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lundi 11 octobre 2021

J'AIME ces tableaux de VENDANGES 4. François Tolza (fin)

 François TOLZA,  « ADORACIÓN »


« .../... Depuis huit jours la « colle » (1) du Bagne allait et venait dans les vignes de la Plane. Chaque fois qu'arrivée au bout d'une rangée elle se rabattait pour prendre une rangée nouvelle, cela faisait un mouvement d'éventail qui se ferme et puis s'ouvre. Quarante coupeuses se penchaient vers la terre, brassaient les ceps de leurs bras habillés de sac. Derrière elles, les vignes étaient pareilles à un velours froissé. Les hotteurs venaient par derrière, le corps droit, les doigts appuyés aux bretelles de leur hotte. Ils se penchaient tantôt à gauche, tantôt à droite, recevaient les seaux en arquant les jambes pour se parer du poids, puis, la hotte pleine, sautaient deux ou trois coups, jambes pliées, afin de répartir et de consolider sur leur dos blessé, leur charge. Après quoi ils s'en retournaient, courbés et lents, pareils à des scarabées, une feuille de vigne aux dents pour oublier la douleur de leur dos, jusqu'au chemin vicinal où s'alignaient les comportes. Faustin leur désignait la comporte où ils devaient vider leur charge.../...

.../... C'était un homme fort. Il n'avait pas son pareil pour les coups de main. Il était capable de hisser jusqu'au talon de la charrette une comporte pleine, une main à chaque cornelière. Cela lui arrivait quelquefois lorsqu'il fallait faire vite, que la pluie tombait et que l'on craignait pour le degré ... A le voir hisser une comporte, on ne devinait pas le moment de la plus forte tension. Une fois la chose dans  ses mains, on la voyait quitter le sol et lentement monter comme soulevée par une machine. Ce n'était pas à  cause de sa force qu'on l'avait mis à faire des comportes. Il avait un coup d'œil étonnant pour répartir les chargements. Au charretier qui revenait de la cave, de loin,  il criait :  
- Alors ? un peu plus que la dernière...   dans les 1250 ...
Le charretier ne répondait pas,  tendait le ticket rouge de la coopérative. Faustin y  jetait les yeux, souriait. La différence n'allait pas au delà de 20 kilos .../

... Depuis vingt ans la Cagotte était « moussègne» (2) et elle connaissait son métier. Elle amenait tout son monde dans son sillage sans qu'il y eût jamais un grincement. A la pointe de la file, elle allait de son train régulier de femme besogneuse devant une « colle » qui avait souvent le nez en l'air. Mais, lorsque la distance se faisait par trop grande, tout bavardage cessait. Les hotteurs ne faisaient plus de plaisanteries. Les mères aidaient les jeunes qui s'empêtraient dans les feuilles. On n'entendait plus qu'un froissement de plantes, le bruit sec des sécateurs et le glissement des seaux sur les cailloux plats de la vigne.../... 
 
Vendanges Repas_de_vendanges_dans_l'Hérault vers 1900 wikimedia commons Carte postale ancienne

.../...
~ Voilà que tu ne sais plus voir l'heure mon pauvre Faustin.  C'est-y que tu aurais trop de travail à "quicher" les comportes ? ou bien que le vin du Bagne serait trop clair ?
Elles lui mirent la montre bombée sous les yeux. Elles lui tirèrent les cheveux et les oreilles. Lui riait de bon cœur comme un enfant. Déjà les vieilles promenaient leurs hardes et leurs paniers, à la recherche de l'ombre. Aux comportes, les filles lavaient leurs mains avec des grappillons verts et durs dont le jus acide piquait les yeux. Derrière le hangar de roseaux, sous un arbre que le vent devait peigner durement l'hiver, toutes les branches en fuite vers la mer, la « colle» se rangea en rond. Ils mangeaient en silence, les jambes bien allongées sur le sol, le regard délivré. Faustin coupa une tomate, mit les deux lobes sur une large tranche de pain, arrosa le tout d'huile et de vinaigre, sala, poivra.../...

.../... Ils étaient tous, hommes et femmes, des quatre coins de Sainte-Marie. Les premiers jours ils s'étaient sentis un peu étrangers les uns vis-à-vis des autres.  Ils avaient mesuré leurs paroles,  vérifié les images qu'ils se faisaient de chacun. Puis, très vite, les préférences avaient maçonné des groupes. On les retrouvait le long de la file des coupeuses, rassemblés aux heures de repos. Seules, deux ou trois vieilles vivaient à  l'écart, traînantes au bout de la file, sommeillantes et écrasées aux repas. Pour les autres, dont la sieste n'était pas un besoin,c'était deux heures de conversation et de délassement.../...

.../... Maintenant ils chargeaient. Debout sur le talon de la charrette, Idrou, le charretier, donnait la corde. Faustin l'enroulait deux fois autour de la cornelière, puis,  les deux mains au cul de la comporte, il poussait un ah! qui la jetait, avec fracas, sur le plancher du véhicule. Idrou la faisait louvoyer d 'une ridelle à l'autre sur le plancher gluant de grappes écrasées, l'amenait sur le devant, la calait contre les supports de fer entre lesquels couraient les chaînes. La dernière comporte monta lentement. Faustin la soutenait dans ses mains en corbeille ; puis elle s'encastra, jetée d'un bloc, sur le côté de la charrette. Idrou, d'une chaîne, ceintura la jumelée. Il n'avait pas fini de vérifier tous les crochets, que la jeunesse prenait la charrette d'assaut, logeait ses paniers, installait des brassées de feuilles sur les comportes pleines. Le charretier allait et venait des brancards au talon, passait la main sous la ventrière du limonier. Déjà loin, le vieux cheval des Bagnes amenait d'un pas fatigué, dans la jardinière cahotante, les vieilles et les mères. Un coup de fouet, l'effort brutal et silencieux des muscles attentifs, le claquement des traits sur les brancards, la morsure des roues sur la terre et l'attelage s'arrachait de la vigne. A l'ouest, le soleil était encore haut. Il pouvait être cinq heures. Des quatre coins des Planes, les « colles » affluaient vers les chemins, pressées de gagner, avant le crépuscule, la route nationale, plus sûre, où l'on était certain de trouver du secours en cas de besoin. La journée finie, les femmes enlevaient les foulards de tête, passaient leurs doigts dans leurs cheveux collés, enfouissaient au fond des paniers les tabliers sales et les espadrilles trouées. Lentes de tous leurs dos meurtris, de leurs jambes raides, elles s'en venaient vers le village.  Il faisait un vrai temps de vendanges. Quoique les matins fissent prévoir des après-midi chaudes, il y avait quelque chose dans l'air qui démentait les orages et la canicule. Dès dix heures, la campagne se dorait. Le ciel  prenait un bleu fatigué de début d'automne. A peine si les midis brûlaient aux flancs des pierres et faisaient l'air plus lourd autour des souches. On ne mangeait pas au fort des ombres, mais dans cette zone tiède à  la lisière de l'ombre et du soleil. Au ciel, pas un nuage, mais cette immobilité limpide, purifiée, de tout de qui n'est pas durable. Les soirs se teintaient d'orange, éclaboussant les vignes de verts ternis où les cépages blancs tournaient au jaune pâle.../..."

(1) La « colle » désigne l’ensemble du personnel préposé à la récolte d’une propriété.
(2) Pour «moussègne», l’auteur indique « chef de colle ».
 
Prolongements et commentaires : 
* Le porteur doit être jeune pour sauter afin de tasser la charge dans la hotte, chose que, pour ménager les genoux, le patron de Pablo, dans le Jura, aurait déconseillée à l'Espagnol. 
* Les femmes couvrent leurs bras de sacs, il doit y avoir le mouillé du matin. 
* Les comportes vides attendent sur le chemin. 
* Avec François Tolza, la poignée, l'anse, l'oreille de la comporte s'appelle "cornelière".
* La procédure pose problème puisque les porteurs vident dans les comportes à terre, comportes "quichées" qui doivent par la suite être chargées... Avec celui qui reste sur le chariot, il faut un hercule comme Faustin pour hisser chaque fois des charges de plus de 80 kilos... Et est-ce qu'il y a un hercule dans chaque colle de vendangeurs ? On comprend que le talon est l'arrière de la charrette. De même l'emploi du verbe louvoyer pour aligner le rang par deux des comportes est très parlant... Peut-être que leur forme ovale facilite ce travail... 
 Photo : la façon de rentrer la récolte varie dans le temps et suivant l'endroit. A Avignon par exemple, on porte sur la tête et on vide le raisin non pressé dans un tombereau.
* Le ticket de la coopérative indique le poids : le degré d'alcool semble ne pas compter dans le profit réalisé. 
* Fin de la journée. Les vieilles et les mères montent sur la jardinière, une charrette légère, tandis que les autres coupeuses rentrent à pied. 
* Il fait moins chaud dans la journée et le ciel doit être un ciel d'octobre. 
 
 
ÉPILOGUE : adieu la revue du Caire ! les liens sont restés avec l'ordinateur précédent, les sites ont fait peau neuve, les URL ne donnent plus rien... A l'heure où l'informatique laisse croire qu'on pourra aller toujours plus loin, ce n'est rien d'autre qu'une régression et seule une recherche physique serait susceptible d'apporter quelque chose !   

Article d'origine : 

https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2018/09/vendanges-davant-guerre-fleury-daude-en.html 



J'AIME ces tableaux de VENDANGES. 4. François Tolza (première partie)

Vendanges Maestri,_Michelangelo_-_Busto_di_Bacco_-_1850

Les vendanges s'honorent de la célébration, du culte même qui leur est attaché. Les écrivains qui leur rendent hommage en sont presque à se laisser emporter par l'emprise du cérémoniel, du rituel pour ce qu'elles ont de pénétrant, ce qu'elles ont de mythique.    

Et parce que ce thème des vendanges m'habite, je tourne les pages empoussiérées du blog pour me compter avec ceux qui, sensibles au lien primordial entre l'humanité et le sol nourricier, apprécient les palettes de mots, le coup de main pour, à partir de pâtes et de couleurs, sortir des scènes de vendanges... 

Après Christian Signol, Jean-Claude Carrière et Bernard Clavel, François Tolza. 
François Tolza ? Rien sur cet auteur malgré les trois moteurs de recherche sollicités, rien, sinon, en dehors de mes articles sur la piste d'une plume qui le vaut bien, sur la plate-forme numéro un, la mention "François Tolza « ADORACIÓN », roman, édition Les Lettres Françaises, 1er janvier 1945, reliure inconnue, actuellement indisponible... 

Dans ce roman, en dehors de l'intrigue, plusieurs tableaux de vendanges :

Article du 3 novembre 2016. 

C’est là-bas que notre moussègne se cachait dans la centaine de pages du numéro 78 de  « La Revue du Caire », une publication de littérature et d’histoire paraissant pour sa huitième année. 

 Cette chronique villageoise se situe en Roussillon, dans la plaine de la Salanque, peut-être à l’époque des premières caves coopératives, au début du XXe car la première guerre mondiale n’est pas évoquée. Dans cette histoire, par contre, le rôle central des ouvriers espagnols témoigne d’un mouvement migratoire ancien et bien antérieur aux flux liés à la guerre civile en Espagne.

 https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2016/11/raisin-vendanges-adoracion-francois.html 

A la date du 8 juillet 2017. 

Préparation des vendanges : « ... Les comportes s’épaulaient, alignées, le long des façades, ou s’empilaient autour de l’humidité des pompes. On défaisait les seaux rentrés les uns dans les autres et collés ensemble depuis la dernière vendange. Avec les "masses", faites d’une branche de chêne prise avec un nœud terminal, et la collerette de fer blanc dont on pare les comportes pour les remplir, c’était, à peu près, tous les instruments du sacrifice... » 

Hormis la masse, plus "manufacturée", pour quicher le raisin et cette collerette de fer blanc, la préparation des vendanges (à Fleury-d'Aude NDM) au début des années 60 ressemblait beaucoup à celle décrite par François Tolza. 

https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2017/07/francois-tolza-adoracion-4-presser-les.html

A la date du 13 juillet 2017.

La mention « Alexandrie 1941 - 1942 » clôt cette longue nouvelle, ce petit roman, cette novella... comment nommer ton ouvrage de 152 pages ?
François Tolza tu es donc loin du décor, d’une l’ambiance villageoise que tu connais trop bien. En 1942, l’Afrikakorps de Rommel est à peine à 200 km d’Alexandrie et cela ne t’empêche apparemment pas de faire revivre Sainte-Marie des Corbières, cette localité inventée parce que tu as la prudence, même depuis l’Égypte, de ne pas provoquer un retour de bâton : le qu’en-dira-t-on irascible, si typique des villages du sud et sans pitié !
Tu dis "Corbières" mais les seuls reliefs dont tu parles sont les Aspres... et comme par hasard tu ne souffles mot du Fenouillèdes... Et ces canaux d’irrigation de la plaine grasse le long desquels tu fais courir le Corse, sont-ils ceux de la Têt, ou de l’Agly et de la Boulzane ?
Tu dis "Sainte-Marie", on pense de suite à la Salanque mais le « saint » est peut-être pour Saint-Paul-de-Fenouillet car tu connais trop bien la route qui monte à l’ermitage de Saint-Antoine-de-Galamus, au pied de cette barre des Corbières, justement, sans nom, qui court pourtant de la Forêt des Fanges jusqu’au château de Quéribus en atteignant plus de douze-cents mètres d’altitude, le Pech de Bugarach, point culminant des Corbières en faisant partie ! Tu y fais pédaler Lucien, ton personnage principal qui monte retrouver Claire. Tu précises que le Daly sort de ces gorges de Galamus, alors ce ne peut être que l’Agly : une seule lettre en plus et ce couple de voyelles "a" et "y" m’avaient mis sur cette piste je crois...
 
Tu parles des garrigues, un écosystème caractéristique des milieux calcaires or les chênes verts calcifuges poussent dans les Aspres principalement schisteuses (peut-on parler de "maquis" ?). Autour de St-Paul-de-Fenouillet, deux tènements portent le nom « La Garrigue ». Dans le même ordre d’idées, on trouve, du côté de Caudiès-Fenouillèdes, les gorges de Jaume, prénom que porte le père de Lucien, et encore un pont de Rec Nègre, l'adjectif « nègre » signifiant « noir » en occitan et en catalan).
Quoi qu’il en soit, pour tâcher de retrouver ta trace en cherchant d’abord le long de ce sillon du Fenouillèdes, il faudra relire tous ces noms de vignes qui fleurissent tes lignes. On pourrait juger que 152 pages c’est peu.  Certes mais de grande qualité tant pour les descriptions ciselées, les caractères fouillés, que pour la bonne connaissance de la monoculture de la vigne, la mentalité campagnarde bien sentie.
 
Lire « ADORACIÓN », c’est faire tourner entre ses doigts un grenat des Pyrénées dont les facettes, à l'image du Canigou, brillent toutes d’un même éclat, vers le Roussillon, le pays catalan, le Languedoc et l'Espagne. Les mots de François Tolza présentent des tailles si éblouissantes que l’artiste, aurait-il créé un seul bijou, doit sortir d’un anonymat à peine dévoilé, sur l’autre bord de la Méditerranée, par une Revue du Caire, aussi exotique qu’inattendue, dans un contexte historique très particulier.    

https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2017/07/francois-tolza-adoracion-6-sur-la-piste.html

A la date du 24 septembre 2018.

A l’image du blé, le raisin a fait l’objet, pratiquement depuis l’antiquité et peut-être jusque dans les années 70, d’une récolte sacrée. Que reste-t-il aujourd'hui de cette liesse des hommes soucieux du ciel quand la terre daigne offrir en retour le fruit de leurs efforts ?

Une recherche aussi aléatoire que chanceuse nous a donc amenés à ouvrir un numéro de « La Revue du Caire », "Revue de littérature et d'histoire" dans sa huitième année. Les numéros 76 et suivants publient 
« ADORACIÓN », une œuvre de François Tolza.
 
http://www.cealex.org/pfe/diffusion/PFEWeb/pfe_002/PFE_002_029_w.pdf 

Qu’il est déconcertant de réaliser que ces pages ont été écrites entre 1941 et 1942 à Alexandrie... Alors que l’Afrikakorps de Rommel menace le Canal de Suez, artère vitale des Britanniques l’auteur se replonge dans une ambiance qu’il connaît trop bien, celle d’un village du Roussillon, du microcosme de ses habitants aux mœurs peu charitables.
Tous ceux qui aiment le monde de la vigne s’y retrouveront. Sans doute sonderont-ils aussi le mystère d’un auteur apparemment sorti de l’anonymat par ce seul titre
« ADORACIÓN ».

Qui était François Tolza ? Sur une plume qui gagne à sortir de l’ombre, l’opacité d’un brouillard demeure...Était-il né avant ou après 1900 ? Entre 1910 et 1920 ? Dans les Pyrénées-Orientales ? 
 
Vendanges Colle de vendangeurs à Roquefort-les-Corbières vers 1900 wikimedia commons Scan old postcard Author unknown early 1900s


samedi 13 mars 2021

LE VIN BOURRU de J.-C. Carrière / lecture à quatre z'yeux


Quarante kilomètres à vol d'étourneau entre Colombières, le village de Jean-Claude Carrière et Fleury-d'Aude, entre le pied du Massif Central et le rivage méditerranéen. Peu de distance mais une géographie très contrastée et pourtant une vie commune où chacun peut se reconnaître, retrouver le souffle vital légué par les aïeux, supputer la pression latente d'un jacobinisme nordiste sur un Sud qui veut vivre... 

Au fil des pages, quelques thèmes partagés, estampillés "Languedoc".

LE VENT. 12 mars 2021. 4 heures du matin : 10° avec le marin, de la douceur mais il ne fera pas plus de 13 degrés cet après-midi puisque le vent va tourner au nord-ouest.  Ah, en parles-tu du vent ? Oui : "le pays est [...] froid l'hiver à cause du vent du Nord qui descend en sifflant du massif..."
 C'est vrai que nous aussi avions l'habitude de dire "vent du Nord" pour un air pourtant venu d'ailleurs. Mais tout comme nous, tu ne mentionnes pas la tramontane. 
Suivi : finalement le vent hésite entre sud-ouest et nord-ouest, dans le premier cas ce serait  "labech" et est-ce que le proverbe trouvera à justifier demain "labech tardièr, cers matinièr" ? (labèch du soir, cers du matin).

LA MER. A t'entendre il te tardait de dépasser ton monde fermé, encaissé entre "... Le Caroux, haut bastion escarpé qu'on qualifie d'imposant et de pittoresque..." et au sud la chaîne basse et arrondie de Sauvagnère. Pourtant, par le versant raide du Caroux, une fois en haut sur le plateau, on voit la mer. 
A Fleury, vers 1930, à l'époque de ta naissance, il s'en trouvait toujours une paire, à l'école, qui n'avaient jamais vu la mer. Alors le maître les emmenait un jeudi sur les hauteurs de la Clape et deux mille mètres plus loin, près le Pech de la Bado, vers 160 mètres d'altitude, on la voit la mer, plein Est, à six kilomètres à peine. 
Note : depuis les coteaux au sud-ouest (Fontlaurier, le Phare) ou ouest (le château d'eau), on la voit la mer. Au-delà de l'étang de Vendres, on reconnait l'immeuble de Valras.   
 
ane-sang-et-or nanou.over-blog.org

LES GAVACHES. Déjà, pour situer Colombières tu ajoutes :
 
"Juste un mot sur les gavaches (prononcer gabatchs). Ils vivent au nord, dans les régions froides et peu civilisées des montagnes centrales. Ils parlent patois et ne sont bons qu'à faire brouter les vaches. A certaines saisons ils descendent dans les terrains méridionaux comme travailleurs périodiques. C'est l'occasion pour nous de voir comme ils sont frustes et ignorants. Le gavache est la référence barbare..."

Et nous Audois qui sommes les Gabaches en chef des Catalans (1) eux-mêmes Gabaches de qui déjà ? Des Catalans d'Espagne ? Des Espagnols non catalans ? Le mot aurait un rapport avec le goitre dû à une carence en iode chez les montagnards de France partis faire les moissons de l'autre côté des Pyrénées dans une Espagne bien plus verte qu'aujourd'hui (les migrations ne se font pas en sens unique !), et ce depuis 1530 ! L'espèce humaine étant d'une nature douce et non agressive, goitre et crétin devinrent synonymes.   
Si les Mexicains ont eu dit (ou disent encore ?) "gabacho" en parlant d'Européens ou de Yankees, un affairisme historique met au second plan le côté péjoratif du terme lorsque, à la frontière du Roussillon, terre aragonaise durant quatre siècles, une interprétation plus apaisée vient traduire le traditionnel "Catala bourou, Gabach  porc !"(2), à savoir que sur la frontière où avaient lieu les échanges, les uns proposaient des ânes réputés, les autres des cochons ! 
Et nous, du Bas-Pays, nous disions plutôt "mountagnols" que gabaches...  

Cochon_recueilli_par_le_Refuge_GroinGroin wikimedia commons Photo_de_L214_-_Éthique_&_animaux

Encore les interconnexions entre l'Occitanie, l'Espagne, le Mexique ! 

(1) nomment-ils ainsi les Occitans du nord du département des Pyrénées Orientales (Fenouillèdes notamment) ?
(2) Catalan tu es un âne, Gabach tu es un porc. 


lundi 7 mai 2018

TANT QUE L'EAU DU CIEL VOUDRA BIEN TOMBER ! / Languedoc-Roussillon

Un explorateur, un découvreur, un pionnier des eaux souterraines, un grand monsieur enthousiaste et prêt à partager un optimisme raisonné pour le futur des riverains du Golfe du Lion, l'hydrogéologue Henri Salvayre (87 ans). 

https://www.youtube.com/watch?v=pAb-YDc5w0I

La ressource en eau du bassin languedocien, par Henri SALVAYRE, hydrogéologue 9e Entretiens Vigne Vin…
youtube.com

Henri Salvayre, hydrogéologue en replay sur France Bleu Roussillon. Retrouvez les émissions en réécoute gratuite et les podcasts !
francebleu.fr


Le plus célèbre gouffre des Corbières, aux confins de l'Aude et des Pyrénées-Orientales fascine les plongeurs de l'extrème qui combinent exploitation…
ladepeche.fr

TANT QUE LES FÉES GARDERONT NOS SOURCES...
“… Enfin, dans un silence lugubre, la sonnette du maire tinta, et il dit :
“La séance est ouverte…/… Voilà j’ai réuni le conseil pour cette question de l’eau.
Ugolin se leva brusquement et dit avec force :
“Ce n’est pas une question, c’est une catastrophe !”
… /… “Parfaitement, dit Philoxène, , c’est une catastrophe. Mais grâce à mes efforts personnels, et grâce à mon téléphone, j’ai pu appeler à notre secours le Génie Rural. Et le Génie Rural, le voilà !" 
https://www.dailymotion.com/video/x8ckby
Ticky Holgado (1944-2004), natif de Toulouse joue l'ingénieur "... avec un très bel accent de Narbonne..." comme l'avait imaginé Pagnol. ("L'Eau des Collines" Tome 2 "Manon des Sources" Marcel Pagnol 1963)
Regardez Manon des sources 4 de Jaunit ici sur dailymotion
dailymotion.com

samedi 8 juillet 2017

François TOLZA / ADORACION (4) / Presser les grappes et les corps...

A lire :  http://www.cealex.org/pfe/diffusion/PFEWeb/pfe_002/PFE_002_030_w.pdf

Approche des vendanges. Le Corse éclaircit la végétation : 

« ... De ses mains et de ses pieds, il écartait les longues ramures des ceps bien nourris de terre grasse et d’eau claire. Leurs bras montaient haut, quelquefois à hauteur d’homme, se terminaient par les petites mains pâles des feuilles nouvelles... »  

« ... L’hiver, elles suffisaient, ces lignes (roseaux), à lacérer le vent en mille bandes hurlantes. Et son poing lourd à assommer un bœuf, à arracher un arbre, passait au travers. Et il en ressortait mille petites mains d’enfants, pleines de remous qui ne faisaient qu’agiter les feuilles... »

« ... Seule, la charrette, au beau milieu, attestait du vieillissement du matériel avec les rayons de ses roues où la boue collait et ses brancards abattus comme des pattes paralysées où les harnais avaient fait des évidements luisants... » 


 
Dans ce nouvel épisode, si on peut voir des pieds, des bras, un poing, des mains, des pattes, nous voyons le Corse travailler dans la plaine où les haies de roseaux forment des coupe-vent efficaces. L’auteur le dit plus à l’aise dans les Aspres. Cette petite région naturelle qui forme le contrefort oriental du Canigou, entre le Conflent et le Vallespir, éloigne d’autant plus des Corbières qu’après le sillon de la Têt, se dresse encore le Fenouillèdes. Il est question d’un canal certainement d’irrigation dans cette plaine fertile où deux villages en bordure se nomment Corbère et Corbère-les-Cabanes.

Le Corse a donné rendez-vous à une femme ; le lecteur comprend vite qu’il s’agit d’Adoracion ; il apprend aussi qu’elle est belle, avec un corps superbe.

Préparation des vendanges : « ... Les comportes s’épaulaient, alignées, le long des façades, ou s’empilaient autour de l’humidité des pompes. On défaisait les seaux rentrés les uns dans les autres et collés ensemble depuis la dernière vendange. Avec les "masses", faites d’une branche de chêne prise avec un nœud terminal, et la collerette de fer blanc dont on pare les comportes pour les remplir, c’était, à peu près, tous les instruments du sacrifice... » 

On vendange en chapeau, et pour ma grand-mère, avec la caline.
 
Hormis la masse, plus "manufacturée", pour quicher le raisin et cette collerette de fer blanc, la préparation des vendanges au début des années 60 ressemblait beaucoup à celle décrite par François Tolza. 


Petite vendangeuse qui quiche !

jeudi 6 juillet 2017

François TOLZA / ADORACION (3) / 1907. Hauts et bas dans la viticulture.

Lucien a fait ses études à la ville (l’auteur craint de la nommer... Perpignan ?). Il prête ses livres à Claire, d’une instruction comparable, qui est bien la seule à fréquenter dans le village. Tolza dresse un tableau de la société, des quelques riches qui ont peur de tous ces pauvres, des pauvres qui, une fois les élections passées, sont trop pris par la vie qu’ils endurent pour avoir l’idée de se révolter, ces mêmes pauvres qui ne supportent pas qu’un des leurs réussisse.  

«... La vigne les pliait à nouveau vers la terre ingrate, nouait leurs genoux, durcissait leurs cœurs. Leurs vies puisaient à la même source de misère et leur consolation se contentait de peu... /... Il y avait eu, dans le temps, des années de désastres. Le phyloxera d'abord qui avait jauni les vignes comme un mauvais vent. On en gardait le souvenir d'un combat à armes inégales ou d'une malédiction. Peu à peu, les ceps avaient dépéri, toutes feuilles ratatinées comme celles des choux montés. Il avait fallu tout arracher, tout replanter, attendre les premiers rendements... Puis vinrent les années de vin aigre. Ç'avait été, durant des semaines, des vendanges sous la pluie, dans un demi-jour morne. La récolte abondante commençait à sortir des tonneaux que, comme un feu follet, le cri naissait au fond des caves :
- Le vin se pique ! Le vin se pique !
Les rigoles, pendant des mois, déversèrent vers le Daly un flot rouge où les moisissures faisaient des îles de corail. Jusqu'à la dernière cuve, la vendange coula, narquoise au seuil des portes, vomie comme un vin mal digéré. Aux approches du village, la même senteur veillait... »  


  L’auteur situe son intrigue au début du XXme siècle, peut-être évoque-t-il 1907 :
 

«... Puis il y eut de longs cortèges dans tous les pays de vignobles ; de grands drapeaux rouges battirent aux vents leur protestation contre le vin à deux sous... /... Elle avait le souvenir des trains pris d'assaut par des troupes que la misère enrôlait sous les mêmes oriflammes... /... Il y eut des années maigres et des années d’abondance, des hauts et des bas, des hauts surtout qui donnèrent le coup de grâce... »  

  

En ces temps troublés, quelques uns achètent des vignes à bas prix, quitte à emprunter, rendant jaloux les plus frileux qui en arrivent à leur souhaiter une mauvaise récolte.

  

Tolza présente ensuite Adoracion, de son vrai nom Angélique, née de vendangeurs espagnols qui n’avaient pas voulu repartir chez eux. Le père, ivrogne, finira mal :
«... Une nuit de mars, une auto le faucha à la sortie du café dont la porte s’était refermée rapidement sur le froid de la route... ».

Chez le percepteur, madame Bastide incite celui-ci à se débarrasser de son employé, après ce qui est arrivé.
Quelques traits sur le percepteur :le village raconte qu’il décolle les timbres non oblitérés pour les réutiliser
«... En lui subsistait la parcimonie du « montagnol » ariégeois... »  

mercredi 5 juillet 2017

François TOLZA / ADORACION (2) / Espagnols, mountagnols, commérages...

Dans sa chambre, Lucien songe tandis que :
« les platanes de la placette respirent la nuit avec un bruit fluide de feuilles... »
«... En bas, dans la vallée, miroite le filet d'eau du Daly que l'été finit de boire...» 
Le Daly serait-il une interprétation de l’Agly, fleuve côtier venu des Corbières ? 


Il s’en veut de s’être mis à l’écart des misères des hommes.
« Il les aime parce que, dans ce pays, l’acharnement du ciel et de la terre à détruire leur bonheur a quelque chose de tragique ; que s’abat, au milieu de l’été brûlant, l’orage de grêle qui dévaste, aussi imprévu, aussi subit que le destin : que s’installe et dure et persiste encore, jusqu’à la cruauté, la canicule impitoyable dans un ciel innocent ; que la tramontane défait, d’un geste délibéré et en plein ciel, les plus belles promesses de récoltes, cueillant les fleurs et les épandant sur le village désolé comme une dérision... »

« ... La promenade, elle, amarrée au bord du Daly, avait l’air d’une de ces bâches vertes dont les rouliers « ariégeois » recouvrent les charretées de foin quand ils descendent de la montagne... » 


C’est vrai qu’avant les Espagnols étaient les mountagnols, ceux qui descendaient dans la plaine pour les grands travaux, moissons vers le Lauragais, vendanges chez nous vers Narbonne, commodément appelés ainsi parce qu’ils venaient des montagnes, du Massif Central ou des Pyrénées, qui bordent notre amphithéâtre méditerranéen.

  

On apprend que Lucien travaille chez monsieur Bastide le percepteur et qu’il a Claire... 
«... fiancée découronnée qu’un destin aveugle vient d’anéantir parmi ses rêves... »
Un jour de fin d’été, au cours d’une balade, il vient de cueillir des raisins :
«... On y voyait de vieilles souches, musclées comme des bras, barbues, nourries de terre saine. Les raisins, portés haut, préservés des dangers du sol, étincelaient au soleil. Il y avait des grenaches serrés comme des poings noirs, des picpouls aux teintes de pigeon, des muscats dont les grains avaient la transparence des prunelles claires... » 
C’est alors qu’il croise Adoracion, la petite simplette qui travaille chez le Corse, le mari de Philippine, revenant elle aussi avec un panier.
On dit qu’il aurait abusé d’elle. 

Sa mère doit résister aux commérages perfides :
« ... les bonnes (nouvelles), on y intéresse le plus de personnes possible, au grand jour. Les mauvaises on n’a pas l’air de le dire, on les enrobe comme des pilules ; on tâche à les ouvrir sans les déflorer... »
«... Non on ne lui dirait pas :
- Ton fils est un foutu vaurien.
C’eût été trop beau cette bataille.
Mais plutôt, chez l’épicier, au milieu de la place, là, cernée de regards, ou peut-être dans le fournil du boulanger :
- Ce n’est pas vrai, Nane, ce qu’on raconte. Que les gens sont donc méchants... » 

     

Suivent six pages qui expliquent le mariage de Nane avec Jaume, la façon dont ils articulent leur ménage, la petite qu’ils ont perdue, tout ce qu’elle a fait pour que Lucien échappe à la terre. 

 

Photos autorisées : 
1. Agly Author The original uploader was Leguy at french Wikipedia. 
2. Fabien grenache noir.  
3. picpoul noir Author Vbecart 
4. Muscat_blanc_et_Muscat_noir Auteur Jean-Marc Rosier

mardi 4 juillet 2017

LA REVUE DU CAIRE / ADORACION - François TOLZA / Un village du Roussillon. .

   


En novembre dernier, je vagabonde dans un exotisme encore concret en mai 1945. Vagabondage vu qu’en cherchant « moussègne » (1) je ne retrouve nos vignes du Sud que grâce à une revue égyptienne. L’exotisme, lui, bien qu’empreint encore de la vogue des orientalistes, nous laisse, avec le recul, l’impression d’un monde fossile à l’agonie. Au paternalisme colonial, a succédé une prédation des Occidentaux pour le pétrole et le gaz. La naphte âcre a remplacé les senteurs musquées de l’Orient, la hantise du cancer la fumée parfumée des tabacs du roi Farouk. Une faune d’Anglais affairistes, de Français guindés, de Grecs obséquieux, mêlée d’espions et d’aventuriers, tolérant l’élite locale et regardant de haut le fellah, demeure. Hitler s‘est suicidé, l’Allemagne est désormais aux abois, la menace de l’Afrikakorps n’est plus qu’un mauvais souvenir pour les résidents. 
   

Tous les mois, la Revue du Caire, imprimée à l’Institut Français d’Archéologie, apporte, pour douze piastres, sa centaine de pages de culture. La participation de François Tolza (2) date du numéro 76, en mars 1945, sous un simple titre « ADORACION ». 

Parce que la vie dans nos vignes nous marque à jamais, les pages de cette nouvelle, de ce roman peut-être dont rien n’est dit, s’apprêtent à défiler sur l’écran. Et déjà à la deuxième ligne, une de ces images à cueillir avec envie : 
« ... Et avant que les cloches n’aient fini de s’égoutter sur les toits de Sainte-Marie-des-Corbières... ».
Sainte-Marie-des-Corbières ? Un nom inventé... Il y a bien Sainte-Marie-de-la-Mer dans les Pyrénées Orientales (dépt. 66), il y a bien les Corbières derrière, qui ferment la plaine mais Sainte-Marie-des-Corbières ? L’auteur semble vouloir ménager les susceptibilités...
Les gens soulèvent les rideaux pour voir qui passe dans la rue :
« - Voilà la Philippine qui court "aux provisions".
  


A Fleury on disait plutôt « aux commissions ». Et les femmes, de tous âges, bien méditerranéennes, vétues de noir, ajoutent à la fermentation des ragots sans jamais se sentir coupables du mal qu’elles insinuent, tant elles ont toutes rajouté leur venin.    

Pour Philippine, aller aux provisions, c’est une joie « ... la seule qu’elle eût avec l’excitation que donne le café... ». Sans haine comme sans amour, cette femme est d’une curiosité maladive, aussitôt désireuse de dénouer la moindre nouvelle encore peu claire. Sous des semblants aimables, familière, rien ne l’arrête quand elle a un commérage en tête, le lancerait-elle à une personne concernée :
« - Ce que j’en dis, c’est par ouï-dire. Et puis, je ne voudrais pas te faire de peine, Louise... »
A cinq heures Lucien est entré dans un casot (un cabanon) avec Adoracion : « C’est Titou qui les a vus, des Oliviers. » C’est que ce Lucien a fréquenté sa fille, pas longtemps mais la petite en a été malheureuse et comme les belles-mères elles, s’étaient si bien entendues, les moqueries n’ont pas manqué.
Et Louise qui doit aller à la pompe, avec sa cruche, tandis que le chevrier suit ses bêtes dans les garrigues rousses.
 


A Fleury aussi, le troupeau du village partait ainsi brouter jusqu’au soir où, au fur et à mesure, chaque chèvre retrouvait son logis. Céline, ma grand tante, en avait... Ils avaient du lait dit maman... Ils ont invité la famille pour le chevreau de Pâques... Ma mère n’a pas trop mangé... L’oncle Noé en a déduit qu’elle attendait un petit et c’est vrai que huit mois plus tard, au jour près, j’arrivai...     

Si quelqu’un peut nous parler de François Tolza, qu’il n’hésite pas !
A suivre mais allez lire l’original plutôt que ma resucée :
http://www.cealex.org/pfe/diffusion/PFEWeb/pfe_002/PFE_002_029_w.pdf         

(1) https://dedieujeanfrancois.blogspot.fr/search?q=Fran%C3%A7ois+Tolza
(2) Régis du même nom, le copain de fac à Perpignan, je te salue ! 


Photos autorisées : 
2. qurush égyptien 1944 à l'effigie du roi Farouk, pièce hexagonale. Auteur Abubiju 
3. vieille devanture d'alimentation, Fabrezan Corbières. 
4. King Rove_garrigue1.JPG Auteur Roland Darré.

vendredi 17 février 2017

LE BERGER DES ABEILLES (1974) / Armand Lanoux (guerre d'Espagne).

Extrait :
«... Ah! cet hiver 1938-1939! Hébété. Hagard. Hirsute. Partout, la neige. Dans le golfe, la mer se payait des creux de trois mètres et les vagues crachaient sur Doune, l’île Petite et l’île Grosse. Il pelait de froid avec un radiateur électrique à l’hôtel de Catalogne.
La neige, la neige, et la guerre. La D.C.A. tirait parfois, balayait le ciel toujours. les soldats kaki avaient l’air de soldats arctiques. Le port de Cerbère fut encore bombardé par des avions de nationalité inconnue.
Aqui Andorra. La voix de soleil de la célèbre speakerine, peu adaptée aux circonstances, roucoulait des informations tragiques :
- Depuis quarante-huit heures, les rescapés de l’armée gouvernementale franchissent la frontière. Par le Perthus, Cerbère et le col de Banyuls, le flot monte sans cesse... /... les écoles, les préaux, les mairies avaient été réquisitionnés pour accueillir ce flot couleur de tabac, de cuir et de couverture sale. Entre deux catastrophes, Radio-Andorre reprenait Au pays des fandangos et des mantilles, Tino Rossi, et ce qui fut la réelle chanson de cette misérable époque, son hymne, sa Carmagnole et sa Marseillaise stupide :
Amusez-vous
Foutez-vous d’tout
Prenez la vie par le bon bout...
»

Ce passage, pour les instantanés portant sur la météo et la vague de réfugiés passant la frontière, apporte à qui veut comprendre et connaître cette période. Par contre, le sentiment général de dégoût exprimé par l’écrivain, s’il est bien admis historiquement, n’en repose pas moins sur des détails discutables. Il faut dire aussi que, plus de quarante ans après, si des imprécisions sont directement imputables à l’auteur, l’Internet vient aussi apporter beaucoup d’eau au moulin. 

Ainsi si le 26 mai 1938, Cerbère a été attaquée, on ne trouve rien sur un deuxième bombardement. Par contre, le 6 juin 1938, quelques jours après celui de Cerbère, c’est Orgeix, en Ariège qui a été bombardé. Les autorités françaises, toujours dans la volonté de ménager "monsieur Hitler" (ce qui mènera aux honteux accords de Münich) n’ont alors pas voulu dire qu’il s’agissait d’une provocation de l’Allemagne (une bande rouge au bout des ailes voulant laisser croire à une attaque des Républicains).

Plus léger le "AQUI ANDORRA" que tous les sudistes corrigent aussitôt « AQUI RADIO ANDORRA ». Avec la suite pour ceux qui se souviennent mieux, du moins phonétiquement «... EMISORA DEL PRINCIPADO DE ANDORRA ! »
https://www.youtube.com/watch?v=IyIo06x7quI

Laissons l’auteur railler l’époque et nos mentalités d’alors mais rien ne semble correspondre au "pays des fandangos et des mantilles", certainement une approximation pour « Sombreros et mantilles », le titre évoquant les fandangos... Et Tino Rossi là dedans ? Quant à la "Carmagnole et sa Marseillaise stupide", encore pour fustiger un optimisme inconscient à l’opposé de ce qui, de nos jours, est devenu un pessimisme français, la chanson incriminée date de 1934 et non de l'hiver 1938 - 1939...

Ces imprécisions, seraient-elles orientées, ne gâchent en rien le sujet, l’ambiance du « Berger des Abeilles », très beau roman d’Armand Lanoux. Et c’est peu dire quand on garde au cœur la Côte Vermeille, Maillol, Machado, les vignes banyulencques (oubliés les embouteillages de l'été !), le Vallespir, sa vallée des fruits, Prades, le souvenir de Pau, Pablo Casals avec la magie d’un Mont Canigou aux neiges couronnées de soleil levant... 





photos : 1. Cerbère auteur Bernard Grondin. 
2. Pyrénées la Méditerranée La tombe d'Aristide Maillol (la Métairie, Banyuls-sur-mer) auteur Jean-Pierre Dalbéra. 
3. Pyrénées Canigou depuis Força Real author Krzysztof Golik.

vendredi 25 novembre 2016

LA GUERRE DU VIN / Languedoc Roussillon

http://m.france3-regions.francetvinfo.fr/…/doc-24-midi-pyre…

MACAREL ! je viens de voir une sale pub pour du whisky... je dis "sale" pour la pub attention... avec l'hypocrite interdiction pour les moins de 18 ans ! 

Si la science reconnaît internationalement les bienfaits du vin rouge, l’État veut toujours le faire passer d'abord pour de l'alcool... Les campagnes contre l'alcoolisme montrent un ballon de rouge, c'est insupportable... J'avoue avoir déchiré une affiche une fois, devant témoins ! 

On n'en a pas ou on en a des... co...nvictions ! Les nôtres s'entretiennent avec le souvenir de la Révolte des Vignerons (1907) ou cette Guerre du Vin (années 70), objet de cette émission de France3, à voir et à revoir pour comprendre un peu mieux. 

GARDAREN NOSTRO TISANO DE GABELS, MACAREL !

jeudi 3 novembre 2016

RAISIN & VENDANGES / « ADORACIÓN » / François TOLZA / 1945.

 
EXTRAITS D’OUVRAGE « ADORACIÓN » / François TOLZA / 1945.

Si le mot « moussègne » nous donna, il y a peu, du fil à retordre, sa recherche sur l’Internet offrit un prolongement inattendu. Une recherche se lance comme on jetterait une bouteille à la mer et vu que, concomitamment, le serveur, tel un camelot, ferait tout pour ne pas que nous repartions les mains vides, nous suivons notre esquif de verre, parti, grâce à l’Aude en crue, du Golfe du Lion, à travers la Méditerranée jusqu’en Egypte, en remontant dans le temps, à y être, de 70 années bien pesées !

C’est là-bas que notre moussègne se cachait dans la centaine de pages du numéro 78 de  « La Revue du Caire », une publication de littérature et d’histoire paraissant pour sa huitième année. Entre nous, j’y ai trouvé une réclame étrange pour une huile, du genre « ménagez d’autant plus votre moteur qu’on ne sait pas quand la guerre finira » (?)... Sinon, c’est mon parti pris anachronique et décalé qui y voit une étrangeté ? Fermons la parenthèse.

La Revue du Caire propose, en feuilleton, en trois parties, « Adoración », un petit roman, 174 pages, de François Tolza, écrit entre 1941 et 1942, publié en 1945.
Cette chronique villageoise se situe en Roussillon, dans la plaine de la Salanque, peut-être à l’époque des premières caves coopératives, au début du XXeme car la première guerre mondiale n’est pas évoquée. Dans cette histoire, par contre, le rôle central des ouvriers espagnols témoigne d’un mouvement migratoire ancien et bien antérieur aux flux liés à la guerre civile en Espagne.
Et puisque les raisins et les vendanges, qui tenaient une place centrale (1) dans l’arc languedocien-catalan, viennent me reprocher de les avoir aussi oubliés, banalisés, réduits, à l’instar du monde économique, seulement à leur dimension mercantile, en cette fin octobre, avec la fin du grappillage autorisé, comme un remords confessé, je viens méditer, avec ces tableaux dyonisiaques révolus, que la réflexion « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » d’un Rabelais fervent de la dive bouteille reste d’une actualité brûlante.
En guise de tableaux dyonisiaques, des scènes de vendanges bien senties, bien rendues, qui feraient envie au premier scribouillard venu... je sais de quoi il retourne...

 
François TOLZA :
« .../... Depuis huit jours la « colle » (2) du Bagne allait et venait dans les vignes de la Plane. Chaque fois qu'arrivée au bout d'une rangée elle se rabattait pour prendre une rangée nouvelle, cela faisait un mouvement d'éventail qui se ferme et puis s'ouvre. Quarante coupeuses se penchaient vers la terre, brassaient les ceps de leurs bras habillés de sac. Derrière elles, les vignes étaient pareilles à un velours froissé. Les hotteurs venaient par derrière, le corps droit, les doigts appuyés aux bretelles de leur hotte. Ils se penchaient tantôt à gauche, tantôt à droite, recevaient les seaux en arquant les jambes pour se parer du poids, puis, la hotte pleine, sautaient deux ou trois coups, jambes pliées, afin de répartir et de consolider sur leur dos blessé, leur charge. Après quoi ils s'en retournaient, courbés et lents, pareils à des scarabées, une feuille de vigne aux dents pour oublier la douleur de leur dos, jusqu'au chemin vicinal où s'alignaient les comportes. Faustin leur désignait la comporte où ils devaient vider leur charge.../...
.../... C'était un homme fort. Il n'avait pas son pareil pour les coups de main. Il était capable de hisser jusqu'au talon de la charrette une comporte pleine, une main à chaque cornelière. Cela lui arrivait quelquefois lorsqu'il fallait faire vite, que la pluie tombait et que l'on craignait pour le degré ... Sortir une roue d'une ornière était un travail pour lequel,  disait-il, il n'y avait pas de quoi péter. Il faisait tout d'un effort lent et sûr, presque imperceptible. A le voir hisser une comporte, on ne devinait pas le moment de la plus forte tension. Une fois la chose dans  ses mains, on la voyait quitter le sol et lentement monter comme soulevée par une machine. Ce n'était pas à  cause de sa force qu'on l'avait mis à faire des comportes. Il avait un coup d'œil étonnant pour répartir les chargements. Au charretier qui revenait de la cave, de loin,  il criait :  
- Alors ? un peu plus que la dernière...   dans les 1250 ...
Le charretier ne répondait pas,  tendait le ticket rouge de la coopérative. Faustin y  jetait les yeux, souriait. La différence n'allait pas au delà de 20 kilos .../...

.../... Ce jour-là,  le train de midi avait depuis longtemps haleté derrière les collines Les coupeuses dépliaient leur dos, les unes après les  autres,  s'immobilisaient en bavardant,  dans l'attente du déjeuner. Ce n'est pas que « la colle » du Bagne fût plus vaillante que celles d'alentour. Il y avait là beaucoup de jeunesse résolue à  faire des vendanges  joyeuses, sans coups de colliers, avec des  pauses à l'heure.  Les vieilles ne formaient que l'armature, les cadres. Depuis vingt ans la Cagotte était « moussègne» (3) et elle connaissait son métier. Elle amenait tout son monde dans son sillage sans qu'il y eût jamais un grincement. A la pointe de la file, elle allait de son train régulier de femme besogneuse devant une « colle » qui avait souvent le nez en l'air. Mais, lorsque la distance se faisait par trop grande, tout bavardage cessait. Les hotteurs ne faisaient plus de plaisanteries. Les mères aidaient les jeunes qui s'empêtraient dans les feuilles. On n'entendait plus qu'un froissement de plantes, le bruit sec des sécateurs et le glissement des seaux sur les cailloux plats de la vigne.../...

.../... De sa poche, il tira, au bout du lacet de soulier qui lui servait de chaîne, la montre qui virevolta. Irma et la petite d'Angle lui bourrèrent les côtes, abattirent sur la montre leurs mains poissées, vérifièrent l'heure.
~ Voilà que tu ne sais plus voir l'heure mon pauvre Faustin.  C'est-y que tu aurais trop de travail à « quicher les comportes ? ou bien que le vin du Bagne serait trop clair ?
Elles lui mirent la montre bombée sous les yeux. Elles lui tirèrent les cheveux et les oreilles. Lui riait de bon cœur comme un enfant. Déjà les vieilles promenaient leurs hardes et leurs paniers, à la recherche de l'ombre. Aux comportes, les filles lavaient leurs mains avec des grappillons verts et durs dont le jus acide piquait les yeux. Derrière le hangar de roseaux, sous un arbre que le vent devait peigner durement l'hiver, toutes les branches en fuite vers la mer, la « colle» se rangea en rond. Ils mangeaient en silence, les jambes bien allongées sur le sol, le regard délivré. Faustin coupa une tomate, mit les deux lobes sur une large tranche de pain, arrosa le tout d'huile et de vinaigre, sala, poivra.../... 


.../... Ils étaient tous, hommes et femmes, des quatre coins de Sainte-Marie. Les premiers jours ils s'étaient sentis un peu étrangers les uns vis-à-vis des autres.  Ils avaient mesuré leurs paroles,  vérifié les images qu'ils se faisaient de chacun. Puis, très vite, les préférences avaient maçonné des groupes. On les retrouvait le long de la file des coupeuses, rassemblés aux heures de repos. Seules, deux ou trois vieilles vivaient à  l'écart, traînantes au bout de la file, sommeillantes et écrasées aux repas. Pour les autres, dont la sieste n'était pas un besoin,c'était deux heures de conversation et de délassement.../...

.../... Maintenant ils chargeaient. Debout sur le talon de la charrette, Idrou, le charretier, donnait la corde. Faustin l'enroulait deux fois autour de la cornelière, puis,  les deux mains au cul de la comporte, il poussait un ah! qui la jetait, avec fracas, sur le plancher du véhicule. Idrou la faisait louvoyer d 'une ridelle à l'autre sur le plancher gluant de grappes écrasées, l'amenait sur le devant, la calait contre les supports de fer entre lesquels couraient les chaînes. La dernière comporte monta lentement. Faustin la soutenait dans ses mains en corbeille ; puis elle s'encastra, jetée d'un bloc, sur le côté de la charrette. Idrou, d'une chaîne, ceintura la jumelée. Il n'avait pas fini de vérifier tous les crochets, que la jeunesse prenait la charrette d'assaut, logeait ses paniers, installait des brassées de feuilles sur les comportes pleines. Le charretier allait et venait des brancards au talon, passait la main sous la ventrière du limonier. Déjà loin, le vieux cheval des Bagnes amenait d'un pas fatigué, dans la jardinière cahotante, les vieilles et les mères. Un coup de fouet, l'effort brutal et silencieux des muscles attentifs, le claquement des traits sur les brancards, la morsure des roues sur la terre et l'attelage s'arrachait de la vigne. A l'ouest, le soleil était encore haut. Il pouvait être cinq heures. Des quatre coins des Planes, les « colles » affluaient vers les chemins, pressées de gagner, avant le crépuscule, la route nationale, plus sûre, où l'on était certain de trouver du secours en cas de besoin. La journée finie, les femmes enlevaient les foulards de tête, passaient leurs doigts dans leurs cheveux collés, enfouissaient au fond des paniers les tabliers sales et les espadrilles trouées. Lentes de tous leurs dos meurtris, de leurs jambes raides, elles s'en venaient vers le village.  Il faisait un vrai temps de vendanges. Quoique les matins fissent prévoir des après-midi chaudes, il y avait quelque chose dans l'air qui démentait les orages et la canicule. Dès dix heures, la campagne se dorait. Le ciel  prenait un bleu fatigué de début d'automne. A peine si les midis brûlaient aux flancs des pierres et faisaient l'air plus lourd autour des souches. On ne mangeait pas au fort des ombres, mais dans cette zone tiède à  la lisière de l'ombre et du soleil. Au ciel, pas un nuage, mais cette immobilité limpide, purifiée, de tout de qui n'est pas durable. Les soirs se teintaient d'orange, éclaboussant les vignes de verts ternis où les cépages blancs tournaient au jaune pâle.../... »
 
(1) Ne disait-on pas, à propos d’un choix important, d’une décision importante à prendre « Va veïren aprèi las vendenios ! » ? (Nous verrons après les vendanges)(F. Dedieu). 
(2) La « colle » désigne l’ensemble du personnel préposé à la récolte d’une propriété.
(3) Pour «moussègne», l’auteur indique « chef de colle ». 

PS : à tout hasard, si quelqu'un peut nous dire quelque chose sur François Tolza, l'auteur...  

photos autorisées commons wikimedia
1.  Vendanges Maestri,_Michelangelo - Busto_di_Bacco - 1850
2. Vendanges Colle de vendangeurs. Corbières
3. Vendanges Repas de vendanges dans l'Hérault vers 1900.