Affichage des articles dont le libellé est bœufs. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est bœufs. Afficher tous les articles

lundi 2 juin 2025

Les BŒUFS de TRAVAIL, lo BESTIAL de TIRA (3)

À la Saint-Roch, proprets, harnachés, avec des fleurs sur le joug et les moscalhs neufs (pare-mouches, émouchettes), non sans fierté, le métayer mène une paire de bœufs pour la bénédiction religieuse à l'église du village. 

Attelage_de_bœufs_de_trait 2020 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Auteur Zewan
 

Il faut bien convenir que ce sentiment aimant reste confronté à la réalité économique de production. Ce qu'il faut fatalement considérer en tant que filière comprend les éleveurs ou fermiers puis les maquignons, l'agriculteur se trouvant donc être en tenant ou aboutissant de la chaîne. 
Quelques éléments au titre de cette prise en compte matérialiste froide, impitoyable même si des moments conviviaux (mais ce n'est qu'une vision humaine de la chose) restent liés aux transactions. Tous veulent des bœufs homogènes, dociles, calmes, beaux. Avant la possibilité des bétaillères (camions ou remorques) quand ce n'est pas chez un fermier vendeur, les maquignons partent en voiture à Salies du Salat, Mirepoix, sinon dans l'Aveyron pour accompagner à pied le retour des bêtes (4). 
On change régulièrement les bœufs par paires auprès des maquignons d'Avignonet sinon on essaie de les vendre (inquiétude sur leur santé ou souffrants). Alors que les bœufs sont capables de travailler entre leur cinquième et dixième année, parfois douze, par souci de productivité brute, ils peuvent être engraissés et vendus dès l'âge de six ans. L'abattage se fait de préférence avant l'hiver pour ne plus avoir à les nourrir au fourrage, et aussi à les panser, les faire boire, racler les salissures sur leur robe, évacuer les bouses à la brouette, et tout ce qui incombe à leur entretien... 

Chez Émile, métayer puis propriétaire à Airoux de 1953 à 1989 et grâce aux carnets régulièrement à jour sur la conduite de la borde, trame de fond des romans de Sébastien Saffon, nous apprenons l'achat en juin 1956, d'un « bestial de tira » de deux bœufs. Malheureusement, six jours après, il s'avère qu'ils sont tuberculeux : le maquignon les remplacera en juillet. 
Émile et son propriétaire hésiteront une paire d'années avant de se mettre au tracteur pour une vie moins dure, moins d'efforts, plus d'efficacité mais tant de regrets aussi devant une machine inerte, immobile et sans vie. Émile a gardé une paire sur les trois, pour les bords, les passages étroits, les penchants. Seule la vente des bêtes a permis l'achat du tracteur d'occasion. Ils ont été vendus le 10 janvier 1958 pour un montant de 550.000 francs, l'équivalent de 11.500 euros de 2024.  

« Je me souviens du jour où ils sont partis. Le camion était garé dans la cour, là, devant la maison, et ils sont montés lentement à l'intérieur... » Émile. 

Paul Sibra Attelage_de_bœufs. Détail. 

 
 
Paul Sibra, Attelage_de_bœufs. À propos de ce peintre, voir les articles dont il fait l'objet... Si sa notoriété lui a valu de devoir payer en tant que pétainiste, c'est loin de l'abjection émanant d'un Louis-Ferdinand Destouches... 


(4) le prix dépend de l'âge, des défauts éventuels tel le vessigon, tumeur synoviale causée principalement par des efforts prolongés et pouvant mener à l'incapacité. Ces indications figurent aussi dans l'inventaire des fermes.  

Avril 1968. Montagagne (Ariège).


Avril 1968. Devant l'école sans plus d'enfants de Montagagne (Ariège). 

Remerciements particuliers aux Carnets d'Émile de même qu'aux témoignages d'Aimé Boyer rapportés aussi par Sébastien Saffon). Remerciements à Nelly Abuzzo-Engi pour son blog « Couleur Lauragais ». 

Merci papa pour tes diapos de 1968 à Montagagne.  


dimanche 25 mai 2025

La MONTAGNE NOIRE (7), les cultures riches.

Ah, le Poumaïrol tant restent prégnants l'effet, les répercussions suite à la “ découverte ” fortuite de ce haut pays perdu pourtant dans la modeste entité afférant à la Montagne Noire ! Quel culot de se poser là en “ découvreur ” pas même d'une invention, mais seulement pour être tombé inopinément sur un article de la revue Folklore de 1974. Encore un hasard, une de ces coïncidences qu'on se trouve forcément parce qu'on se les cherche, en ces années 70, “ ma ” “ découverte ” marquante de « La Vallée Perdue » pour tout ce qui m'a plu d'emblée et plaît toujours dans ce film : Michael Caine (1933-), le Capitaine des mercenaires, plus qu'Omar Sharif (1932-2015), le contexte de la Guerre de Trente Ans, perturbante dans ce qu'elle donne à méditer sur les horreurs des guerres pourtant si ordinairement pratiquées encore de nos jours, et quoi encore, le cadre d'une vallée montagnarde alpine épargnée, les thèmes universels écolos avant l'heure, un cours de la vie simple autarcique, lié à la ronde des saisons, sans la funeste attraction industrieuse à venir des villes, sans la pollution... Il est vrai que de vivre dans un HLM du pourtour lyonnais ne pouvait porter qu'à envier un idéal vécu par des paysans encore moyenâgeux dans un îlot de paix miraculeuse. 

Non sans un regard pour les métairies du Lauragais que Sébastien Saffon (1974-2025), parti si brutalement, faisait si bien revivre, avec André David (1893-1915), revenons à la vie paysanne d'alors. 

Paire de bœufs 2006 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license. Auteur Monster1000

Les paires de bœufs au labour appartiennent bien aux terres grasses d'en bas ; au-dessus de 250 mètres, seuls les replats et fonds de vallées sont capables d'offrir un mitage  de sol  plus profond «... plus argileux et plus épais, riche en potasse et soude... ». Sur les hautes terres schisteuses, cristallines, la Montagne n'est qu'un « ségala » avec surtout du seigle, des pommes de terre. Entre les deux, au Nord, une bande de blé et légumineuses, au Sud des cultures méditerranéennes là où les gorges s'élargissent, partout des prairies permettant l'élevage de bovins de bon rapport, un liseré de châtaigniers. 

Lauragais 2018 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Auteur Jean-philippe.miconi

La moindre parcelle exploitable est vouée aux cultures riches. 
Appréciés, rappelant l'opulence de la plaine, le blé, le maïs. Le blé est destiné aux boulangers de la Montagne, le maïs à l'engraissage des volailles de la famille. Au débouché des torrents du sud, sous l'étage des châtaigniers puis les restanques de vignes et olivettes, grâce aux roues à auges ou autres puisages à balanciers (les pousarancos languedociennes), en partant des rigoles d'irrigation des prairies à pommiers, on arrose les maraîchages. 
Les pommes de la Montagne Noire sont renommées jusqu'à Paris. Les amandes, pêches et figues sont consommées localement. 
Les choux dominent dans les potagers. 
Chaque paysan tient à faire son vin. 
Les oliviers ont souffert des hivers rigoureux entre 1789 et 1870 puis des maladies. 
Bien que naturelle, la prairie prétend à conclure cet ensemble. Naturelle, associée aux vergers de pommiers, elle reste en effet tributaire de l'irrigation. Les rigoles suivant les courbes de niveau, soignées, nettoyées, aux vannes révisées, les séparent du bois ou de la lande qu'elles seraient sans la main de l'homme. Elles permettent l'élevage des vaches laitières et à viande (pour, plus particulièrement, les villes de Perpignan, Marseille et Toulon). Avant 1850, leur utilité se limitait au trait, au travail (1). De bon rapport, ces prairies ont conduit à la construction de réservoirs (2) et auraient pu mener à l'édification de barrages à Cenne-Monestiès et Saissac. (à suivre)

(1) Au début du XIXe, élevées pour la viande destinée à l'armée d'Espagne de Napoléon. 

(2) de 108.000 m3 à Saint-Denis, permettant l'arrosage de 142 hectares. Moyennant une redevance de 4,50 fr/ha, un syndicat régulait la distribution d'eau.