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jeudi 21 mars 2024

Les farinettes (le MILLAS).

Dans la revue FOLKLORE, numéros 147-148, Automne-Hiver 1972, Myriam Marfaing a recueilli les témoignages de ses mère et grand-mère sur ce qu'on mangeait à Sainte-Colombe-sur-l'Hers. Elle y évoque le milhas (ou millas).  

C'est terrible, parmi les photos autorisées, il faut qu'elle vienne du Cameroun pour avoir une marmite sur un feu de bois ! Je veux bien penser que je cherche mal (Pixabay en dispose mais impossibles à éditer)... Il y a bien dans un livre scolaire l'illustration en noir et blanc enrichie de vert d'une de mes poésies préférées, « La Marmite » de Maurice Fombeure mais là encore les droits d'auteur empêchent de faire figurer et le dessin et la poésie... Bref, chez nous, dans la cheminée, la pairolo cuisait sur un trépied. 

Ou alors du milhas, à la base, une bouillie de farine d'orge ou de millet. puis de maïs, tournée avec de l'eau ou du lait mis à cuire avec du saindoux ou de la graisse d'oie (milhas noir dans l'eau de boudin lors de la “ fête ” du cochon... étalée sur un linge à même la table ; la bouillie solidifiée se découpe, elle se mange salée ou sucrée, peut être frite.  

La cuisinière étalait cette bouillie sur un linge posé sur la table Ce milhas était fait, au moment du repas, versé sur un linge directement sur la table et servait de pain : quelquefois grillé. 

Et si on essayait le millasson ou millas 
etsionessayait.blogspot.com
 

Suite à ce que nous précise Myriam Marfaing, un extrait de Caboujolette ; mon père y parle des “ farinettes ” une vie d'avant, pas si loin, mais que la marche inexorable du temps voudrait enfouir comme elle le fait des fossiles à déterrer : 

« Les farinettes. 
Nous appelions « farinettes » cette bouillie de maïs que d’autres appellent « millas ».
La recette en est facile et pas chère. Il faut 30 minutes pour la préparer et autant pour la cuire.  

Pour six personnes.
Ingrédients : 500 g de farine de mais ; 30 g de beurre frais ; 50 g de parmesan ou de gruyère râpé ; sel.

1°) Faire chauffer  1 litre ½ d’eau salée dans une grande casserole ; à ébullition, verser la farine en pluie, en tournant avec une cuillère de bois pour éviter les grumeaux.

2°) Tourner la bouillie pendant toute la durée de la cuisson.

3°) Quand la bouillie est cuite, ajouter hors du feu le beurre et le fromage choisi ; verser dans un légumier et tenir bien au chaud. 

N.B. Il va sans dire que nous n’ajoutions, nous, ni beurre, ni parmesan, ni gruyère. La casserole était remplacée par un grand chaudron et la cuillère en bois, c’était la moitié d’un manche à balai en bois, bien nettoyé, réservé à cet unique emploi : à une extrémité, un trou avait été pratiqué, par où passait une corde afin de suspendre l’ustensile qui allait à nouveau servir la prochaine fois… ou l’année suivante.
J’avais à peu près quatre ans quand, un jour, mamé Isabelle, maman de papé Jean, sœur de l’oncle Pierre, et déjà veuve depuis onze années, se mit à faire ces « farinettes », que l’on versait au fur et à mesure directement dans des assiettes creuses ; au repas, un trou était creusé au milieu avec la cuillère, pour recevoir un peu de confiture bien claire, bien rouge, afin d’agrémenter le goût. Je jouais sous la table, avec un rien sans doute. Plusieurs assiettes se trouvaient déjà garnies. Mamé se retourne avec l’assiette suivante, je sors soudain de sous la table comme le petit train de son tunnel ou le diablotin de sa boîte. L’aïeule perd l’équilibre, me heurte, laisse échapper l’assiette pleine, dont le contenu bouillant m’inonde le visage. Grand émoi chez tout le monde, au milieu de mes cris déchirants. Papa, qui était là, me fait tenir les mains derrière le dos par ma mère et, avec une serviette, enlève peu à peu ma peau brûlée qui s’en va en lambeaux. Grosse frayeur pour mes yeux. J’ai dû, dès le début, toucher mon cou de mes petits doigts, et j’ai encore les lointaines cicatrices. Mes cris stridents : « Je ne veux pas mourir !! Je ne veux pas mourir !! » ont sans doute rassemblé quelques voisins, et je ne sais plus combien de temps a duré ma convalescence. Cet accident malheureux, joint à la terrible maladie que couvait sans doute mon père (1), a-t-il hâté la fin de mamé Isabelle, décédée en 1927 à soixante-et-un ans seulement ? Peut-être pas, heureusement, mais tel est le destin. Voilà où m’ont conduit les farinettes. Dans les souvenirs dorment aussi certains drames. »
" Caboujolette " 2008, François Dedieu.  

(1) mon père évoque une “ terrible maladie ” qui aurait couvé une quarantaine d'années ? d'où tenait-il cette conviction ? ce serait possible concernant certains cancers ceux de la prostate, du sein ou liés au tabagisme.   

dimanche 17 mars 2024

Que mangeait-on à Ste-Colombe-sur-l'Hers ?

NOTES SUR L'ALIMENTATION TRADITIONNELLE dans un village de l'Aude (SAINTE-COLOMBE-SUR-L'HERS) vers le second XIXe siècle jusqu'à nos jours pour les produits et les recettes qui se perpétuent. 

Sainte-Colombe-sur-l'Hers 2019 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Auteur Lucas Destrem (vue vers le Sud). 

Dans la revue FOLKLORE, numéros 147-148, Automne-Hiver 1972, Myriam Marfaing a recueilli les témoignages de ses mère et grand-mère. 

Ste-Colombe-sur-l'Hers, un village entre 400 et 700 d'altitude, à la limite du département de l'Ariège, comptant 440 hab (ils étaient dans les 700 en 1962, le double vers 1850). L'artisanat à domicile ou à l'usine (tissage, corne) forme, avec les cultures, l'essentiel de la vie économique, donc une bivalence ouvrière et paysanne. 

Privilégié par l'altitude, la géographie et le climat, le pays ne souffre pas de la faim. La cuisine traduit les influences à la fois ariégeoises et méditerranéennes. On mange ce qu'on fait pousser au jardin, les produits de la chasse, de la pêche, les champignons. 

Les repas principaux sont du matin et du soir, le midi se contentant d'un en-cas comme du pain frotté d'ail. Les recettes sont nombreuses, particulièrement pour les œufs, les pommes-de-terre. 

Haricots_plats  2008 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported, 2.5 Generic, 2.0 Generic and 1.0 Generic Auteur Spedona

Le MATIN, la soupe que des herbes parfument : au chou en hiver, aux fèves au printemps, aux barraquets (haricots verts) en été ; ces soupes sont améliorées serait-ce de lard ou de l'os de jambon réemployé, sinon de lard et d'ail en pommade, ou avec une rouzole frite préalablement (farce de pain, d'œufs, de cansalade, d'ail, de persil). Un peu seulement de salé de porc ou de volaille (dinde, poule, oie, canard) le dimanche (les Celtes seraient à l'origine des techniques de conservation sel-graisse. 

Les pots en grès contiennent aussi les confits de même que les foies gras (frais, il pouvait se manger cru, en fines lamelles simplement salées et poivrées). 

Le SOIR, presque toujours des haricots secs, la mounjétado ou estouffèt, nourriture primordiale (ici des cocos de Pamiers, non trempés, plus longs à cuire mais meilleurs), accompagnés d'une rouzole. Parfois des lentilles avec ce hachis. Ou alors du milhas, à la base, une bouillie de farine d'orge ou de millet. 

Vicia_fabaFève Légumineuse, 2008 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported, 2.5 Generic, 2.0 Generic and 1.0 Generic Author Lamiot

Les HORS-D'OEUVRE : du jambon (frit plutôt), du saucisson ou saucisse sèche, avec des figues (une modernité comme de nos jours avec le melon) ; salade du jardin ou sauvage ; fèves, petits pois à la croque-sel. 

Les DESSERTS : surtout des fruits frais de saison, sinon secs ou séchés l'hiver (prunes, figues). 

Dimanches et fêtes : les seuls jours des achats de viande : daubes, pot-au-feu, ragoûts de bœuf, blanquette d'agneau avec souvent des cèpes secs dans la sauce, l'accompagnement de pommes-de-terre ou de millas. (Au siècle dernier, la tranche grillée et moins cotée l'entrecôte).
Les jours du gibier aussi (lièvre, lapin en saupiquet [le foie pilé avec de l'ail et monté en aïoli]) ou des truites grillées, des anguilles cuisinées, des escargots dans le saindoux en persillade ou dans une sauce au jambon. 

Pour les FÊTES réunissant les familles au sens large, les cuisinières s'y mettaient à plusieurs, parfois à l'avance ; de nombreux plats se succédaient (poule farcie sauce mirepoix, gras-doubles cuits trois jours à la braise (toujours avec une persillade). De même concernant les desserts : croustades cuites chez le boulanger, biscotins, fouaces...  
Au menu traditionnel de l'afart, le gros repas veille de NOËL, des betteraves sous la cendre, de la morue aux haricots ou escargots aux haricots, du riz au lait (le riz ne se mangeait qu'en dessert et sucré), des fruits secs (amandes noix, figues, dattes) et toujours le tounhol, un pain aux graines d'anis.
Pour CARNAVAL : de pleines corbeilles d'oreillettes, des crêpes, du vin nouveau. 
Le VENDREDI SAINT, une christique soupe de pois chiches. 
Le LUNDI de PÂQUES (1), la traditionnelle omelette aux lardons. 
Lors de la FÊTE du COCHON, tous ceux qui avaient participé à la tuade et aidé aux cochonailles, étaient invités : au menu, les betteraves sous la cendre, le milhas noir, le fréginat, une fricassée (un ragoût... À Fleury, René Tailhan était fier de cuisiner ses fricots). Suite aux morceaux (cou, ris, rate) préalablement revenus, la préparation consiste à ajouter les haricots blanchis (lingots de Mazères) dans une sauce à base d'oignons, de tomata, parfumée d'herbes aromatiques. (Gourmets, corrigez si nécessaire ! )
À l'occasion d'un MARIAGE, servie aux mariés au lit, l'alhada, une soupe à l'ail et aux blancs d'œufs, très poivrée, versée sur une mayonnaise.  

Madame Marfaing termine son propos avec un glossaire des mots occitans évoqués. À suivre, sur nos pages, avec le millas. 

(1) le jour de Pâques, l'agneau pascal, non ? 

PS : j'en salivais mais autant pour vous que personnellement, les illustrations restent aussi digestes que diététiques...