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mercredi 9 octobre 2024

Provence rhodanienne (5) . Le petit Âne Gris (2)

Le Petit Âne Gris (2). 

Contours et détours, au chapitre pastoral de cette Provence entre Rhône, Ardèche, Gard et Durance : difficile de ne pas joindre le souvenir du cheval de trait, au-delà de la subjectivité, une digression, espérons, bienvenue. Sinon, avec les moutons, la transhumance, le temps de Noël, celui de l'âne revient témoigner d'une vie d'avant ne méritant pas d'être ensevelie en bloc... 

“ Petit ” !  quel autre adjectif pourrait mieux traduire l'affection aussi latente que générale, l'attention affichée à l'égard d'abord des enfants (1) puis pour tout ce qui est “ petit ”, devant être protégé, ici, les petits ânes gris ? Avant tout parce que l'éventail de l'espèce est semble-t-il plus large que celui des chevaux. Économiquement, de grande taille, pour sa contribution aux travaux agricoles, il vient après le cheval et la mule. Grand, il ne provoque pas une sympathie spontanée : proche de nous, mamé Antoinette en a témoigné, du temps où elle avait des vaches.  

Partager le Voyage: L'ÂNE de mamé Antoinette / Présentation. (dedieujeanfrancois.blogspot.com)

Partager le Voyage: L'ÂNE de mamé Antoinette (fin) (dedieujeanfrancois.blogspot.com) 

Ah ! tout ce que le qualificatif « petit » sous-entend d'affection sous-tendue, d'émotion ! 



Années 50, à la radio « ... sur la route blanche, un petit âne trottinait... c'était un dimanche... ». Les sabots qui trottent, le bruit des grelots, le revêtement “ poudre de riz ” recouvrant encore quelques chemins vicinaux... Merci l'Internet. À partir de ces quelques mots, le nom de l'interprète se dévoile, Reda Caire, l'année aussi,1939, du temps des opérettes, des voix efféminées genre Tino Rossi. La réécouter plus de 60 ans plus tard, comprendre ce qui faisait rêver le petit garçon que j'étais, qui, pour avoir oublié «... c'était un dimanche, dans les champs les fleurs embaumaient... » inventait, ajoutait «... un dimanche du mois de mai... ». Oublié aussi : «... Pour moi nous arrivions toujours trop tôt... ». Souvenir encore d'une arrière-grand-mère, mamé Joséphine, le dimanche attelant son cheval léger pour la route blanche, alors, de Béziers, où Céline, sa fille, était apprentie couturière...   



Sur le tourne-disques, Le Petit Cheval de Paul Fort, chanté par Georges Brassens... À peine plus tard, au village, les sorties régulières de l'âne à la carriole de Cazal, Irénée de son prénom je crois, comme de penser qu'il était forgeron... Et J'aime l'âne de Francis Jammes... 
À l'école, de ramener la poésie au seul travail de mémoire d'une “ récitation ”, ne pouvait fermer l'espace ouvert par les mots ; leurs combinaisons sonores, rythmées, musicales, créant des images, ouvrant sur des sensations et émotions... Merci maîtres, merci professeurs, de m'avoir fait réciter... toute ma reconnaissance, qu'elle se limite au contrôle de la leçon apprise ou, au contraire, que plus profonde, plus pudique, elle soit une initiation, un apprentissage, un sésame pour un monde sublime poétique, émancipé de la réalité du quotidien... D'y mettre “ le ton ” portait le récitant en lévitation en dépit de la réaction goguenarde de toute la classe se défendant de “ sensiblerie ”. 
Ainsi, même froids (c'est subjectif), si tous les instituteurs m'ont apporté (fût-ce à corps défendant), ceux qui aimaient et l'étaient en retour continuent d'alimenter la quête chaleureuse due à ce sentiment partagé. Dans cette démarche, je repense à Monsieur Rougé (ce ne peut être que lui eu égard à ce qui vient d'être dit), qui a adapté J'aime l'âne de Francis Jammes. (En taille moindre, les couples de vers ignorés)  :  

« J'aime l'âne. 

J’aime l’âne si doux
marchant le long des houx.

Il prend garde aux abeilles
et bouge ses oreilles ;

et il porte les pauvres
et des sacs remplis d’orge.

Il va, près des fossés,
d’un petit pas cassé.

Mon amie le croit bête
parce qu’il est poète.

Il réfléchit toujours.
Ses yeux sont en velours.

Jeune fille au doux cœur,
tu n’as pas sa douceur :

car il est devant Dieu
l’âne doux du ciel bleu.

Et il reste à l’étable,
fatigué, misérable,

ayant bien fatigué
ses pauvres petits pieds.

Il a fait son devoir
du matin jusqu’au soir.

Qu’as-tu fait jeune fille ?
Tu as tiré l’aiguille…

Mais l’âne s’est blessé :
la mouche l’a piqué.

Il a tant travaillé
que ça vous fait pitié.

Qu’as-tu mangé petite ?
— T’as mangé des cerises.

L’âne n’a pas eu d’orge,
car le maître est trop pauvre.

Il a sucé la corde,
puis a dormi dans l’ombre…

La corde de ton cœur
n’a pas cette douceur.

Il est l’âne si doux
marchant le long des houx.

J’ai le cœur ulcéré :
ce mot-là te plairait.

Dis-moi donc, ma chérie,
si je pleure ou je ris ?

Va trouver le vieil âne,
et dis-lui que mon âme

est sur les grands chemins,
comme lui le matin.

Demande-lui, chérie,
si je pleure ou je ris ?

Je doute qu’il réponde :
il marchera dans l’ombre,

crevé par la douceur,
sur le chemin en fleurs. » 

Francis JAMMES, De l'Angélus de l'Aube à l'Angélus du Soir


C'est vrai que le texte complet nous en dit plus sur le poète pouvant sinon passer pour misanthrope, à s'en tenir au désir clairement exprimé de rejoindre à sa mort le paradis des ânes. Ici, il a trente ans, l'âge d'aimer et le vieil âne, en fond de dialogue avec sa chérie, n'est là que pour dévoiler un pan de sa personnalité... on pourrait s'en offusquer si le caviardage n'était là pour éveiller la sensibilité des enfants envers les animaux sans les complications amoureuses de couples encore pas de leur âge. Une veine reprise en miroir dans Le Petit Âne Gris que chante Hugues Aufray.    

« Viens avec moi petit... viens... » Pierre Bilbe (1911-1998).

lundi 13 mai 2024

Teodor AUBANÈU et sa grenade mûre entr'ouverte...

Pomegranate_flower_and_fruit 2006 public domain AuthorNo machine-readable author provided. Xenon 77 assumed (based on copyright claims).

Théodore Aubanel (1829-1886) né et décédé à Avignon, fut imprimeur et poète d'expression provençale occitane. Majoral, avec Mistral et Roumanille, il est des trois piliers du Félibrige. D'éducation et de tradition catholiques, il reste pourtant un poète de l'amour. En 1860, « La MIOUGRANO ENTRE DUBERTO », la grenade entrouverte, reçoit un accueil chaleureux. S'il y chante son amour pour Zani, sa devise « Quau canto soun mal l'encanto » (Qui chante son mal l'enchante) peut déjà présager d'une suite pathétique. 

Punica_granatum 2008 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Autor Luis Fernandez Garcia

La grenade dans sa perception propre du grenadier. L'arbre, il le voit sauvage, de rocaille, loin des hommes, près de Dieu ; il en décrit la fleur de sang toute d'amour et de soleil, le beau fruit chatoyant aux « mille graines de corail » dans son calice rouge ; une vision certes épicurienne mais faisant long-feu, le motif officiel de sa publication étant la perte de l'amoureuse partie au couvent. Ils n'ont pas su, pas voulu se trouver...  

En partie I « LE LIVRE DE L'AMOUR ». Sauf que le premier poème relatant un amour de troubadour pour la comtesse de Die, prend prétexte de sa piété, de sa prière pour se prolonger par 

« Ah ! si mon cœur avait des ailes, sur tes lèvres pâles.../...te ferait cent baisers et cent caresses...». 

Et elle de lui répondre qu'elle veut se faire nonne. Aubanel n'en finit pas de citer bon nombre de ceux qui virent leur amour déçu, tels Dante ou Mistral. Enfin, bien des poncifs poétiques aussi : violettes, oiseaux, rossignol, hirondelles, feuilles nouvelles, tendre verdure, farandole de jouvencelles et jouvenceaux, ombre fraîche et toujours un renvoi qui se répète 

« O moun cor, perqué sies pas mort ? » O mon cœur pourquoi n'es-tu pas mort ? 

Clara, une autre aussi, en -a, (pardon de n'avoir pas noté) persistent à trop lui rappeler Zani, Jenny de son prénom.  

Teodòr_Aubanèu occitan writer o va dises planatal  the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International, 3.0 Unported, 2.5 Generic, 2.0 Generic and 1.0 Generic license. Scanné et posté en 2011 par Jfblanc

Aubanel a titré son livre II (1) « ENTRELUSIDO », l'entre-lueur, une éclaircie peut-être. Il y a bien les cocons de soie qu'il faut ébouillanter afin d'en tirer le fil, il y a bien ces tableaux rustiques à la Millet, la fauche du blé, ces scènes de famille, de bébés qui naissent et au sein mais toujours, dans les scènes, de jeunes couples, d'une gémellité rappelant les “ bessouns ”, les naissances jumelles peu rares chez les brebis et plutôt bien reçues dans les familles, y aurait-il une bouche de plus à nourrir. L'approche, néanmoins, en est plus distante, moins tactile. Comme par contrition, Aubanel livre des poèmes sur Jésus, sur la Vierge autrement vierge que les jouvencelles aux joues rosées de son plaisir des yeux et des mots. 

Livre III : « LOU LIBRE DE LA MORT ». L'automne. au milieu des tableaux campagnards, le berger qui rentre ses moutons, les coups de fusil des chasseurs, les paysannes qui tressent l'ail, les pauvres, les petits qui ont faim, la mère qui les pousse à dormir, l'orpheline qui demande l'aumône ; le bébé qui semble sommeiller mais c'est la mort qui lui a fermé les yeux et la mère ne veut pas qu'on lui emporte son enfant... Toussaint. un autre enfant, écolier déjà, content de sa nouvelle blouse noire : il croit que sa mère dort, on lui a dit... Le bourreau sans état d'âme qui doit couper des têtes ; un vieux " serre piastres " refusera-t-il la fille de seize ans que la mère vend pour avoir des sous ? Un chien n'arrête pas de hurler à la mort, « aboiement qui gèle les moelles » ; un poème corrélé au suivant sur le massacre des nouveaux-nés par le roi Hérode... 
 
Pomegranate_(opened) 2020 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Author Ivar Leidus
    
C'est vrai qu'en occitan, il faut lire et reprendre pour, à chaque passage, glaner quelques grains comme on le fait après avoir, d'une bouchée, happé les rangs rubis d'un quartier de grenade, comme on le fait, à chaque automne qui vient, tant que nous sommes encore là...  

(1) dans la chanson de Noce, répété quinze fois, le refrain est plus long que les deux vers parfois écourtés des couplets.   

lundi 17 avril 2023

QUAND LE POÈTE RATTRAPE LE PROFESSEUR.

 NOS CLASSES AVANT / Hommage à « Monsieur Puel ».

Comme on cherche dix fois au même endroit tant on s’en veut de ne pas avoir mis de de côté ce qu’on ne retrouve plus, je l’ai longtemps cherché. En vain. Ne restaient plus que les regrets et ce chagrin de ce qui est perdu presque définitivement. Ainsi vont les clics sur le Net quand ce qui peut en sortir ne répond pas au caprice, au désœuvrement sinon à une pique de curiosité sans suite.
L’approche de l’été me reprochait en particulier la perte de ce témoignage sur cette ambiance d’antan pour nos Méridionaux qui allaient à la mer d’avant les touristes, seulement parce que le hasard avait mis la grande Bleue devant leur porte.
Au bout de l’Aude, nous gardons bien sûr, présents dans nos pensées le camping sauvage des années 60, la baraque sur le sable de 1934 au début des années 70, le refus de tante Adeline qui, à plus de quatre-vingts ans, de peur de gâcher son souvenir, ne voulait plus revoir ce qu’était devenu le Saint-Pierre de ses vingt ans. On rappelle même combien les chevaux aimaient le bain.
Il n’empêche, ce qu’en dit Maurice Puel vient non seulement conforter la mémoire mais l’enrichir de l’ambiance des années 1900, de la pruderie des mœurs, des divers attelages, pedibus, avec l’âne, le mulet, le cheval suivant qu’on était « pauvre ou cossu » ou entre les deux. Et le tableau dépeint par le poète est bien celui de chez nous, dépassant, sur le pourtour du Golfe, les 20 kilomètres qui voient nos trois fleuves (Hérault, Orb, Aude) embrasser la mer.
Mais laissons la nostalgie sépia. Nous évoquions des clics anodins pour ne pas trop dire, en négatif, ceux qui, sur l’écran, pèsent lourd, si l’actualité amène à chercher un proche après un attentat ou une catastrophe. S’il n’est heureusement pas porteur de gravité et de malheur, le mien, néanmoins, dépasse la légèreté apparente liée à la quête esthétique d’une plage du temps de mes arrière-grands-parents.

Narbonne 5_avenue_Marcel_Sembat_Narbonne_2021 This file is licensed under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Auteur Mf-memoire



Le poète, en effet, était mon professeur de français-latin en quatrième. J’ai même pris des cours chez lui, rue Voltaire, résigné, ne me demandez pas de quoi d’ailleurs... de latin je pense.

Sans perdre l’idée de Balzac

 « ... Nous ne pardonnons pas plus à un sentiment de s'être montré tout entier... »,

 je peux néanmoins avouer que les vers du poète, un demi-siècle après, me firent l’effet d’un trésor découvert. Je crois bien m’être écrié sinon avoir pensé très fort « J’ai retrouvé mon professeur ! ». Cette époque-là ne courait le moindre risque de trop livrer puisque rien de l’affect ne devait transparaître, chacun devant être, en dehors des siens, seulement socialement formaté... Alors ces vers venant conforter une grande humanité que les us de l’époque s’acharnaient à taire, à réprimer même remontaient d’un tréfonds autrement insondable. Le travail, la discipline ne s’accompagnaient que de sévérité, de dureté aussi, les sentiments, les émotions, la distraction étant, eux, trop facilement assimilés à la mollesse de caractère sinon la paresse et quoi qu’il en soit à une déficience coupable.

Moi, j’étais dans ma bulle, pour me protéger de la concurrence, rude, peu charitable, entre bons élèves. J’étais donc à côté, décalé, déphasé, à part, sans copain et monsieur Puel, pourtant tenu d’appliquer la grille d’évaluation étrécie de l’époque, ne m’avait pas accablé, lui, commentant seulement à mon père : « L’èimé ven pas avant l’age... » (L’entendement, le discernement ne viennent pas avant l’âge). 


Je n’ai compris que trop longtemps après, grâce à ce poème (quand on le dit que la poésie ouvre des portes !). La voix douce, le phrasé du parler, le regard bienveillant, un certain sourire : autant de signes d’une clémente affection loin de la rigide inhumanité de rigueur chez des adultes aussi procureurs que censeurs. Ce doit être ça car que vaudrait mon intuition si elle n’était pas fondée ? Sauf qu’à treize ans, je n’ai su ni voir ni comprendre... Il faut dire que nous étions nombreux, une trentaine en classe.
Maurice le poète m’a fait reconsidérer Monsieur Puel, le professeur de français-latin, au point de dire désormais « mon professeur ». Et ce qu’il a su être ne peut que libérer la tendresse qu’il inspire.
Avec le titre de son recueil, "Bourgeons précoces, fruits tardifs" (1988), veut-il nous dire que la poésie, il l’aime depuis toujours même s’il a tant attendu avant d’oser se livrer aux autres ? Sa fille Michèle qui en fait un portrait profond mais tout en pudeur, confirme cette  facette attachante et détachée du poète : 

« ... Je préfère aux lauriers cueillis dans les concours
Rester le troubadour de mon petit village », Maurice Puel, vers ultimes du sonnet « Modeste ambition ». 

dimanche 18 avril 2021

"VIENS AVEC MOI PETIT..." Pierre Bilbe / Explication de texte

Ruines de Tuffarel en plein massif de la Clape.

 " Un livre est ouvert devant moi. Et soudain, sans qu'on m'ait prévenu, je vois et j'entends que ses lignes sont vivantes, que, deux à deux, elles se répondent par la rime, comme des oiseaux ou des vendangeurs, et que ce qu'elles racontent nous enchante à la manière des êtres ou des choses qui n'ont pas besoin qu'on les traduise " (Francis Jammes, De l'âge divin à l'âge ingrat). 

"... qui n'ont pas besoin qu'on les traduise" nous dit le poète qui fit tant aimer les ânes aux garçons au caractère rude pourtant, à la communale de nos campagnes. Enfin... loués soient nos instituteurs qui, en parallèle au monde clos et cadré du calcul, du français, au prétexte de nous faire encore réciter, sans s'ouvrir du côté libertaire de leur démarche, la décence voulant alors que l'on tût toute sensibilité, ouvraient en nous, avec la poésie derrière la récitation, des fenêtres d'évasions et de rêves infinis... Restons-en là de ce préalable. Quoi qu'il en soit, en Béarn, Francis Jammes a beaucoup aimé les bœufs, les abeilles... les femmes, les ânes et plus généralement la vie qui s'écoule dans un village au pied des Pyrénées. Ce doit être pour ce dernier point que je l'évoque avec Pierre Bilbe, notre poète de la garrigue et du village, bien à nous, encore d'un terroir trop rustique pour une parisianité égocentrique prétentieuse, fate et pédante...

Explication de texte. 

1. Que nous apprend le poème sur la personnalité de l'auteur ? 

2. D'après vous qui est ce "petit" ? 

3. Est-ce que la première strophe permet de situer géographiquement le poème ? Quels sont, par la suite, les mots qui ne laissent aucun doute sur la géographie du lieu ? 

Réponses : 

1. Il apprécie son coin de terre. Y est-il né ? L'a-t-il adopté ? Il tient à en faire le tour, de l'horizon au sol qu'il foule en passant par un ciel de saison "des approches de mars". Il est respectueux des générations qui se sont succédé : la Nature en témoigne encore (jachères, arbres abandonnés). Et ce  processus de transformation, il le constate non sans crainte, celle-ci n'en serait-elle pas explicitement formulée. Sa pensée se prolonge non seulement sur la place de l'Homme sur la Terre mais encore au sein de l'Univers. Pour conclure il affirme que nous devons honorer la nature tant pour sa beauté que sa fonction nourricière. 

2. "Viens avec moi petit..." L'image est trop symbolique pour qu'on s'en tienne à sa banalité apparente. "Le vieil homme et l'enfant"... Michel Simon... ou encore << Je t’aime bien, mon vieux parrain, mais je t’aimerais davantage, plus que tous les autres, si tu ne fumais pas la pipe.>> ("Poil de Carotte" Jules Romains).

Le petit-fils qui émigre définitivement ; adieux sur le port de Beyrouth laissant son grand-père au Liban : << Je te quitte , dit l'enfant retenant ses larmes. 
-- Tu m'emportes, dit le vieux.>> ("L'enfant multiple" Andrée Chedid).

Aujourd'hui encore, sur l'estran d'une plage, je vois partir d'un pas bonhomme un adulte tenant un enfant par la main (Arte / promo actuelle du film"L'été de Kikujiro"). 
 
Émotion universelle ô combien ravivée par les gestes barrières actuels... ne plus serrer une main... Ne plus prendre un enfant par la main ? Est-ce possible ? 
 
Bien sûr que l'auteur aurait aimé partager sur ce thème instinctif, lui qui peut-être ne put se nourrir de telles références... Guitou de ces copains d'enfance au lien indéfectible défiant le temps ne me dit-il pas qu'après seulement 22 mois d'école communale, son expression poétique (Guy le compare même à Lamartine) reste d'autant plus remarquable qu'elle est l’œuvre d'un autodidacte ? 
Aussi est-ce naturellement que nous évoquons cet instinct si subliminalement humaniste. 

Ce petit doit aussi être le garçon qu'il fut, soucieux de voir ce qui lui fut donné de découvrir, de comprendre, de s'élever puis de s'inscrire dans une lignée de passeurs de mémoire, d'éveilleurs de consciences. 

3. Jouons au candide. La première strophe parle des Pins de la Mairie mais seuls ceux qui les fréquentent notamment pour les champignons savent de quelle mairie il s'agit. L'indication "Lespignan", avec l'aide d'un dictionnaire encyclopédique sinon de l'Internet, est plus parlante. Et même si le nom propre "Pérignan" (1) pose problème, nous sommes, sans doute possible, en Languedoc. Adossé à la Méditerranée, le regard s'ouvre au Nord-Ouest sur le rebord du Massif Central assimilé parfois à l'extrémité extrême des Cévennes, au Sud sur la ligne de crête qui depuis la masse pyramidale du Canigou voit le bout des doigts des Pyrénées caresser la Méditerranée.
 
Par la suite, la garrigue, la vigne, le pin parasol confirment que nous sommes bien au bord du Golfe du Lion, en Languedoc.  

Pourquoi l'idée peut-être pas heureuse de prolonger "Viens avec moi, petit..." avec une explication de textes ? C'est que j'ai imaginé, dans mes manuels scolaires, simples livres de lecture ou livres uniques de français sinon du français par les textes, parmi les auteurs cultes de la langue française, trouver cette veine régionale toujours insidieusement mâchurée par un pouvoir central n'osant néanmoins aller plus loin, la honte atteignant déjà des sommets pour le pays dit des droits de l'Homme et des libertés. 
 
Sauf que vers 1960, je ne pouvais d'autant plus réaliser que, personne ne s'intéressant à moi, on ne m'a jamais proposé "Viens avec moi, petit...".    

(1) ancien nom de Fleury-d'Aude où les gens se disent plus volontiers "Pérignanais" que "Fleurystes".

 


jeudi 15 avril 2021

"VIENS AVEC MOI, PETIT" Pierre Bilbe / Fleury-d'Aude en Languedoc.

Au fond, "... la superbe prairie... aux pieds de Lespignan..."

Viens avec moi, petit... Viens, donne-moi la main
Nous allons parcourir le caillouteux chemin
Qui mène en serpentant aux Pins de la Mairie. 
Là, tu découvriras la superbe prairie
Qui met son tapis vert aux pieds de Lespignan. 
La vigne, un ceinturon aux reins de Pérignan. 
Les sinueux cours d'eau qui sillonnent les plaines
Jusqu'aux flancs où se noient l'ombre de nos Cévennes ; 
Le beau panorama, des monts pyrénéens
A l'écume des flots méditerranéens, 
Là toute la splendeur de ton beau patrimoine
Aux champs couverts de blé, de luzerne, d'avoine, 
De vignes cultivées, d'arbres abandonnés, 
De jachères aux sols d'épines couronnés, 
Témoignages meurtris du temps où la culture
Le disputait aux lois de la mère Nature. 
Là-même, sous nos pieds, de multiples buissons
Qui semblent par le vent secoués de frissons. 
Plus bas, le vieux clocher qui domine l'église, 
La maison où je vis, place de la Remise, 
Et là-haut, dans un ciel des approches de mars, 
Des lambeaux déchirés de nuages épars... 

Regarde bien, petit... remplis-en ta mémoire : 
Un jour tu conteras une curieuse histoire, 
L'histoire d'un enfant qui parcourut son bien
Et qui, depuis ce jour, ne reconnaît plus rien... 
Car tout ce beau décor de garrigue et de vigne
Lentement disparaît, comme une chose indigne
Qui plie, tombe à genoux, par un plus fort vaincu, 
Comme tout se déforme après avoir vécu... 

Allons nous promener à travers la garrigue, 
Jusqu'à ce que, fourbus d'une saine fatigue, 
Nous allions nous asseoir sous un pin parasol, 
Sur l'épais matelas qui recouvre le sol. 
Là, tu contempleras le troupeau de Labade,
La chaîne des rochers qui domine la Prade, 
Le reste des vieux murs lépreux de Tuffarel
Face au beau monument du Roc du Cascadel. 
Là, tu seras conquis par le Mère Nature, 
Par son festin d'amour pour chaque créature, 
Par son élan du cœur, par le don qu'elle fait
Pour que tout soit plus beau, grandiose, parfait. 
Là tu découvriras sa volonté sauvage
Telle qu'on la connaît depuis son premier âge, 
Depuis le lointain où la première fleur
Créa le premier fruit et première couleur. 

Là tu découvriras tout un monde nouveau, 
Un monde varié de sensations, si beau !

Du Plateau des Seigneurs au Pech de la Pistole, 
Du chemin de Besplats qui mène à Maribole, 
Des restes délabrés des murs de Châteauroux
Jusqu'au miroir profond du gouffre de l'Œil Doux, 
Jusqu'au bout du regard où porte la raison, 
Jusqu'au bout de la mer, son lointain horizon, 
Et jusqu'à l'infini du cosmos, du néant
Où s'égare l'esprit à grands pas de géant
Qui créent les sensations des vertiges de l'âme
Et dans ton cœur si pur la beauté d'une flamme. 

Quand tu retourneras dans les rues du village
Où tu rencontreras des enfants de ton âge, 
Dis-leur en souriant que la nature est belle, 
Pour chaque être vivant qu'elle a une mamelle, 
Pour les fleurs un parfum, un papillon, un temps 
Que des êtres savants ont appelé Printemps
Qu'elle a pour les oiseaux des trésors de tendresse, 
Et pour tout ce qui vit... au moins une caresse. 

Pierre Bilbe. 
 
Poème envoyé par mon père avec la note ci-dessous : 
 
"Fleury-d'Aude, récupéré d'un texte polycopié (à la pâte, ancienne façon) devenu presque illisible, le mardi 11 novembre 2008." (note de François Dedieu).   

"... Jusqu'aux flancs où se noient l'ombre de nos Cévennes..."

Entre ciel et garrigue la Méditerranée




mercredi 4 novembre 2020

LE VENDEE GLOBE


On admire les quêtes de l'impossible et ceux qui pour cela risquent leur vie, le Vendée Globe est aussi appelé "L'Everest des mers". 
Et ceux qui jouent sans rien risquer, sans quitter leur petit confort, grâce au jeu ? On aime, on n'aime pas... Trop facile d'en rester là, encore faut-il argumenter et le faire sans perdre de vue que la subjectivité ne doit jamais prétendre à la pensée unique. Par le passé on ne pouvait suivre que sporadiquement, à la télé, à la radio. Tout a évolué et le jeu permet de "participer". Et puis comme on dit "les goûts et les couleurs"... il en faut pour tout le monde.
 
Route du Vendée Globe / Wikipedia.
 
Le Vendée Globe ? Bien sûr que je me suis inscrit... Plus de 140 000 participants ils disent ? Mais ce n'est qu'un début... 
Pour celui qui ressent les sensations formidables d'un terrien fasciné parce que sa planète n'est pas brune mais bleue, pour celui qui admet que ce bleu, loin d'être émollient, s'avère être le résultat magique du ciel sur la mer, pour celui qui veut comprendre pourquoi, pour qui et contre qui l'air en mouvement s'appelle "vent", pour celui qui a compris qu'on ne peut attraper l'horizon, il est plus qu'utile de s'interroger et de réfléchir sur l'équilibre fantastique qui fit qui nous sommes et ce que nous sommes devenus, de plus en plus capables, de plus en plus coupables aussi. 
Quel rapport, me direz-vous, avec un jeu ? Détrompez-vous, un rapport profond, un rapport physique avec la nature, les éléments, l'univers avec lesquels les humains forcément solidaires doivent interagir. 
D'abord pourquoi tant de gens sur les quais, sur les digues, venus de loin pour certains, quelques heures et même quelques jours avant le départ, si ce n'est parce qu'une émotion intense et instinctive les porte ? Une quête d'absolu universelle depuis que l'espèce trace sa route. Et la vie n'est-elle pas aussi un jeu où tout est à perdre et à gagner ? (à suivre)
Le Vendée Globe ? bien sûr que je suis inscrit !
 
Le Vendée Globe ? bien sûr que je me suis inscrit ! (2ème volet)
Et quelle chance d'être associé serait-ce par procuration à cette soif d'inconnu toujours renouvelée. Un jeu seulement mais qui ouvre sur l'imagination, la poésie, l'aventure, la participation, le savoir théorique, le voyage, l'amitié, la réciprocité des sentiments... 
 
Imaginer, en réaction dynamique à l'inaction, à l'apathie. 
Aimer l'ondulation de la houle comme on apprécie le balancement des hémistiches et des rimes. 
 
"Homme libre, toujours tu chériras la mer..." Charles Baudelaire.
 
L'aventure ? Pourquoi pas ? Même virtuelle, même en n'en prenant que le bon côté, celui qui libère du quotidien sans les contraintes, la possession, l'entretien d'un bateau, la traque aux sponsors, au financement, la séparation avec l'être cher, les enfants, la famille. Pas besoin de hausser des épaules, on ne doit la plupart des conquêtes qu'à des pionniers, la masse se solidarisant par procuration... il en va ainsi des communautés humaines. 
 
Quant à participer, bien sûr que c'est emphatique, limite prétentieux mais je ne veux en retenir que la seconde partie de la phrase de Pierre de Coubertin malheureusement tronquée par le commun des mortels, à savoir, pour la suite généralement ignorée 
 
"... car l’important dans la vie ce n’est point le triomphe mais le combat ; l’essentiel, ce n’est pas d’avoir vaincu mais de s’être bien battu." Pierre de Coubertin. 
 
L'engagement d'aller au bout doit être tenu surtout que sur le site l'échouage n'est pas éliminatoire. Alors un peu de respect avec nos valeurs.
 
Le Vendée Globe ? Bien sûr que je suis inscrit ! (à suivre) 

dimanche 21 juin 2020

... N'AIMENT PAS QUE, ON FÊTE UNE AUTRE FÊTE QU'EUX / l'école et l'amour dû aux parents

L'école nous tasse tous dans le même moule, à date fixe, en prime, elle nous impose un dû, un devoir envers la patrie, la mère, le père. C'est comme, dans un autre registre, imposés par le calendrier, les jours de la Toussaint pour penser aux morts. Forcer à aimer, au respect, au devoir de mémoire un jour précis ! Et le reste de l'année ? 

Sur ce thème, en secret, l'enfant prépare son petit poème bien présenté à l'intérieur d'un feuillet de carton, en belle page. 

 En couverture, des oiseaux inventés aux couleurs fantaisistes...
 Ah ? une fleur pour papa ? Le maître a tamponné alors... et puis quand on a sept ans, on accepte sans broncher ni mettre en doute. Et quelle est cette fleur ? Un narcisse sans trompette ? Sans rien comprendre je lui ai collé un bleu aussi surréaliste que sa réalité... 

 Au CP, 6 ans. 

  Au CE1. 

Pour le moment pas moyen de retrouver les auteurs respectifs de ces quelques vers... (si quelqu'un veut s'y coller...)

Sans quoi, entre tout, sinon ce ne serait pas publié, je veux croire que déjà, pour ces petits détails en apparence insignifiants, je moquais déjà le troupeau et ces braves gens, si bien chantés par Georges Brassens, qui n'aiment pas qu'on fête une autre fête qu'eux.  

dimanche 15 septembre 2019

PER VENDEMIA, Pau VEZIAN / poème en occitan sur les vendanges

PER VENDEMIA

Au rajas dau sourrel, à travès lei gavel
Desfruchant aderé lei souca panoulhousa,
Lei galoi vendemiaire, èbri de vin nouvel,
Boujoun lei rasinas dins lei semau moustousa.

Lei pourtaire garrut van dors lou toumbarel
Adurre sus lou cap la frucho sabourousa...
Au coulas dei chival dindoun lei cascavel
Quoura fau desmalha la carreta terrousa.

Lei carrau soun founsut : lou couble atrahinat
Tout en s'espòutirant s'adralha dors la tina 
Ounte lei bèu rasin van èstre escrachinat... 

Dei Cevenas d'azur fin qu'à la Mar latina 
Raja a desbord lou vin - gloria dau bèu Miejour -
Que coungrelha la gau, lou rire, amai l'Amour !

Vendanges_dans_l'Aude_Vignoble_de_Narbonne La Clape.

Pau Vezian (nascut a Galargues (Gard) en 1869, mòrt en 1952) foguèt un escrivan occitan de Lengadòc. Felibre del país de Vidorle, escriguèt sas òbras en grafia mistralenca e dins un occitan que se sarrava mai del provençal que de la varietat locala (montpelhierenc oriental). Faguèt de poesias mas tanben de libres sus la fauna e la flòra de l'airal.
En 2014, l'estudiosa Anny Herrmann publiquèt un quasernet inedit trobat per la felena de l'autor jol títol Poèmes de guerre.
in Wikipedia. 

dimanche 14 avril 2019

LE DERNIER AFFLUENT / Fleury d'Aude en Languedoc

Question pour des champions : Quel cours d’eau passe dans le village de Fleury-d’Aude ? Élémentaire mon cher JF diront les autochtones, du moins ceux d’un certain âge... Attention ! sans faire état de ces torrents boueux qui dévalent de la garrigue lors d’un orage ou d’un aigat (1) ! Quoique puisqu’il faut bien que ça s’évacue quelque part !
Ce dernier affluent plus ou moins pérenne, nous devrions le retrouver sur le site du Sandre

http://www.sandre.eaufrance.fr/geo/CoursEau/Y1—0200

Rien curieusement pour la basse plaine de l'Aude...

La fiche Y1---0200 ne dénombre pas moins de 121 affluents de l'Aude !
* 68 entre 1 et 5 kilomètres de longueur,
* 25 entre 5 et 10,
* 15 entre 10 et 20,
* 13 de plus de 20 kilomètres.
Sauf que notre cours d’eau n’apparait pas sur la fiche... Dommage avec une longueur de plus de dix kilomètres, même pour un ruisseau prolongé grâce à la main de l'homme !

Dans le dictionnaire topographique de l’Aude de Sabarthès, à l’entrée „Fleury“, croyant à une erreur de l’abbé :
„Cascabel, ruisseau en limite de Fleury et Narbonne, a servi à dessécher l’étang de Fleury“, je pensais devoir corriger :  

„ contrairement aux indications de Sabarthès, le Ruisseau du Cascabel avec celui de la Combe Figuière forment le Ruisseau des Bugadelles avant d’atteindre l’Étang de Pissevaches en tant que Ruisseau de Combe-Levrière (cours temporaires lors d’orages ou de périodes d’aigats) ; il ne saurait aller vers l’Étang de notre ancien terrain de rugby alimenté par les cours tout aussi intermittents venus surtout de la Cresse (96 m) et donnant sur le Ruisseau de la cave Maîtresse. Entre les deux « bassins » (45 mètres pour celui des Bugadelles authentiques, 36 pour le bas du Courtal Crémat) se dresse le col de la Crouzette à 60-67 mètres d’altitude.“

Or, il existe deux ruisseaux nommés pareillement, un „du Cascabel“, formant avec celui de la Combe Figuière le Ruisseau des Bugadelles devenant celui de Combe Levrière qui part bien vers l’Étang de Pissevaches et celui „de Cascabel“ décrit par l’abbé Sabarthès, la carte IGN de Geoportail en atteste.
Nous sommes bien aux limites des communes de Fleury et Narbonne. 

Je cherche à suivre les chemins d’école empruntés par deux garçons, le cousin Étienne et mon grand-père Jean, depuis la Pierre, une métairie des Karantes, jusqu’à Fleury, dans les années 1903 - 1910. Nul besoin de partir explorer au bout du monde pour chercher ses racines, pour chercher qui on est. S’arrêtaient-ils pour boire à la source de Fontenille ? Par où passaient-ils la falaise de cette longue barre rocheuse infranchissable, les dominant d’une quarantaine de mètres ? 

Ici depuis la plage des Cabanes-de-Fleury, en forme d'arc, cette barre rocheuse sans nom d'où la vue embrasse tout le Golfe du Lion.
De là-haut, un demi-siècle plus loin, le garde-chasse des Bugadelles ne se lassait pas d‘embrasser du regard la divine courbure d‘un Golfe du Lion de soleil embrasé.  

Conium_maculatum, grande cigüe - Wikimedia Commons Author Franz Eugen Köhler, Köhler–s Medizinal-Pflanzen
Et moi, au remords de ne pas lui avoir rendu visite plus souvent,  j'aimerai toujours ce garde-chasse qui honorait et magnifiait dame nature. Il s’appelait Pierre, Pierre Bilbe. J’avais déjà la quarantaine mais il savait me faire retrouver une âme d’enfant en découvrant des coutibes (pleurote du panicaut) cachées dans des friches ensauvagées, où en évoquant Socrate, parce que là-haut, sur le plateau qui regarde vers un levant que la Grèce habite, malgré la sécade et le Cers (2) qui plaquent au sol une garrigue de baouco (3) et de kermès, pousse la grande cigüe.

„... Tout à coup son regard s’emplissait de merveilles :
Depuis le Mont Saint-Clair jusqu’aux Côtes Vermeilles,
Tel un vaste arc-en-ciel sur le sol allongé,
Le sable, de la mer semble prendre congé ;
Le Golfe du Lion secouant ses crinières
Brillait de mille feux et d’autant de lumières
Et, brassant dans l’air pur le bienfait de ses flots,
Enseignait aux humains la richesse des mots...
Plus loin, elle voyait un bras des Pyrénées
Caresser en rêvant la Méditerranée,
Tel un amant distrait : l’œil pourpre du Levant
Tomber, à l’horizon, une larme de sang...“
Pierre Bilbe. La Légende du Cascadel.

Pierre aimait les mots, la poésie. Avec Germaine, son épouse, ils savaient apprécier la magie des vers comme on partage le plaisir d‘un pot-au-feu longuement mijoté. Avec quelle gourmandise elle lui disait „Lis-nous, Pierre“ ! Il jouait à se faire prier comme si j’étais professeur plutôt qu’humain, enfant du pays et héritier dans l'humilité de ceux qui jamais ne confondent intelligence et instruction...

Pierre, à la dernière rime, acteur du théâtre antique, maître de son art, le bras retombant enfin, contenait l‘élan lyrique jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’un souffle, laissant son public exalté tonner en applaudissements... Comme elle l’aimait et l’admirait son homme, Germaine ! C’était aussi fort qu’à la dernière note d’une première de Verdi, pour un vrai public, Germaine et moi et Pierre, si heureux dans cette petite pièce du vieux village, à la fois salon et salle-à-manger ! L’émotion retombant, nous prenions l’apéritif „Germaine sers-lui quelque chose...“ et dans une parenthèse de silence, les teuf-teuf-teuf du toupi (4), dans la cuisinette à côté, ajoutaient des vapeurs de céleri et de bouquet garni...

„Sur le feu jaune et bleu
Chante la grosse marmite,
La marmite au pot-au-feu... „
Maurice Fombeure (1906 – 1981).  

(1) crue, inondation / chez Mistral "dau tèms dis aigo" (pendant l'inondation). 
Les présentateurs météo ont longtemps dit "épisode cévenol" avant de qualifier le blocage d'une crosse de pluies diluviennes sur l'amphithéâtre du Golfe du Lion "d'épisode méditerranéen".  
(2) sécade : francisation de secado, sécheresse. 
Cers : vent authentique qui mérite mieux que d'être assimilé à une tramontane générique par un parisianisme et un centralisme jacobin complètement anachroniques, réactionnaires et anti-démocratiques... 
(3) baouco = graminée à feuilles et tiges rudes que les animaux ne mangent guère (Trésor dau Felibrige / F. Mistral)
bauca = brachypode rameux formant des pelouses steppiques, appelée aussi "engraisso motons" (Guide du Naturaliste dans le Midi de la France / Harant & Jarry). 
(4) toupi ou toupin = pot de terre exposé de longues heures sur la plaque de la cheminée... j'ai extrapolé, par licence poétique, le pot-au-feu chauffant sur la cuisinière...