Vous savez
la feuille avec le poème de Pierre, "Viens avec moi, petit...", elle traînait
depuis un mois au moins, ouverte pour ne pas qu'on l'oublie, sur mon
coin-bureau. Rien de perturbant. Au contraire, avec l'idée paisible de trois
chroniques autour de la fête de Pâques au village, la vie qui va,
comme l'Aude, notre rivière dans la plaine, depuis toujours.
Croyant
avoir fait le tour de ces périodes de Pâques marquées parfois, comme
cette année, par des gelées mémorables, pas contagieuses mais noires
comme les pestes les plus tueuses, je voulais passer aux années
suivantes sauf que deux autres lettres patientaient, me guettaient même,
résolues, malgré le temps qui passe, à interpeler l'arbitraire du
souvenir.
Et
ce que j'ai lu m'a
complètement affligé, me laissant faible, accablé. Quand notre fleuve,
gonflé de colère limoneuse n'a que faire des remèdes des hommes pour le
calmer. Sa rage passe outre son lit canalisé, les étangs déversoirs
miraculeusement présents : Capestang, Lespignan, Vendres. Ses
tourbillons funestes n'en finissent pas de frémir. J'imagine en prime ce
pendu dont on me détourna à l'époque, au pied de la pile du pont. La
crue puissante me submerge.
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29 novembre 2014. Photo S. Sire. Gros poutou Sylvain
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Lettre de mon père : Fleury-d'Aude, le 29 avril 1998.
"Bien cher fils,
.../...
Mais ce soir, à vingt-et-une heure quinze, alors que la pluie se remet
doucement à tomber, je veux commencer par une nouvelle qui va sans doute
t'émouvoir : Pierrre BILBE vient de mourir. j'ai fait la visite dans la
maison de sa fille voisine de la sienne où il repose - chez lui c'était
chauffé -. Comme j'étais en train de signer et de mettre "Très sincères
condoléances en notre nom et en celui de Jean-François qui pense
souvent à vous", sa fille est sortie pour aller à côté, m'a vu et m'a
dit "Entrez M. Dedieu, maman sera contente de vous voir". J'avais
entendu les pompiers à quatre heures et plus tard "C'est monsieur Bilbe
qui est tombé dans la rue". mais je ne pensais pas à une issue fatale
aussi rapide. Sa femme Germaine, très abattue comme tu peux l'imaginer,
m'a précisé : "Après le feuilleton qui suit le journal télévisé, il est
sorti pour aller voir vers le bureau de tabac où en étaient les travaux,
et peu de temps après on me le rapporte mort. je ne sais pas si je vais
pouvoir le supporter". en tombant il s'est blessé à la pommette gauche
et du sang coulait de son oreille..."
La
vie continue comme on dit et la mort en fait partie même si on ne le
dit pas. On ne se répand pas non plus des "si j'avais su" et autres
"j'aurais dû", ces lapalissades qui nous travaillent toujours trop tard,
sur lesquelles il est vain de revenir.
Me reviennent les mots de J.J. Goldman prolongés par ceux d'H. de Balzac :
"... A tous les masques qu’il aura fallu porter
A nos faiblesses, à nos oublis, nos désespoirs
... A nos actes manqués."
Jean-Jacques Goldman 1990.
"Notre cœur est un trésor, videz-le d'un coup, vous êtes ruinés. Nous ne
pardonnons pas plus à un sentiment de s'être montré tout entier qu'à un
homme de ne pas avoir un sou à lui."
Honoré de Balzac --Le Père Goriot 1835.
Alors
rien n'a plus voulu sortir depuis près d'une semaine, le cerveau se
retrouvant aussi embrouillé que celui de l'ado que je ne suis plus...
Une complainte est heureusement venue pour maintenir ma tête hors de
l'eau, se répétant au fil des jours, invocation toujours reprise, mantra
universel pour infuser jusqu'au dernier suc tout, tout ce qui est dans
le non-dit volontairement tu :
"Il est mort par un éclair blanc,
Tous derrière et lui, devant..."
De Paul Fort, "Le petit cheval" si bien chanté par Georges Brassens.
Pierre,
tu es mort par un éclair blanc, toi devant pour ce que l'amour de la
nature a exalté de ton humanité aimante et comme tu étais aimé et admiré
par Germaine, ton épouse, force indéfectible du premier carré. Toi devant et nous derrière, moi avec, si
malheureux de ne le réaliser que plus tard, toujours trop tard, mortifié
des par les regrets... Dans son interprétation, avec le polissage,
l'usure du temps, cette nouvelle de papa enfonce le couteau dans la
plaie que chacun veut bien virtuellement s'infliger. Tout être ayant la philosophie de
vie qu'il peut... pourquoi ne pas se propulser dans le futur de nos
enfants grâce à la force, aux appuis, aux expériences léguées par nos
disparus ?
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Sur le chemin de Pierre.
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En
avril, je m'efforce de ne pas oublier Louis Pergaud (33
ans) qui sait si bien nous mettre en accord avec la vie sauvage,
l'inhumanité des proches et pourtant compatriotes, Louis Pergaud des
mots enluminés, mort
par un éclair blanc à la guerre, le 8 du mois en 1915 et Jean-François
Knecht (49 ans), ce frère - forcément quand on cohabite une année
scolaire - même si je dois partager la fraternité avec la
motivation politique qui l'animait, JFK comme on lui disait, touché au
cœur par un éclair blanc
le 18 avril 2007. Et Pierre à présent... mieux vaut tard...
Aux
poussières d'étoiles qui papillotent sur le miroir pas toujours
tranquille du fleuve dans la plaine, plus encore à celles qui nous
éclairent de leurs trajectoires éphémères...
A Louis, à Jean-François, à Pierre...
https://ant-pw0404.anticor.org/2007/05/02/communique-suite-au-deces-de-jean-francois-knecht/
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