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dimanche 24 octobre 2021

VENDANGES - LA SARDO / 11. Francis Poudou, Christian Signol, Jean Camp

Dans le groupe, le rituel rend hommage à la perpétuation de la vie. Il rassemble les participants et dans un état d'esprit empathique, insuffle une énergie partagée qui contribue à poursuivre sa destinée. Dans ce cadre, les agapes festives prises en commun illustrent le partage et la solidarité de destin. Après le rite de la dernière charrette, celui du repas de clôture des vendanges, en plus de signifier "être des nôtres" pousse la convivialité à boire "comme les autres", jusqu'à jongler, dans la griserie sinon l’ivresse, avec la démarcation du besoin animal, instinctif, de la chair après celui de la chère ; l'occasion de se désinhiber, de se libérer d'une tension primitive, pour s'affubler d'une circonstance atténuante, pour transgresser les frontières, s'autoriser un écart, serait-il fantasmé, faire un accroc à une morale aliénante.    

La Sardo : 

 
La récolte rentrée, la tradition voyait le propriétaire payer le repas de fin des vendanges à ses employés. Une tradition déjà passablement mise à mal dans les années soixante.
Le nom de ce repas "La sardo" restait pourtant. On peut lui associer sa version empreinte de religiosité, le "dièu lou vol" (n'allez pas me chicaner en corrigeant "diu", "dius", "dièus", "dio", ou encore "diou"... ).

Dans son livre sur le canton de Coursan (Vilatges al Pais / 2005) Francis Poudou et les habitants relèvent (page 94), "Lo Dius o Vòl" :

"Lo Dius o vòl.
La dernière charrette fleurie, les vendanges se terminaient par une fête que l'on appelait "Lo Dius o l ! (Si dieu le veut on se retrouvera l'an prochain), repas ou goûter pris en commun et généralement offert par le propriétaire."

Dans "Les Vignes de Sainte-Colombe", Christian Signol écrit :

"... Le dernier soir Charles Barthélémie accorda le "Dieu-le-veut", l'ultime festin destiné à récompenser la vaillance des vendangeurs. Comme c'était la coutume il y eut des mets exceptionnels : bouilli aux câpres, boudin noir et fricassée de volailles, puis des chants, des danses, des rondes et des farandoles qui se perdirent dans les vignes pour de mystérieux adieux..."

Signol évoque avec pudeur les suites sensuelles de ce repas festif. 
 
Avec Jean Camp, en parallèle à une description délicate de différents cépages, il y a l'enlèvement des Sabines dans l'évocation de la sarde :
 
"... Demain nous mangerons la "sarde", tous assis à la même table. Je paie le rancio à tout le monde. Placide, au barricot ! [...] De la charrette qui vient d'arriver et qu'on a laissée au bord du chemin, les hommes tirent planches et tréteaux, et dressent une longue table à peine branlante. les bancs s'alignent tout au long. Puis viennent les corbeilles débordantes de lourds pains ronds, les grands paniers de fricassées, les jattes de volailles rôties, fleurant le romarin, les cassoulets figés qu'une flambée de bois sec va faire ronronner tout à l'heure, les soupières de salades vertes où s'entassent l'anchois pilé, les œufs durs, les tomates douces, l'huile, le poivre, le sel, les piments rouges et les "chapons" spongieux frottés d'ail, les panerées de coques légères saupoudrées de sucre, les flans tremblotants, les crèmes onctueuses et les débordements de raisins fins : muscats déjà ridés aux grains poisseux de miel, chasselas ferme à la robe nuancée, "terrets" blonds de peau épaisse mais de parfum franc, grappes de malvoisie au goût de violette, picpouls énormes et blanc-vert, et même, mêlé aux aristocrates de la table, le modeste et juteux aramon, le roi de la plaine, avec ses prunes serrées d'un beau noir, son jus clair, sa chair tendre et sa généreuse abondance.
Un tonneau de cinquante litres est hissé avec précaution jusque là et calé contre le portail. Le régisseur y met cannelle mais veille à sa sécurité. Puis, les petits barils de vin blanc, de vin vieux, s'accotent près de lui. Enfin, pour le dessert, les bouteilles pansues de rancio qui mettront le feu aux joues des dîneurs.
Les femmes ont retroussé leurs manches et leurs jupes. Accroupies devant des foyers improvisés, elles réchauffent les potées de légumes, les marmites où chantonne bientôt la graisse fondante. D'autres battent la salade ; d'autres couvrent de branchage fin les desserts qui ont attiré un vol de mouches et d'insectes..."
 

Jean Camp
 La sarde se passe dans la Clape, quelque part aux abords de la chapelle des Auzils (extrait de Vin Nouveau, un roman de Jean Camp paru en 1929).

mardi 19 octobre 2021

J'AIME ce qu'ils ont transmis sur les VENDANGES / 8 Jean Girou, Gilbert Gaudin, Francis Poudou

Page 313, l'introduction à notre secteur maritime.
  

 « L’Itinéraire en Terre d’Aude » 1936, Jean Girou :


« … la vendange s’annonce belle, à moins que la grêle ne ravage tout ou que les pluies ne changent le raisin en pourriture. Quelles sollicitudes ! Quelles inquiétudes ! Enfin, c’est le moment de la coupe :  les vendanges. Dans ce nom, il y a de la joie, des cris ; les colles sont toujours joviales, les gabaches ou montagnards descendent de la Montagne Noire, des Cévennes, de l’Ariège et viennent vendanger au Pays bas, à Béziers, Narbonne, puis Carcassonne ; après un mois de gaîté et de travail, ils remontent à la montagne, avec un petit pécule… » 

Girou note l'importance de l'apport de main-d’œuvre supplémentaire venu des Pyrénées ou du Massif-Central. Les montagnes avaient alors du mal à nourrir une population nombreuse, ce qui avait amené des conflits avec l'autorité (Guerre des Demoiselles (1830 ~ 1870 env.) et les hommes encore jeunes, sans parler des colporteurs et autres montreurs d'ours de l'Ariège, par exemple,  partaient faire les moissons, revenaient assurer les leurs plus tard dans la saison avant de repartir à nouveau dans le bas pays pour les vendanges. 

  Une dynamique de contreparties dans l'échange va perdurer jusque dans les années 50, confortée par les échanges en temps de guerre entre produits fermiers contre vin (mes grands-parents ont gardé des liens avec leurs correspondants dans la Creuse). 

"Le Puits de Mémoire", témoignages historiques, Gilbert Gaudin, 2001, Éditions Loubatières.  

 Dans le Puits de Mémoire, Gilbert Gaudin (1) a rassemblé des entretiens diffusés sur Narbonne 103, une de ces radios "libres" qui, au début des années 80, se sont multipliées jusque dans les villages (à Fleury aussi). A Vinassan, le groupe des anciens a su transmettre une part de ses racines orales prolongées par un vécu presque exclusivement lié à la vigne. 

"... Pour les vendanges, on était deux colhas. On faisait venir des montanhols, des gens de l'Ariège. Quelques jours avant les vendanges, le régisseur nous faisait préparer des sacs qui avaient servi pour soufrer. Il fallait les défaire, aller les laver à Aude. On en faisait des bourrasses (borassas), qui, une fois remplies de paille, étaient les draps des vendangeurs. La veille des vendanges, on recevait les vendangeurs dans les locaux où ils allaient coucher. 
Une colha comptait trente à quarante personnes, des porteurs et des coupeuses, trois femmes pour un homme. Sur les grandes propriétés, on vendangeait à la hotte, une hotte en fer qui pesait quelque chose. Les petits propriétaires se servaient de comportes et de seaux. Bien sûr on avait la masse pour quicher, pour presser les raisins dans la comporte, la brouette et les pals pour porter... 
Les vendanges duraient bien un mois. Elles commençaient plus tôt qu'aujourd'hui, d'abord les cépages teinturiers comme le petit bouchet en attendant que le carignan murisse. Pour fixer la date [...] on se fiait à la végétation. Monsieur Montestruc disait ; "La vigne bourgeonne, quarante jours après elle fleurit, quarante jours après c'est la véraison [...] et quarante jours après on vendange. Il était toujours le premier à vendanger et il ne regardait pas le degré..."
(témoignages d'Antoinette Orts (2) et François Garrabé) 
 
"Le régisseur. [...] J'ai été moussègne pendant 43 ans exactement comme maman. Vous pensez si on connaissait bien le régisseur. [...] sans être patrons, j'en connais qui se sont comportés exactement comme des patrons."
(témoignage d'Antoinette Orts (2)). 
 
"Mener la colha. Les vendanges d'autrefois étaient différentes par l'ambiance. On travaillait plus doucement mais quand le travail à forfait est arrivé, tout a été bouleversé. [...] Quarante personnes alignées dans la vigne [...] il fallait essayer de les faire marcher droit. Maman était mosegne au domaine et je faisais la seconde mosegne pour les vendanges. La colle était plus jolie quand elle était bien droite. [...] Le régisseur [...] me faisait signe. Il voulait me dire d'attendre. D'autres fois, il me faisait signe d'avancer plus vite. 
On riait bien en travaillant. Certaines oubliaient un petit raisin [...] Il fallait les caponner. Bien sûr c'étaient les jolies filles [...] pas les vieilles. [...] Des fois on faisait exprès [...] Ça dépendait du cavalier qui était derrière."
(témoignage de Clémentine Roques). 
 
"Le Puits de Mémoire", témoignages historiques, Gilbert Gaudin, 2001, Éditions Loubatières. 
  
Vilatges Al Pais - Cinem' Aude 2000 fédération Audoise Léo Lagrange. Francis Poudou et les habitants du canton de Coursan. 

 Francis Poudou qui, en collaboration avec le département de l'Aude (Opération Vilatges al Pais / Fédération Audoise Léo Lagrange), note dans la partie certainement commune aux livres sur les cantons méditerranéens et non montagneux de l'Aude, dont le nôtre, celui de Coursan (2005), la préparation des comportes, de la charrette, du cheval et de son harnachement. Il faut aussi s'organiser, exemple, à Razimbaud (Narbonne), encadrée par deux femmes dont une cuisinière, la cantine accueille une trentaine d'enfants. 

A la vigne c'est una monsénher qui mène la colha. Il arrive qu'une coupeuse "marca la jornada", se taille un doigt. Le livre sur le canton précise encore que les comportes approchaient les 80 kilos. Une bonbonne d'eau aidait à la faire louvoyer sur le plancher de la charrette.  

"... même si le patron, en visite dans la vigne, faisait quelques remarques quand il voyait trop de grunada (grains de raisin par terre) ou de singlets, rien n'arrêtait les chants et les plaisanteries d'une "colhe" dynamique.
    Elles étaient l'occasion de "rencontres" entre les garçons et les filles et quand una jove vendemiaira doblidava un singlet (grappe de plus de neuf grains (3)), èra caponada. En écrasant sur le visage de la jeune fille une grappe de raisins bien mûrs (sic NDLR), les jeunes hommes ne manquaient jamais d'en profiter pour la serrer de près... " 

 (1) Gilbert Gaudin... pardonnez ma touche prétentieuse mais, c'est en tant qu'Inspecteur Général qu'il est venu me jauger pour m'ouvrir ou non la voie de l'histoire géographie. Suite à deux inspecteurs régionaux ne relevant que le négatif pour me forcer à baisser la tête et accepter ma sécurité de fonctionnaire, l'estocade finale n'est pas venue de Paris et monsieur Gaudin m'a encouragé dans mon honnêteté. Au sein d'un ministère du paraître et d'une lâcheté qui est arrivée à contaminer le corps enseignant jusqu'au lâchage autrement plus terrible de Samuel Paty, l'attitude foncièrement positive d'un responsable hiérarchique ne peut que réconforter et je lui en resterai à jamais reconnaissant... 

(2) décidément, on dit que le hasard... soit mais il est plus probant d'aller le chercher... Dans Le Puits de Mémoire, livre de témoignages historiques de Gilbert Gaudin, nombre d'entretiens donnaient la parole aux Vinassanais et parmi eux Antoinette Orts... Mamé Antoinette, grand-mère d'adoption... encore une femme formidable, le cœur sur la main sans jamais à la bouche de malveillance pour qui que ce soit. Cela compte d'écrire, de dire son nom au-delà du cercle qui l'a côtoyée... 

(3) un single est un grappillon, un singlet est donc un petit grappillon...   

jeudi 31 octobre 2019

LA SARDO, le festin de fin des vendanges ! / les vendanges à Fleury.

La récolte rentrée, la tradition voyait le propriétaire payer le repas de fin des vendanges à ses employés. Une tradition déjà passablement mise à mal dans les années soixante.
Le nom de ce repas "La sardo" restait pourtant. On peut lui associer sa version empreinte de religiosité, le "dièu lou vol" (n'allez pas me chicaner en corrigeant "diu", "dius", "dièus", "dio", ou encore "diou"... ).

Dans son livre sur le canton de Coursan (Vilatges al Pais / 2005) Francis Poudou et les habitants relèvent (page 94), "Lo Dius o Vòl" :

"Lo Dius o vòl.
La dernière charrette fleurie, les vendanges se terminaient par une fête que l'on appaelait "Lo Dius o l ! (Si dieu le veut on se retrouvera l'an prochain) (1), repas ou goûter pris en commun et généralement offert par le propriétaire."

Dans "Les Vignes de Sainte-Colombe", Christian Signol écrit :

"... Le dernier soir Charles Barthélémie accorda le "Dieu-le-veut", l'ultime festin destiné à récompenser la vaillance des vendangeurs. Comme c'était la coutume il y eut des mets exceptionnels : bouilli aux câpres, boudin noir et fricassée de volailles, puis des chants, des danses, des rondes et des farandoles qui se perdirent dans les vignes pour de mystérieux adieux..."

Signol évoque avec pudeur les suites sensuelles de ce repas festif. Jean Camp, lui, s'attarde sur une symbolique plus païenne du repas de fête partagé :   


"... Demain nous mangerons la "sarde", tous assis à la même table. Je paie le rancio à tout le monde. Placide, au barricot ! [...] De la charrette qui vient d'arriver et qu'on a laissée au bord du chemin, les hommes tirent planches et tréteaux, et dressent une longue table à peine branlante. les bancs s'alignent tout au long. Puis viennent les corbeilles débordantes de lourds pains ronds, les grands paniers de fricassées, les jattes de volailles rôties, fleurant le romarin, les cassoulets figés qu'une flambée de bois sec va faire ronronner tout à l'heure, les soupières de salades vertes où s'entassent l'anchois pilé, les œufs durs, les tomates douces, l'huile, le poivre, le sel, les piments rouges et les "chapons" spongieux frottés d'ail, les panerées de coques légères saupoudrées de sucre, les flans tremblotants, les crèmes onctueuses et les débordements de raisins fins : muscats déjà ridés aux grains poisseux de miel, chasselas ferme à la robe nuancée, "terrets" blonds de peau épaisse mais de parfum franc, grappes de malvoisie au goût de violette, picpouls énormes et blanc-vert, et même, mêlé aux aristocrates de la table, le modeste et juteux aramon, le roi de la plaine, avec ses prunes serrées d'un beau noir, son jus clair, sa chair tendre et sa généreuse abondance. 

Cassoulet Carcassonne Wikimedia commons Auteur BrokenSphere
Un tonneau de cinquante litres est hissé avec précaution jusque là et calé contre le portail. Le régisseur y met cannelle mais veille à sa sécurité. Puis, les petits barrils de vin blanc, de vin vieux, s'accotent près de lui. Enfin, pour le dessert, les bouteilles pansues de rancio qui mettront le feu aux joues des dîneurs.
Les femmes ont retroussé leurs manches et leurs jupes. Accroupies devant des foyers improvisés, elles réchauffent les potées de légumes, les marmites où chantonne bientôt la graisse fondante. D'autres battent la salade ; d'autres couvrent de branchage fin les desserts qui ont attiré un vol de mouches et d'insectes..." (à suivre)

(1) une interprétation qui en vaut d'autres...