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vendredi 25 novembre 2016

FESTO FELIBRENCO a Ouvelha / Aude en Languedoc

FÊTE DU FÉLIBRIGE à Ouveillan.

Au mois d’août 1925, paraissait le numéro 91 de La Cigalo Narbouneso IXe année, uniquement consacré à le fèsto felibrenco d’Ouvelha du dimanche 28 juin (1). 




« ... Coumèncet la vèlho per uno grando retrèto as flambèus... »

Cette fête a commencé la veille par une retraite aux flambeaux sur les airs de la Philarmonique avant que toute l’assemblée ne communie sur la place en chantant La Coupo Santo (2) accompagnée par l’Orfeoun l’Aveni.  

« ...Lou lendema, de toutis lous caires, arribèt un fum de mounde... /... A 10 ouros, la courde l'oustal es claufido de mounde... /... mes ço de pus bèl es uno tièiro d'uno quaranteno de jouvencèlos pourtant la cofo narbouneso... /... S'arribo enfin a la Coumuno.../... la Marselheso restountits...»

A dix heures le lendemain, la Liro et la Filarmonico escortent une file de jouvencelles portant la coiffe narbonnaise. C’est tout un cortège qui les suit par les rues jusqu’à la commune (la mairie) où la Marseillaise retentit. 



«.../... Gentos donos e cars felibres, es ame un grand gaudj que lou conse e la municipalitat saludoun vostro vengudo...»

S’ensuit un bref discours de bienvenue du maire M. Malardeau qui, honorant un passé glorieux, en appelle aux aïeux qui bataillèrent pour sauver leurs coutumes, les libertés et leurs terres. Il salue les Félibres, défenseurs du terroir, des traditions, des droits et du parler. Cette fête les fait communier avec les anciens faidits.

«.../... Uno patrio qu’a d’amaires tant fidèls pod pas mouri... »

Pour lui, une patrie aimée ne peut mourir et ce n’est pas parce qu’elle fut vaincue qu’il ne faut pas garder foi en l’avenir car elle resplendira à nouveau.    

Le docteur Paul Albarel remercie de l’accueil. Son lyrisme embraye aussitôt sur un ton militant et exclusif.

«... Es ame plase que beurem ensemble "lou vin pur de noste plant".../...

Il reprend à plaisir l’image de la vigne profondément enracinée, symbole nouveau (3) en faveur de « la race du Midi (4)» qui ne boit que du « vin pur de notre plant » ... Les luttes pour le vin pur et contre les produits frelatés marquent aussi la résistance du Sud contre la chimie et les tricheurs, les vins arrangés, frelatés pour le plus grand profit d’une finance toujours assimilée au Nord, au pouvoir parisien "jacobicentripète". Maintenant, lorsque l’édile insiste en parlant de sève sans mélange, non abâtardie, nous devons rester convaincus qu’il parle bien du vin et non du peuple qui le produit. Sa réponse conclut avec le souhait de voir conserver l’héritage et la langue de ceux qui labouraient ou avaient à se battre « comme des lions ».  




Ensuite, c’est la messe avec le sermon de l’abbé Salvat, professeur au petit séminaire de « Castel-nau-d’arî » et « vaillant félibre » qui, se référant à Frédéric Mistral insiste avant tout sur la religion, la religion, la religion...
La religion, dernier rempart contre la « racaille » des Barbares submergeant Rome, la religion protégeant le petit contre le gros quand, en 1496, le fonctionnaire des impôts a eu la main trop lourde. Le recteur se dépouillant des biens de l’Eglise, en 1576, pour éviter que le pays ne soit ruîné (6).

Midi. Le compte-rendu fait état «... das badals que lous estoumacs truls fan espeli...» (des baillements que les estomacs creux font éclore (5)).

Approchons-nous de la table !

(1) réf du numéro complet :
https://culture.cr-languedocroussillon.fr/ark:/46855/OAI_FRB340325101_KI3_frb340325101_ki3_1925_0091/v0005.simple.highlight=cigalo%20narbouneso.articleAnnotation=h::9bf868ba-aee4-4f98-bc3e-f6506f983e1f.selectedTab=thumbnail 
(2) Connoté religieusement, ce chant imposé par Mistral et qui reste emblématique de la Provence était considéré comme l’hymne de l’Occitanie au sens large puisque les Catalans y sont associés. Aujourd’hui, « Se Canto » est plus fédérateur.
(3) Qu’aurait exprimé leur lyrisme, un siècle auparavant, quand les céréales représentaient la principale culture du Languedoc ?
(4) Attention au mot « race » avec un sens et un usage différent de ce qu’il est aujourd’hui, depuis qu’il est prouvé qu’il n’existe qu’une seule race humaine.
(5) Dans Le Tresor dòu Felibrige, Mistral précise : « ... "Espeli" peut se rapporter au lat. expellere, expulser...».
(6) Comme par hasard, le bon abbé ne pipe mot de la Croisade contre des Albigeois chargés d’hérétisme, d’extrémisme, alors que le catharisme, simple dissidence qu’il ne faut pas rapprocher du bogomilisme et du manichéisme orientaux, se définissait avant tout comme NON VIOLENT. Rien non plus sur l’Inquisition, les tortures, les bûchers qui suivirent la croisade. Les exemples de l’abbé Salvat, trop ponctuels (1496) ou peu probants concernant les guerres de religion qui voyaient la population souffrir et des exactions d’un camp et des réquisitions des leurs (1576) relèvent d’une propagande grossière.  


photos personnelles : 
1 & 2 Monument aux Morts "pacifiste" de René Iché (1897-1954). Le site de la mairie d'Ouveillan estropie son nom ! Es uno vergougno ! c'est une honte !.. Doit-on faire le parallèle avec la réduction annoncée du nombre des fonctionnaires, notamment territoriaux ?.. 
3 & 4 Si la mairie est peut-être à un autre endroit depuis, la cave coopérative ne date que de 1936. Contrairement à de nombreuses autres, désaffectées et même détruites, comme celles de Vinassan et de Lespignan (récemment), elle reçoit la vendange sur un large secteur (jusqu'à Narbonne) et est médiatiquement connue pour des vendanges du cœur solidaires.  

jeudi 3 novembre 2016

RAISIN & VENDANGES / « ADORACIÓN » / François TOLZA / 1945.

 
EXTRAITS D’OUVRAGE « ADORACIÓN » / François TOLZA / 1945.

Si le mot « moussègne » nous donna, il y a peu, du fil à retordre, sa recherche sur l’Internet offrit un prolongement inattendu. Une recherche se lance comme on jetterait une bouteille à la mer et vu que, concomitamment, le serveur, tel un camelot, ferait tout pour ne pas que nous repartions les mains vides, nous suivons notre esquif de verre, parti, grâce à l’Aude en crue, du Golfe du Lion, à travers la Méditerranée jusqu’en Egypte, en remontant dans le temps, à y être, de 70 années bien pesées !

C’est là-bas que notre moussègne se cachait dans la centaine de pages du numéro 78 de  « La Revue du Caire », une publication de littérature et d’histoire paraissant pour sa huitième année. Entre nous, j’y ai trouvé une réclame étrange pour une huile, du genre « ménagez d’autant plus votre moteur qu’on ne sait pas quand la guerre finira » (?)... Sinon, c’est mon parti pris anachronique et décalé qui y voit une étrangeté ? Fermons la parenthèse.

La Revue du Caire propose, en feuilleton, en trois parties, « Adoración », un petit roman, 174 pages, de François Tolza, écrit entre 1941 et 1942, publié en 1945.
Cette chronique villageoise se situe en Roussillon, dans la plaine de la Salanque, peut-être à l’époque des premières caves coopératives, au début du XXeme car la première guerre mondiale n’est pas évoquée. Dans cette histoire, par contre, le rôle central des ouvriers espagnols témoigne d’un mouvement migratoire ancien et bien antérieur aux flux liés à la guerre civile en Espagne.
Et puisque les raisins et les vendanges, qui tenaient une place centrale (1) dans l’arc languedocien-catalan, viennent me reprocher de les avoir aussi oubliés, banalisés, réduits, à l’instar du monde économique, seulement à leur dimension mercantile, en cette fin octobre, avec la fin du grappillage autorisé, comme un remords confessé, je viens méditer, avec ces tableaux dyonisiaques révolus, que la réflexion « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » d’un Rabelais fervent de la dive bouteille reste d’une actualité brûlante.
En guise de tableaux dyonisiaques, des scènes de vendanges bien senties, bien rendues, qui feraient envie au premier scribouillard venu... je sais de quoi il retourne...

 
François TOLZA :
« .../... Depuis huit jours la « colle » (2) du Bagne allait et venait dans les vignes de la Plane. Chaque fois qu'arrivée au bout d'une rangée elle se rabattait pour prendre une rangée nouvelle, cela faisait un mouvement d'éventail qui se ferme et puis s'ouvre. Quarante coupeuses se penchaient vers la terre, brassaient les ceps de leurs bras habillés de sac. Derrière elles, les vignes étaient pareilles à un velours froissé. Les hotteurs venaient par derrière, le corps droit, les doigts appuyés aux bretelles de leur hotte. Ils se penchaient tantôt à gauche, tantôt à droite, recevaient les seaux en arquant les jambes pour se parer du poids, puis, la hotte pleine, sautaient deux ou trois coups, jambes pliées, afin de répartir et de consolider sur leur dos blessé, leur charge. Après quoi ils s'en retournaient, courbés et lents, pareils à des scarabées, une feuille de vigne aux dents pour oublier la douleur de leur dos, jusqu'au chemin vicinal où s'alignaient les comportes. Faustin leur désignait la comporte où ils devaient vider leur charge.../...
.../... C'était un homme fort. Il n'avait pas son pareil pour les coups de main. Il était capable de hisser jusqu'au talon de la charrette une comporte pleine, une main à chaque cornelière. Cela lui arrivait quelquefois lorsqu'il fallait faire vite, que la pluie tombait et que l'on craignait pour le degré ... Sortir une roue d'une ornière était un travail pour lequel,  disait-il, il n'y avait pas de quoi péter. Il faisait tout d'un effort lent et sûr, presque imperceptible. A le voir hisser une comporte, on ne devinait pas le moment de la plus forte tension. Une fois la chose dans  ses mains, on la voyait quitter le sol et lentement monter comme soulevée par une machine. Ce n'était pas à  cause de sa force qu'on l'avait mis à faire des comportes. Il avait un coup d'œil étonnant pour répartir les chargements. Au charretier qui revenait de la cave, de loin,  il criait :  
- Alors ? un peu plus que la dernière...   dans les 1250 ...
Le charretier ne répondait pas,  tendait le ticket rouge de la coopérative. Faustin y  jetait les yeux, souriait. La différence n'allait pas au delà de 20 kilos .../...

.../... Ce jour-là,  le train de midi avait depuis longtemps haleté derrière les collines Les coupeuses dépliaient leur dos, les unes après les  autres,  s'immobilisaient en bavardant,  dans l'attente du déjeuner. Ce n'est pas que « la colle » du Bagne fût plus vaillante que celles d'alentour. Il y avait là beaucoup de jeunesse résolue à  faire des vendanges  joyeuses, sans coups de colliers, avec des  pauses à l'heure.  Les vieilles ne formaient que l'armature, les cadres. Depuis vingt ans la Cagotte était « moussègne» (3) et elle connaissait son métier. Elle amenait tout son monde dans son sillage sans qu'il y eût jamais un grincement. A la pointe de la file, elle allait de son train régulier de femme besogneuse devant une « colle » qui avait souvent le nez en l'air. Mais, lorsque la distance se faisait par trop grande, tout bavardage cessait. Les hotteurs ne faisaient plus de plaisanteries. Les mères aidaient les jeunes qui s'empêtraient dans les feuilles. On n'entendait plus qu'un froissement de plantes, le bruit sec des sécateurs et le glissement des seaux sur les cailloux plats de la vigne.../...

.../... De sa poche, il tira, au bout du lacet de soulier qui lui servait de chaîne, la montre qui virevolta. Irma et la petite d'Angle lui bourrèrent les côtes, abattirent sur la montre leurs mains poissées, vérifièrent l'heure.
~ Voilà que tu ne sais plus voir l'heure mon pauvre Faustin.  C'est-y que tu aurais trop de travail à « quicher les comportes ? ou bien que le vin du Bagne serait trop clair ?
Elles lui mirent la montre bombée sous les yeux. Elles lui tirèrent les cheveux et les oreilles. Lui riait de bon cœur comme un enfant. Déjà les vieilles promenaient leurs hardes et leurs paniers, à la recherche de l'ombre. Aux comportes, les filles lavaient leurs mains avec des grappillons verts et durs dont le jus acide piquait les yeux. Derrière le hangar de roseaux, sous un arbre que le vent devait peigner durement l'hiver, toutes les branches en fuite vers la mer, la « colle» se rangea en rond. Ils mangeaient en silence, les jambes bien allongées sur le sol, le regard délivré. Faustin coupa une tomate, mit les deux lobes sur une large tranche de pain, arrosa le tout d'huile et de vinaigre, sala, poivra.../... 


.../... Ils étaient tous, hommes et femmes, des quatre coins de Sainte-Marie. Les premiers jours ils s'étaient sentis un peu étrangers les uns vis-à-vis des autres.  Ils avaient mesuré leurs paroles,  vérifié les images qu'ils se faisaient de chacun. Puis, très vite, les préférences avaient maçonné des groupes. On les retrouvait le long de la file des coupeuses, rassemblés aux heures de repos. Seules, deux ou trois vieilles vivaient à  l'écart, traînantes au bout de la file, sommeillantes et écrasées aux repas. Pour les autres, dont la sieste n'était pas un besoin,c'était deux heures de conversation et de délassement.../...

.../... Maintenant ils chargeaient. Debout sur le talon de la charrette, Idrou, le charretier, donnait la corde. Faustin l'enroulait deux fois autour de la cornelière, puis,  les deux mains au cul de la comporte, il poussait un ah! qui la jetait, avec fracas, sur le plancher du véhicule. Idrou la faisait louvoyer d 'une ridelle à l'autre sur le plancher gluant de grappes écrasées, l'amenait sur le devant, la calait contre les supports de fer entre lesquels couraient les chaînes. La dernière comporte monta lentement. Faustin la soutenait dans ses mains en corbeille ; puis elle s'encastra, jetée d'un bloc, sur le côté de la charrette. Idrou, d'une chaîne, ceintura la jumelée. Il n'avait pas fini de vérifier tous les crochets, que la jeunesse prenait la charrette d'assaut, logeait ses paniers, installait des brassées de feuilles sur les comportes pleines. Le charretier allait et venait des brancards au talon, passait la main sous la ventrière du limonier. Déjà loin, le vieux cheval des Bagnes amenait d'un pas fatigué, dans la jardinière cahotante, les vieilles et les mères. Un coup de fouet, l'effort brutal et silencieux des muscles attentifs, le claquement des traits sur les brancards, la morsure des roues sur la terre et l'attelage s'arrachait de la vigne. A l'ouest, le soleil était encore haut. Il pouvait être cinq heures. Des quatre coins des Planes, les « colles » affluaient vers les chemins, pressées de gagner, avant le crépuscule, la route nationale, plus sûre, où l'on était certain de trouver du secours en cas de besoin. La journée finie, les femmes enlevaient les foulards de tête, passaient leurs doigts dans leurs cheveux collés, enfouissaient au fond des paniers les tabliers sales et les espadrilles trouées. Lentes de tous leurs dos meurtris, de leurs jambes raides, elles s'en venaient vers le village.  Il faisait un vrai temps de vendanges. Quoique les matins fissent prévoir des après-midi chaudes, il y avait quelque chose dans l'air qui démentait les orages et la canicule. Dès dix heures, la campagne se dorait. Le ciel  prenait un bleu fatigué de début d'automne. A peine si les midis brûlaient aux flancs des pierres et faisaient l'air plus lourd autour des souches. On ne mangeait pas au fort des ombres, mais dans cette zone tiède à  la lisière de l'ombre et du soleil. Au ciel, pas un nuage, mais cette immobilité limpide, purifiée, de tout de qui n'est pas durable. Les soirs se teintaient d'orange, éclaboussant les vignes de verts ternis où les cépages blancs tournaient au jaune pâle.../... »
 
(1) Ne disait-on pas, à propos d’un choix important, d’une décision importante à prendre « Va veïren aprèi las vendenios ! » ? (Nous verrons après les vendanges)(F. Dedieu). 
(2) La « colle » désigne l’ensemble du personnel préposé à la récolte d’une propriété.
(3) Pour «moussègne», l’auteur indique « chef de colle ». 

PS : à tout hasard, si quelqu'un peut nous dire quelque chose sur François Tolza, l'auteur...  

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1.  Vendanges Maestri,_Michelangelo - Busto_di_Bacco - 1850
2. Vendanges Colle de vendangeurs. Corbières
3. Vendanges Repas de vendanges dans l'Hérault vers 1900.