Dimanche 17 novembre, mot « demi ».
Steve_McQueen arrêté à Anchorage en 1972. Domaine public Author State Correctional facility Anchorage |
Aude, Languedoc, Tchécoslovaquie, Ariège, Pyrénées, Océan Indien, Lyon, Brésil, ports familiers mais unique maison des humains. Apprendre du passé, refuser la gouvernance cupide suicidaire. Se ressourcer dans l'enfance pour résister, ne pas subir. Passer ? Dire qu'on passe ? Sillage ? Aïeux, culture, accueil, ouverture aux autres, tolérance, respect, héritage à léguer (amour, écoute, cœur, mémoire, histoire, arts...) des mots forts, autant de petites pierres bout à bout qui font humanité.
Dimanche 17 novembre, mot « demi ».
Steve_McQueen arrêté à Anchorage en 1972. Domaine public Author State Correctional facility Anchorage |
Les Vendanges à Colombières-sur-Orb, Jean-Claude Carrière
Au pied du Caroux (1091 m [IGN]) sur la commune de Colombières-sur-Orb où est né Jean-Claude carrière, les châtaigniers des micaschistes font la transition entre les hêtres (à l'origine) de l'Espinouse et en bas, sur les terrains sédimentaires, les vignes, les oliviers et cerisiers.
Son livre, "Le Vin Bourru", ne manque pas d'évoquer les vendanges.
En 2000 il note que depuis les années 30, elles débutent encore entre le 12 et le 25 septembre (1). Né le 19 et inscrit par erreur le 17, l'auteur en déduit que toute la population est fort occupée et perturbée par cette période cruciale, la plus importante de l'année. Le cycle va-t-il les récompenser avec une bonne récolte ou les pénaliser des efforts fournis à cause des aléas météorologiques et des maladies de la vigne ?
L'oncle Pierre et Pierre Campourcy aux pals semaliers / vigne de la carrière, lieu-dit Caboujolette, Fleury-d'Aude. |
Ils vendangent en famille et avec les voisins. Les enfants, les vieux, tous ceux qui le peuvent participent mais certains décampent parfois une heure ou deux pour aller aux champignons ou relever un filet à la rivière. Comme à Fleury, le garçon qui est aux seaux est chargé de la masse pour tasser les grappes dans les comportes. Dès l'âge de treize ans, ils peuvent être "promus" charrieurs aux pals semaliers, ces barres pour porter ensemble par les anses et dans un même pas cadencé, la comporte (2) pleine. L'auteur indique qu'elles contiennent chacune cent kilos de raisins or, il ne tient pas compte du récipient avec les douelles, les cerclages, les poignées... Si le dernier voyage n'était pas trop chargé les femmes et les enfants montaient, ces derniers, juste derrière le gros cul du cheval. On dit "Hi", "Ho", "Bio", "Arrié" pour le mener (et comment dit-on "à gauche" ?).
Au village voisin de Saint-Martin, ce sont toujours les mêmes groupes de travailleurs qui descendent de la montagne pour deux ou trois semaines. Dans le salaire, le vin et une part de nourriture sont compris. Carrière garde le souvenir de repas marquants, bien arrosés avec des "gabaches" (les mountagnols) qui "parlaient à voix très haute et toujours en patois".
Monté à Paris avec ses parents en avril 1945, Jean-Claude Carrière a su mener une double vie fidèle au pays de naissance. Il revenait le plus souvent possible dans la maison familiale et s'il a exprimé, trop légèrement à mon sens, qui plus est avec l'accent d'ici, que tout ce qu'il apprit alors ne lui a que très peu servi, il a pourtant éprouvé le besoin de témoigner de cette vie d'avant dans "Le Vin Bourru" (en français et en occitan). Décédé le 8 février 2021, il repose dans le petit cimetière non loin de chez lui.
(1) depuis elles sont en avance d'une quinzaine de jours bien que cette année; à cause des conditions climatiques, elles soient plus tardives, ce qui a posé un problème pour la main d’œuvre estudiantine moins disponible à partir de la rentrée.
(2) la formation du mot dit bien "porter avec". Ce fut le cas jusqu'à la mise en service de la brouette à vendanger sauf dans les grandes propriétés pour employer les salariés du domaine.
PS : thème déjà évoqué mais quand on aime on ne compte pas.
Colombières-sur-Orb_Eglise Saint-Pierre wikimedia commons Author Fagairolles 34 |
Au fil des pages, quelques thèmes partagés, estampillés "Languedoc".
Te comprendre, t’accepter sans condition mais, et c'est contradictoire, parce que tu satisfis à la condition justement, en commettant ce Vin Bourru écrit fortuitement, un peu comme si tu n’avais eu rien d’autre en train alors, pour chercher, tu dis, si cassure il y avait entre l’enfant qui fut et l’homme qui va son chemin. T’aimer puisque tu as décrit ta vie fondue «dans la masse vivante à laquelle j’appartiens». T’aimer parce qu’un livre comme le Vin Bourru, présenté comme anecdotique est d’une force incroyable, il a le don de rapprocher ceux qui peuvent se reconnaître dans cette vie commune, de nous réunir, par-delà la naissance ou la mort... je ne reprends que tes mots...
En ce moment j’entends ma mère qui n’en finit pas de s’extasier sur la vie exceptionnelle de Romain Gary et justement, a contrario, je pense avec toi «... la description d’une vie n’a d’intérêt que si cette vie est commune, que si d’autres peuvent s’y reconnaître...». Comment ne pas ressentir cette pointe contestable d’irritabilité à cause de «Au nom de tous les miens» de Martin Gray, rescapé de Treblinka et perdant une autre fois sa famille dans l’incendie du Tanneron. J'ai honte mais je ne veux pas compâtir... Est-ce un vieil instinct, aussi antédiluvien et naturel qu'animal qui pousse à abandonner à son sort celui plus vers la mort que la vie ? Je pense à une harde de chevaux sauvages en Australie, abandonnant à son sort celui qui a une patte cassée et qui finalement ne peut plus suivre...
Ma mauvaise conscience médite Musset "... Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur..." et Balzac aussi : "Notre cœur est un trésor, videz-le d'un coup, vous êtes ruinés. Nous ne pardonnons pas plus à un sentiment de s'être montré tout entier qu'à un homme de ne pas avoir un sou à lui." Honoré de Balzac --Le Père Goriot (1835). Une vie dite exceptionnelle rabaisserait-elle les autres ? Une dernière pour alimenter la réflexion, bien que datant de la discrimination sexiste, tant par l'époque que par la personnalité de Jules Michelet, son auteur : " Chaque homme est une humanité, une histoire universelle."
Revenons au livre qui, sans égard aucun pour ton talent tous azimuts, arrive par hasard parce qu'en te promenant, pour meubler un dimanche peut-être, tu as visité un faux village écomusée. Un livre pour raconter tout ce que tu appris, tant de choses qui ne servirent à rien... mais qui restent si précisément dans ta mémoire... Certes tu ne provoques pas mais de ton ton calme, posé et souriant, tu aimes bien titiller, agacer, déstabiliser... une façon pour toi d'esquiver les flatteurs vains et indigents en retour. Que représente-t-il celui-là, parmi les quelques dizaines de ta main ? Oh plus, beaucoup plus que tu ne veux en laisser paraître ! Et dans ta longue carrière d'écrivain touche à tous les domaines ton Vin Bourru revient sans cesse, en fil conducteur, tant lors de tes entretiens que lorsqu'on veut un aperçu des couvertures de tes ouvrages...
Puisque j'ose aimer, honorer et pleurer un enfant du Languedoc qui est nous (une démarche pouvant toutefois ouvrir sur les autres nombreuses facettes de ta personne), relisons-le ensemble ton Vin Bourru !
Jean-Claude_Carrière_à_la_BNF wikimedia commons Author Roman Bonnefoy |
En écho, le Spiderman des façades, peignant un peuple au paradis qui se croirait en enfer, cité par Salamé. En écho, les points de vue des gens célèbres avec qui tu travaillas, Buñuel, Forman... ne pouvant être que partiaux en rappelant le franquisme ou le communisme, le dévoiement de bons principes au départ, pour faire court. Mets donc en parallèle nos journalistes qui me ramènent à ceux de la Tchécoslovaquie après 68. Bien sûr, l’école gratuite, la santé gratuite en France... juste le fric en dénominateur commun ? Pour quelle qualité ? Et même si c’était l'idéal, va donc en parler à la chèvre de monsieur Seguin ! Et ne me prie pas de considérer la manière dont l’histoire finit... des scénarios, tu en as assez écrits pour ne pas avoir plusieurs variantes positives à proposer, ce qui me semble moins possible pour le premier terme de ma proposition « la petite chèvre ne pouvait vivre que libre...».
Sinon ta jambe lancée vers le Monde, tes sujets d’études si lointains, comme l’Inde, l’Espagne, le Mexique, l’étaient depuis la capitale, un Paris qui t’a englué dans la bulle élitiste du pouvoir promouvant une culture d’État et qui, dans une politique de vassalité protégée a besoin de l’alibi culturel pour perdurer. Qu’est-ce que tu lui as trouvé, à ce guignol qui perpétue l’ère des promesses fallacieuses et qui au lieu de proposer un monde nouveau continue tout et en pire ?
Et quand on passe onze ans à travailler sur le Mahabarhata, Jean-Claude, on réfléchit cinq minutes de plus si un scorbut démocratique ronge notre pays... Reprends-toi macarel, tu vaux mieux que ça ! Tu ne disais qu'en privé sûrement :
"... madame Macron me récite parfois des passages de la controverse de Valladolid... "
Je ne sais pas si « ta fille » du festival de Nîmes t’as rendu service en dévoilant cette accointance courtisane... Et pour ta gouverne, la télé repasse "Mourir d’Aimer" avec Girardot... Tu fus plus humble avec tes promotions de grades jusqu’à atteindre celui de commandeur dans l’honneur et le mérite... Tu n’y es pas allé en tennis et dégaine décontractée, sûrement, comme pour tes interviews et interventions dans les médias ?
Je lie cette idée à Napoléon qui promut ces décorations et n’en pensait pas moins : « C’est avec des hochets que l’on mène les hommes ! »
Pardonne-moi de m’être permis d’évoquer cette première raison, la plus dure à faire passer mais ce n’est pas parce que j’ose un point de vue que je crois acceptable sinon lucide que je ne t’aime pas pour autant. Monter à Paris, c'est un choix, une circonstance atténuante à condition de rester indulgent avec les ambitieux... Moi-même je reste coupable de m’être éloigné de ce que tu devenais, de m’être persuadé que je ne t’aimais plus. Il faut malheureusement un contexte aussi définitif que la mort pour que la réalité des sentiments submerge. Une détresse, une tristesse active poussant à aller lire et relire les infos et vidéos te concernant comme s’il était possible de compenser les deux années perdues. Lors de la disparition de quelqu’un qui comptait dans notre paysage affectif, la question de savoir si on l’a assez aimé se pose. Cela doit faire partie de ces «Regrets éternels» qui se répètent... au cimetière.
Et que tu reviennes au pays, à la maison qui te vit naître avec... Arêne, Bosco, Giono, Jean Carrière, Delteil, Valéry, Vilar, Lapointe, Poubelle, Brassens,Trénet... ajoute ton nom à ma liste dans une lumière qui les berça "A ses dignes enfants, le Midi reconnaissant."... Autre chose que la pierre froide et sombre du jacobinisme triomphant et ramenant tout à lui. Entre les deux, j'y pense sans savoir, Jean Camp (1891-1968) de Salles-d'Aude, décédé aussi à Paris, où repose-t-il ? Il n'y a pas de hasard dit-on, pourtant issu du même coin, avec un tropisme marqué pour l'Espagne, le Mexique (son fils André (1920-2004), né à Armissan, reprenant ce flambeau...) dont les parents aussi, partirent pour la capitale, si je ne fais pas erreur, écartelé comme toi, entre l'éblouissement limité d'un projecteur de poursuite à Paris et le rayonnement durable d'un magma spirituel méridional. Une sève originelle portée par la langue et là encore comme l'occitan compte, pour Camp comme pour toi. Je te le lirai, Lou Doublidaire :
Et là, alors que chaque jour j’imagine les mimosas que tu appréciais tant sur ton dernier chemin, pardonne plus encore au ver que je suis, luisant parfois, j’espère oui, de ceux «... qui brillent la nuit dans les chemins sombres, appelant l’amour...» comme tu le notas dans Le Vin Bourru... mais par une nuit pleine d’étoiles dont la tienne, comme il me plaît de voir cette «bucolie».
Les premières asperges sauvages sont sorties, tu sais...
Je te signale que la musique d’accompagnement de la vidéo est celle de la Gloire de mon Père... Tiens, Pagnol, du Midi, monté à Paris lui aussi... Il serait intéressant de comparer votre attachement au Sud, terre de naissance, vous, partis chercher la gloire chez les Parisii... En avez-vous vendu votre âme ? Arêne, Bosco, Giono, Jean Carrière, Delteil, Valéry, Vilar, Lapointe, Poubelle, Trénet, pour ceux auxquels je pense, sont enterrés chez nous sans oublier Brassens pourtant claquemuré par ses imbéciles heureux nés quelque part... Et maintenant il y a toi, Et pour aller plus loin, comme l’écrivait César à son fils Marius concernant ses expériences bathymétriques sur la Malaisia « ... là où ça sera trop profond, laisse un peu mesurer les autres ». Alors, pour ceux forcément oubliés, que la communauté amicale soit mise à contribution.
Jean-Claude, je sais que tu n’es pas du genre prétentieux, que tu acceptes l’échange et le tutoiement si naturel en pays occitan. En vertu de quoi, un anonyme, l’obscur que je suis, se permet de t’aborder. En voici les raisons, enfin espérons qu’elles valent en tant que telles.
En premier lieu, parce que jusqu’au 20 décembre 2018, je te portais haut pour avoir su garder une jambe campée au pied du Caroux, pour n’avoir pas jusque là vendu ton âme. Cette estime a grippé lorsque, trop souvent sollicité par France Inter (4 fois entre septembre et décembre 2018 !), à force d’abonder dans leur sens, tu es même allé plus loin que ces journalistes fonctionnaires que nous payons et qui, en élites boboïsantes vont à l’encontre de ce que la majorité veut et pense. Pour moi qui suis à moitié tchèque je peux te confier qu’ils me rappellent vraiment en pire l’info propagandiste de Prague avant et après le printemps de Dubček. Oui en pire car au moins, les speakerines et speakers de la Československa Televize présentaient raides de leur personne et d’un ton sinistre de croque-mort... Bref, de toi l’écrivain-scénariste-metteur en scène-parolier-acteur traducteur-agriculteur à l’âge de la sagesse, je n’ai retenu que le ton posé de tes quatre-vingt-six printemps lorsque, à contre-courant de ta réserve habituelle tu fis chorus à la Salamé citant le reclus du Baïkal (Tesson fils) pour vilipender les Gilets Jaunes. Toi si prudent, diplomate, plutôt médiateur, si empathique habituellement et qui sauras exprimer par la suite un doute plus objectif, cette fois-là ce ne fut plus toi tant ton point de vue et tes mots furent durs, odieux, macroniens pour le dire net !
Je t’en ai voulu. Essayant de faire passer la rancœur d’abord avec humour « Jean-Claude des châtaignes et du vin bourru, tu me fends le cœur ! » j’ai dit que je t’estimais tant, que je t’aimais tant, mais au passé. Surtout que tu atteignis des sommets avec ton propos sur le référendum !
« Dès qu’il est question d’un référendum populaire Mussolini n’est pas loin. Ça a commencé comme ça, et Mussolini et Hitler. Dès que l’on fait appel au peuple, le peuple dirige vers la dictature tout un pays. Il faut se méfier de ça. C’est une chose qu’on n’a pas dite. Il faut avoir peur du référendum… »
Alors comme ça tu mettrais dans le même sac Mussolini, Hitler et De Gaulle car il l’a promu, le Général, le référendum de caractère républicain, en tant que voix de la Nation ! Tu aurais pu argumenter sur la différenciation impérative avec le plébiscite... Tu aurais pu laisser entendre que le problème n'est pas le référendum mais ceux qui n'en respectent pas le résultat parce que De Gaulle, lui, ne s'est pas assis sur le peuple ! Et toi tu t’es voulu sans nuance et cela ne t’honore pas ! (à suivre)
Colombières-sur-Orb Eglise St-Pierre wikimedia commons Auteur Fagairolles 34 |
Jean-Claude_Carrière_2016-12-11 Wikimedia Commons Author Fryta 73 from Strzegom |
Saint-Martin-de-l'Arçon,_Hérault Wikimedia Commons Author Christian Ferrer |