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mercredi 27 mars 2024

RAMEAUX et PÂQUES (fin)

Pâques 11 avril 2004 : « ... J'avais acheté chez Spar un magnifique gigot d'agneau de 2,710 kg à 10,60 €/kg soit 28,73 euros. J'y suis revenu dimanche matin pour du saucisson de Lacaune et du thon à l'huile parce que certains n'aiment pas les anchois dans les œufs au mimosa.../... nous connaissons Pâques aux tisons, et pourtant nous n'avons pas eu , et de loi, “ Noël au balcon ”. Mais enfin il fait beau et - autre exception notable - les giboulées de mars ont brillé par leur absence presque totale » (FD)

Réponse : «... vous aviez le mimosa et l'agneau, moi aussi j'ai tenu à marquer le coup avec un gigot à 5,5 €/kg, congelé, faut-il le préciser... » 


8 avril 2007, dimanche de Pâques... après un poème en allemand “ Ostern am Meer ” de Theodor Storm (1817-1888) : «... le jeune figuier est longtemps resté avec des moignons de feuilles et subitement ces feuilles se développent et marquent la véritable venue du renouveau. Les cerisiers, ici et là, sont en pleine floraison et offrent curieusement à la vue leurs fleurs blanches groupées en amas serrés, avec de larges espaces libres... » (FD)

Lundi de Pâques 13 avril 2009 : « huit degrés seulement, comme hier pour Pâques, du ciel gris et des rhumes mais la pluie a enfin cessé, nous attendons une amélioration notable et un peu plus de chaleur... » (FD)

Lundi de Pâques 25 avril 2011 : « Pâquettes ou Saint-Loup ? Nous nous sommes garés dans l'herbe, entre le barrage anti-sel et les Cabanes. Les pêcheurs au bord de la rivière n'eurent aucun succès. Sur l'autre rive une famille faisait comme nous. Des voitures passaient continuellement sur la route. Tout le monde profitait du beau temps, et le vent du nord, parfois assez fort, restait tout de même agréable. Je faisais quelques pas pour me dégourdir les jambes lorsqu'un cycliste en tenue s'est arrêté pour demander s'il avait une route ou un chemin pour Saint-Pierre ; je lui ai indiqué la “ route des campagnes ” ; il a fait demi-tour, il venait de Colombiers. Puis les pique-niqueurs ont disparu comme venaient de le faire les pêcheurs et la jeune dame en short qui les accompagnait. L'orage grondait ; il ne tarda pas à sévir de façon brutale : pluie mêlée de grêle qui tambourinait sur notre véhicule, les grêlons sautaient sur la route... » (FD) 



Sinon « ... La religion, elle, compte davantage pour les enfants, plus que la politique, que la gestion du village ne nous concernant pas. Parce qu'elle a su calquer son calendrier sur celui des fêtes païennes, elles mêmes intimement couplées au rythme des saisons, peut-être aussi parce qu'une tradition sudiste, méditerranéenne, en réserverait, en principe, la pratique aux femmes et aux enfants. En principe seulement car si les hommes marquent leur différence, sans parler de ceux qui ne retrouvent plus le chemin de l'église, en bons pratiquants, en se tenant au fond ou à la tribune, debout et non à genoux, avec, entre eux et le prêtre, entre eux et le Tout Puissant, le troupeau de femmes et d'enfants, ils sont rares, au moment crucial, à refuser le secours de la religion. Pour les garçons, la croissance est liée à une forme de sevrage, le passage de l'enfance à l'adolescence correspond à une émancipation progressive qui s'accélère après la communion solennelle. Loin de moi l'idée de philosopher sur la question, chacun étant libre de ses croyances et de sa foi, je veux dire seulement combien notre église Saint-Martin habite ma mémoire avec, quoique j'en pense, des cérémonies qui ont su, depuis des siècles, rassembler la communauté villageoise... » (Le Carignan, 2008, JF Dedieu). 

PS : personne n'ayant demandé à quoi pouvait ressembler le clocher avant, autant se faire plaisir, en toute liberté...  

jeudi 21 mars 2024

Les farinettes (le MILLAS).

Dans la revue FOLKLORE, numéros 147-148, Automne-Hiver 1972, Myriam Marfaing a recueilli les témoignages de ses mère et grand-mère sur ce qu'on mangeait à Sainte-Colombe-sur-l'Hers. Elle y évoque le milhas (ou millas).  

C'est terrible, parmi les photos autorisées, il faut qu'elle vienne du Cameroun pour avoir une marmite sur un feu de bois ! Je veux bien penser que je cherche mal (Pixabay en dispose mais impossibles à éditer)... Il y a bien dans un livre scolaire l'illustration en noir et blanc enrichie de vert d'une de mes poésies préférées, « La Marmite » de Maurice Fombeure mais là encore les droits d'auteur empêchent de faire figurer et le dessin et la poésie... Bref, chez nous, dans la cheminée, la pairolo cuisait sur un trépied. 

Ou alors du milhas, à la base, une bouillie de farine d'orge ou de millet. puis de maïs, tournée avec de l'eau ou du lait mis à cuire avec du saindoux ou de la graisse d'oie (milhas noir dans l'eau de boudin lors de la “ fête ” du cochon... étalée sur un linge à même la table ; la bouillie solidifiée se découpe, elle se mange salée ou sucrée, peut être frite.  

La cuisinière étalait cette bouillie sur un linge posé sur la table Ce milhas était fait, au moment du repas, versé sur un linge directement sur la table et servait de pain : quelquefois grillé. 

Et si on essayait le millasson ou millas 
etsionessayait.blogspot.com
 

Suite à ce que nous précise Myriam Marfaing, un extrait de Caboujolette ; mon père y parle des “ farinettes ” une vie d'avant, pas si loin, mais que la marche inexorable du temps voudrait enfouir comme elle le fait des fossiles à déterrer : 

« Les farinettes. 
Nous appelions « farinettes » cette bouillie de maïs que d’autres appellent « millas ».
La recette en est facile et pas chère. Il faut 30 minutes pour la préparer et autant pour la cuire.  

Pour six personnes.
Ingrédients : 500 g de farine de mais ; 30 g de beurre frais ; 50 g de parmesan ou de gruyère râpé ; sel.

1°) Faire chauffer  1 litre ½ d’eau salée dans une grande casserole ; à ébullition, verser la farine en pluie, en tournant avec une cuillère de bois pour éviter les grumeaux.

2°) Tourner la bouillie pendant toute la durée de la cuisson.

3°) Quand la bouillie est cuite, ajouter hors du feu le beurre et le fromage choisi ; verser dans un légumier et tenir bien au chaud. 

N.B. Il va sans dire que nous n’ajoutions, nous, ni beurre, ni parmesan, ni gruyère. La casserole était remplacée par un grand chaudron et la cuillère en bois, c’était la moitié d’un manche à balai en bois, bien nettoyé, réservé à cet unique emploi : à une extrémité, un trou avait été pratiqué, par où passait une corde afin de suspendre l’ustensile qui allait à nouveau servir la prochaine fois… ou l’année suivante.
J’avais à peu près quatre ans quand, un jour, mamé Isabelle, maman de papé Jean, sœur de l’oncle Pierre, et déjà veuve depuis onze années, se mit à faire ces « farinettes », que l’on versait au fur et à mesure directement dans des assiettes creuses ; au repas, un trou était creusé au milieu avec la cuillère, pour recevoir un peu de confiture bien claire, bien rouge, afin d’agrémenter le goût. Je jouais sous la table, avec un rien sans doute. Plusieurs assiettes se trouvaient déjà garnies. Mamé se retourne avec l’assiette suivante, je sors soudain de sous la table comme le petit train de son tunnel ou le diablotin de sa boîte. L’aïeule perd l’équilibre, me heurte, laisse échapper l’assiette pleine, dont le contenu bouillant m’inonde le visage. Grand émoi chez tout le monde, au milieu de mes cris déchirants. Papa, qui était là, me fait tenir les mains derrière le dos par ma mère et, avec une serviette, enlève peu à peu ma peau brûlée qui s’en va en lambeaux. Grosse frayeur pour mes yeux. J’ai dû, dès le début, toucher mon cou de mes petits doigts, et j’ai encore les lointaines cicatrices. Mes cris stridents : « Je ne veux pas mourir !! Je ne veux pas mourir !! » ont sans doute rassemblé quelques voisins, et je ne sais plus combien de temps a duré ma convalescence. Cet accident malheureux, joint à la terrible maladie que couvait sans doute mon père (1), a-t-il hâté la fin de mamé Isabelle, décédée en 1927 à soixante-et-un ans seulement ? Peut-être pas, heureusement, mais tel est le destin. Voilà où m’ont conduit les farinettes. Dans les souvenirs dorment aussi certains drames. »
" Caboujolette " 2008, François Dedieu.  

(1) mon père évoque une “ terrible maladie ” qui aurait couvé une quarantaine d'années ? d'où tenait-il cette conviction ? ce serait possible concernant certains cancers ceux de la prostate, du sein ou liés au tabagisme.   

lundi 11 avril 2022

CHEMIN D’ÉCOLE (11) L'arbre qui s'accroche...


 Deux vélos s'annoncent au loin puis passent, à fond, ils viennent de Saint-Pierre-la-Garrigue, la campagne voisine, par la piste qui, dans la combe courbe, suit la barre rocheuse, si particulière de ce coin de Clape, que l'on voit de loin depuis le nord-est. Un couple, pas contemplatif du tout, le sport avant tout. 

Oh ! dans la vigne au-dessus, une compagnie de perdreaux

Oh ! dans la vigne au-dessus, une compagnie de perdreaux qui file dans une rangée. Je repense à mes chers disparus de la Pierre... Le père d'Etienne, parrain de papa faisait office de garde-chasse. Travaillait-il les vignes par ailleurs ? Toujours est-il qu'il mangeait beaucoup trop souvent du gibier. 

Pézenas_Grange_des_Prés wikimedia commons Auteur Fagairolles 34

Le docteur l'ayant averti qu'à ce rythme il n'irait pas loin, l'oncle François est parti comme maître de chai à Pézenas, à la Grange des Prés. Ce devait être sérieux. C'est là, dans cette plaine rappelant la venue de Molière, que, rentrant chez lui, encore sur la voie d'accès au domaine, non loin de ces muriers par centaines qui descendaient jusqu'au fleuve, bien avant le passage à niveau qui peut-être n'existait pas, il est tombé de vélo, se blessant profondément avec les débris de la bouteille du vin quotidien qu'il emportait. Mais n'était-ce pas le malaise qui lui avait été fatal ?   

En cascade, d'une pensée à l'autre, les gens de la Pierre avaient-ils un puits à disposition ? Devaient-ils aller chercher l'eau à la source dite de Fontenille (1), en amont de la combe dans ce pays si sec, si loin de la verte Ariège, des eaux vives de l'Arize, des nombreux ruisseaux et des papillons bleus dans les prés apparemment généreux. Sur leur chemin d'école, les enfants des Karantes la suivaient, cette combe, avant de remonter l'échancrure de la barre rocheuse, pour traverser non pas un désert de garrigues mais une nature et quelques arpents cultivés des métairies et bergeries bien vivantes. En haut, sur le plateau du Cascabel si bien chanté par l'ami Pierre (Bilbe), la Caune, une grotte, du bas-latin cauna, pouvant abriter un troupeau entier et dont l'exploration reste dangereuse. En poursuivant, merci aux chroniqueurs Pérignanais pour les noms de famille cités (2) et dont il devait rester des descendants, les Cros, Vivorer, Thiers, Coural, Peyre, Sigala, Trémoulet, Rouger, Bloye, Fabre, Marcelin, Blayac, Granier... le long de ce chemin d'école, à l'entrée des années 1900, entre les Bugadelles, le Courtal-Naout, le Courtal-Cremat, la Broute, sans compter Tarailhan sur la commune de Vinassan, et enfin, au-dessus de notre village le moulin de Montredon.   

A mon tour de tirer le fil de cette perruque familiale inextricable. Sur les traces de Jean, le père de mon père, je me retrouve avec une petite dizaine de personnes, au bout des sept ou huit kilomètres qui le séparent du village, sur son chemin d'école. Et si j'ai enfin vu le gîte familial de la Pierre, entre la garrigue, la mer et les vignes, en espérant que le paragraphe sur mon grand-père me reviendrait, en me replongeant dans l'atmosphère des années 1900, des mots pour le dire rien ne m'est revenu... 

Depuis Fleury puis la mer, j'ai du mal à l'imaginer gamin, mon arrêt sur images le montre tel qu'il est vers 1960, lors des vendanges, à sa vigne du Courtal-Crémat, sous son "chapeau bob". On ne voit pas son visage mais il est halé par le soleil et les bourrasques du Cers. Le nez est busqué, comme d'un bourbon des montagnes, la moustache pérenne, de neige comme les cheveux... 

Ce qui l'incarne, tant lui que son époque, c'est le pantalon magnifique de ce qu'il dit de l'intelligence de l'espèce (une qualité apparemment perdue avec ces ridicules tailles basses d'aujourd'hui... pour les moutons qui se croient beaux en suivant la mode (3)... trop peu pour moi, est-il nécessaire d'insister sur ma ringardise ?!). Le pantalon fait mon grand-père, le coutil, de cette toile forte gris-bleu adaptée à la saison, laine l'hiver, lin aux beaux jours, écolo car fait pour durer, d'autant plus attachant qu'il est rapiécé par les ans comme un texte bien retravaillé, une protection remontant aussi haut sur les reins que les pans de la chemise descendent bas, c'est qu'il ne faut pas prendre froid, un mal potentiellement mortel alors. 
Proche de la nature, attentif aux nuages qui courent, aux saisons, le côté pratique reste allié à un haut niveau de vie intérieure, de pensée, de connaissance, de respect pour la culture. Ah le niveau en orthographe du certificat d'Etudes ! Est-ce toujours aussi ringard d'en éprouver remords et regrets ? Et l'esthétique, faut-il que j'en rajoute ? cette martingale pour moduler autour de la taille ! ces pattes pour les boutons dévolus aux bretelles "Hercule" : soutenir joliment sans comprimer ! Bref tout sauf la superficialité liée à ce que nous sommes devenus ! 

"Je suis venu ici cultiver l'authentique" affirme Jean de Florette à un Ugolin tout désappointé, en bon paysan qu'il est, pour cette "culture" inconnue de lui ! 

Je tourne autour mais je n'en suis qu'à l'enveloppe. Pourtant elle représente tout ce que j'ai pu prendre, voler de ce grand-père qui jamais ne laissa le moindre trait d'affection transparaître à mon égard. Vide le regard. Quant à la parole... aussi rare que sans-cœur... lui arrivait-il d'exprimer un sentiment ? 
Qu'à cela ne tienne, sans demander la permission, j'ai plongé, j'ai greffé ma racine à travers lui, pour grandir, me développer, l'obliger à faire maillon tant vers les aïeux que vers les descendants, forçant la voie vers qui je devais être. S'il se trompait en m'affublant du prénom du cousin, plutôt que de faire mal, cela m'aidait à prendre du recul. S'il ne m'emmena qu'une fois et miraculeusement à la chasse, je ne me souviens que de l'échine de garrigue parcourue. S'il prit de haut et vite fait, sans un mot, sans chaleur, l'examen de mon succès au brevet alors que mon père m'avait poussé à lui soumettre ma performance, à lui faire allégeance, cela m'émoussa à peine. D'ailleurs, en me louant chez des étrangers pour les vendanges, je ne fis que rendre la monnaie de la pièce, riposter, sans état d'âme, à cette indifférence, à ce désamour. 

Que dire de plus, on croit trop mécaniquement à l'amour, aux gens qui aiment, à la réciprocité. Mon grand-père Jean, je l'ai en blason, en photo. Je vous l'ai dépeint avec même la lubie de le peindre, de passer du temps à le représenter, à coups de brosse, de pinceau, de griffures. Tant pis si je n'en ai que l'apparence, lui non plus n'a rien eu de mon cœur, de mon âme. Il n'a rien partagé, j'ai pris. Cela m'a endurci peut-être, mais après le grand-père, le père aussi, qui excusait ce trait de caractère familial en disant "bourru". Tant bien que mal, cela n'empêche pas le sentiment... 
Janvier 2023. Neuf mois plus tard, quelque chose m'a dit de revenir sur ce constat d'ailleurs incomplet. C'est que Jean, mon grand-père, a connu deux guerres, dont la première, terrible, au paroxysme de Verdun ! Mon père la deuxième... Impossible d'être le même, ensuite... Alors, le papy-boomer que je suis, qui a eu la chance de ne pas voir sa personnalité complètement broyée par des années de survie dans la barbarie, la négation de ce qui se veut humanité, se doit de ne pas jauger, ne pas juger hâtivement... La faute aux autres pour se se donner bonne conscience ? Aimer est au-dessus de tout ça.   
Regardez-le l'arbre qui s'accroche sur un bout d'endroit impossible...   

(1)"De l'occitan fontanilha qui signifie petite source" http://www.maclape.com/rubriques/sources/filtering.html#0 Ce site ami (remarquable soit dit entre nous) en entretient le mystère quand, dans l'inventaire poétique des "sources, puits & norias"  il ne classe pas Fontenille en résurgence, pas plus qu'en exsurgence, mais simplement en émergence parce que son origine ne nous est pas connue.  

(2) CHRONIQUES PERIGNANAISES (free.fr) 

(3)  ... et cette imbécillité de la "mincitude corsetée" qui leur fait remettre la veste de leurs 14 ans... 



dimanche 10 avril 2022

Chemin d'école (10) la métairie, la borio de la Pierre.

Il arrive que ça vienne, comme d'une source généreuse mais c'est aussi rare que passager ; et là, parce que sur commande, c'est bouché ; en dépit des jours et des jours qui passent, de la confiante patience qui s'y attache, la résurgence ne donne plus... Ugolin et le papé ont aveuglé, cimenté le filet d'eau ; Manon a fait taire la fontaine du village, à force de chagrin contenu. 

Dans un cadre, une ambiance bien du Midi, Pagnol a bien manigancé, bien romancé l'intrigue, quitte à faire passer Jean de Florette pour un demeuré... les grands aussi aiment croire au merveilleux des belles histoires, à tout ce qui va au-delà de la vie vraie. Derrière l'ordinaire des jours, se cache l'extraordinaire. Vouloir le voir c'est passer de l'autre côté du miroir. 

... les voix, je les entends, celle de Jean mon grand-père, celle du cousin Etienne et surtout celle de papa, le passeur...

Devant ce lieu-dit de La Pierre, cette métairie, cette ferme, peut-être une borio (1) en parler du Sud, les mots en occitan de la chanson festive ne me viennent pas aux lèvres. Comment dire, une vanité indicible me fait penser "Vois-tu, je sais que tu m'attends". Un grand n'importe quoi, pardon Hugo, et si je reste "fixé dans mes pensées" c'est pour honorer la vie plus forte que la mort, pourtant inséparables... Comment dire, un recueillement, une spiritualité respectueuse, comme sur l'allée des naufragés, à Notre-Dame-des-Auzils, avec l'inspiration de Valéry pour le cimetière marin "... Le Temps scintille et le Songe est savoir...". Non, pas n'importe quoi, pas n'importe qui, tous de grands hommes d'une humanité harmonieuse, entre ceux qui ensemençaient la terre, ceux qui fécondaient l'esprit et au milieu, l'entremetteur dans toute son immodestie... les voix, je les entends, celle de Jean mon grand-père, celle du cousin Etienne et surtout celle de papa, le passeur... Hier Nougaro disait de même à la télé "Ô moun païs.../... l'écho de la voix de papa...". 

Je cale toujours pour le paragraphe sur mon grand-père Jean mais je vais vous trouver ce que m'en a transmis, mon père... page 144, vous allez voir ! Mince, le livre s'ouvre sur Pantazi, le "Russe" de Pérignan ! Et vlan ! c'est page 45, voilà l'erreur, voilà ce qui arrive aux prétentieux ! Toujours l'allégorie de la peau de l'ours ! Repassons ces lignes qui valent témoignage :   

"... Raymond Grillères nous a vus passer et il est venu lui aussi... /... On en est venu à parler de Marcel Subra.../... A mon tour je lui ai appris que Marcel Subra était né comme mon père aux Karantes. Je l'ai su moi-même le jour où j'y suis allé avec papé Jean et son cousin germain Etienne Peyre. C'est René, le fils d'Etienne, qui était venu nous rendre visite à Saint-Pierre, qui nous y a conduits, jusqu'à cet endroit qu'on appelle "la Pierre". Maison en ruine. Nous étions dans l'ancienne cuisine. 

"C'est ici que tu es né, Jean, lui dit Etienne. Et c'est ma mère qui t'a reçu dans son tablier." Et plus tard, papé Jean, montrant la "maison" d'en face, ajoute : "Et là c'est Marcel Subra qui y est né."

Il fallait monter une pente assez raide pour y parvenir, et mon père, soucieux de précision : "Le papé Simon, à quatre-vingts ans, portait sur ses épaules une grosse balle de fourrage et la montait jusque là-haut !" C'était une autre époque.../... 

Et Raymond m'a dit qu'il venait lui aussi à l'école à Fleury, mais à bicyclette, et qu'il rencontrait souvent à la Chapelle les copains qui venaient, eux, des Karantes.../... "C'est curieux, dit-il. Marmorières appartient à Vinassan, comme les Karantes à Narbonne et nous sommes tous venus à l'école ici à Fleury, et nous avons toujours fait travailler les artisans de Fleury." ..." François Dedieu, Caboujolette p. 45, 2008.

Encore entre parenthèses, Porfiri Pantazi a eu travaillé la vigne à Marmorières, nous le savons grâce au geste de Momond Billès qui y était employé aussi. 

... D'abord deux parties dont il ne reste plus que les murs mais fermées, qui servent de remise au domaine... 

Je découvre les lieux avec seulement en mémoire, le détail de la balle de fourrage, dans ce que m'en a dit et écrit papa. Première réaction : c'est grand, loin de la masure racornie où j'imaginais tant de personnes entassées. D'abord deux parties dont il ne reste plus que les murs mais fermées, qui servent de remise au domaine. 


Ensuite, sous un toit bien qu'effondré en partie, avec les cheminées décapitées par le Cers ou le Grec, l'habitation, là où les encadrements de pierre (il ne reste ni portes ni volets) marquent quatre logements distincts. Sur trois côtés de la bâtisse, ils se partageaient 120 mètres carrés au sol, en gros, peut-être : en bas la pièce à vivre, à l'étage une chambre, c'était souvent la norme. 



Un taillis est arrivé à boucher une entrée, celle qui donne, allez savoir, sur la cuisine où mon grand-père a taché de sang rosé le tablier de sa tante, le 4 juin 1897. Cette pièce comprend un four à pain, du moins, la tablette, la bouche ainsi que le conduit de fumée, imposant et dont la souche résiste encore, en haut à côté des tuiles. De dehors sa construction en tourelle pourrait faire penser aussi à un puits couvert mais le conduit nous fait pencher pour le four. Je n'ai pas osé m'attaquer au barrage végétal devant l'entrée... je reviendrai... comme Mac Arthur... Ils devaient s'entendre pour cuire en commun, et jusqu'à quand ont-ils fait le pain ? était-ce la cas vers 1907, du temps de mon grand-père sur son chemin d'école ? ou le portait-on déjà du village ? 



Un autre foyer, donnant au sud, semble avoir été occupé récemment. Des vendangeurs ? ou pour se mettre au vert, à une vie rustique, couper un peu avec cette mondialisation dévoreuse de bienveillance, favorisant les égoïsmes ? 


Dans le délabrement ambiant quelques déchets laissent l'impression désagréable, et c'est souvent le cas, du passage de malpropres, ivrognes parfois, vandales, ça arrive : des gens peu recommandables laissant malheureusement leurs souillures. Les vestiges du passé  ne méritent pas ce type d'avanies. 


De la maison où est né Marcel, ne reste qu'un chicot de mur. 

1) "... tant que faren atal croumparen pas de borio, tan que faren atal, croumparen pas d'oustal..." (tant que nous ferons ainsi nous n'achèterons pas de ferme, tant que nous ferons comme ça, nous n'achèterons pas de maison). 

mercredi 6 avril 2022

Un Russe à Pérignan (8) "Le barbare, c'est d'abord celui qui croit à la barbarie." Claude Lévi-Strauss.

Porphyre Pantazi rechigne, depuis petit, à se plier à son destin tout tracé de petit paysan, une survie dans la pauvreté alors que la Bessarabie, après la domination ottomane, est disputée entre les Roumains et les Russes qui la traitent en colonie de peuplement. Engagé dans la Légion Etrangère, il part d'Odessa en 1919 (1)...  

Je reprends en épisodes ce que mon père a écrit sur lui, suite à plusieurs entretiens, ses recherches hors internet et en se basant sur la chronologie attestée de son engagement dans la Légion Etrangère. 

Char_Renault_et_soldats_français_a_Odessa 1919 wikimedia commons auteur inconnu

"... Et ce sera l’Orient de la fin mars jusqu’au 20 mai 1919, puis l’Algérie du 21 mai au 16 août. Le siège du 1er régiment étranger est à Sidi-Bel-Abbès. Quelle chaleur ici ! Et quelle dure vie ! Pourtant, quand on a connu plus dur encore, on apprécie un léger mieux. Et puis surtout ceci : toi, simple soldat, tu peux parler au Capitaine comme je te parle. Mais oui, tu souris, mais c’est la vérité. Il te respecte, le Capitaine. Bien entendu, tu es au garde-à-vous, et lui peut se promener devant toi, les mains derrière le dos. Mais jamais il ne te frappera, jamais la moindre velléité d’un coup de pied… Ah ! mais, pardon, j’ai vu, moi qui vous parle, moi Porphyre, j’ai vu comment on nous traitait dans l’armée du tsar. J’en ai même vu qui étaient abattus comme des chiens, pour avoir répliqué. Ici, nous sommes considérés comme des hommes, pas comme des bêtes. Et cela, tu vois, c’est plus que tout ce qu’on peut imaginer, plus que la nourriture, plus que l’habit même : tu es un homme, et tu en es fier, même si chaque jour ta vie est en danger.

Le 17 août, nous descendons dans les régions sahariennes. C’est donc cela, le SAHARA dont j’avais appris le nom sur la carte, à la vieille école de Kalarach. « SakhAra » qu’il disait, le vieux maître d’école. Et cela faisait toujours songer à « sakhar », le sucre.

Ah ! oui, un drôle de sucre. Il y est, maintenant, Porphyre, dans ce sucre. Les vents brûlants (le sirocco), les tempêtes de sable… Tu as beau mettre le mouchoir sous le képi et dans le col de ta chemise, ça ne pare pas tout ! Et encore et toujours ces opérations militaires. On va à leur rencontre. Le 24 octobre enfin, nous avons fini et retournons à Sidi-Bel-Abbès.

Il s’est inscrit, Porphyre, pour les cours volontaires de français ; ça rentre assez bien, il n’y a pas que des jurons dans cette langue. Ceux-là, les mauvais mots, ont été vite appris, ils se retiennent si vite. Pour faire des phrases, ça c’est une autre paire de manches. Mais l’essentiel n’est-il pas de comprendre et de se faire entendre ? Et tu comprends fort bien, alors quoi ? Et puis, apprendre le français évite quelques corvées toujours peu formatrices. Cela n’empêche pas d’écrire en russe, de temps à autre, une lettre qui part pour Touzora. Son père lui a déjà écrit, plusieurs fois. Souvent les lettres parcourent un vrai périple avant de lui parvenir, mais elles finissent par arriver. Pourvu que ça dure !

Porphyre écrit le russe comme il sait, c’est-à-dire pas mal. A l’entendre, il fait une faute par mot. Ne le croyez pas. Ce qu’il y a, c’est qu’il a conservé l’antique graphie, celle d’avant la réforme de 1917. Il a lu quelque part qu’on avait supprimé quatre lettres. En réalité, deux surtout ont disparu : le iat’, et le signe dur de la fin des mots. Eh bien ! lui ne les supprimera pas : il en a le droit, non ? Cette boucle après la consonne finale de certains noms, ça fait joli. Si elle n’y est pas, il manque quelque chose. Tu vois, c’est un peu comme si en français tu écrivais « tabl » sans le E final (il est muet !), « la ru », « une fill » : de quoi ça a l’air ? Et puis il apprend le français. Va-t’en encore réapprendre le bon russe. Pour tout mélanger ? Non, merci.

Les journées passent, parfois très vite, parfois aussi interminables. Il peut sortir en ville, une grande ville, tiens, un genre de Kichinev en plus petit : cinquante mille habitants, lui a-t-on dit. Ce qui lui plaît, ce sont les cultures maraîchères des environs. Voilà des cultures : immenses ! C’est de la grande exploitation. Que voulais-tu qu’il fasse, papa Pantazi, avec nos tout petits moyens ? Il y a aussi des industries et du commerce. Et puis, entre nous, mieux vaut être ici que sur le « théâtre d’opérations », comme ils te disent..." 

François Dedieu, Un "Russe" à Pérignan / Caboujolette, Pages de vie à Fleury II, 2008. 

Prolongements : 

Comment ne pas faire le lien avec la tragédie actuelle en Ukraine. Qu'a-t-on fait pour détendre les velléités liées aux zones d'influence ? La guerre actuelle nous pousse à faire le rapprochement avec la période hitlérienne et une horreur concrète qu'on a à peine voulu voir, entre temps, en Yougoslavie, en Bosnie, au Kosovo. Une horreur dans laquelle on serait mêlés, de plus près qu'on ne croit, tant géographiquement que moralement, dans le sang de la Syrie, de la Libye, du Yémen, dans notre complaisance aussi à l'égard du Qatar, de l'Arabie... Atteinte de sénilité, l'Europe des démocraties imparfaites (plus encore en France jacobine) donneuses de leçons, continue d'apparaître arrogante à plus de la moitié de la planète. 

Carte postale d'une vue entre 1890 et 1900, éditée originellement par la Detroit Publishing Company en 1905. L'escalier du Potemkine, long de 142 mètres, à Odessa, a été construit de 1834 à 1841. Il a été rendu célèbre par le film Le Cuirassé Potemkine, de Sergei Eisenstein, en 1925. Il y a une inscription: «8935. p.z. - ODESSA. L'ESCALIER RICHELIEU ОДЕССА. РИШЕЛЬЕВСКАЯ ЛЕСТНИЦА» Wikimedia Commons Auteur inconnu. 

Ne nous cachons pas derrière les symboles, les reliquats du temps historique. Au romantisme du grand escalier d'Odessa, servi par le film lié à la mutinerie du cuirassé Potemkine, s'ajoutent les "horreurs" pérennes de la guerre... Janvier 1918, les Bolchéviques transforment en glace ou jettent vivants dans la chaudière 400 officiers du croiseur Almaz. Et hier, BOUTCHA près de Kyiv, en attendant de constater ce qu'ont laissé les Russes en se retirant du nord de l'Ukraine...  

Pas plus tard qu'hier, incidemment, une chaîne alternative a osé, après ce qui s'est passé, montrer l'impressionnant dispositif d'encadrement lors du transfert à Arles (2013 ?) d'Yvan Colonna, jugé pour l'assassinat du préfet Erignac... mazette, si c'était pour le laisser agoniser en prison sous les mains assassines d'un intégriste musulman...  Sur ce, je ne sais plus sur quelle chaîne puisque je suis le seul responsable des parallèles et collages faits ici, je suis resté sidéré par la citation livrée par le journaliste à propos de Claude Lévi-Strauss. Même si je savais de lui que le sauvage était celui qui traitait les autres de sauvages, du philosophe, anthropologue et grand homme des sciences humaines et sociales, son "Le barbare, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie."... je ne l'ai pas encore digéré.  

(1) en 1919, les Français étaient à Odessa, pour soutenir un temps les armées blanches, tout comme à Mikolaïv, aujourd'hui attaquée par Poutine, dont le chantier naval reste lié au cuirassé Potemkine, tout juste dynamité, à 'époque de Porphyre (avril 1919 à Sébastopol).  

   

dimanche 20 mars 2022

ESPAGNOLS, ITALIENS, GITANS, migrants divers au village pour parler du GREC plutôt "RUSSE"...

La guerre entre frères, la mort en Europe... On en reste muets de consternation et pourtant il y a tant à dire sur le crime de Poutine, tant de fils historiques à remonter... Pas question ici, de refaire l'Histoire face à l'autodestruction, sous notre même toit, de deux membres, quand toute la famille pourrait y passer, qu'elle s'en mêle ou non... Quand j'étais gamin, au cinéma du village, le père Barthe nous avait commenté son film sur les Papous : ils chassaient les têtes puis se mangeaient entre eux, de village à village, de vengeance en vengeance... Qui serait évolué ? Qui est arriéré si la quête de lumière aboutit à l'aveuglement atomique ? L'Humanité reste aussi fascinée qu'éblouie par un feu d'artifice, sauf que le bouquet final sera le dernier... 


Je préfère ces étincelles que dans nos yeux allument ces différences entre semblables. Qu'est-ce que j'ai pu voyager dans ma tête grâce aux vendangeurs espagnols, porteurs d'un souffle plus fort que celui d'un écrivain, d'un cinéaste plus lointain, moins accessible à l'enfant, à l'adolescent. Au village, il y avait aussi les Italiens (le 21 mars, à 20h 55, Arte programme La Strada... je réserve ma soirée), les Gitans qu'on appelait "Caraques". Pour cause de mariage, dans la rue de mes grands-parents, la Polonaise, pas loin une Algérienne, je crois, dans la dernière maison avant les vignes du coteau, les Allemands aussi, restés après la guerre... et je ne sais pas s'ils n'ont pas dit de ma mère, "la Tchèque" ou "l'étrangère"... 

Si les lectures apportent encore à cette polychromie enrichissante, il en est une, singulière, qui me ramène non loin de la maison paternelle. D'ailleurs je la dois à mon père dans une monographie en deux volumes pour laquelle, concernant sa partie, je lui ai forcé la main. A propos de Fleury-d'Aude, notre village natal, entre les chapitres "L'hiver" et "Premiers sourires du printemps", n'y cherchons pas une quelconque logique, se trouvent insérées une quinzaine de pages bien tassées (c'est une autoédition). Le titre : "Un Russe à Pérignan" (1). Parlons-en justement de ce Russe à Pérignan.  



Papa n'avait pas pour habitude de se mettre en avant. Si je me doute que c'est par amour des langues, pour le plaisir d'échanger, de faire vivre l'humanisme qui rapproche les grandes familles de langues en Europe , ce qui lui importait beaucoup (il en parlait sept) , rien n'a percé des visites qu'il a dû rendre auprès de ce Russe au village, des notes, du récit qu'il en fit. Laissons-lui la parole.   

" Un "Russe" à Pérignan. 

19 juin 1974 : 

Une soirée qui annonce l’été tout proche. Dans la rue baptisée « Rampe de la Terrasse », les gens prennent le frais, assis au dehors. Les uns ont sorti leur chaise, qu’ils enfourchent souvent à califourchon pour mieux reposer sur le dossier leurs bras fatigués d’une journée de labeur. D’autres se sont mis sur les bancs de ciment prévus à cet effet.

Monsieur Pantazi est là aussi ce soir. Sans s’en douter, il vit les dernières heures d’une vie bien remplie. A minuit, la crise cardiaque va le réveiller, puis le terrasser. Il aura le temps d’aller à la cuisine, de frapper en passant à la porte de la femme dont il partage la maison depuis tant d’années, et, tandis que la vieille dame lui fait une tisane qu’il ne boira jamais, que la bave de l’agonie lui monte déjà aux lèvres, qu’il montre du doigt, sur une demande, la place du cœur, il revoit dans un vertige les vignes de sa Bessarabie natale, les visages aimés et depuis si longtemps disparus ; un nom chante à ses oreilles : Touzora. Et tout est fini… " François Dedieu. 

(1) le nom d'origine du village, historiquement repris et supprimé, au moins à deux reprises. 

Fleury-d'Aude. Rampe de la Terrasse. 


jeudi 21 octobre 2021

Soir de VENDANGES / 10. G.Gaudin, L. Bréchard, F. & J.F. Dedieu.

La plaine de Vinassan commune aussi avec Coursan et Narbonne. Parcourue de canaux (de Ste-Marie, de Lastours, ici de Grand Vignes) partis de l'Aude et débouchant dans les marais en amont de l’Étang de Campignol, ils permettaient la submersion des vignes (avec la contrainte de drains devant être creusés et régulièrement renouvelés). Aujourd'hui des friches ont en partie remplacé ce vignoble à trop haut rendement. A droite, une vigne pourtant... (Photo de fin juin 2020).    

 "... Vous savez les Ariégeois qui descendaient de la montagne n'avaient pas l'habitude de boire du vin. Et là, ils l'avaient à volonté. Ça chauffait surtout après souper quand il faisait bien chaud. Le Parisien avait acheté une maison en bas du village. Le soir il y avait grand bal et on dansait avec les sabots... [...] Moi Clémentine, j'ai dansé plus que mon compte [...] J'ai appris avec les vieux la mazurka et la scottish avant de me lancer dans la valse et surtout le tango... " 

Témoignage de Clémentine Roques (Vinassan), Le Puits de Mémoire, Gilbert Gaudin, 2001. 

 

Caboujolette, quatrième de couverture.

Fin de journée : "... A l’époque des vendanges, un petit bal avait lieu tous les soirs au café. L’animation du village était alors fort grande, les familles de vendangeurs venus d’abord de l’Ariège, puis d’Espagne, non seulement de Catalogne ou d’Aragon, mais aussi de la lointaine Andalousie, mettant une note exotique où résonnaient différentes langues ou divers dialectes et pidgins savoureux. Dès l’arrivée de la vigne, une toilette s’imposait à la fontaine du coin de la rue, et on allait se promener, puis danser un peu. Vers 22 heures, tout redevenait calme : la journée du lendemain allait être encore rude à la vigne, et on serait heureux si les nuées de moustiques voulaient bien se dissiper sous l’effet d’un petit cers (1) salutaire ou d’un vent marin bienvenu sous un soleil accablant..." 

François Dedieu, Caboujolette Pages de vie à Fleury-d'Aude II, 2008, auto-édition. 

Vignobles du Beaujolais vers Avenas 2008 Wikimedia Commons Author Alainauzas
 

 "... La fête se prolongeait souvent tard [...] Il y avait d'abord le repas, puis souvent les chants, la danse. Les jeunes prolongeaient la soirée [...] jusqu'à 2 heures du matin parfois. 

Quand on avait vingt ans [...] on avait la force de vendanger la journée, souvent de travailler au cuvage le soir, et même de bonne heure le matin [...] On avait vingt ans... Ça ne nous empêchait pas de participer aux chants et aux danses. De ce côté-là, les vendanges avaient une certaine attirance auprès des jeunes. [...] nous chantions des chansons [...] du folklore du moment [...] "J'ai deux grands bœufs dans mon étable..." [...] aussi des chansons patriotiques dans le genre Déroulède [...] Et puis l'on proférait des malédictions envers les Prussiens [...] C'était avant 1914 [...]

Il y avait toujours, au moins, un battement de deux heures au minimum avant d'aller dormir. Et l'on dansait, et l'on chantait [...]

Nous dansions les danses de l'époque, bien entendu, les polkas, même les mazurkas [...] Il n'y avait déjà plus, déjà, de danses paysannes [...] Mais nous avions les quadrilles [...] La valse faisait figure de nouveauté,quoiqu'elle eût sans doute non pas un siècle, mais peu s'en fallait..."

"Papa Bréchard Vigneron du Beaujolais", Jean-Pierre Richardot, La France Retrouvée, Rombaldi Éditeur, 1980.  

Quatrième de couverture.

"... Les vendangeurs, parfois logés à la rude, dans la paille, se lavent au puits ou à la fontaine. Ensuite, le village sort de sa léthargie, les rues s'animent, les épiceries, les boucheries, les boulangeries retrouvent l'affluence. les femmes font les commissions pour le repas du soir ; elles prévoient aussi la saquette du lendemain. Les groupes d'espagnols parcourent et remontent les avenues sur toute la largeur de la voie, filles et garçons séparés, recréant l'ambiance ibérique des paseos et ramblas, laissant dans le sillage, avec la bonne odeur du savon, des parfums de patchouli, d'eau de Cologne et de brillantine qui se croisent. Au crépuscule, pour éventuellement favoriser les échanges, las guapas dépassent la limite du dernier néon, ce qui permet aux muchachos de les rattraper pour un madrigal ou quelque flatterie intéressée qui fait rire le chœur des demoiselles sur la défensive..."

Reprise d'un extrait du chapitre Les Vendanges, Le Carignan, Pages de vie à Fleury-d'Aude I, Jean-François Dedieu, auto-édition, 2008. 

(1) le Cers, fort vent de terre local, apparenté au Mistral, soufflant entre Agde et La Franqui, malheureusement trop souvent assimilé à la tramontane...   

mercredi 20 octobre 2021

RETOUR DE VENDANGES / 9. Louis Bréchard, François Tolza, François Dedieu.

Si les vendanges ne font pas souvent les titres des livres, la vigne, le vigneron tenant, en la matière, la tête d'affiche, le contenu, par contre, les pages sur le rite ancestral, elles, ne manquent pas. Après Signol, Carrière, Clavel, Tolza, Camp, Baissette, Girou, Poudou, les femmes de "Jours de Vigne" et celles de Gaudin à Vinassan, il me faudra ajouter "Papa Bréchard, vigneron du Beaujolais" mais pour raconter comment ce joli monde des vignes s'occupait, la journée finie (1). 

Nous sommes le 20 octobre et comme un occultisme instinctif me lie à la course des jours et des saisons (vous ne me ferez pas manger des tomates et des fraises forcées en janvier !), je veux entendre et revoir ces kyrielles de vendangeurs gagnant le village avec le clocher déjà à contre-jour (2). Je l'ai trop au fond de moi ce tableau du dernier chariot chargé, sur le chemin de la plaine, au couchant, le relief modeste mais déjà marqué par le crépuscule des coteaux de Saint-Genyès, Besplas et Carabot, un retour que papa aussi, a su exprimer... 
 
Mais avant, une courte incise dans ADORACIÓN, le roman de Tolza, François de son prénom, èl tabés, lui aussi... (c'est déjà dit et publié me diront les lecteurs les plus appliqués... Oui je sais, mais c'est ésotérique chez moi, je vous dis, je lis, je relis, je reprends , je me souviens, j'y reviens et je médite en boucle...)
 
Saint-Laurent-de-la-Salanque-Sols 2021 wikimedia commons Author Roland45 / avec la D 83 qui est peut-être avec la N 9, la nationale dont parle François Tolza, le secteur où se situerait son roman "Adoracion".

 "... A l'ouest, le soleil était encore haut. Il pouvait être cinq heures. Des quatre coins des Planes, les « colles » affluaient vers les chemins, pressées de gagner, avant le crépuscule, la route nationale, plus sûre, où l'on était certain de trouver du secours en cas de besoin. La journée finie, les femmes enlevaient les foulards de tête, passaient leurs doigts dans leurs cheveux collés, enfouissaient au fond des paniers les tabliers sales et les espadrilles trouées. Lentes de tous leurs dos meurtris, de leurs jambes raides, elles s'en venaient vers le village..."

ADORACIÓN, François Tolza, Les Lettres françaises, 1945. 

François Dedieu (1922-2017).

 "... Et les vendanges d'autrefois défilent dans ma tête, avec leurs couleurs et leurs bruits, la théorie des chariots se dirigeant vers les vignes à l'allure de nos anciens chevaux de trait, percherons, bretons, ardennais, voire ariégeois ; leurs travaux pénibles aussi, surtout les premiers jours où il fallait s'habituer à voir les autres libres dès l'arrivée au village, alors que les tout petits exploitants que nous étions devaient achever leur journée de labeur à la lueur vacillante de la bougie, les jours devenant plus courts et les comportes devant impérativement être vidées dans les foudres. Avec cela, papé Jean commençait parfois sa longue journée à quatre heures du matin, pour profiter un peu de la pression de l'eau qui permettait de laver les cuves. Et chaque jour il fallait bien étriller Lamy, et lui permettre de manger avant le départ…"

"... Où sont les vendanges d'autrefois, avec leur flux de « mountagnols » et d'Espagnols occupant des maisons fermées le reste du temps, la vie vespérale du village revigorée pour un petit mois, en attendant le cliquetis des vieux pressoirs ?..." 

Lettre FD du 23 sept. 2001. " ... /... Ces vendanges se terminent dans une indifférence absolue de notre part : aucune fièvre perceptible, aucun mouvement de foule, pas de bal le soir, pas de chariot orné dans chaque comporte de petits sarments aux feuilles vertes indiquant « le dernier voyage », pas de vendangeurs étrangers se lavant à grande eau aux bornes-fontaines des coins de rue, pas de « colles » bruyantes dans les vignes, tout cela a bien disparu..." 

François Dedieu, Caboujolette, Pages de vie à Fleury-d'Aude II, auto-édition, 2008.  

Louis Bréchard, dit "Papa Bréchard" (1904-2000).

(1) Entre parenthèses, sur le caponnage, Louis Bréchard écrit par exemple que les vendanges étaient l'occasion de "rapprochements" "assez sensibles"... "... A cette époque où les vêtements des femmes n'étaient pas du tout ce qu'ils sont aujourd'hui, il était dit que lorsqu'une vendangeuse avait laissé du raisin sur la souche, le videur qui venait derrière avait la permission de frotter les mollets de la fille [...] Je pense qu'il se bornait aux mollets. Mais ça pouvait aller plus loin dans certains cas..."

"Papa Bréchard Vigneron du Beaujolais", Jean-Pierre Richardot, La France Retrouvée, Rombaldi Éditeur, 1980.  

(2) Octobre aux deux tiers, les vendanges se poursuivaient pourtant dans les Hautes-Corbières. A cette occasion, Tati Paulette et tonton Vincent se payaient un séjour chez les cousins de Cucugnan. Je le dis avec humour vu qu'ils se levaient tôt pour vendanger, mais l'ambiance, la mine rubiconde et couperosée du cousin Constant, celui de la campagne d'affiches à Londres, pour les vins des Corbières, les sourires gourmands des cousins pour les pâtés et civets de sangliers, avec le château de Quéribus dans le décor, le sermon du célèbre curé pour parler du passé, la paix retrouvée après les touristes... Je le dis toujours avec envie et nostalgie, moi qui étais depuis plus d'un mois, déjà, à Lyon pour le boulot...