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lundi 2 juin 2025

Les BŒUFS de TRAVAIL, lo BESTIAL de TIRA (3)

À la Saint-Roch, proprets, harnachés, avec des fleurs sur le joug et les moscalhs neufs (pare-mouches, émouchettes), non sans fierté, le métayer mène une paire de bœufs pour la bénédiction religieuse à l'église du village. 

Attelage_de_bœufs_de_trait 2020 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Auteur Zewan
 

Il faut bien convenir que ce sentiment aimant reste confronté à la réalité économique de production. Ce qu'il faut fatalement considérer en tant que filière comprend les éleveurs ou fermiers puis les maquignons, l'agriculteur se trouvant donc être en tenant ou aboutissant de la chaîne. 
Quelques éléments au titre de cette prise en compte matérialiste froide, impitoyable même si des moments conviviaux (mais ce n'est qu'une vision humaine de la chose) restent liés aux transactions. Tous veulent des bœufs homogènes, dociles, calmes, beaux. Avant la possibilité des bétaillères (camions ou remorques) quand ce n'est pas chez un fermier vendeur, les maquignons partent en voiture à Salies du Salat, Mirepoix, sinon dans l'Aveyron pour accompagner à pied le retour des bêtes (4). 
On change régulièrement les bœufs par paires auprès des maquignons d'Avignonet sinon on essaie de les vendre (inquiétude sur leur santé ou souffrants). Alors que les bœufs sont capables de travailler entre leur cinquième et dixième année, parfois douze, par souci de productivité brute, ils peuvent être engraissés et vendus dès l'âge de six ans. L'abattage se fait de préférence avant l'hiver pour ne plus avoir à les nourrir au fourrage, et aussi à les panser, les faire boire, racler les salissures sur leur robe, évacuer les bouses à la brouette, et tout ce qui incombe à leur entretien... 

Chez Émile, métayer puis propriétaire à Airoux de 1953 à 1989 et grâce aux carnets régulièrement à jour sur la conduite de la borde, trame de fond des romans de Sébastien Saffon, nous apprenons l'achat en juin 1956, d'un « bestial de tira » de deux bœufs. Malheureusement, six jours après, il s'avère qu'ils sont tuberculeux : le maquignon les remplacera en juillet. 
Émile et son propriétaire hésiteront une paire d'années avant de se mettre au tracteur pour une vie moins dure, moins d'efforts, plus d'efficacité mais tant de regrets aussi devant une machine inerte, immobile et sans vie. Émile a gardé une paire sur les trois, pour les bords, les passages étroits, les penchants. Seule la vente des bêtes a permis l'achat du tracteur d'occasion. Ils ont été vendus le 10 janvier 1958 pour un montant de 550.000 francs, l'équivalent de 11.500 euros de 2024.  

« Je me souviens du jour où ils sont partis. Le camion était garé dans la cour, là, devant la maison, et ils sont montés lentement à l'intérieur... » Émile. 

Paul Sibra Attelage_de_bœufs. Détail. 

 
 
Paul Sibra, Attelage_de_bœufs. À propos de ce peintre, voir les articles dont il fait l'objet... Si sa notoriété lui a valu de devoir payer en tant que pétainiste, c'est loin de l'abjection émanant d'un Louis-Ferdinand Destouches... 


(4) le prix dépend de l'âge, des défauts éventuels tel le vessigon, tumeur synoviale causée principalement par des efforts prolongés et pouvant mener à l'incapacité. Ces indications figurent aussi dans l'inventaire des fermes.  

Avril 1968. Montagagne (Ariège).


Avril 1968. Devant l'école sans plus d'enfants de Montagagne (Ariège). 

Remerciements particuliers aux Carnets d'Émile de même qu'aux témoignages d'Aimé Boyer rapportés aussi par Sébastien Saffon). Remerciements à Nelly Abuzzo-Engi pour son blog « Couleur Lauragais ». 

Merci papa pour tes diapos de 1968 à Montagagne.  


jeudi 15 mai 2025

La MONTAGNE NOIRE, André DAVID (3 et fin)

André David, tout comme son père Léo David, sont de Saint-Germain-de-Marencennes5, en Charente-Maritime. De venir trois étés de suite sur les traces d'André relève donc du pèlerinage, du voyage consacré à la mémoire de l'enfant, du fils perdu... 

« Vois-tu, je sais que tu m'attends [...] Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. » 

« Demain dès l'aube », « Les Contemplations » 1856, Victor Hugo. 

Emmanuel_de_Martonne Photo antérieure à 1929. Domaine public. Čeština  byl francouzský geograf :  l'Europe Centrale est concernée par les frontières qu'il a contribué à tracer.  Auteur anonyme

Nous livrant à bien des prolongements, le livre sur la Montagne Noire est préfacé par Emmanuel de Martonne (1873-1955), professeur à la Sorbonne, éminent géographe et traceur de frontières. Loin de mettre en avant la technicité géographique brute du sujet entrepris, cette préface s’attache avant tout à la conjoncture humaine qui a tant su nous toucher. De Martonne nous apprend d’emblée qu’une balle allemande a abattu « un des espoirs les plus sûrs de l’école géographique française ». Il connaît personnellement André David, pour reprendre ses mots, plutôt frêle mais d’une bonne résistance physique, timide mais concentré, d’une puissance de travail remarquable, hardi dans ses idées et la verve de ses propos.  

Admis à l’École Normale Supérieure en 1912, à peine un an plus tard, son travail sur la Montagne Noire stupéfie ses éminents superviseurs au point de presque lui conseiller de garder cette production de débutant sous le coude, comme thèse de doctorat. Visiblement ému par ce destin hors normes, l’universitaire accompagne la publication du livre de sa chaleureuse humanité ; il nous confie que deux camarades qui l’aimaient avaient promis de finaliser les chapitres à peine ébauchés… Le premier s’écrasa avec son avion en Macédoine, le second, blessé à maintes reprises, finit aussi par mourir sur le front. Alors ce fut Mademoiselle Marre, amie d’enfance d’André et professeur au Puy qui s’est chargée des passages et même des chapitres incomplets. 

Page de titre.

La Société d’Études Scientifiques de l’Aude a bien voulu concrétiser tous ces efforts conjugués ; son imprimeur attitré, Bonnafous6, 50 rue de la Mairie à Carcassonne, a assumé le tirage du livre.

Ô armoire « ...du vieux temps, tu sais bien des histoires, […] Quand s’ouvrent lentement tes grandes portes noires » (Le Buffet, Arthur Rimbaud) sur les livres couverts de bleu aux belles étiquettes… la 102 pour André David et la Montagne Noire, la 113, sobrement intitulée « Poésies », toutes de Rimbaud… 

Au milieu, ces exemplaires blancs dépareillent, d'où la fausse bonne idée de les ranger par côté et ce, à cause du crochet de fermeture du battant gauche de l'armoire. 

Et si mon père habite toujours la maison de vie d’où j’écris, en ouvrant l’armoire aux livres, comme Nougaro, j’entends plus fort encore « la voix de papa ».

Suite à ce long avant-propos, suite au recueillement, ne perdons pas de vue l'intérêt initial pour notre Montagne Noire jusque là abordée aussi fortuitement que légèrement, suite à une “ leste motivation ”, disons, fomentée par la trouvaille fortuite d’un article de la revue Folklore « Les filles du Poumaïrol ». 

Depuis_le_pic_de_Nore, vue sur la plaine audoise 2018 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license Auteur Lucas Destrem. Là où nous croyons tout voir, la vue globale fait heureusement l'impasse sur les vallées encaissées et un plateau de vie cachée comme Le Poumaïrol... 


5 Dans Wikipédia notamment, je ne comprends pas l’absence d’entrées  pour André et Téo David, et qui plus est sur la page de Saint-Germain-de-Marencennes, leur village natal pourtant. Personne, à ce jour, ne s’est chargé d’honorer leurs mémoires… 

Saint-Germain-de-Marencennes se situe à près de 500 kilomètres de la Montagne Noire. 

6 Imprimerie fondée en 1776, mise en liquidation en 2011 suite au décès brutal de Georges Bonnafous 59 ans ; six employés au chômage.  

jeudi 27 mars 2025

Plus compliqué que SAUCISSE et JAMBON (5 et fin).

 Et mon père alors, qui me porte, moi qui suis dans sa maison ? 

Papa, tu es beau ! 


* François Dedieu (1922-2017), professeur de français, de russe, passionné de langues, de mots... (debout, bras tendus, les classeurs empilés de notre correspondance remontent du milieu des cuisses jusqu'au menton). Des lettres et courriels, dans l'acceptation de l'absence physique, plus apaisés que le geste si fort au moment de la séparation pour des mois, à des milliers de kilomètres, qui nous voyait serrés dans les bras l'un de l'autre, dans un « Au revoir papa ! » disant « Je t'aime ! » sans le prononcer. Et merci de m'aimer moi, l'enfant difficile, l'adolescent à problèmes que je fus, si souvent sur la corde raide. Ce qui est sûr est qu'après avoir longtemps imputé mes refus et rejets aux autres, en premier à mon père, j'ai mis très longtemps à reconnaître mes torts. J'ai été un sale gosse... voilà ce qui doit être dit en premier plutôt que de mettre en avant des circonstances “ minimisantes ”... Certains bons côtés auraient-ils quelque peu compensé, à la longue ? Redevant à mon père l'amour des langues, des livres, des mots, par un stratagème qu'il a feint d'ignorer, par le biais de souvenirs que l'âge se permet d'ouvrir, ne serait-ce que pour nos descendants, j'ai osé entreprendre la publication de nos vies pour ce qui les lient au village. Papa a si bien répondu et prolongé que force était de reconnaître qu'un deuxième tome s'écrivait en miroir, un diptyque donc avec « CABOUJOLETTE, Pages de Vie à Fleury-d'Aude II » le concernant, lui, pour un vécu plus loin dans le temps. Resté admiratif et peu critique de la matrice parisienne, avec les années, il n'en est pas moins revenu à reconnaître en lui l'attache vitale au languedocien, variante de l'occitan exclusivement pratiquée entre ses parents bien que bilingues appliqués, exigeants en orthographe, grammaire, conjugaison, bien français et pourtant binationaux qui s'ignorent. 

Tout passe, tout s'efface sauf si on s'efforce à repenser, à recréer, à revivre, à rechercher. Au delà de cette « Festa dal porc » que je retrouve bien qu'oubliée de moi, papa précise « seguida » (1), de la présentation du « Vin Bourru » qu'il me fit, je ressens fort la dette fructueuse que doit chaque fils au père qui continue de le porter (2) (penser l'inverse est une erreur, une vanité n'ayant pas lieu d'être).   

Plus légèrement, en conclusion, à propos de cochon, une des rares choses sympa chez les Parigots, Gabin et Bourvil fourguant du porc au noir dans « La Traversée de Paris », un film d'Autant-Lara, (1956) et encore... d'après une nouvelle de Marcel Aymé (1902-1967), il est vrai “ agent double ” dans la capitale malgré son attachement d'origine à la Franche-Comté...  

(1) terme peut-être local, non trouvé ailleurs, Mistral dans Lou Tresor dau Felibrige notant seulement « tua lou porc », tuer le porc. 

Côté terre, l'étang de la chasse aux canards, entre nous, une petite Camargue magnifique offerte par l'Aude, le fleuve, modeste au point de ne pas se prévaloir de son delta, le fleuve qu'on dit rivière tant il nous est familier... 
 

(2) Guy, professeur d'occitan, portant à bout de bras, chaque mois, une quarantaine d'élèves plus chenus que vermeils, apporte qui il est en plus du cours de langue. La fois dernière, il raconte la double trace de pas laissée dans le sable, au retour bien chargé d'une nuit jadis au canard (les appelants, le matériel avant tout...) ; s'ouvrant à son père, compagnon de chasse, d'un rêve en période triste, étrange et marquant, d'une seule trace de pas derrière eux, il reçut cette réponse aussi spontanée qu'éclairante « Ès ieu que te portavi... », « C'est moi qui te portais... ». 

mardi 25 mars 2025

La « TUE-COCHON » à Fleury et à Colombières (3)

 (suite du travail de charcutailles à Fleury-d'Aude).  

Hachoir_à_viande_pour_saucisses_-_Purullena 2015 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Auteur Dfbdfbg6543654

... puis, avant de recevoir la « machine » commandée à la Manufacture Française d’Armes et Cycles de Saint-Etienne (on ne disait pas encore « Manufrance » ou a fortiori « la Manu ») et destinée à faire la saucisse de façon plus commode et plus rapide, c’étaient les doigts de l’imposante Léonie qui poussaient la viande hachée jugée à point, à l’aide d’un entonnoir spécial sur l’embout duquel se pressait le rouleau d’un boyau humide bien propre, et nous voyions émerveillés la belle saucisse se former au bout et occuper plus tard une place de choix sur la table de nos cochonnailles annuelles.

Que dire encore ? Cette grande affaire durait évidemment plusieurs jours ; Léonie était naturellement des nôtres à la table familiale où nous savourions les premiers fritons et quelques belles côtes de porc sauvées de la tourmente et qu’appréciaient seulement les adultes. Les caisses destinées au salage des jambons avaient été préparées et pourvues d’une quantité de sel impressionnante pour nous, puis placées dans un coin d’une chambre du premier étage, vide et réservée en particulier à cet usage. Les beaux jambons y étaient déposés avec tout le soin requis, disparaissaient sous le sel, pour fournir des mois plus tard ces délicieuses tranches qui agrémentaient nos repas. J’appris beaucoup plus tard que cette préparation du jambon était bien originaire de notre pays, et que déjà les Gaulois, grands amateurs de cochon, savaient bien les élever et avaient acquis une grande renommée dans l’art de saler et aussi de fumer et préparer les diverses pièces du porc. Nous étions donc de dignes descendants.

Entre nous soit dit, la place réservée aux « caisses des jambons » n’était sans doute pas idéale : la saumure résultant du salage avait fini par traverser le bois des caisses et d’abîmer un peu notre plafond de la cuisine, située justement sous la chambre en question… »

CABOUJOLETTE, Pages de Vie à Fleury à Fleury-d’Aude II, 2008, François Dedieu.

Chez Jean-Claude Carrière, les femmes vont laver les tripes à un ruisseau qui, à l’époque de l’écriture du livre, ne coulait plus. Les enfants tournent la manivelle du hachoir à viande. L’auteur ne donne pas ensuite le détail de la confection des cochonnailles ajoutant seulement que viandes et graisses sont mises à cuire. 

Pris par le petit bout de la lorgnette, pourtant si important, suivant les circonstances, dans l'économie ménagère des familles, l'engraissement du cochon. Suite à une modeste recherche, nous avons retrouvé ce “ plus petit commun diviseur ” avec : 

* Arnaud Daguin (1935-2019) chef étoilé du Sud-Ouest et du Pays Basque s'indignant de l'élevage industriel. 

* Madame Tricoire, institutrice à Lavelanet, par son témoignage repris dans la revue Folklore (décembre 1941). 

* Mon oncle Stanislav (Tchécoslovaquie puis Tchéquie) dans son système D de débrouille autarcique face aux ratés, insuffisances et défaillances de la gouvernance communiste. 

* Robert Reverdy (1908-1999), de Pouzols-Minervois et son cousinage en marge des Hautes Corbières, à Laval (route du col frontière historique de Saint-Louis), vers Quillan de la haute vallée de l'Aude, lui valant un poème des plus réussis. 

* Les montagnards de Sorgeat au-dessus d'Ax-les-Thermes. 

* En Périgord, l'Albine, le personnage porteur de savoirs et de toute une culture rurale, de Fernand Dupuy (1917-1999) marquant de sa présence en compagnie d'Henri Vincenot (1912-1985), « APOSTROPHES », l'émission culte de Bernard Pivot (1935-2024). 



* Jean-Claude Carrière (1931-2021) d'un cosmopolitisme brillant au cinéma, au théâtre, en littérature, jusqu'à sa vie privée, ce qui n'a pas empêché son attachement viscéral à Colombières-sur-Orb, le village de naissance. Resté fidèle à son Sud, ne lésinant pas sur le temps donné aux autres notamment lors de la Mirondela dels Arts (peut-être aussi Les Estivales de l'Illustre Théâtre), il a gardé le bon accent de chez lui. Cette fidélité il en témoigne par son bilinguisme occitan-français et le soin apporté à son ouvrage  « LE VIN BOURRU » dont le riche chapitre sur les mots occitans francisés. De sa part, quatre ans après qu'il est parti, je reste toujours aussi ému de cette reconnaissance à l'égard des racines languedociennes qui nous unissent, de ce qu'il a été et qu'il représente. Carrière aussi a écrit un long paragraphe sur « Le sacrifice du cochon ». 

Pour ceux qui restent curieux de mes hommages, états d'âme et bavardages :  

Partager le Voyage: « ... ENFANT, J’ETAIS BILINGUE, OCCITAN-FRANCAIS… » / En bas des châtaigniers, la vallée des cerisiers.

Partager le Voyage: J'AIME ce qu'ils ont dit des VENDANGES / 2. Jean-Claude Carrière.

Partager le Voyage: JEAN-CLAUDE CARRIERE... il nous a tant aimés...

Partager le Voyage: JEAN-CLAUDE, il faut que je te dise... / A J-C Carrière, 1ère partie 

(à suivre)


 


lundi 24 mars 2025

La « TUE-COCHON » chez CARRIÈRE et DEDIEU (2)

Colombières-sur-Orb_St-Pierre 2007 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license Auteur Fagairolles 34

Et à Colombières, au pied des Cévennes, dans Le VIN BOURRU, 2000, Plon, Jean-Claude Carrière raconte que la veille le cochon sait qu’il va mourir. Entend-il les préparatifs ? Après une mauvaise nuit à grogner, à crier parfois, il recule et hurle dans son réduit, avant qu’on ne le touche. Armand Cazals, le grand-oncle de Tarassac « ...fort, jovial, un peu rouge… » doué pour découper, est sollicité par son entourage pour l’abattage. Après un verre de vin blanc, en tablier, son matériel à portée, il demande que la bête lui soit amenée. Les hommes la tirent par ses pattes attachées. On le tient fermement tandis que l’oncle cherche le bon endroit où planter son couteau. Une femme récupère le sang qui jaillit et empêche qu’il ne coagule. Les hurlements de l’animal faiblissent, les sursauts se calment ; instant de calme dans l’assistance, sans regret mais comme pour respecter cette fin de vie, ce sacrifice. Ensuite il faut verser l’eau très chaude pour ébouillanter et racler les soies avant que l’oncle Armand ne joue de ses couteaux «… comme les ogres dans les contes de fées… ». Allongée sur le ventre, la carcasse « qui fait la prière » (1) se voit découpée dans la longueur du dos. Un repas « le plus gros de l’année » avec le sanquet et la tindello (2) précède une longue après-midi de travail jusqu’à la nuit tombée. (synthèse tirée du livre Le Vin Bourru, 2000, Plon, Jean-Claude Carrière). 

Jean-Claude_Carrière_2016 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 Generic license Author Fryta 73

(1) Luis Buñuel, le cinéaste avec qui il a souvent collaboré, lui confirma qu’ils faisaient et disaient de même dans la province de Teruel.

(2) Sanquet, sanqueto : “ omelette ” du sang du cochon. La tindello : tranche de lard ou de viande. 

Fleury avant Noël. 

Et à Fleury-d’Aude, le témoignage encore de François, père de François fils, notre pêcheur de tenilles (à l'image d'Olivier, l'alter ego, témoin, commutateur commode pour une narration autobiographique évitant le “ JE ”, non haïssable en soi mais incommodant justement) : 

«… Je me souviens que Léonie nous préparait aussi « la saumo (3) », sorte de gros galabart dit parfois « boudin du Sud-Ouest », et qui permettait d’utiliser à bon escient un gros boyau. Le boudin était alors cuit longuement dans un gros chaudron placé sur son fort trépied dans l’antique et pour nous immense cheminée où flambait un feu nourri. Les deux tables de la maison avaient été mises côte à côte pour la circonstance, les nappes blanches étaient de rigueur et disparaissaient presque entièrement sous cette quantité impressionnante de victuailles. Nous nous faisions rappeler à l’ordre de temps à autre, pour gêner un peu le travail des grandes personnes si important pour la famille, et nous dévorions des yeux toute cette « fête du cochon » qui était pour nous un divertissement prisé.

Je vois encore sur le gril, près du chaudron aux boudins, les échantillons de viande hachée, salée et poivrée, placés sur une petite plaque de métal « pour goûter » afin de juger l’assaisonnement [...] (à suivre)

(3) étrange cette dénomination, la saumo désignant l'ânesse en occitan. 

Papa. 


samedi 22 mars 2025

La “ TUE-COCHON”, Jean-Claude CARRIÈRE et François DEDIEU (1)

La relecture et correction d'un projet « Un Languedoc Fleur d'Amandier » m'amènent à compléter dans la rubrique « Pauro bestio », pauvre bête à propos du cochon tué pour apporter aux humains. Jean-Claude Carrière puis mon père sont mis à contribution pour apporter un complément au sujet. 

Jean-Claude_Carrière_à_la_BNF 2008 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported2.5 Generic2.0 Generic and 1.0 Generic license.Auteur Roman Bonnefoy

À Colombières, au pied du Caroux dont on voit la dent de chez nous, Jean-Claude Carrière indique que l’élevage du cochon se pratiquait avant 1940 et qu’avec la guerre, à cause des restrictions, cela fut nécessaire, les apports en viande, charcuterie et matières grasses ne pouvant mieux tomber. Les familles s’équipèrent d’une porcherie afin d’engraisser un cochon, parfois deux. Devant la maison, dans un gros chaudron de cuivre se cuisait la ration du pensionnaire : farines, châtaignes, herbes… Le cochon reste familier, reconnaissant d’être nourri, caressant même lors de ses petites sorties dans le jardin. On le soigne avec sérieux ! C’est à qui aurait la plus belle bête de plus de deux cents kilos ! 

Même en Moravie (Rép. Tchèque) Creative Commons Attribution 2.0 Générique Auteur kitmasterbloke.

À propos d'embonpoint, une lettre (janvier 1949) de la grand-tante de François fils, Céline (1903-1988) :

« […] Chez Paule on a tué hier le deuxième porc, le premier pesait 180 K et celui d’hier 225 K. Quant à nous qui en avons un mais plus jeune, il se fait joli et doit peser dans les 150 K nous le saignerons le mois prochain d’ici là il fera quelques kilos de plus… » 

« La fèsta dal porc (seguida).

Tout jeunes, nous n’étions pas autorisés à voir saigner par le boucher, appelé pour la circonstance, la magnifique bête qui allait fournir à toute la famille tant de vivres pour de longs mois. Plus tard, j’ai imaginé le cochon pendu par ses pattes de derrière à une poutre de notre cave, solidement maîtrisé par les puissantes mains de mon père et de son oncle, notre « oncle Pierre », [...] proprement saigné par le spécialiste malgré ses cris de désespoir ; le sang recueilli jusqu’à la dernière goutte dans une bassine des plus propres. Alors, le boucher-charcutier le coupait en deux dans sa longueur, et repartait, son travail terminé.

Ce n’est que quelques années plus tard que j’ai pu voir tous les détails : le cochon tué au pistolet automatique spécial qui enfonçait le crâne de l’animal et avait déjà remplacé l’antique merlin d’étourdissement de nos abattoirs de village ; l’eau très chaude versée dans l’auge impressionnante contenant le cochon devenu porc par sa mort ; la chaîne introduite sous le corps et servant à débarrasser ce dernier de ses soies ; et, une fois l’épilation terminée, le porc suspendu devant le charcutier, celui-ci coupait en deux la carcasse et pratiquait l’éviscération. Les boyaux étaient ensuite soigneusement lavés et conservés pour la fabrication de la saucisse, des saucissons et du boudin… »

CABOUJOLETTE, Pages de Vie à Fleury à Fleury-d’Aude II, 2008, François Dedieu. 

Papa




samedi 8 mars 2025

CARNAVAL (4), la paille et la poutre...

«  Et chez toi, à Fleury ? c'est pas le tout de critiquer les voisins ! » 

Bien envoyé ! Et que répondre sinon que notre village a, comme les autres, subi l'usure du temps. La vie moderne en a peu à peu distendu le lien avec l'ancrage terrien. Petit à petit, le couple humain-nature a dérivé vers la séparation de corps ; tels ces racines pathétiques qui pendouillent dans un liquide nutritif, s'ils restent sensibles, aux conditions météo, égoïsme et confort personnel obligent, à force de se vouloir hors-sol, leur ressenti se limite à pouvoir sortir, à dépenser moins pour se chauffer, à se sentir mieux. 
S'ils ne dénient pas le besoin de soleil, qu'est devenu le sens profond de la saisonnalité ? l'angoisse de décembre aux nuits toujours plus prenantes ? le réconfort ensuite, aux jours toujours plus pugnaces ? Qu'en est-il, dans un Sud pionnier et favorisé, de la liesse quand l'amandier fleurit ? Et, pour carnaval, qu'en est-il de la symbolique des signes du printemps chassant l'hiver ? Mathumones de Sardaigne, sorcières d'Alsace, fous, hommes sauvages d'Allemagne, gnomes de Bâle, ours des P.O. et Pyrénées, pas plus de compassion que de pitié pour tous ces pleureurs de la méchante saison défunte ! 

Alors à Fleury ? Au moins ne pas fanfaronner, ne pas voir la paille chez les voisins. La symbolique de carnaval en a pris un coup aussi, comme chez les copains, Néanmoins, en toute modestie, avec l'âge qui l'autorise, pourquoi ne pas rappeler ce que représentait carnaval par un passé plus ou moins éloigné ? 

Extraits de Caboujolette, Pages de vie à Fleury II, 2008, auteur François Dedieu. 

Oreillettes de Titi de Fleury qui, après les crêpes de la Chandeleur, aime suivre cette tradition de carnaval... 


De la part d'une correspondante amie qui, bien qu'émigrée, tient à la tradition...  

OREILLETTES : «... À « l’hôtel » rue de la Poste, chez « Marie de l’hôtel » la mère de Georges Bonnet chez lequel tu as vendangé une année, celle à qui des jeunes réussirent une fois, il y a bien longtemps, à chiper une grande corbeille d’oreillettes (1)... ».   

ENFANTS MASQUÉS : «... Un de ceux qui tenaient à voir le visage du quêteur masqué, avant de lui glisser une pièce, c’était, racontait papé Jean qui l’avait vu faire « chez Pierre Marty » le bourrelier, Cazanave. 
« Cal sès, tu ? Te baillarei quicon se m’enlevés lou masqué et se me ba disés ». (« Qui es-tu, toi ? Je te donnerai quelque chose si tu m’enlèves le masque et si tu me le dis. »)... ». 

BALS de CARNAVAL : «... Vendredi 6 février 1948 / A Fleury, nous préparons une cavalcade pour le 7 mars, tu seras peut-être ici si tu viens au début du mois ; Louis Robert est toujours président, il y a déjà 7 ou 8 chars inscrits, à la J.A.C.F (Jeunesse Agricole Catholique auprès des Filles) Nous en ferons un, nous voulions faire les Saintes-Maries-de-la-Mer, mais Les Cabanes le font. Peyrel en ont commencé un mais on ne sait pas ce que c’est. Dimanche 8 février c’est la cavalcade de Narbonne et le 23 celle de Coursan. Tous les dimanches nous dansons chez Robert (Prola, qui, avec Gaby, avait pris en gérance le café Billès FD) ; la samba « Maria de Baïha » fait fureur, il y a beaucoup de masques tous les dimanches, il y en a davantage qui sont des gens mariés, que des jeunes gens et jeunes filles... »  

PRÉPARATIFS : «... lors des préparatifs pour carnaval, Toumassou prend place dans un cercueil (allez savoir pour quelle mascarade encore ?). Nous sommes au premier étage et ses camarades qui viennent de fermer le couvercle plaisantent et parlent de le jeter par la fenêtre :
« Eh ! fasetz pas lous couillouns ! » « Ne faites pas les couillons » se défend une voix étouffée… ». 

(à suivre)

(1) la coutume était d'en faire des kilos en une seule fois. La cuisinière en remplissait une grande corbeille à linge en osier. Certains de ces brigands ont dû la faire parler pendant qu'un ou deux autres subtilisaient la corbeille laissée « à côte », à savoir dans la salle à manger qu'on ne chauffait pas.    



lundi 7 octobre 2024

PROVENCE RHODANIENNE, à foison ! (4) Le CHEVAL de TRAIT.

Dans le triangle Châteaurenard-Cavaillon-St-Rémy, Mollégès est un bourg rural de la plaine fertile au sud d'Avignon. Exerçant, comme toute la Provence, une attraction certaine sur les gens en vue, les célébrités, la commune fut un lieu de séjour apprécié par Jean Drucker (1941-2003), Guy Marchand (1937-2023). Plus profondément dans le passé, à côté de la puissante abbaye de moniales, des Dames de Mollégès (XIIIe. s.), le château illustre la modestie du pouvoir féodal sinon, et en cela, encore à l'instar de nombre de nos villages dont le nôtre Fleury-d'Aude, une chapelle romane du cimetière, l'église de 1864 seulement mais au clocher inspiré du mausolée romain de St-Rémy (elle remplace une construction romane démolie en 1857), soulignent la localité.  

Mollégès cheval (1) mamoue13.ekablog.fr

Moins classique, plus inattendu vu qu'il n'en existe que deux autres en Bretagne (1), à Mollégès, un monument au cheval de trait, hors région d'élevage. Est-ce dans la continuité des fêtes du village lors de la St-Éloi, marquée par une bénédiction des chevaux, les courses de charrettes garnies de rameaux (la carreto ramado... jadis célébrée à Coursan aussi...) ? Rien que de plus normal qu'un auxiliaire aussi précieux dans le travail des hommes soit célébré dans les villages de Provence et Languedoc :        

« Noun se pòu devina ço que deman preparo
E pèr qu’à l’aveni se posque saupre encaro
Lou bonur qu’a liga lis ome e lou chivau
Dins la pèiro entaia, iéu, eici, fau signa. » (2)

Charles Galtier (1913-2004), écrivain en provençal et français. 

Mollégès cheval (2) mamoue13.ekablog.fr

Traduction approximative :
Ce que demain prépare ne peut se deviner
Et pour qu’à l’avenir encore on puisse savoir
Le bonheur qui a liés les hommes et les chevaux
Dans la pierre sculpté, moi, ici, vous fais signe. 

Nous devons cette sculpture récente (1989), taillée dans un bloc de pierre du Lubéron (12 tonnes), à Camille Soccorsi (1919 Bourg-Saint-Andéol - 2007 Tarascon), sculpteur animalier local (taureaux cocardiers Clairon à Beaucaire [1963], Goya encore à Beaucaire [1984], animaux de manèges forains) mais aussi de bustes de Provençaux (Frédéric Mistral, 1959, à St-Maximin [Gard], Charloun Rieu, 1965, Paradou [Bouches-du-Rhône]. 

Callac_22 Cheval Naous._2017-10-21 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. 2018 Auteur J.C EVEN

(1) La commune de Callac en Cornouaille centre Bretagne (Côtes-d'Armor), capitale de l'épagneul breton, est connue aussi pour son haras de chevaux de trait : sur la place, à l'honneur, la statue de Naous (1958), étalon célèbre, en bronze, œuvre de Georges-Lucien Guyot (1885-1972), animalier, auteur, entre autres, du Taureau de Laguiole (1947). 

Landivisiau (Finistère) est la capitale du cheval breton... Au lendemain de 1945, des vignerons dont mon grand-père, ont loué un wagon depuis Narbonne, afin d'acheter le cheval nécessaire à la reprise des vignes parfois abandonnées en zone interdite, encore minées... (notre dernier Lami, dénutri, sanglé pour tenir debout, avait été vendu au boucher pour prévenir sa fin certaine). 

« ... Sans argent, c'était là un difficile pari. Mamé Ernestine fut chargée de demander au richissime oncle Gérard du Quai Vallière à Narbonne, représentant de commerce enrichi par les deux guerres [...] Elle devait essuyer un refus poli mais définitif. Ce fut alors l'ami, Emmanuel Sanchon, qui sortit papé Jean d'embarras, et cela mes parents ne l'ont jamais oublié. 

Lami au Courtal Cremat, route de Saint-Pierre-la-Mer. 

Tu dois savoir que papé Jean et l'oncle Noé, accompagnés de Rey Antoine (père de Germain et Jeanine Carrière [...]), de Blaise Vicente et Jean Vila [...] étaient allés en Bretagne pour acheter les chevaux et cela en mars 1945, époque où c'était une véritable expédition (ponts coupés, trains aléatoires...) [...]

C'est au cours de ce voyage historique que l'oncle Noé avait attrapé sa fameuse sciatique et que Vila [...] lui avait confectionné (il était menuisier de métier) une paire de béquilles afin qu'il puisse se déplacer un peu pour aller voir les chevaux et acheter le sien... »

Caboujolette 2008, chapitre Les Vendanges, François Dedieu (1922-2017).   

Cheval Breton de Landivisiau Source mairie

(2) En 2009 pour les vingt ans du monument, les vieux outils sont sortis des granges pour être attelés à des comtois, traits du nord, percherons... (pour les photos voir Le vingtième anniversaire du Monument du [...] - Tradicioun)

mercredi 27 mars 2024

RAMEAUX et PÂQUES (fin)

Pâques 11 avril 2004 : « ... J'avais acheté chez Spar un magnifique gigot d'agneau de 2,710 kg à 10,60 €/kg soit 28,73 euros. J'y suis revenu dimanche matin pour du saucisson de Lacaune et du thon à l'huile parce que certains n'aiment pas les anchois dans les œufs au mimosa.../... nous connaissons Pâques aux tisons, et pourtant nous n'avons pas eu , et de loi, “ Noël au balcon ”. Mais enfin il fait beau et - autre exception notable - les giboulées de mars ont brillé par leur absence presque totale » (FD)

Réponse : «... vous aviez le mimosa et l'agneau, moi aussi j'ai tenu à marquer le coup avec un gigot à 5,5 €/kg, congelé, faut-il le préciser... » 


8 avril 2007, dimanche de Pâques... après un poème en allemand “ Ostern am Meer ” de Theodor Storm (1817-1888) : «... le jeune figuier est longtemps resté avec des moignons de feuilles et subitement ces feuilles se développent et marquent la véritable venue du renouveau. Les cerisiers, ici et là, sont en pleine floraison et offrent curieusement à la vue leurs fleurs blanches groupées en amas serrés, avec de larges espaces libres... » (FD)

Lundi de Pâques 13 avril 2009 : « huit degrés seulement, comme hier pour Pâques, du ciel gris et des rhumes mais la pluie a enfin cessé, nous attendons une amélioration notable et un peu plus de chaleur... » (FD)

Lundi de Pâques 25 avril 2011 : « Pâquettes ou Saint-Loup ? Nous nous sommes garés dans l'herbe, entre le barrage anti-sel et les Cabanes. Les pêcheurs au bord de la rivière n'eurent aucun succès. Sur l'autre rive une famille faisait comme nous. Des voitures passaient continuellement sur la route. Tout le monde profitait du beau temps, et le vent du nord, parfois assez fort, restait tout de même agréable. Je faisais quelques pas pour me dégourdir les jambes lorsqu'un cycliste en tenue s'est arrêté pour demander s'il avait une route ou un chemin pour Saint-Pierre ; je lui ai indiqué la “ route des campagnes ” ; il a fait demi-tour, il venait de Colombiers. Puis les pique-niqueurs ont disparu comme venaient de le faire les pêcheurs et la jeune dame en short qui les accompagnait. L'orage grondait ; il ne tarda pas à sévir de façon brutale : pluie mêlée de grêle qui tambourinait sur notre véhicule, les grêlons sautaient sur la route... » (FD) 



Sinon « ... La religion, elle, compte davantage pour les enfants, plus que la politique, que la gestion du village ne nous concernant pas. Parce qu'elle a su calquer son calendrier sur celui des fêtes païennes, elles mêmes intimement couplées au rythme des saisons, peut-être aussi parce qu'une tradition sudiste, méditerranéenne, en réserverait, en principe, la pratique aux femmes et aux enfants. En principe seulement car si les hommes marquent leur différence, sans parler de ceux qui ne retrouvent plus le chemin de l'église, en bons pratiquants, en se tenant au fond ou à la tribune, debout et non à genoux, avec, entre eux et le prêtre, entre eux et le Tout Puissant, le troupeau de femmes et d'enfants, ils sont rares, au moment crucial, à refuser le secours de la religion. Pour les garçons, la croissance est liée à une forme de sevrage, le passage de l'enfance à l'adolescence correspond à une émancipation progressive qui s'accélère après la communion solennelle. Loin de moi l'idée de philosopher sur la question, chacun étant libre de ses croyances et de sa foi, je veux dire seulement combien notre église Saint-Martin habite ma mémoire avec, quoique j'en pense, des cérémonies qui ont su, depuis des siècles, rassembler la communauté villageoise... » (Le Carignan, 2008, JF Dedieu). 

PS : personne n'ayant demandé à quoi pouvait ressembler le clocher avant, autant se faire plaisir, en toute liberté...  

jeudi 21 mars 2024

Les farinettes (le MILLAS).

Dans la revue FOLKLORE, numéros 147-148, Automne-Hiver 1972, Myriam Marfaing a recueilli les témoignages de ses mère et grand-mère sur ce qu'on mangeait à Sainte-Colombe-sur-l'Hers. Elle y évoque le milhas (ou millas).  

C'est terrible, parmi les photos autorisées, il faut qu'elle vienne du Cameroun pour avoir une marmite sur un feu de bois ! Je veux bien penser que je cherche mal (Pixabay en dispose mais impossibles à éditer)... Il y a bien dans un livre scolaire l'illustration en noir et blanc enrichie de vert d'une de mes poésies préférées, « La Marmite » de Maurice Fombeure mais là encore les droits d'auteur empêchent de faire figurer et le dessin et la poésie... Bref, chez nous, dans la cheminée, la pairolo cuisait sur un trépied. 

Ou alors du milhas, à la base, une bouillie de farine d'orge ou de millet. puis de maïs, tournée avec de l'eau ou du lait mis à cuire avec du saindoux ou de la graisse d'oie (milhas noir dans l'eau de boudin lors de la “ fête ” du cochon... étalée sur un linge à même la table ; la bouillie solidifiée se découpe, elle se mange salée ou sucrée, peut être frite.  

La cuisinière étalait cette bouillie sur un linge posé sur la table Ce milhas était fait, au moment du repas, versé sur un linge directement sur la table et servait de pain : quelquefois grillé. 

Et si on essayait le millasson ou millas 
etsionessayait.blogspot.com
 

Suite à ce que nous précise Myriam Marfaing, un extrait de Caboujolette ; mon père y parle des “ farinettes ” une vie d'avant, pas si loin, mais que la marche inexorable du temps voudrait enfouir comme elle le fait des fossiles à déterrer : 

« Les farinettes. 
Nous appelions « farinettes » cette bouillie de maïs que d’autres appellent « millas ».
La recette en est facile et pas chère. Il faut 30 minutes pour la préparer et autant pour la cuire.  

Pour six personnes.
Ingrédients : 500 g de farine de mais ; 30 g de beurre frais ; 50 g de parmesan ou de gruyère râpé ; sel.

1°) Faire chauffer  1 litre ½ d’eau salée dans une grande casserole ; à ébullition, verser la farine en pluie, en tournant avec une cuillère de bois pour éviter les grumeaux.

2°) Tourner la bouillie pendant toute la durée de la cuisson.

3°) Quand la bouillie est cuite, ajouter hors du feu le beurre et le fromage choisi ; verser dans un légumier et tenir bien au chaud. 

N.B. Il va sans dire que nous n’ajoutions, nous, ni beurre, ni parmesan, ni gruyère. La casserole était remplacée par un grand chaudron et la cuillère en bois, c’était la moitié d’un manche à balai en bois, bien nettoyé, réservé à cet unique emploi : à une extrémité, un trou avait été pratiqué, par où passait une corde afin de suspendre l’ustensile qui allait à nouveau servir la prochaine fois… ou l’année suivante.
J’avais à peu près quatre ans quand, un jour, mamé Isabelle, maman de papé Jean, sœur de l’oncle Pierre, et déjà veuve depuis onze années, se mit à faire ces « farinettes », que l’on versait au fur et à mesure directement dans des assiettes creuses ; au repas, un trou était creusé au milieu avec la cuillère, pour recevoir un peu de confiture bien claire, bien rouge, afin d’agrémenter le goût. Je jouais sous la table, avec un rien sans doute. Plusieurs assiettes se trouvaient déjà garnies. Mamé se retourne avec l’assiette suivante, je sors soudain de sous la table comme le petit train de son tunnel ou le diablotin de sa boîte. L’aïeule perd l’équilibre, me heurte, laisse échapper l’assiette pleine, dont le contenu bouillant m’inonde le visage. Grand émoi chez tout le monde, au milieu de mes cris déchirants. Papa, qui était là, me fait tenir les mains derrière le dos par ma mère et, avec une serviette, enlève peu à peu ma peau brûlée qui s’en va en lambeaux. Grosse frayeur pour mes yeux. J’ai dû, dès le début, toucher mon cou de mes petits doigts, et j’ai encore les lointaines cicatrices. Mes cris stridents : « Je ne veux pas mourir !! Je ne veux pas mourir !! » ont sans doute rassemblé quelques voisins, et je ne sais plus combien de temps a duré ma convalescence. Cet accident malheureux, joint à la terrible maladie que couvait sans doute mon père (1), a-t-il hâté la fin de mamé Isabelle, décédée en 1927 à soixante-et-un ans seulement ? Peut-être pas, heureusement, mais tel est le destin. Voilà où m’ont conduit les farinettes. Dans les souvenirs dorment aussi certains drames. »
" Caboujolette " 2008, François Dedieu.  

(1) mon père évoque une “ terrible maladie ” qui aurait couvé une quarantaine d'années ? d'où tenait-il cette conviction ? ce serait possible concernant certains cancers ceux de la prostate, du sein ou liés au tabagisme.