Dans le groupe, le rituel rend hommage à la perpétuation de la vie. Il rassemble les participants et dans un état d'esprit empathique, insuffle une énergie partagée qui contribue à poursuivre sa destinée. Dans ce cadre, les agapes festives prises en commun illustrent le partage et la solidarité de destin. Après le rite de la dernière charrette, celui du repas de clôture des vendanges, en plus de signifier "être des nôtres" pousse la convivialité à boire "comme les autres", jusqu'à jongler, dans la griserie sinon l’ivresse, avec la démarcation du besoin animal, instinctif, de la chair après celui de la chère ; l'occasion de se désinhiber, de se libérer d'une tension primitive, pour s'affubler d'une circonstance atténuante, pour transgresser les frontières, s'autoriser un écart, serait-il fantasmé, faire un accroc à une morale aliénante.
La Sardo :
La récolte rentrée, la tradition voyait le propriétaire payer le repas
de fin des vendanges à ses employés. Une tradition déjà passablement
mise à mal dans les années soixante.
Le nom de ce repas "La sardo" restait
pourtant. On peut lui associer sa version empreinte de religiosité, le
"dièu lou vol" (n'allez pas me chicaner en corrigeant "diu", "dius",
"dièus", "dio", ou encore "diou"... ).
Dans son livre sur le canton de Coursan
(Vilatges al Pais / 2005) Francis Poudou et les habitants relèvent (page
94), "Lo Dius o Vòl" :
"Lo Dius o vòl.
La dernière charrette fleurie, les vendanges se terminaient par une fête que l'on appelait "Lo Dius o Vòl
! (Si dieu le veut on se retrouvera l'an prochain), repas ou goûter
pris en commun et généralement offert par le propriétaire."
Dans "Les Vignes de Sainte-Colombe", Christian Signol écrit :
"... Le dernier soir Charles Barthélémie
accorda le "Dieu-le-veut", l'ultime festin destiné à récompenser la
vaillance des vendangeurs. Comme c'était la coutume il y eut des mets
exceptionnels : bouilli aux câpres, boudin noir et fricassée de
volailles, puis des chants, des danses, des rondes et des farandoles qui
se perdirent dans les vignes pour de mystérieux adieux..."
Signol évoque avec pudeur les suites sensuelles de ce repas festif.
Avec Jean Camp, en parallèle à une description délicate de différents cépages, il y a l'enlèvement des Sabines dans l'évocation de la sarde :
"... Demain nous mangerons la "sarde",
tous assis à la même table. Je paie le rancio à tout le monde. Placide,
au barricot ! [...] De la charrette qui vient d'arriver et qu'on a
laissée au bord du chemin, les hommes tirent planches et tréteaux, et
dressent une longue table à peine branlante. les bancs s'alignent tout
au long. Puis viennent les corbeilles débordantes de lourds pains ronds,
les grands paniers de fricassées, les jattes de volailles rôties,
fleurant le romarin, les cassoulets figés qu'une flambée de bois sec va
faire ronronner tout à l'heure, les soupières de salades vertes où
s'entassent l'anchois pilé, les œufs durs, les tomates douces, l'huile,
le poivre, le sel, les piments rouges et les "chapons" spongieux frottés
d'ail, les panerées de coques légères saupoudrées de sucre, les flans
tremblotants, les crèmes onctueuses et les débordements de raisins fins :
muscats déjà ridés aux grains poisseux de miel, chasselas ferme à la
robe nuancée, "terrets" blonds de peau épaisse mais de parfum franc,
grappes de malvoisie au goût de violette, picpouls énormes et
blanc-vert, et même, mêlé aux aristocrates de la table, le modeste et
juteux aramon, le roi de la plaine, avec ses prunes serrées d'un beau noir, son jus clair, sa chair tendre et sa généreuse abondance.
Un tonneau de cinquante litres est hissé
avec précaution jusque là et calé contre le portail. Le régisseur y met
cannelle mais veille à sa sécurité. Puis, les petits barils de vin
blanc, de vin vieux, s'accotent près de lui. Enfin, pour le dessert, les
bouteilles pansues de rancio qui mettront le feu aux joues des dîneurs.
Les femmes ont retroussé leurs manches
et leurs jupes. Accroupies devant des foyers improvisés, elles
réchauffent les potées de légumes, les marmites où chantonne bientôt la
graisse fondante. D'autres battent la salade ; d'autres couvrent de
branchage fin les desserts qui ont attiré un vol de mouches et
d'insectes..."
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Jean Camp |
La sarde se passe dans la Clape, quelque
part aux abords de la chapelle des Auzils (extrait de Vin Nouveau, un roman de
Jean Camp paru en 1929).