libère des maléfices de la
sorcière...
Des babines au palais me revenait le goût de la
grappe à peine pressée dans la comporte, au moment de charger le
chariot, quand un trop-plein de moût, vineux, tiède, mousseux, menace de
verser, et ce bonheur grandissant m’emballait malgré moi. Au-delà, mais
sans vouloir attenter à la magie de cette jouissance béate, les yeux
clos comme pour garder malgré tout la sublimation dyonisiaque sur les
papilles, je me suis vite persuadé que ce bouquet portait la signature
unique d'un cépage reconnu entre tous, le Carignan. Troublé par ce
signe du destin et sans trop savoir si une bise (3) n’était pas en train
de me griffer l’âme, voici ce que je notai le 10 mars 2002, presque mot pour mot :
« …
Il y avait aussi du raisin à 23 F /kg mais comme il ne restait que des
fonds de cagettes, je me suis consolé avec un jus de raisin “Vergers
d’Alsace” à base de pur concentré de fruit. A ma grande surprise, la
première gorgée me plongea loin dans des émotions enfouies. Je reconnus
le Carignan avant de vérifier l’étiquette qui mentionnait aussi
l’Aramon, autant de raisins du Sud qui ne doivent pas grand-chose à
l’Alsace et qui ont dû voyager. Je me suis mis à en boire un demi-litre à la fois, en fermant
les yeux, tant je restais persuadé que le goût des vendanges et des moûts de mon enfance
m’était rendu. »
La potion, serait-ce une illusion, n'a rien perdu de sa force.
A-t-elle bien fermenté pour devenir adulte ?
A-t-elle bien vieilli ?
Ma fausse modestie vous laisse le soin de la réponse. Toujours sectaire et intolérant quand il faut défendre mon vin de toujours, je déchire les affiches de ces imbéciles prétendûment contre l'alcoolisme, illustrant leur croisade avec un ballon de rouge et non ces alcools forts, dorés ou verts, titrant trois fois plus, avec ou sans glaçons ! Contre les extrémistes, soyons extrêmes !
Même le chef des douanes de Mayotte s'est laissé convaincre lorsque, me demandant des comptes sur ma réserve de 300 bouteilles (1994), il s'est entendu dire de manière complètement improvisée "C'est le sang de mon pays !". Après coup, si je me suis fait l'effet d'un comédien baratineur, avec le recul, j'assume, je revendique. Pour tout dire, je me vante presque de cette victoire or le gabelou chef s'appelait Cabrol... un patronyme certainement en accord avec nos valeurs sudistes !
grappe de carignan |
Grappe d'aramon |
La potion, serait-ce une illusion, n'a rien perdu de sa force.
A-t-elle bien fermenté pour devenir adulte ?
A-t-elle bien vieilli ?
Ma fausse modestie vous laisse le soin de la réponse. Toujours sectaire et intolérant quand il faut défendre mon vin de toujours, je déchire les affiches de ces imbéciles prétendûment contre l'alcoolisme, illustrant leur croisade avec un ballon de rouge et non ces alcools forts, dorés ou verts, titrant trois fois plus, avec ou sans glaçons ! Contre les extrémistes, soyons extrêmes !
Même le chef des douanes de Mayotte s'est laissé convaincre lorsque, me demandant des comptes sur ma réserve de 300 bouteilles (1994), il s'est entendu dire de manière complètement improvisée "C'est le sang de mon pays !". Après coup, si je me suis fait l'effet d'un comédien baratineur, avec le recul, j'assume, je revendique. Pour tout dire, je me vante presque de cette victoire or le gabelou chef s'appelait Cabrol... un patronyme certainement en accord avec nos valeurs sudistes !
(1) encore un qui parle ponchut pour imposer une telle ânerie ! La
figue, le raisin poussent dans le Sud et sont à ma connaissance deux
très bons fruits déclinés dans de nombreuses variétés. A la place, je
dirai « mi-endive mi-betterave » pour un sentiment entre plaisir et
contrariété, même si les chicons d’aujourd’hui ont beaucoup perdu de
leur amertume.
(2) pour la fête du village, quand il a dit qu'il était malade, je n'ai pas arrêté de le secouer en montées et descentes brusques au point de le faire vomir sur les badauds en bas !
(3) Un sarment.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire