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mercredi 9 octobre 2024

Provence rhodanienne (5) . Le petit Âne Gris (2)

Le Petit Âne Gris (2). 

Contours et détours, au chapitre pastoral de cette Provence entre Rhône, Ardèche, Gard et Durance : difficile de ne pas joindre le souvenir du cheval de trait, au-delà de la subjectivité, une digression, espérons, bienvenue. Sinon, avec les moutons, la transhumance, le temps de Noël, celui de l'âne revient témoigner d'une vie d'avant ne méritant pas d'être ensevelie en bloc... 

“ Petit ” !  quel autre adjectif pourrait mieux traduire l'affection aussi latente que générale, l'attention affichée à l'égard d'abord des enfants (1) puis pour tout ce qui est “ petit ”, devant être protégé, ici, les petits ânes gris ? Avant tout parce que l'éventail de l'espèce est semble-t-il plus large que celui des chevaux. Économiquement, de grande taille, pour sa contribution aux travaux agricoles, il vient après le cheval et la mule. Grand, il ne provoque pas une sympathie spontanée : proche de nous, mamé Antoinette en a témoigné, du temps où elle avait des vaches.  

Partager le Voyage: L'ÂNE de mamé Antoinette / Présentation. (dedieujeanfrancois.blogspot.com)

Partager le Voyage: L'ÂNE de mamé Antoinette (fin) (dedieujeanfrancois.blogspot.com) 

Ah ! tout ce que le qualificatif « petit » sous-entend d'affection sous-tendue, d'émotion ! 



Années 50, à la radio « ... sur la route blanche, un petit âne trottinait... c'était un dimanche... ». Les sabots qui trottent, le bruit des grelots, le revêtement “ poudre de riz ” recouvrant encore quelques chemins vicinaux... Merci l'Internet. À partir de ces quelques mots, le nom de l'interprète se dévoile, Reda Caire, l'année aussi,1939, du temps des opérettes, des voix efféminées genre Tino Rossi. La réécouter plus de 60 ans plus tard, comprendre ce qui faisait rêver le petit garçon que j'étais, qui, pour avoir oublié «... c'était un dimanche, dans les champs les fleurs embaumaient... » inventait, ajoutait «... un dimanche du mois de mai... ». Oublié aussi : «... Pour moi nous arrivions toujours trop tôt... ». Souvenir encore d'une arrière-grand-mère, mamé Joséphine, le dimanche attelant son cheval léger pour la route blanche, alors, de Béziers, où Céline, sa fille, était apprentie couturière...   



Sur le tourne-disques, Le Petit Cheval de Paul Fort, chanté par Georges Brassens... À peine plus tard, au village, les sorties régulières de l'âne à la carriole de Cazal, Irénée de son prénom je crois, comme de penser qu'il était forgeron... Et J'aime l'âne de Francis Jammes... 
À l'école, de ramener la poésie au seul travail de mémoire d'une “ récitation ”, ne pouvait fermer l'espace ouvert par les mots ; leurs combinaisons sonores, rythmées, musicales, créant des images, ouvrant sur des sensations et émotions... Merci maîtres, merci professeurs, de m'avoir fait réciter... toute ma reconnaissance, qu'elle se limite au contrôle de la leçon apprise ou, au contraire, que plus profonde, plus pudique, elle soit une initiation, un apprentissage, un sésame pour un monde sublime poétique, émancipé de la réalité du quotidien... D'y mettre “ le ton ” portait le récitant en lévitation en dépit de la réaction goguenarde de toute la classe se défendant de “ sensiblerie ”. 
Ainsi, même froids (c'est subjectif), si tous les instituteurs m'ont apporté (fût-ce à corps défendant), ceux qui aimaient et l'étaient en retour continuent d'alimenter la quête chaleureuse due à ce sentiment partagé. Dans cette démarche, je repense à Monsieur Rougé (ce ne peut être que lui eu égard à ce qui vient d'être dit), qui a adapté J'aime l'âne de Francis Jammes. (En taille moindre, les couples de vers ignorés)  :  

« J'aime l'âne. 

J’aime l’âne si doux
marchant le long des houx.

Il prend garde aux abeilles
et bouge ses oreilles ;

et il porte les pauvres
et des sacs remplis d’orge.

Il va, près des fossés,
d’un petit pas cassé.

Mon amie le croit bête
parce qu’il est poète.

Il réfléchit toujours.
Ses yeux sont en velours.

Jeune fille au doux cœur,
tu n’as pas sa douceur :

car il est devant Dieu
l’âne doux du ciel bleu.

Et il reste à l’étable,
fatigué, misérable,

ayant bien fatigué
ses pauvres petits pieds.

Il a fait son devoir
du matin jusqu’au soir.

Qu’as-tu fait jeune fille ?
Tu as tiré l’aiguille…

Mais l’âne s’est blessé :
la mouche l’a piqué.

Il a tant travaillé
que ça vous fait pitié.

Qu’as-tu mangé petite ?
— T’as mangé des cerises.

L’âne n’a pas eu d’orge,
car le maître est trop pauvre.

Il a sucé la corde,
puis a dormi dans l’ombre…

La corde de ton cœur
n’a pas cette douceur.

Il est l’âne si doux
marchant le long des houx.

J’ai le cœur ulcéré :
ce mot-là te plairait.

Dis-moi donc, ma chérie,
si je pleure ou je ris ?

Va trouver le vieil âne,
et dis-lui que mon âme

est sur les grands chemins,
comme lui le matin.

Demande-lui, chérie,
si je pleure ou je ris ?

Je doute qu’il réponde :
il marchera dans l’ombre,

crevé par la douceur,
sur le chemin en fleurs. » 

Francis JAMMES, De l'Angélus de l'Aube à l'Angélus du Soir


C'est vrai que le texte complet nous en dit plus sur le poète pouvant sinon passer pour misanthrope, à s'en tenir au désir clairement exprimé de rejoindre à sa mort le paradis des ânes. Ici, il a trente ans, l'âge d'aimer et le vieil âne, en fond de dialogue avec sa chérie, n'est là que pour dévoiler un pan de sa personnalité... on pourrait s'en offusquer si le caviardage n'était là pour éveiller la sensibilité des enfants envers les animaux sans les complications amoureuses de couples encore pas de leur âge. Une veine reprise en miroir dans Le Petit Âne Gris que chante Hugues Aufray.    

« Viens avec moi petit... viens... » Pierre Bilbe (1911-1998).

mercredi 5 mai 2021

Variation "Sur les chemins de Pierre" / "... Il est mort par un éclair blanc... "

Vous savez la feuille avec le poème de Pierre, "Viens avec moi, petit...", elle traînait depuis un mois au moins, ouverte pour ne pas qu'on l'oublie, sur mon coin-bureau. Rien de perturbant. Au contraire, avec l'idée paisible de trois chroniques autour de la fête de Pâques au village, la vie qui va, comme l'Aude, notre rivière dans la plaine, depuis toujours.  


Croyant avoir fait le tour de ces périodes de Pâques marquées parfois, comme cette année, par des gelées mémorables, pas contagieuses mais noires comme les pestes les plus tueuses, je voulais passer aux années suivantes sauf que deux autres lettres patientaient, me guettaient même, résolues, malgré le temps qui passe, à interpeler l'arbitraire du souvenir. 
Et ce que j'ai lu m'a complètement affligé, me laissant faible, accablé. Quand notre fleuve, gonflé de colère limoneuse n'a que faire des remèdes des hommes pour le calmer. Sa rage passe outre son lit canalisé, les étangs déversoirs miraculeusement présents : Capestang, Lespignan, Vendres. Ses tourbillons funestes n'en finissent pas de frémir. J'imagine en prime ce pendu dont on me détourna à l'époque, au pied de la pile du pont. La crue puissante me submerge. 
 
 29 novembre 2014. Photo S. Sire. Gros poutou Sylvain

Lettre de mon père : Fleury-d'Aude, le 29 avril 1998. 
 
"Bien cher fils,  
 
.../... Mais ce soir, à vingt-et-une heure quinze, alors que la pluie se remet doucement à tomber, je veux commencer par une nouvelle qui va sans doute t'émouvoir : Pierrre BILBE vient de mourir. j'ai fait la visite dans la maison de sa fille voisine de la sienne où il repose - chez lui c'était chauffé -. Comme j'étais en train de signer et de mettre "Très sincères condoléances en notre nom et en celui de Jean-François qui pense souvent à vous", sa fille est sortie pour aller à côté, m'a vu et m'a dit "Entrez M. Dedieu, maman sera contente de vous voir". J'avais entendu les pompiers à quatre heures et plus tard "C'est monsieur Bilbe qui est tombé dans la rue". mais je ne pensais pas à une issue fatale aussi rapide. Sa femme Germaine, très abattue comme tu peux l'imaginer, m'a précisé : "Après le feuilleton qui suit le journal télévisé, il est sorti pour aller voir vers le bureau de tabac où en étaient les travaux, et peu de temps après on me le rapporte mort. je ne sais pas si je vais pouvoir le supporter". en tombant il s'est blessé à la pommette gauche et du sang coulait de son oreille..."  
 
La vie continue comme on dit et la mort en fait partie même si on ne le dit pas. On ne se répand pas non plus des "si j'avais su" et autres "j'aurais dû", ces lapalissades qui nous travaillent toujours trop tard, sur lesquelles il est vain de revenir. 

Me reviennent les mots de J.J. Goldman prolongés par ceux d'H. de Balzac :
 
"... A tous les masques qu’il aura fallu porter
A nos faiblesses, à nos oublis, nos désespoirs 
... A nos actes manqués."   
Jean-Jacques Goldman 1990.   
 
 "Notre cœur est un trésor, videz-le d'un coup, vous êtes ruinés. Nous ne pardonnons pas plus à un sentiment de s'être montré tout entier qu'à un homme de ne pas avoir un sou à lui." 
Honoré de Balzac --Le Père Goriot 1835. 

Alors rien n'a plus voulu sortir depuis près d'une semaine, le cerveau se retrouvant aussi embrouillé que celui de l'ado que je ne suis plus... Une complainte est heureusement venue pour maintenir ma tête hors de l'eau, se répétant au fil des jours, invocation toujours reprise, mantra universel pour infuser jusqu'au dernier suc tout, tout ce qui est dans le non-dit volontairement tu :  

"Il est mort par un éclair blanc, 
Tous derrière et lui, devant..." 
De Paul Fort, "Le petit cheval" si bien chanté par Georges Brassens. 

Pierre, tu es mort par un éclair blanc, toi devant pour ce que l'amour de la nature a exalté de ton humanité aimante et comme tu étais aimé et admiré par Germaine, ton épouse, force indéfectible du premier carré. Toi devant et nous derrière, moi avec, si malheureux de ne le réaliser que plus tard, toujours trop tard, mortifié des par les regrets... Dans son interprétation, avec le polissage, l'usure du temps, cette nouvelle de papa enfonce le couteau dans la plaie que chacun veut bien virtuellement s'infliger. Tout être ayant la philosophie de vie qu'il peut... pourquoi ne pas se propulser dans le futur de nos enfants grâce à la force, aux appuis, aux expériences léguées par nos disparus ? 
 
Sur le chemin de Pierre.

En avril, je m'efforce de ne pas oublier Louis Pergaud (33 ans) qui sait si bien nous mettre en accord avec la vie sauvage, l'inhumanité des proches et pourtant compatriotes, Louis Pergaud des mots enluminés, mort par un éclair blanc à la guerre, le 8 du mois en 1915 et Jean-François Knecht (49 ans), ce frère - forcément quand on cohabite une année scolaire - même si je dois partager la fraternité avec la motivation politique qui l'animait, JFK comme on lui disait, touché au cœur par un éclair blanc le 18 avril 2007. Et Pierre à présent... mieux vaut tard...
 
Aux poussières d'étoiles qui papillotent sur le miroir pas toujours tranquille du fleuve dans la plaine, plus encore à celles qui nous éclairent de leurs trajectoires éphémères... 
A Louis, à Jean-François, à Pierre...  
 
 
 
https://ant-pw0404.anticor.org/2007/05/02/communique-suite-au-deces-de-jean-francois-knecht/

mardi 4 mai 2021

"Il est mort par un éclair blanc..." / Sur le chemin de Pierre.

Le feu atudé (éteint) par un souffle puissant, comme foudroyé par une onde pyroclastique, étouffé d'un coup... Oppression violente... Vous savez la feuille avec le poème de Pierre, "Viens avec moi, petit...", traînait depuis un mois au moins, ouverte pour ne pas qu'on l'oublie, sur mon coin-bureau. Sur ces entrefaites coula l'idée paisible de ces trois chroniques autour de la fête de Pâques au village, la vie qui va, apparence d'une rivière douce, vers l'aboutissement, la conclusion preuve de sa raison d'être. Une paix plus en "souciance" que soucieuse, une pensée qui sans préoccuper, interroge, et dont la réponse ne sera donnée que pour ne plus se poser de question, de quelque ordre que ce soit... 
 
Croyant avoir fait le tour de ces périodes de Pâques marquées parfois, comme cette année, par des gelées mémorables, pas contagieuses mais noires comme les pestes les plus tueuses, je voulais passer aux années suivantes avant de trouver deux autres lettres. Et ce que j'ai lu m'a complètement affligé, me laissant faible, accablé. Ce que la conscience peut être trompeuse...
 
Lettre de mon père : Fleury-d'Aude, le 29 avril 1998. 
 
"Bien cher fils,  
 
.../... Mais ce soir, à vingt-et-une heure quinze, alors que la pluie se remet doucement à tomber, je veux commencer par une nouvelle qui va sans doute t'émouvoir : Pierrre BILBE vient de mourir. j'ai fait la visite dans la maison de sa fille voisine de la sienne où il repose - chez lui c'était chauffé -. Comme j'étais en train de signer et de mettre "Très sincères condoléances en notre nom et en celui de Jean-François qui pense souvent à vous", sa fille est sortie pour aller à côté, m'a vu et m'a dit "Entrez M. Dedieu, maman sera contente de vous voir". J'avais entendu les pompiers à quatre heures et plus tard "C'est monsieur Bilbe qui est tombé dans la rue". mais je ne pensais pas à une issue fatale aussi rapide. Sa femme Germaine, très abattue comme tu peux l'imaginer, m'a précisé : "Après le feuilleton qui suit le journal télévisé, il est sorti pour aller voir vers le bureau de tabac où en étaient les travaux, et peu de temps après on me le rapporte mort. je ne sais pas si je vais pouvoir le supporter". en tombant il s'est blessé à la pommette gauche et du sang coulait de son oreille..."  



Se regarder dans la glace. Que reste-t-il de convenable, en surface ? Bien obligé de voir aussi ce qui l'est moins dans la profondeur de l'âme, caché mais pas secret du tout car typiquement humain, en non-dits trop bien partagés par notre espèce. Honteux du pas joli méprisable perçu par tous mais qu'il ne faut jamais avouer sous peine de rejet, d'ostracisme. 

Me reviennent les mots de J.J. Goldman prolongés par ceux d'H. de Balzac :
 
"... A tous les masques qu’il aura fallu porter
A nos faiblesses, à nos oublis, nos désespoirs 
... A nos actes manqués."   
Jean-Jacques Goldman 1990.   
 
 "Notre cœur est un trésor, videz-le d'un coup, vous êtes ruinés. Nous ne pardonnons pas plus à un sentiment de s'être montré tout entier qu'à un homme de ne pas avoir un sou à lui." 
Honoré de Balzac --Le Père Goriot 1835. 

Alors rien n'a plus voulu sortir depuis près d'une semaine, le cerveau se retrouvant aussi embrouillé que celui de l'ado que je ne suis plus... Une complainte est heureusement venue pour maintenir ma tête hors de l'eau, se répétant au fil des jours, invocation toujours reprise, mantra universel pour infuser jusqu'au dernier suc tout, tout ce qui est dans le non-dit volontairement tu :  

"Il est mort par un éclair blanc, 
Tous derrière et lui, devant..." 
De Paul Fort, "Le petit cheval" si bien chanté par Georges Brassens. 

Pierre, tu es mort par un éclair blanc, toi devant pour ce que l'amour de la nature a exalté de ton humanité aimante et comme tu étais aimé et admiré par Germaine, ton épouse. Toi devant et nous derrière, moi avec, si malheureux de ne le réaliser que plus tard, toujours trop tard, mortifié des par les regrets... Dans son interprétation, avec le polissage, l'usure du temps, cette nouvelle de papa enfonce le couteau dans la plaie que chacun veut bien s'infliger. Tout être ayant la philosophie de vie qu'il peut... pourquoi ne pas se propulser dans le futur de nos enfants grâce à la force, aux appuis, aux expériences léguées par nos disparus ? En avril, je m'efforce de ne pas oublier Louis Pergaud (33 ans) qui sait si bien nous mettre en accord avec la vie sauvage, mort par un éclair blanc à la guerre, le 8 du mois en 1915 et Jean-François Knecht (49 ans), même si je dois partager sa fraternité avec la motivation politique qui l'animait, touché au cœur par un éclair blanc le 18 avril 2007. 
 
Aux poussières d'étoiles qui pour certaines nous éclairent de leurs trajectoires éphémères... 
A Louis, à Jean-François, à Pierre...