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mardi 19 octobre 2021

J'AIME ce qu'ils ont transmis sur les VENDANGES / 8 Jean Girou, Gilbert Gaudin, Francis Poudou

Page 313, l'introduction à notre secteur maritime.
  

 « L’Itinéraire en Terre d’Aude » 1936, Jean Girou :


« … la vendange s’annonce belle, à moins que la grêle ne ravage tout ou que les pluies ne changent le raisin en pourriture. Quelles sollicitudes ! Quelles inquiétudes ! Enfin, c’est le moment de la coupe :  les vendanges. Dans ce nom, il y a de la joie, des cris ; les colles sont toujours joviales, les gabaches ou montagnards descendent de la Montagne Noire, des Cévennes, de l’Ariège et viennent vendanger au Pays bas, à Béziers, Narbonne, puis Carcassonne ; après un mois de gaîté et de travail, ils remontent à la montagne, avec un petit pécule… » 

Girou note l'importance de l'apport de main-d’œuvre supplémentaire venu des Pyrénées ou du Massif-Central. Les montagnes avaient alors du mal à nourrir une population nombreuse, ce qui avait amené des conflits avec l'autorité (Guerre des Demoiselles (1830 ~ 1870 env.) et les hommes encore jeunes, sans parler des colporteurs et autres montreurs d'ours de l'Ariège, par exemple,  partaient faire les moissons, revenaient assurer les leurs plus tard dans la saison avant de repartir à nouveau dans le bas pays pour les vendanges. 

  Une dynamique de contreparties dans l'échange va perdurer jusque dans les années 50, confortée par les échanges en temps de guerre entre produits fermiers contre vin (mes grands-parents ont gardé des liens avec leurs correspondants dans la Creuse). 

"Le Puits de Mémoire", témoignages historiques, Gilbert Gaudin, 2001, Éditions Loubatières.  

 Dans le Puits de Mémoire, Gilbert Gaudin (1) a rassemblé des entretiens diffusés sur Narbonne 103, une de ces radios "libres" qui, au début des années 80, se sont multipliées jusque dans les villages (à Fleury aussi). A Vinassan, le groupe des anciens a su transmettre une part de ses racines orales prolongées par un vécu presque exclusivement lié à la vigne. 

"... Pour les vendanges, on était deux colhas. On faisait venir des montanhols, des gens de l'Ariège. Quelques jours avant les vendanges, le régisseur nous faisait préparer des sacs qui avaient servi pour soufrer. Il fallait les défaire, aller les laver à Aude. On en faisait des bourrasses (borassas), qui, une fois remplies de paille, étaient les draps des vendangeurs. La veille des vendanges, on recevait les vendangeurs dans les locaux où ils allaient coucher. 
Une colha comptait trente à quarante personnes, des porteurs et des coupeuses, trois femmes pour un homme. Sur les grandes propriétés, on vendangeait à la hotte, une hotte en fer qui pesait quelque chose. Les petits propriétaires se servaient de comportes et de seaux. Bien sûr on avait la masse pour quicher, pour presser les raisins dans la comporte, la brouette et les pals pour porter... 
Les vendanges duraient bien un mois. Elles commençaient plus tôt qu'aujourd'hui, d'abord les cépages teinturiers comme le petit bouchet en attendant que le carignan murisse. Pour fixer la date [...] on se fiait à la végétation. Monsieur Montestruc disait ; "La vigne bourgeonne, quarante jours après elle fleurit, quarante jours après c'est la véraison [...] et quarante jours après on vendange. Il était toujours le premier à vendanger et il ne regardait pas le degré..."
(témoignages d'Antoinette Orts (2) et François Garrabé) 
 
"Le régisseur. [...] J'ai été moussègne pendant 43 ans exactement comme maman. Vous pensez si on connaissait bien le régisseur. [...] sans être patrons, j'en connais qui se sont comportés exactement comme des patrons."
(témoignage d'Antoinette Orts (2)). 
 
"Mener la colha. Les vendanges d'autrefois étaient différentes par l'ambiance. On travaillait plus doucement mais quand le travail à forfait est arrivé, tout a été bouleversé. [...] Quarante personnes alignées dans la vigne [...] il fallait essayer de les faire marcher droit. Maman était mosegne au domaine et je faisais la seconde mosegne pour les vendanges. La colle était plus jolie quand elle était bien droite. [...] Le régisseur [...] me faisait signe. Il voulait me dire d'attendre. D'autres fois, il me faisait signe d'avancer plus vite. 
On riait bien en travaillant. Certaines oubliaient un petit raisin [...] Il fallait les caponner. Bien sûr c'étaient les jolies filles [...] pas les vieilles. [...] Des fois on faisait exprès [...] Ça dépendait du cavalier qui était derrière."
(témoignage de Clémentine Roques). 
 
"Le Puits de Mémoire", témoignages historiques, Gilbert Gaudin, 2001, Éditions Loubatières. 
  
Vilatges Al Pais - Cinem' Aude 2000 fédération Audoise Léo Lagrange. Francis Poudou et les habitants du canton de Coursan. 

 Francis Poudou qui, en collaboration avec le département de l'Aude (Opération Vilatges al Pais / Fédération Audoise Léo Lagrange), note dans la partie certainement commune aux livres sur les cantons méditerranéens et non montagneux de l'Aude, dont le nôtre, celui de Coursan (2005), la préparation des comportes, de la charrette, du cheval et de son harnachement. Il faut aussi s'organiser, exemple, à Razimbaud (Narbonne), encadrée par deux femmes dont une cuisinière, la cantine accueille une trentaine d'enfants. 

A la vigne c'est una monsénher qui mène la colha. Il arrive qu'une coupeuse "marca la jornada", se taille un doigt. Le livre sur le canton précise encore que les comportes approchaient les 80 kilos. Une bonbonne d'eau aidait à la faire louvoyer sur le plancher de la charrette.  

"... même si le patron, en visite dans la vigne, faisait quelques remarques quand il voyait trop de grunada (grains de raisin par terre) ou de singlets, rien n'arrêtait les chants et les plaisanteries d'une "colhe" dynamique.
    Elles étaient l'occasion de "rencontres" entre les garçons et les filles et quand una jove vendemiaira doblidava un singlet (grappe de plus de neuf grains (3)), èra caponada. En écrasant sur le visage de la jeune fille une grappe de raisins bien mûrs (sic NDLR), les jeunes hommes ne manquaient jamais d'en profiter pour la serrer de près... " 

 (1) Gilbert Gaudin... pardonnez ma touche prétentieuse mais, c'est en tant qu'Inspecteur Général qu'il est venu me jauger pour m'ouvrir ou non la voie de l'histoire géographie. Suite à deux inspecteurs régionaux ne relevant que le négatif pour me forcer à baisser la tête et accepter ma sécurité de fonctionnaire, l'estocade finale n'est pas venue de Paris et monsieur Gaudin m'a encouragé dans mon honnêteté. Au sein d'un ministère du paraître et d'une lâcheté qui est arrivée à contaminer le corps enseignant jusqu'au lâchage autrement plus terrible de Samuel Paty, l'attitude foncièrement positive d'un responsable hiérarchique ne peut que réconforter et je lui en resterai à jamais reconnaissant... 

(2) décidément, on dit que le hasard... soit mais il est plus probant d'aller le chercher... Dans Le Puits de Mémoire, livre de témoignages historiques de Gilbert Gaudin, nombre d'entretiens donnaient la parole aux Vinassanais et parmi eux Antoinette Orts... Mamé Antoinette, grand-mère d'adoption... encore une femme formidable, le cœur sur la main sans jamais à la bouche de malveillance pour qui que ce soit. Cela compte d'écrire, de dire son nom au-delà du cercle qui l'a côtoyée... 

(3) un single est un grappillon, un singlet est donc un petit grappillon...   

samedi 13 mars 2021

LE VIN BOURRU de J.-C. Carrière / lecture à quatre z'yeux


Quarante kilomètres à vol d'étourneau entre Colombières, le village de Jean-Claude Carrière et Fleury-d'Aude, entre le pied du Massif Central et le rivage méditerranéen. Peu de distance mais une géographie très contrastée et pourtant une vie commune où chacun peut se reconnaître, retrouver le souffle vital légué par les aïeux, supputer la pression latente d'un jacobinisme nordiste sur un Sud qui veut vivre... 

Au fil des pages, quelques thèmes partagés, estampillés "Languedoc".

LE VENT. 12 mars 2021. 4 heures du matin : 10° avec le marin, de la douceur mais il ne fera pas plus de 13 degrés cet après-midi puisque le vent va tourner au nord-ouest.  Ah, en parles-tu du vent ? Oui : "le pays est [...] froid l'hiver à cause du vent du Nord qui descend en sifflant du massif..."
 C'est vrai que nous aussi avions l'habitude de dire "vent du Nord" pour un air pourtant venu d'ailleurs. Mais tout comme nous, tu ne mentionnes pas la tramontane. 
Suivi : finalement le vent hésite entre sud-ouest et nord-ouest, dans le premier cas ce serait  "labech" et est-ce que le proverbe trouvera à justifier demain "labech tardièr, cers matinièr" ? (labèch du soir, cers du matin).

LA MER. A t'entendre il te tardait de dépasser ton monde fermé, encaissé entre "... Le Caroux, haut bastion escarpé qu'on qualifie d'imposant et de pittoresque..." et au sud la chaîne basse et arrondie de Sauvagnère. Pourtant, par le versant raide du Caroux, une fois en haut sur le plateau, on voit la mer. 
A Fleury, vers 1930, à l'époque de ta naissance, il s'en trouvait toujours une paire, à l'école, qui n'avaient jamais vu la mer. Alors le maître les emmenait un jeudi sur les hauteurs de la Clape et deux mille mètres plus loin, près le Pech de la Bado, vers 160 mètres d'altitude, on la voit la mer, plein Est, à six kilomètres à peine. 
Note : depuis les coteaux au sud-ouest (Fontlaurier, le Phare) ou ouest (le château d'eau), on la voit la mer. Au-delà de l'étang de Vendres, on reconnait l'immeuble de Valras.   
 
ane-sang-et-or nanou.over-blog.org

LES GAVACHES. Déjà, pour situer Colombières tu ajoutes :
 
"Juste un mot sur les gavaches (prononcer gabatchs). Ils vivent au nord, dans les régions froides et peu civilisées des montagnes centrales. Ils parlent patois et ne sont bons qu'à faire brouter les vaches. A certaines saisons ils descendent dans les terrains méridionaux comme travailleurs périodiques. C'est l'occasion pour nous de voir comme ils sont frustes et ignorants. Le gavache est la référence barbare..."

Et nous Audois qui sommes les Gabaches en chef des Catalans (1) eux-mêmes Gabaches de qui déjà ? Des Catalans d'Espagne ? Des Espagnols non catalans ? Le mot aurait un rapport avec le goitre dû à une carence en iode chez les montagnards de France partis faire les moissons de l'autre côté des Pyrénées dans une Espagne bien plus verte qu'aujourd'hui (les migrations ne se font pas en sens unique !), et ce depuis 1530 ! L'espèce humaine étant d'une nature douce et non agressive, goitre et crétin devinrent synonymes.   
Si les Mexicains ont eu dit (ou disent encore ?) "gabacho" en parlant d'Européens ou de Yankees, un affairisme historique met au second plan le côté péjoratif du terme lorsque, à la frontière du Roussillon, terre aragonaise durant quatre siècles, une interprétation plus apaisée vient traduire le traditionnel "Catala bourou, Gabach  porc !"(2), à savoir que sur la frontière où avaient lieu les échanges, les uns proposaient des ânes réputés, les autres des cochons ! 
Et nous, du Bas-Pays, nous disions plutôt "mountagnols" que gabaches...  

Cochon_recueilli_par_le_Refuge_GroinGroin wikimedia commons Photo_de_L214_-_Éthique_&_animaux

Encore les interconnexions entre l'Occitanie, l'Espagne, le Mexique ! 

(1) nomment-ils ainsi les Occitans du nord du département des Pyrénées Orientales (Fenouillèdes notamment) ?
(2) Catalan tu es un âne, Gabach tu es un porc. 


jeudi 18 octobre 2018

VENDANGES, GABACHES & honorables CORRESPONDANTS


« L’Itinéraire en Terre d’Aude » 1936, Jean Girou :

« … la vendange s’annonce belle, à moins que la grêle ne ravage tout ou que les pluies ne changent le raisin en pourriture. Quelles sollicitudes ! Quelles inquiétudes ! Enfin, c’est le moment de la coupe :  les vendanges. Dans ce nom, il y a de la joie, des cris ; les colles sont toujours joviales, les gabaches ou montagnards descendent de la Montagne Noire, des Cévennes, de l’Ariège et viennent vendanger au Pays bas, à Béziers, Narbonne, puis Carcassonne ; après un mois de gaîté et de travail, ils remontent à la montagne, avec un petit pécule… » 

Beziers - Les vendanges, coupeuses et porteurs Wikimedia Commons Author unknown

Girou note l'importance de l'apport de main-d’œuvre supplémentaire venu des Pyrénées ou du Massif-Central. Les montagnes avaient alors du mal à nourrir une population nombreuse et les hommes encore jeunes, sans parler des colporteurs et autres montreurs d'ours de l'Ariège, par exemple,  partaient faire les moissons, revenaient assurer les leurs plus tard dans la saison et repartaient à nouveau dans le bas pays pour les vendanges. 

Cette dynamique de contreparties va durer jusque dans les années 50, confortée par les échanges en temps de guerre entre produits fermiers contre vin. Mes grands-parents ont gardé des liens avec leurs correspondants dans la Creuse. Papa en parle dans Caboujolette :


"... C'est l’oncle Noé qui avait déniché Adrien Petiot (pas le sinistre docteur !) à Chaulet, commune de Sainte-Feyre (Creuse), et cette famille s’est montrée très compréhensive. Exemple :

« 27 mars 1944. Monsieur Dedieu, c’est avec plaisir que j’ai reçu votre lettre du 22 mars me disant que vous m’expédiez un fût de 233 litres de vin (comme vendangeur). S’il pouvait seulement arriver sans encombre en ces jours sombres que nous vivons. Je vous en remercie infiniment car soyez assuré qu’il sera le bienvenu. Aujourd’hui 27 mars, je vous envoie une caisse de 19 Kgs 500 qui se compose comme suit : caisse 5Kg 500, farine 1Kg 800, lard gras 700 grammes, œufs 1 douzaine, pommes de terre 10 Kgs. Aussitôt reçu, par retour du courrier, vous m’aviserez si tout est bien arrivé (…/…) vous me la retournerez aussi le plus vite possible pour que je vous la renvoie aussitôt, nous ne faisons pas le pain, c’est le boulanger qui le fournit, on se débrouille pour la farine.../...


... Il était venu avec sa femme vendanger, une année. C’est lui qui se levait de sa souche, chaque fois, quand l’oncle Noé chantait



« J’ai mal occu… j’ai mal occu…

J’ai mal… occupé ma jeunesse :

J’ai troP été, j’ai troP été,

J’ai trop été dissipateur »



Il se levait encore lorsqu’on racontait « la dernière » d’Henri Sales, le père de Jeannot, parlant d’un cochon gras … de six mètres de long, et pesant la bagatelle de 450 kilos.



« Oh ! mais alors, il était maigre ! » avait-il dit..." 

Wikimedia Commons Vendanges_dans_l'Hérault_à_la_fin_du_XIXe_s_côtes-de-thongue (2)



Puis le vin a cessé d'être considéré comme une nourriture chère et recherchée là où les vignes ne poussaient pas. La mécanisation, le désir de vivre et non plus de survivre ont vidé les régions montagneuses à l'écart... Les gens de la Creuse et de la Haute-Loire (75 % des vendangeurs extérieurs) se sont tournés vers les plaines industrieuses. Jean Ferrat en a bien témoigné dans sa chanson "La Montagne" (1964). Un irrésistible exode rural a poussé ces ruraux à devenir ouvriers ou employés dans les grandes villes. 

Au milieu des années 50, ce sont les Espagnols qui vont contribuer à fournir la main-d’œuvre si nécessaire aux vendanges.