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jeudi 21 mars 2024

Les farinettes (le MILLAS).

Dans la revue FOLKLORE, numéros 147-148, Automne-Hiver 1972, Myriam Marfaing a recueilli les témoignages de ses mère et grand-mère sur ce qu'on mangeait à Sainte-Colombe-sur-l'Hers. Elle y évoque le milhas (ou millas).  

C'est terrible, parmi les photos autorisées, il faut qu'elle vienne du Cameroun pour avoir une marmite sur un feu de bois ! Je veux bien penser que je cherche mal (Pixabay en dispose mais impossibles à éditer)... Il y a bien dans un livre scolaire l'illustration en noir et blanc enrichie de vert d'une de mes poésies préférées, « La Marmite » de Maurice Fombeure mais là encore les droits d'auteur empêchent de faire figurer et le dessin et la poésie... Bref, chez nous, dans la cheminée, la pairolo cuisait sur un trépied. 

Ou alors du milhas, à la base, une bouillie de farine d'orge ou de millet. puis de maïs, tournée avec de l'eau ou du lait mis à cuire avec du saindoux ou de la graisse d'oie (milhas noir dans l'eau de boudin lors de la “ fête ” du cochon... étalée sur un linge à même la table ; la bouillie solidifiée se découpe, elle se mange salée ou sucrée, peut être frite.  

La cuisinière étalait cette bouillie sur un linge posé sur la table Ce milhas était fait, au moment du repas, versé sur un linge directement sur la table et servait de pain : quelquefois grillé. 

Et si on essayait le millasson ou millas 
etsionessayait.blogspot.com
 

Suite à ce que nous précise Myriam Marfaing, un extrait de Caboujolette ; mon père y parle des “ farinettes ” une vie d'avant, pas si loin, mais que la marche inexorable du temps voudrait enfouir comme elle le fait des fossiles à déterrer : 

« Les farinettes. 
Nous appelions « farinettes » cette bouillie de maïs que d’autres appellent « millas ».
La recette en est facile et pas chère. Il faut 30 minutes pour la préparer et autant pour la cuire.  

Pour six personnes.
Ingrédients : 500 g de farine de mais ; 30 g de beurre frais ; 50 g de parmesan ou de gruyère râpé ; sel.

1°) Faire chauffer  1 litre ½ d’eau salée dans une grande casserole ; à ébullition, verser la farine en pluie, en tournant avec une cuillère de bois pour éviter les grumeaux.

2°) Tourner la bouillie pendant toute la durée de la cuisson.

3°) Quand la bouillie est cuite, ajouter hors du feu le beurre et le fromage choisi ; verser dans un légumier et tenir bien au chaud. 

N.B. Il va sans dire que nous n’ajoutions, nous, ni beurre, ni parmesan, ni gruyère. La casserole était remplacée par un grand chaudron et la cuillère en bois, c’était la moitié d’un manche à balai en bois, bien nettoyé, réservé à cet unique emploi : à une extrémité, un trou avait été pratiqué, par où passait une corde afin de suspendre l’ustensile qui allait à nouveau servir la prochaine fois… ou l’année suivante.
J’avais à peu près quatre ans quand, un jour, mamé Isabelle, maman de papé Jean, sœur de l’oncle Pierre, et déjà veuve depuis onze années, se mit à faire ces « farinettes », que l’on versait au fur et à mesure directement dans des assiettes creuses ; au repas, un trou était creusé au milieu avec la cuillère, pour recevoir un peu de confiture bien claire, bien rouge, afin d’agrémenter le goût. Je jouais sous la table, avec un rien sans doute. Plusieurs assiettes se trouvaient déjà garnies. Mamé se retourne avec l’assiette suivante, je sors soudain de sous la table comme le petit train de son tunnel ou le diablotin de sa boîte. L’aïeule perd l’équilibre, me heurte, laisse échapper l’assiette pleine, dont le contenu bouillant m’inonde le visage. Grand émoi chez tout le monde, au milieu de mes cris déchirants. Papa, qui était là, me fait tenir les mains derrière le dos par ma mère et, avec une serviette, enlève peu à peu ma peau brûlée qui s’en va en lambeaux. Grosse frayeur pour mes yeux. J’ai dû, dès le début, toucher mon cou de mes petits doigts, et j’ai encore les lointaines cicatrices. Mes cris stridents : « Je ne veux pas mourir !! Je ne veux pas mourir !! » ont sans doute rassemblé quelques voisins, et je ne sais plus combien de temps a duré ma convalescence. Cet accident malheureux, joint à la terrible maladie que couvait sans doute mon père (1), a-t-il hâté la fin de mamé Isabelle, décédée en 1927 à soixante-et-un ans seulement ? Peut-être pas, heureusement, mais tel est le destin. Voilà où m’ont conduit les farinettes. Dans les souvenirs dorment aussi certains drames. »
" Caboujolette " 2008, François Dedieu.  

(1) mon père évoque une “ terrible maladie ” qui aurait couvé une quarantaine d'années ? d'où tenait-il cette conviction ? ce serait possible concernant certains cancers ceux de la prostate, du sein ou liés au tabagisme.   

mercredi 20 mars 2024

Pas un CASSOULET de MOUNJETOS ! Paul SIBRA (fin).

Fervent catholique, traumatisé par la Grande Guerre, plus encore en faveur de l'ordre “ rétabli ”, donc, en plein accord avec les valeurs prônées “ travail, famille, patrie ”, le voilà favorable à Vichy... ce que l'on résume parfois en disant “ vieille France ”... Pire, il adhère à la Milice... Plus encore que pour son portrait de Pétain (1) de 1941, ce peut être à cet engagement qu'à la Libération, il doit sa condamnation à l'indignité nationale, un bannissement significatif puisque la démocratie s'interdit par principe de discriminer.

Compensant cette adversité malheureuse avec son attachement au pays, à l'occitan languedocien toujours parlé tant à la campagne qu'en ville, par une élite, le petit peuple, les artisans, il envisage d'autant mieux de poursuivre avec ses « études de folklore » que la loi d'amnistie de janvier 1951 vient vite effacer la dégradation subie. 


Paul Sibra. Attelage de bœufs et détail. 1932. Musée des Beaux-Arts de Carcassonne. 


Il travaillait à mettre au point ses cahiers sur le Lauragais dont : le Canal, les joutes nautiques, les clochers et carillons, les moulins à vent, les travaux agricoles et métiers, les tuileries et potiers, les types et coutumes, les costumes, les ustensiles de ménage, la cuisine. 
Sur la cuisine par exemple, intitulé « On tue le cochon dans une famille bourgeoise à Castelnaudary en 1895 ». il écrit que même à six ans, si la tradition veut qu'il tînt le cochon par la queue, il en est dispensé « ...mes six ans sans turbulence n’apprécient guère ce hourvari et cette confusion. Je ne reparais que quand les hurlements se sont tus ». Plus loin, il précise : « Plutôt que de donner une série de “ recettes ”, je voudrais montrer le déroulement des diverses opérations ménagères concourant à la transformation du porc en provisions comestibles. Je les présenterai dans le cadre d’une famille bourgeoise vers la fin du siècle dernier. Alors dans la bourgeoisie, les anciennes traditions étaient encore rigoureusement respectées et les vieux usages suivis. J’essaierai de restituer les différentes phases de ces opérations en utilisant les livres de raison de ma grand-mère et de ma mère, ainsi que mes souvenirs personnels échelonnés sur plusieurs années ». Source Garae ethnôpole, Dessiner la tradition : Paul Sibra (1889-1951) et le Lauragais - Garae, auteur Florence Galli-Dupis. 

Paul Sibra. Don Quichotte et le moulin, 1924.  Plaisante, depuis le moulin du Cugarel, sur fond de campagne lauragaise, cette évocation du Chevalier de la Triste Figure, ce qui montre combien le thème de Cervantès reste attaché à la sphère européenne ; vu par Sibra, non sans une pointe d'humour, Sancho Pança, auteur de ce surnom, lève les bras pour se faire remarquer, comme si le peintre ne prenait qu'une photo. 

Le destin en décidera autrement, deux cahiers (les joutes, les moulins) sont achevés, quatre autres presque aboutis ; après deux attaques sévères en 1943 et 1946, Paul Sibra décède le 24 mars 1951, à 62 ans, d'un infarctus du myocarde ; sa petite Martine (17 ans d'écart avec Monique l'aînée) n'a que cinq ans. 

Paul Sibra La jeune fille bien élevée, 1927 (Madeleine dite Mimi Dupuy, cousine qui deviendra son épouse en 1928). 

Il laisse une œuvre considérable de 1500 toiles, de milliers de dessins à la mine de plomb et à la sanguine (dont Lagrasse, Gruissan), des grands cahiers A3 qu'il accompagne de textes, des illustrations de livres dont « Ceux du Languedoc » du poète de la Montagne d'Alaric, Jean Lebrau (1891-1983, mainteneur, en 1942, de l'Académie des Jeux Floraux de Toulouse, Grand Prix de poésie de l'Académie Française en 1968). 

Paul Sibra. Le petit pâtre de Montgeard 1938 Domaine public, photo Tylwyth Eldar 
«...garde tes dindons, moi mes porcs Thérèse, 
ne r'pousse pas du pied mes p'tits cochons... » 
Comme Hier, Paul Fort, Georges Brassens? 

Certaines de ses réalisations sont visibles dans des musées locaux :
* Musée du Pays de Cocagne (Lavaur).
* Galerie Paul Sibra (Castelnaudary).
* Musée des Beaux-Arts (Carcassonne).
* Musée-trésor de Notre-Dame-de l'abbaye (Carcassonne).
* Palais-Musée des Archevêques (Narbonne).
* Musée d'Art et d'Histoire (Narbonne).

(1) Son ami, l'abbé Gabriel Sarraute écrira : « Il était courageux, il l'avait montré à la guerre. Il l'a montré devant les coups les plus durs. On sera ahuri plus tard [...] qu'à un tel homme, un jour, on ait dit qu'il était « frappé d'indignité nationale ». Un léger sourire de mépris est la seule réponse possible. C'était la sienne ». (Lo Gai Saber Revisto de l'Escolo Occitana n° 250 mars-avril 1953 pages 36-37) Source Garae ethnôpole ”, Dessiner la tradition : Paul Sibra (1889-1951) et le Lauragais - Garae Florence Galli-Dupis
L'abbé élude-t-il une appartenance à la Milice ? cette appartenance serait-elle avérée ?  
Encore de ce point de vue là, rien par contre concernant la maison Draeger à qui l'on doit le portrait officiel de Pétain ; rien à propos d'une épuration potentielle mais sur leur site, une présentation pour le moins troublante de l'entreprise si nous considérons le temps non moins troublant de l'épuration : « DES COLLABORATIONS INOUBLIABLES. Des grandes maisons de luxe aux artistes, les collaborations de Draeger ont marqué les esprits... » 

Sources principales : Wikipedia ainsi que Garae, en charge de la diffusion de la revue Folklore-Aude. 
Sur le site “ Garae ethnôpole ”, sous la plume de Florence Galli-Dupis, ingénieur CNRS, une biographie essentielle, illustrée (dont un portrait avenant du peintre) Dessiner la tradition : Paul Sibra (1889-1951) et le Lauragais - Garae. Il y est précisé que Paul Sibra figure dans le numéro 1 de la revue au départ mensuelle, au titre de vice-président de « Folklore », représentant de l'arrondissement de Castelnaudary. Si ses « études de Folklore » auraient pu figurer dans bien des articles, on ne le retrouve qu'une seule fois, pour ses dessins très détaillés du costume narbonnais dans un article d'Anne-Marie Ponrouch-Petit, écrit depuis “ le moulin de Saint-Nazaire-d'Aude ” : « Quelques notes sur le costume traditionnel féminin au pays Narbonnais » (Folklore n°6, août 1938, p. 89-92) (inclus dans la publication, de Clovis Roques, notre voisin sallois « La derastoulhado » un article dans un occitan si recherché en vocabulaire qu'il me fait instantanément éprouver la distance entre  la richesse de la langue et le pauvre amour qui me reste pour le languedocien usuel de mes grands-parents paternels...).

PS : si pour son pétainisme, j'ai rechigné à mettre le portrait du peintre, comme pour Giono prônant « Plutôt allemand que mort », les terribles conditions vécues de 14-18 pèsent, telles autant de circonstances atténuantes. ( « Lieber rot als tot », c'est le mot, plus actuel, prêté à Olaf Scholz, le chancelier allemand, “ plutôt rouge que mort ”... manière d'inverser les termes mêmes du propagandiste nazi Goebbels...).

PS2 : Pétain, faisant “ don de sa personne ” pour “ sauver ” la France ” (trop de guillemets à propos d'une situation, encore une fois, troublante) “ maréchal nous voilà ” accusant Daladier et Blum d'impréparation alors qu'Hitler se renforçait... Sauf que, lors du procès de Riom, un Blum imparable, bien préparé malgré de sévères conditions de détention, répliqua que si les dépenses militaires ont augmenté avec le Front Populaire, en 1934, c'est à un ministre de la Guerre nommé Pétain (entre nous, déjà chef des armées jusqu'en 1931 !) que le pays doit une baisse des crédits militaires de 20 % ! Bien mal en prit au “ sauveur de la France ” ; le procès se termina en eau de boudin lorsque les Allemands, ulcérés d'offrir ainsi une tribune “ au juif Blum ”, stoppèrent tout !

PS3 : aimable et honorable correspondante “ facebouquin(e) ”, Bettina, un grand merci pour la « Porteuse de Cassoulet » !

mardi 19 mars 2024

Pas un CASSOULET de MOUNJETOS ! Paul SIBRA (1).

Merci à mes aimables et non moins honorables correspondants “ facebouquins ” qui tournent nos pages et inspirent plus souvent qu'ils ne croient. Voyez Alain, Bob, Max et Henry, toujours en quête de petits plus internet, mais aux lignes de force, à la conscience marquées. Sinon Bettina, éclectique, passant sans transition des nourritures célestes aux terrestres, nous présenta un jour le plat emblématique du Lauragais vu par Paul Sibra, à savoir « La Porteuse de Cassoulet » (voir sur escapetdecouv.com)...

Surnommé “ le peintre du Lauragais ”, Paul Sibra (1889-1951) est un artiste classé régionaliste, auteur de scènes religieuses, campagnardes, de portraits aussi, de gens, de métiers, de villages... 

D'une famille aisée (ses parents sont propriétaires des « Dames de France »), grâce à son professeur Pierre Thalabas, il prend goût au dessin « Étant enfant, j'aimais crayonner des dessins... ». 
Suite à des études de Droit et à un séjour à Paris en tant qu'avocat-stagiaire, de 1912 à la guerre, il entre dans la réputée Académie Julian ; il y suit le cours de Jean-Paul Laurens (1), peintre d'Histoire et du Lauragais comme lui. 

Paul Sibra, Mémorial_aux_anciens_élèves_et_instituteurs_de l'école Prosper Estieu morts pour la France,1921, détail Author Widlauragais

Après sa période militaire (deux ans à partir de 1905), mobilisé, il est marqué par la Grande Guerre : les tranchées, les blessés, les morts, la campagne dévastée, les villes, les cathédrales bombardées. À Castelnaudary, dès septembre 1921, sous la direction du directeur de l'école de l'Ouest, Émile Cantier qui déjà en 1915, rassemblait les photos des premiers morts de la guerre, pour le premier Monument aux Morts du pays, avec Pierre Thalabas, ils sont chargés de peindre un mémorial solennel de trois fresques (« Le Front à Reims », « La Bataille des Flandres » de 4,35 x 1,85 m. ainsi qu'une rosace au plafond « La Victoire avec le clairon du 143e Régiment d'Infanterie de Castenaudary » / l'ensemble a été réhabilité en 2011). Ne pas oublier les 126 anciens élèves et les trois instituteurs tombés pour la patrie !  

Vue de Sidi-Bou-Saïd - 1920 - Paul Sibra, Musée des Beaux-Arts de Narbonne

Portrait de l'évêque Jean-Joseph Pays Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Notre-Dame-de-l'abbaye, Carcassonne

Autre facette du personnage : dès 1927 il suit les cours d'occitan de Prosper Estieu (1860-1939) et de l'abbé Joseph Salvat (1889-1972, connu pour ses sermons), au Collège Occitan qu'ils viennent de créer. Sibra a de qui tenir, Auguste Fourès “ le félibre rouge ” étant un cousin de sa mère, et surtout, son grand-père maternel, Joseph Dupuy (1837-1916), poète aussi, médaillé aux Jeux Floraux de 1909, qui lui inspirera « l'amour des choses du Pays d'Oc ». 
Ces années 20 le voient s'adonner à l'orientalisme (il voyage en Tunisie) et aux représentations religieuses (“ La Voix de la France ”1924 : évocation d'une France rurale sur laquelle veille Jeanne-d'Arc [Pin on Art (pinterest.jp)] ou “ Saint-François prêchant aux oiseaux” 1924. Voyage aussi, en Italie, sur les pas de Saint Dominique (“ saint ”pour ceux qui légalisent la dite “ sainte ” inquisition contre le catharisme... ). 

Paul Sibra, Le_Lauragais 1929 Domaine public Photo Tylwyth Eldar

Le Lauragais détail

Le Lauragais détail

Dès la fin des années 20, bien que parisien, un parcours obligé pour qui veut sortir du lot, il va témoigner de son attachement au pays natal, de son respect pour le monde paysan. Avec « Le Lauragais » sa grande toile allégorique (2 x 2 m.) figurant, avec le blé des semailles au dépiquage, la mère donnant le sein, la terre nourricière, nous reconnaissons le cours arboré du Canal du Midi, les fermes, les moulins, un clocher-mur, au fond. Il va faire les portraits des villages, peindre les bouviers, les petits pâtres, les bœufs au travail, par paires, une inspiration de grande valeur ethnographique avant l'avènement du mécanisme agricole. (à suivre) 

(1) auteur des décorations du plafond du Théâtre de l’Odéon en 1888, du Salon Lobau de l’Hôtel de Ville de Paris en 1889, de l'illustration  « Le Lauraguais » de la Salle des Illustres du Capitole de Toulouse en 1892, de « La Fondation des Jeux Floraux » décorant l’escalier d’honneur du Capitole (1912). 

Sources principales : Wikipedia ainsi que Garae, en charge de la diffusion de la revue Folklore-Aude. 
Sur le site “ Garae ethnôpole ”, sous la plume de Florence Galli-Dupis, ingénieur CNRS, une biographie essentielle, illustrée (dont un portrait avenant du peintre) Dessiner la tradition : Paul Sibra (1889-1951) et le Lauragais - Garae. Il y est précisé que Paul Sibra figure dans le numéro 1 de la revue saisonnière, au titre de vice-président de « Folklore », représentant de l'arrondissement de Castelnaudary. Si ses « études de Folklore » auraient pu figurer dans bien des articles, on ne le retrouve qu'une seule fois, pour ses dessins du costume narbonnais dans un article d'Anne-Marie Ponrouch-Petit, depuis le moulin de Saint-Nazaire-d'Aude « Quelques notes sur le costume traditionnel féminin au pays Narbonnais » (Folklore n°6, août 1938, p. 89-92) (inclus, de Clovis Roques, notre voisin sallois « La derastoulhado » un article dans un occitan si recherché en vocabulaire qu'il me fait instantanément éprouver la distance entre  la richesse de la langue et le pauvre amour qui me reste pour le languedocien usuel de mes grands-parents paternels...). 



vendredi 25 novembre 2016

FESTO FELIBRENCO a Ouvelha / Aude en Languedoc

FÊTE DU FÉLIBRIGE à Ouveillan.

Au mois d’août 1925, paraissait le numéro 91 de La Cigalo Narbouneso IXe année, uniquement consacré à le fèsto felibrenco d’Ouvelha du dimanche 28 juin (1). 




« ... Coumèncet la vèlho per uno grando retrèto as flambèus... »

Cette fête a commencé la veille par une retraite aux flambeaux sur les airs de la Philarmonique avant que toute l’assemblée ne communie sur la place en chantant La Coupo Santo (2) accompagnée par l’Orfeoun l’Aveni.  

« ...Lou lendema, de toutis lous caires, arribèt un fum de mounde... /... A 10 ouros, la courde l'oustal es claufido de mounde... /... mes ço de pus bèl es uno tièiro d'uno quaranteno de jouvencèlos pourtant la cofo narbouneso... /... S'arribo enfin a la Coumuno.../... la Marselheso restountits...»

A dix heures le lendemain, la Liro et la Filarmonico escortent une file de jouvencelles portant la coiffe narbonnaise. C’est tout un cortège qui les suit par les rues jusqu’à la commune (la mairie) où la Marseillaise retentit. 



«.../... Gentos donos e cars felibres, es ame un grand gaudj que lou conse e la municipalitat saludoun vostro vengudo...»

S’ensuit un bref discours de bienvenue du maire M. Malardeau qui, honorant un passé glorieux, en appelle aux aïeux qui bataillèrent pour sauver leurs coutumes, les libertés et leurs terres. Il salue les Félibres, défenseurs du terroir, des traditions, des droits et du parler. Cette fête les fait communier avec les anciens faidits.

«.../... Uno patrio qu’a d’amaires tant fidèls pod pas mouri... »

Pour lui, une patrie aimée ne peut mourir et ce n’est pas parce qu’elle fut vaincue qu’il ne faut pas garder foi en l’avenir car elle resplendira à nouveau.    

Le docteur Paul Albarel remercie de l’accueil. Son lyrisme embraye aussitôt sur un ton militant et exclusif.

«... Es ame plase que beurem ensemble "lou vin pur de noste plant".../...

Il reprend à plaisir l’image de la vigne profondément enracinée, symbole nouveau (3) en faveur de « la race du Midi (4)» qui ne boit que du « vin pur de notre plant » ... Les luttes pour le vin pur et contre les produits frelatés marquent aussi la résistance du Sud contre la chimie et les tricheurs, les vins arrangés, frelatés pour le plus grand profit d’une finance toujours assimilée au Nord, au pouvoir parisien "jacobicentripète". Maintenant, lorsque l’édile insiste en parlant de sève sans mélange, non abâtardie, nous devons rester convaincus qu’il parle bien du vin et non du peuple qui le produit. Sa réponse conclut avec le souhait de voir conserver l’héritage et la langue de ceux qui labouraient ou avaient à se battre « comme des lions ».  




Ensuite, c’est la messe avec le sermon de l’abbé Salvat, professeur au petit séminaire de « Castel-nau-d’arî » et « vaillant félibre » qui, se référant à Frédéric Mistral insiste avant tout sur la religion, la religion, la religion...
La religion, dernier rempart contre la « racaille » des Barbares submergeant Rome, la religion protégeant le petit contre le gros quand, en 1496, le fonctionnaire des impôts a eu la main trop lourde. Le recteur se dépouillant des biens de l’Eglise, en 1576, pour éviter que le pays ne soit ruîné (6).

Midi. Le compte-rendu fait état «... das badals que lous estoumacs truls fan espeli...» (des baillements que les estomacs creux font éclore (5)).

Approchons-nous de la table !

(1) réf du numéro complet :
https://culture.cr-languedocroussillon.fr/ark:/46855/OAI_FRB340325101_KI3_frb340325101_ki3_1925_0091/v0005.simple.highlight=cigalo%20narbouneso.articleAnnotation=h::9bf868ba-aee4-4f98-bc3e-f6506f983e1f.selectedTab=thumbnail 
(2) Connoté religieusement, ce chant imposé par Mistral et qui reste emblématique de la Provence était considéré comme l’hymne de l’Occitanie au sens large puisque les Catalans y sont associés. Aujourd’hui, « Se Canto » est plus fédérateur.
(3) Qu’aurait exprimé leur lyrisme, un siècle auparavant, quand les céréales représentaient la principale culture du Languedoc ?
(4) Attention au mot « race » avec un sens et un usage différent de ce qu’il est aujourd’hui, depuis qu’il est prouvé qu’il n’existe qu’une seule race humaine.
(5) Dans Le Tresor dòu Felibrige, Mistral précise : « ... "Espeli" peut se rapporter au lat. expellere, expulser...».
(6) Comme par hasard, le bon abbé ne pipe mot de la Croisade contre des Albigeois chargés d’hérétisme, d’extrémisme, alors que le catharisme, simple dissidence qu’il ne faut pas rapprocher du bogomilisme et du manichéisme orientaux, se définissait avant tout comme NON VIOLENT. Rien non plus sur l’Inquisition, les tortures, les bûchers qui suivirent la croisade. Les exemples de l’abbé Salvat, trop ponctuels (1496) ou peu probants concernant les guerres de religion qui voyaient la population souffrir et des exactions d’un camp et des réquisitions des leurs (1576) relèvent d’une propagande grossière.  


photos personnelles : 
1 & 2 Monument aux Morts "pacifiste" de René Iché (1897-1954). Le site de la mairie d'Ouveillan estropie son nom ! Es uno vergougno ! c'est une honte !.. Doit-on faire le parallèle avec la réduction annoncée du nombre des fonctionnaires, notamment territoriaux ?.. 
3 & 4 Si la mairie est peut-être à un autre endroit depuis, la cave coopérative ne date que de 1936. Contrairement à de nombreuses autres, désaffectées et même détruites, comme celles de Vinassan et de Lespignan (récemment), elle reçoit la vendange sur un large secteur (jusqu'à Narbonne) et est médiatiquement connue pour des vendanges du cœur solidaires.  

vendredi 20 mai 2016

LOU PASTRE (le pâtre) / Languedoc

LOU PASTRE.

Per causse, en plen ivèrn, quand la magistralada (1)
Balota dins lo cel la neu e lo conglaç,
Dins sa capa amagat, se ris de la gelada
E lou vèspre, am l’aver (2), content s’embarra au jas.

Quand reven lou printens et que la soulelhada
Fa reverdir la terra et florir lo bartas,
Mena sos anhelos dins la prima abaucada (3)
E lo pastre es urós quand sont assadolats.

Desmamat dau païs e luènh de sa familha
Sus lo causse auturòs qu’es coumo sa patrio,
Mestrejo son tropèl que s’augmenta dau creis...

Plantat sus son baston lo vei que s’apastura
E pompant l’air tebés de la bèla natura,
Tot solet, luènh dau monde, amont se crei lo rei.

Antoni Roux. Pescalunetas (4)

(1) magistrau, vent maître, mistral... et surtout pas une "tramontane" trop générique !
(2) chez Mistral, "embarra l’avé ou tout court embarra, enfermer les brebis dans le bercail"
(3) bauco, brachypode rameux, pelouse steppique, baouque chez Harant et Jarry (Guide du Naturaliste dans le Midi de la France). Plante herbacée méditerranéenne (Wikipedia).
(4) le nom du recueil vient peut-être de Pesco-luno, sobriquet des habitants de Lunel, qui eurent l’idée d’aller pêcher, dans un panier percé, le reflet de la lune. 

LE PÂTRE.   

Par le causse, en plein hiver, quand la magistralado
Ballotte dans le ciel la neige et la glace,
Dans sa cape caché, il se rit de la gelée
Et le soir, avec les brebis, content il s’enferme au gîte (bercail, bergerie).

Quand revient le printemps et que le soleil
Fait reverdir la terre et fleurir le buisson,
Il mène ses agnelets dans la prairie nouvelle
Et le pâtre est heureux quand ils sont rassasiés.

Privé de son pays et loin de sa famille
Sur le causse altier qui est comme sa patrie
Il mène son troupeau qui s’augmente des naissances.

Planté sur son bâton, il le voit qui pâture
Et pompant l’air tiède de la belle nature,
Tout seulet, loin du monde, en haut il se croit roi.       
   
Photos autorisées 1, 2, 3, 4, 5 Commons wikimedia

1. La vieille jasse / auteur Jean-Claude Charrié. 
2. Lavogne du Larzac / auteur Toutaitanous. 
3. Larzac près de la Couvertoirade / auteur présumé Sylvagnac. 
4. Brebis en pâture / auteur Jean-Claude Charrié. 
5. Berger sur le Larzac / auteur Mathieu Caunes. 



samedi 14 mai 2016

CAVALCADES ET CORSOS "FLEURYS" / Fleury d'Aude en Languedoc.

Au mois de mai, c’est la fin pour les cavalcades et autres corsos fleuris. Et dire qu’ils viennent encore de brûler Carnaval chez les voisins... Au temps des fleurs, c’est vraiment du sadisme... Sauf qu’une salloise m’a rétorqué que c’était mieux que de ne rien faire ! Et vlan ! Je n’ai pu que balbutier qu’ils allaient fêter la fête dans les rues, quand même, à Fleury !
Élevons le débat tout en reconnaissant que les patchaques et autres querelles de clochers ont toujours pimenté et corsé les rapports de voisinage ! Il n’empêche, en février, les mimosas qui défilent traduisent si bien l’espérance des beaux jours à venir.
Reprenons le compte-rendu si détaillé de cette cavalcade d’après guerre que François, lou filh de Jeanil, a bien voulu nous réserver (1). Le char du chapeau venait juste de passer : 


«... "Les Vendanges" venaient ensuite. Le camion était garni de treilles et de souches avec de beaux raisins. Au milieu était une grosse barrique avec Charlot Escaré qui représentait Bacchus tenant une coupe et un bâton avec une feuille de vigne et un raisin. Il y avait aussi des vendangeurs et des vendangeuses, parmi lesquelles Elisabeth et Marcelle Subra. Ils ont eu le 5e prix (2000 F et 2 bouteilles de champagne).
"La Couveuse", des petits garçons et petites filles, habillés de coton jaune, chacun dans une sorte de panier.../...
... Ensuite, "Blanche-Neige et les sept nains" (la rue Neuve). Auret menait le char,Mimi Dauga était Blanche-Neige et G. Martin le Prince, F. Bousquet, J. Bernard, les petits Auret... ils ont eu un prix d’honneur et un prix d’attelage.../... 
... Puis le "Panier Fleuri" des petits enfants très bien habillés, dans un grand panier fleuri de fleurs avec des fleurs d’amandier, du mimosa...
... "La sérénade à Colombine".../... des garçons en pierrots jouant de la mandoline, et des petites colombines...
Ensuite 2 chars 1900 : un de Fleury, yves Carrière était le cocher, en costume d’époque... /... derrière un comte et une comtesse... Abrial portait une perruque, un chapeau à voilette, il avait fait un grain de beauté ; tu peux croire qu’il le faisait bien.
L’autre était de Coursan, il était plus chic que celui de Fleury.../... dedans deux couples qui chantaient « Frou-Frou », et enfin deux laquais : deux jeunes filles...
... /... Puis une énorme carpe de Coursan avec 4 oo 5 pêcheurs, un tank de Béziers et des soldats jouant de l’accordéon.
Et enfin de nombreux travestis de Narbonne. Tout le monde dit que c’était la cavalcade la plus jolie de la région, elle dépassaitde beaucoup celles de Narbonne, Coursan et Béziers.  
J’ai oublié le principal, le char de la Reine... /...
Il y avait aussi un autre char où étaient Colette, Yvette et Monique "La France et ses Provinces", et un autre "Les Papillons".
Mr Robert distribuait les prix... /... Après la cavalcade, il y a eu bal sur la place, ainsi qu’après souper, avec concours de travestis. C’est la femme de G. Chavardès et mme Dubeau (la patronne de l’autobus) qui ont eu le premier prix. Mme Chavardès était en Provençale ; Madeleine Artozoul, de paris, a eu le 3e, elle était en Cosaque, Marthe Barthe en Espagnole...etc...

(1) François Dedieu / Caboujolette / 2008. 

diapositives François Dedieu 1 &2 1969 3 & 4 1986.

mardi 3 mai 2016

CAVALCADES ET CORSOS FLEURIS / Fleury d'Aude en Languedoc



Si certaines villes maintiennent la tradition de leur carnaval, Limoux et ses fécos par exemple ou ces villages où se danse et se chante encore le buffoli, sous le ciel de Fleury, les masques et les cavalcades ne reviennent que par périodes. Il fut un temps pourtant où une cavalcade réputée attirait même un public régional. C’est ce que nous explique François Dedieu, dans son chapitre « Premiers sourires du printemps » (1) : 
  
«... mais ses grandes dates se situent, pour l’après 1945, en 47, 48, 49 où nous avons tenu la dragée haute à Narbonne et à Béziers. Paulette Jean, plus tard épouse Grasseau, Josette Bousquet, fille d’Emilienne et Jules dit Camille, et d’autres qui m’échappent (je n’étais pas là, et la mémoire de tatie Marcelle nous serait précieuse), en furent les reines ou dauphines. Le Comité des Fêtes, récemment créé, voyait ses membres circuler en calèche : Léonce Andrieu, Louis Robert, Georges Chavardés en particulier. Les chevaux (les tracteurs ne vinrent que plus tard) étaient alors en tenue de parade, leurs sabots noircis au cirage. Les nombreux chars composaient une vraie cavalcade. Je te signale toutefois que le départ a toujours été donné « à la gare », c’est-à-dire à la Cave Coopérative, et que la « rue de la gare » devenue « Avenue de Salles » constituait une portion importante du défilé... /...

... Au sujet du carnaval de Fleury, je retrouve plusieurs lettres :

6 février 1948. .../... nous préparons une cavalcade pour le 7 mars... /... Louis Robert est toujours président, il y a déjà 7 à 8 chars inscrits... /... nous en ferons un, nous voulions faire les Saintes-Maries-de-la-mer mais les Cabanes le font. Peyrel en ont commencé un mais on ne sait pas ce que c’est. dimanche c’est la cavalcade de Narbonne et le 23 celle de Coursan...

Deuxième lettre :

«... Dimanche la cavalcade s’est très bien passée ; il y avait de nombreux chars : d’abord une barque qui a eu le premier prix (6000 F) avec des corsaires portant des foulards rouges, puis le chapeau mexicain, c’était un grand chapeau beige et doré avec des danseurs et danseuses sur son rebord : Paul Sagné, Norbert Hérail, Paulette Jean, S. Rascol, J. Pradines, etc... Félix Peyrel jouait des rumbas sur son accordéon et le char était garni de palmiers ; puis il y avait les sultanes : J. Berthuel, J. Sala, J. Bousquet, G. LOpez, Suzanne Sirven, et Claude Pech était assis dans un coin et jouait de la clarinette ; de l’autre côté, il y avait deux petits nègres habillés avec du raphia et qui jouaient du tambourin. Les sultanes étaient assises sur des poufs en cuir. J. Berthuel était allongée sur un divan recouvert d’une peau de panthère (c’est Mr Fabre de la distillerie qui avait tout prêté). Ce char était très bien, surtout les costumes qui étaient très riches, en satin blanc, bleu et bordeaux, avec le turban et les mules assortis. Elles ont eu le 2e prix, avec le chapeau... » (à suivre)  

(1) Caboujolette / 2008. 

diapositives avril 1969 François Dedieu.

mercredi 2 mars 2016

ET À FLEURY, LE CARNAVAL ? / Fleury d'Aude en Languedoc


Et bé, après Pézenas et Limoux, ébaubi et baba je l’ai bée... Néanmoins, serait-ce par petites touches et avec l’espoir que des contributions plus substantielles viendront étoffer ces bribes, quelques pistes... 

Heureusement que le mardi gras est inscrit dans le calendrier et qu’il donne l’envie et l’idée de se masquer, surtout chez les enfants. Il suffit de quelques vieilles fripes dans l’armoire ou le cagibi et du masque qu’on peut s’il le faut, acheter chez Odette ou Madama Zan, les deux bureaux de tabac du village. 

L’après-midi de ce mardi à part, on rencontre dans les rues des groupes déguisés munis d’une casserole ou mieux d’une poêle pour passer de porte en porte en quêtant « Vingt soous din la padeno ! » (vingt sous dans la poêle). C’est un joli tableau quand ces bandes qui se croisent dans les quartiers : les masques se jaugent, se toisent presque à se provoquer, au point de lever, pour rire, la canne ou le bâton car la concurrence est rude et la générosité des maisons limitée !
« Pitchou, les autres sont passés, tiens, un bonbon quand même ! »
Parfois, quitte à revenir ensuite sur ses pas, mieux vaut aller au plus court taper à la bonne porte, souvent chez une mamé curieuse, ridée jusqu’au bout des doigts mais à l’œil guilleret et engageant... les gamins ne s’y trompent pas... Retenant sa pièce au bout des doigts, elle sourit « Qui es-tu, toi ? ». Alors, gêné mais ravi, on dévoile sa frimousse, on bredouille son nom, elle insiste en articulant bien, pour la mamette qui est derrière, encore plus ridée, la paume ouverte contre l’oreille « C’est le fils de François ! ». Et on rougit un peu de tant de fausse modestie ou seulement d’exister tandis que leurs pommettes fripées rosissent... « Ces vieux ! ça n’a qu’une goutte de sang dans les veines, et à la moindre émotion, elle leur saute au visage...» écrivait Alphonse (1) Daudet dans les Lettres de mon Moulin... C’est vrai qu’on en oublie le noir des tabliers qu’elles portent toutes...


Le carnaval rend donc hommage aux mamés (les hommes sont plus bourrus !) mais les masques repartent vite tandis que le préposé à la récolte compte les sous. La fin de l’après-midi pointe, il est temps d’aller à l’épicerie pour du chocolat Cémoi, des barres de Malakoff, des pâtes de fruits et des nougats Dumas, la marque de Pézenas, bref un goûter du tonnerre !


Dans Caboujolette, avec la variante « Un soou à la padeno ! », papa s’est fait l’écho de ces sorties déguisées. Je cite :
« Un de ceux qui tenaient à voir le visage du quêteur masqué, avant de lui donner la pièce, c’était, racontait papé Jean, qui l’avait vu faire chez Pierre Marty, le bourrelier, Cazanave :
« Cal sès, tu ? Te baillarei quicon si m’enlevès lou masqué et si me ba disés ! » (Qui es-tu, toi ? je te donnerai quelque chose si tu m’enlèves le masque et si tu me le dis !)
De quoi tempérer mon sentiment sur les hommes... et sur Carnaval ! Il suffisait de se lancer...
(à suivre) 


(1) maman, Alphonse Galmarre fait 91 ans en mars... comme toi, presque...

mardi 1 mars 2016

QUE PEZENAS N’ES LOU MOUIÒU ! (1) / Fleury d'Aude en Languedoc

    A Limoux, le carnaval s’est affranchi de la contrainte du carême. Qu’importe le mercredi des Cendres, on n’a plus peur de Charlemagne et de la peine de mort pour les contrevenants ! On fait gras ! Vendredi, c’est déjà la fête, de janvier à fin mars !
    Ce jour, nous sommes en mars justement et si Pâques se célèbre aussi en avril, mars appelle la mi-carême, cette entorse aux quarante jours, l’étape réconfortante, à mi-chemin, même si Musset insiste sur la valse prenant le pas sur une danse ancienne quand l’instituteur n’en garde que les roses en boutons et le renouveau dont les coteaux frémissent. 


Le préau de l'école de garçons qui n'avait pas ou au nom inusité.

    Vite, vite, partons à Pézenas où le carnaval respectueux du calendrier religieux marque plutôt le mois de février... Me concernant, c’est une occasion de plus pour voir repasser trois ans de vie ; aussi, je crois pouvoir comprendre l’attachement profond des Piscénois à leur ville, un amour véritable, disons-le, dans lequel l’héritage historique compte beaucoup. 
    « Viouléto de fébrié, per damo e cavalié » (2) relève Mistral dans le Trésor du Félibrige. Sans plus de précision, je me transporte seulement à Saint-Christol, la campagne du docteur Rolland. C’est vrai qu’au sortir de la mauvaise saison, les violettes pointaient une modestie soyeuse qui s’accordait si bien avec la majesté des grands pins du parc. Au pied du mur d’enceinte, le chemin de l’école rejoignait la rivière qui manquerait au décor. La Peyne, capable du pire en très peu de temps (3), il faut l’imaginer, en 1622, début août, alors que la ville offre ses clés au roi en signe de soumission.


La Peyne depuis la ligne désaffectée du chemin de fer (août 2015).
 Une paysanne retrousse son jupon pour passer à gué quand un galant officier la prend en croupe : c’est le maréchal de camp François de Bassompierre ! Mais ce qui est plus étonnant est que les acteurs du joli tableau parcourent toujours les rues, pour carnaval notamment mais pas seulement, juchés sur le poulain, sûrement pour remercier Louis XIII de son indulgence (3)...
    Le poulain, le poulain... je pense à tout sauf à lui, sur mon chemin d’écolier... même pas pour une envie de chocolat ! Et quand je passe devant le commissariat (4), le porche imposant, la cour intérieure, les grands platanes pourraient évoquer un haras royal... Sauf qu’à l’aller je ne voudrais pas être en retard et au retour, l’hiver du moins, il fait déjà nuit après l’étude du soir, au CM2, chez Carrère et c’est moi qui trotte une demi-heure avant de sentir l’écurie ! Et pourtant, c’est bien d’ici qu’il part, propre, apprêté, que ses servants se préparent et prennent la pose tandis qu’une escorte survoltée et braillarde excite l’équipage !



Le Poulain de Pézenas en 2006 à Steenworde / commons wikimedia / auteur Lion59.

    Tout ça pour un poulain ! Ah non ! pas UN poulain ! LE Poulain ! Unique et là depuis longtemps, très longtemps, bien avant Bassompierre et sa paysanne en amazone ! 1226, les archives en attestent. On le doit à Louis VIII. Le roi alors en croisade contre les Albigeois, doit laisser sa jument préférée, mal en point. A son retour, quelle n’est pas sa surprise quand les habitants le reçoivent avec un poulain cabriolant, paré de rubans et sa jument en pleine forme ! « Oncques, s’exclama le souverain, la bonne ville de Pesenàs ne saura désormais célébrer et festoyer sans que mon poulain royal ne caracole ! » Consuls et marchands de se soumettre en saluant bas... Prospérité et fortune valant mieux que vanité mal placée, le Poulain exprime depuis la gratitude de la ville non sans rappeler toutefois la protection qui lui est due... Sa réputation est à l’aune des visites royales et des grands du royaume ! (5)
    C’est qu’il danse et danse bien, le Poulain, toujours accompagné de « aubois », de « petits tambours ». La robe qu’il porte jusqu’à terre est « peinte d’azur » et parsemée de fleurs de lys. Portant un homme et une femme "fort proprement habillés" (6). Il est fort agile et fait des très grandes courses, renversant tout ce qui se trouve à son passage, comme aussi avec sa mâchoire que l'on fait jouer. Aucun cheval ne peut tenir devant lui ; il épouvante tout. On ne sauroit bien décrire tout le secret de cette machine. Nos Seigneurs les Princes lui firent donner dix louis, et ne pouvaint se lasser de le voir.» (Monseigneur le Duc de Bourgogne avec Monseigneur le Duc de Berri, en visite à Pézenas en 1700).
https://archive.org/stream/archivesdelavill01ress/archivesdelavill01ress_djvu.txt   
    Emblématique, totémique, derrière un meneur tambourinant en fou du roi, le Poulain cabre et rue, tendant le cou vers les balcons pour quêter, entre ses mâchoires, l’obole des pauvres. Pour carnaval, le mardi-gras est chômé : ça je n’ai pas oublié qu’il n’y a pas école ce jour-là ! Il faut voir cette foule trépidante, suivant, tambour battant, les fifres, grosses caisses et tambourins. Dans un nuage de confettis et de farine, les masques, les farandoles de panèls, comme pris dans une danse de Saint-Blaise, scandent à travers la ville la chanson du Poulain ! 



Le Poulain toujours à la Ronde des Géants à Steenworde (2006) Commons wikimedia / Auteur Daniel 71953.
 

    Louis VIII avait précisé, dit-on, que l’armature serait en bois de châtaignier. Elle est aujourd’hui légère et démontable, pour prendre l’avion car le Poulain, au patrimoine immatériel de l’Unesco (2005) porte nos couleurs loin dans le monde (Delhi et Bombay dès 1989, Barcelone, la Hongrie...). Et s’il gambade aussi l’été lors de l’inauguration de la Mirondèla dels Arts, le premier août il tient à marquer le lien indéfectible entre la cité et les enfants partis au loin, quand, en chemise blanche, les gros nez moustachus charient sans varier en braillant que «... de Pézenas sen pas de Counas !»         
 

(1) "Lou Lengado ‘s un iòu
Que Pezenas n’es lou mouiòu." (le Languedoc est un œuf et Pézenas en est le jaune).

(2) "Violette de février pour dame et cavalier". Le violet, la couleur, associé au blanc, en particulier au rugby, avec le stade non loin de là d’ailleurs, à gauche avant le passage à niveau de la Grange-des-Prés...
(3) sujette, historiquement, comme tous les cours d'eau descendant de la bordure des Cévennes, à des crues aussi subites que violentes. 
Le 18 septembre 1622, lors du siège de Montpellier cité protestante par les troupes royales, un gros orage provoque la crue du Merdanson. François de Bassompierre, Maréchal de France (oct 1622) écrit de mémoire depuis sa cellule (emprisonné à la Bastille de 1631 à 1643... Louis XIII savait être ingrat et cruel...) dans « Journal de ma vie » : « Le 18, la journée fut perdue encore par suite d’un violent orage. Le Merdanson déborda et entraîna plus de cent lansquenets qui s’étaient logés dans des huttes creusées sur le bord de la rivière, pour y trouver un abri contre la chaleur. »
https://fr.wikisource.org/wiki/Journal_de_ma_vie_%28Bassompierre%29/3
 
(4)
les pères de "Bayette" et Patrick, camarades de classe, y travaillent.  
(5) Les Huguenots se révoltèrent contre Louis XIII tant leurs craintes étaient grandes de perdre la reconnaissance officialisée sous le règne de son père, Henri IV (Édit de Nantes avril 1598). Les campagnes royales de 1621 et 1622 avaient tout des huit guerres successives désastreuses pour le pays depuis 1560 et marquées par l’ingérence étrangère (Espagne, Savoie, Angleterre). Si le château de Pézenas dut être démonté parce que des nobles locaux avaient pris le parti des protestants, l’inflexibilité royale (massacre de Négrepelisse, forte rançon exigée contre la vie sauve à Saint-Antonin-Noble-Val) aurait pu coûter bien plus cher à la ville...   
(6) Estièinou et Estièinetto.

Entre autres sources :
http://amis-pezenas.com/le-patrimoine/les-traditions-populaires/
http://www.herault.fr/2012/03/05/poulain-de-pezenas-un-animal-totemique-star-carnaval-11777
http://www.ville-pezenas.fr/le-poulain-de-pezenas-444/

http://www.dailymotion.com/video/x33bisc_2015-pezenas-retour-des-machous_fun

samedi 27 février 2016

LES FÉCOS DE LIMOUX ! / Aude & Languedoc.


    Chauvin, le Languedocien ? Que nenni ! A des lieues du parisien nombrilisme hautain ! Regardez, nous avons parlé des Grecs, des Romains, du Vallespir, de Brigitte... Entre parenthèses, nous n’avions pas grand chose, le long de l’Aude sinon la soupe à la grimace... Soit... Il n’empêche, l’ouverture d’esprit, l’hospitalité datant des troubadours nous ont vu saluer d’abord la Sardaigne, les pays de Bade et de Bâle, l’Alsace avant de revenir en Provence et aujourd’hui seulement à Limoux, chez nous ! 

    « Fausse modestie ! » persiflent les mauvais coucheurs, que de garder le meilleur pour la fin. Aco peiçèmplé ! Ça par exemple ! « Fausse modestie » ? Et l’article avec « Charité bien ordonnée... » tout au début, c’est pas de la modestie peut-être ? Et polie qui plus est ! Quant à garder le meilleur pour la fin, y a à boire et à manger, comme on dit ! A la noce de mon pauvre cousin Jojo, chez Paule, figurez-vous que plus que les choux de la pièce montée, c’est la poule à la crème du soir qui... Et puis zut, vous embêtez à force, que même le vocabulaire atteste de notre ouverture, de notre prévenance, avec toutes ces variantes de l’occitan que les tenants d’une normalisation à la parisienne voudraient niveler, d’ailleurs ! As pas vist ! Revenons à Carnabal ! 

 
    Limoux, jolie ville du Razès, entre la plaine et les piémonts pyrénéens. Sur les coteaux bordant l’Aude, les vignes de notre Blanquette si pétillante, de Limoux pardi ! Si gamins, nous disions « Va à Limoux avec les fous ! »,  ce serait plus plaisant aujourd’hui d’aller faire les fous au carnaval sans pareil de Limoux, le plus long du monde (de début janvier à fin mars) ! Enfin, faut le dire vite car, loin de la folie et du désordre, ce qui reste respectable répond à des us et des règles strictes : nous l’avons déjà constaté pour les traditions carnavalesques entrevues.



    Ici, depuis le Moyen-Age et, sans que cela ne nous étonne, en lien avec les fêtes des Romains, le carnaval, toujours en délicatesse avec les autorités réticentes, s’ébranle le premier dimanche de janvier avec la visite des meuniers à la sous-préfecture (1). Composés de membres de toutes les bandes du Comité, ils viennent négocier des taxes toujours trop fortes et nombreuses. Leur visite perpétue donc une tradition moyenâgeuse entre nous, si prenante et d’actualité. Sûr que bientôt nous ferons carnaval au moins six mois dans l’année avec des impôts toujours plus forts, toujours plus hauts ! Le conseil départemental, l’Hôtel des Impôts, dignes héritiers du grand bouteiller, du sénéchal et de la Ferme Générale  peltirent et étrillent aujourd’hui, hélas plus au profit des nobles politiques et de son clergé administratif ad hoc que d’une pauvre France en capilotade ! Et comme les gueux ne se font Croquants que réduits en va-nu-pieds, autant épancher ses rancœurs comme on évacue la pression et son stress grâce au carnaval, macarel ! 


    Autant passer un bon moment, faute de zénitude accessible, en fin de semaine, de janvier à mars, avec les fécos, pareillement déguisés, sous les arcades de la place. Aux bandes officielles se joignent celles du samedi. Pour donner une idée, le calendrier 2015 - 2016 a programmé près de 70 sorties avec 35 bandes, sans compter les jours pour les enfants des écoles et les sorties générales ! 700 participants costumés suivant un thème et derrière, les déguisements ordinaires !


    Un mot encore pour la musique sans laquelle le carnaval ne serait pas : trois ensembles, La Band’annonce, les Hauts de l’Aude et la Bande à Dédé ne sont pas de trop pour animer les sorties, parfois secondées par l’Escola de Bodega, « La plus belle des cornemuses par son volume, sa sonorité, sa personnalité et la culture qu’elle porte » https://www.facebook.com/boudegue/info/?tab=page_info. Notons qu’avec des airs plus universels, un effort est fait pour réveiller et réhabiliter des partitions locales avant qu’elles ne se perdent.
    Il y aurait tant à dire encore sur les thèmes mais je ne vais pas faire la rasségo contre des politiques et des institutions trop orgueilleuses et hautaines qui dominent plutôt qu’elles ne servent. Allez voir tous les sites, les vidéos sur le carnaval et mieux encore allez donc à Limoux, sous les arcades !  

    Vite, vite, parce qu’avec la grisaille ou un soleil qu’il serait idiot de blâmer, le printemps fait déjà entendre ses galoches. Et avant que le cycle ne nous ramène carnaval, je veux encore aller à Pézenas puis rentrer chez moi avant que les fleurs et les pousses tendres ne rhabillent les oripeaux de l’hiver. 

    « Le carnaval s’en va, les roses vont éclore ;
    Sur les flancs des coteaux déjà court le gazon... »
            Alfred de Musset « A la mi-carême »      

(1) suite aux attentats qui ont endeuillé l’année 2015, cette rencontre bon enfant a été, et on le comprend, annulée. 

photos autorisées commons wikimedia 
1.  Limoux Place de la République auteur Pinpin.
2. Pierrots 2007 auteur tagon.
3. Pierrot bleu 2007 auteur tagon.
4. Limoux 2008 auteur Pinpin.
5. Limoux Pierrot et godilhs auteur Guilhelma.