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lundi 17 avril 2023

QUAND LE POÈTE RATTRAPE LE PROFESSEUR.

 NOS CLASSES AVANT / Hommage à « Monsieur Puel ».

Comme on cherche dix fois au même endroit tant on s’en veut de ne pas avoir mis de de côté ce qu’on ne retrouve plus, je l’ai longtemps cherché. En vain. Ne restaient plus que les regrets et ce chagrin de ce qui est perdu presque définitivement. Ainsi vont les clics sur le Net quand ce qui peut en sortir ne répond pas au caprice, au désœuvrement sinon à une pique de curiosité sans suite.
L’approche de l’été me reprochait en particulier la perte de ce témoignage sur cette ambiance d’antan pour nos Méridionaux qui allaient à la mer d’avant les touristes, seulement parce que le hasard avait mis la grande Bleue devant leur porte.
Au bout de l’Aude, nous gardons bien sûr, présents dans nos pensées le camping sauvage des années 60, la baraque sur le sable de 1934 au début des années 70, le refus de tante Adeline qui, à plus de quatre-vingts ans, de peur de gâcher son souvenir, ne voulait plus revoir ce qu’était devenu le Saint-Pierre de ses vingt ans. On rappelle même combien les chevaux aimaient le bain.
Il n’empêche, ce qu’en dit Maurice Puel vient non seulement conforter la mémoire mais l’enrichir de l’ambiance des années 1900, de la pruderie des mœurs, des divers attelages, pedibus, avec l’âne, le mulet, le cheval suivant qu’on était « pauvre ou cossu » ou entre les deux. Et le tableau dépeint par le poète est bien celui de chez nous, dépassant, sur le pourtour du Golfe, les 20 kilomètres qui voient nos trois fleuves (Hérault, Orb, Aude) embrasser la mer.
Mais laissons la nostalgie sépia. Nous évoquions des clics anodins pour ne pas trop dire, en négatif, ceux qui, sur l’écran, pèsent lourd, si l’actualité amène à chercher un proche après un attentat ou une catastrophe. S’il n’est heureusement pas porteur de gravité et de malheur, le mien, néanmoins, dépasse la légèreté apparente liée à la quête esthétique d’une plage du temps de mes arrière-grands-parents.

Narbonne 5_avenue_Marcel_Sembat_Narbonne_2021 This file is licensed under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Auteur Mf-memoire



Le poète, en effet, était mon professeur de français-latin en quatrième. J’ai même pris des cours chez lui, rue Voltaire, résigné, ne me demandez pas de quoi d’ailleurs... de latin je pense.

Sans perdre l’idée de Balzac

 « ... Nous ne pardonnons pas plus à un sentiment de s'être montré tout entier... »,

 je peux néanmoins avouer que les vers du poète, un demi-siècle après, me firent l’effet d’un trésor découvert. Je crois bien m’être écrié sinon avoir pensé très fort « J’ai retrouvé mon professeur ! ». Cette époque-là ne courait le moindre risque de trop livrer puisque rien de l’affect ne devait transparaître, chacun devant être, en dehors des siens, seulement socialement formaté... Alors ces vers venant conforter une grande humanité que les us de l’époque s’acharnaient à taire, à réprimer même remontaient d’un tréfonds autrement insondable. Le travail, la discipline ne s’accompagnaient que de sévérité, de dureté aussi, les sentiments, les émotions, la distraction étant, eux, trop facilement assimilés à la mollesse de caractère sinon la paresse et quoi qu’il en soit à une déficience coupable.

Moi, j’étais dans ma bulle, pour me protéger de la concurrence, rude, peu charitable, entre bons élèves. J’étais donc à côté, décalé, déphasé, à part, sans copain et monsieur Puel, pourtant tenu d’appliquer la grille d’évaluation étrécie de l’époque, ne m’avait pas accablé, lui, commentant seulement à mon père : « L’èimé ven pas avant l’age... » (L’entendement, le discernement ne viennent pas avant l’âge). 


Je n’ai compris que trop longtemps après, grâce à ce poème (quand on le dit que la poésie ouvre des portes !). La voix douce, le phrasé du parler, le regard bienveillant, un certain sourire : autant de signes d’une clémente affection loin de la rigide inhumanité de rigueur chez des adultes aussi procureurs que censeurs. Ce doit être ça car que vaudrait mon intuition si elle n’était pas fondée ? Sauf qu’à treize ans, je n’ai su ni voir ni comprendre... Il faut dire que nous étions nombreux, une trentaine en classe.
Maurice le poète m’a fait reconsidérer Monsieur Puel, le professeur de français-latin, au point de dire désormais « mon professeur ». Et ce qu’il a su être ne peut que libérer la tendresse qu’il inspire.
Avec le titre de son recueil, "Bourgeons précoces, fruits tardifs" (1988), veut-il nous dire que la poésie, il l’aime depuis toujours même s’il a tant attendu avant d’oser se livrer aux autres ? Sa fille Michèle qui en fait un portrait profond mais tout en pudeur, confirme cette  facette attachante et détachée du poète : 

« ... Je préfère aux lauriers cueillis dans les concours
Rester le troubadour de mon petit village », Maurice Puel, vers ultimes du sonnet « Modeste ambition ». 

jeudi 16 février 2023

La NOURRITURE avant (1850-1950) puis dans les années 60... (3)

Gâteaux et pâtisseries. Le circuit court pour les plus modestes. A la maison et au collège dans les années 60.  

Les oreillettes de Laeti, ma neubeude ! gros poutous de tonton ! 

La tradition voulait aussi qu'on fasse des gâteaux pour certaines fêtes ou lors de périodes particulières : barquettes de Toulouse, gimblettes d'Albi, floues de St-Affrique, biscottins de Bédarieux, galettes quadrillées de Carcassonne, fouacets, alleluias et rausels à l'anis de Castelnaudary, raouzels du Minervois pour le " Dius-a-vol ", oreillettes de carnaval... 

C'est dans les couches populaires que l'alimentation et la façon de cuisiner collent aux ressources locales, aux circuits courts... les bourgeois, les gens aisés, eux, veulent manger comme à Paris. Puis le fait de se nourrir s'est nivelé, uniformisé (déjà en 1950, d'après l'article !). La magie, la religion, la géographie ne pèsent plus, on ne mange plus de millas dans les pays de maïs, les crêpes à la Chandeleur sont facultatives, les châtaignes, on les donne aux cochons, les poissons, sauf peut-être en été, viennent de l'océan. Tout le monde mange à peu près la même chose : pain, viande... Depuis la fin de la guerre de 39-44, ouvriers et paysans mangent mieux et pour moins cher. Et si le poste nourriture reste le premier  dans le budget, ceux du logement, des vêtements, des loisirs commencent à compter. 

Vendanges cassoulet Carcassonne Wikimedia commons Auteur BrokenSphere

Il n'empêche, le cassoulet qu'on peut manger partout en France, reste un plat typique si on lui garde son originalité dans sa forme bourgeoise (bien améliorée par rapport au plat paysan plus cassoulet de mounjetos qu'à la viande comme on dit en parlant d'un plat avec seulement des haricots), par ses ingrédients (couennes fraîches, jarret de porc, salé d'oie, saucisse), le toupin ou la cassole en terre du Lauragais (surtout Castelnaudary) pour le cuire serait-ce sans plus disposer d'un four à bois où flamberaient des ajoncs (dit genêt épineux, ce qui peut prêter à confusion).  

Pour finir et témoigner de ce qu'on mangeait à la maison dans les années 60, au risque d'en oublier (vous pouvez, vous devez et me corriger s'il faut, et compléter), nous avions, à table, dans la semaine, 

* en entrée, salade ou charcuterie, pâté, boudin ; 

* des pommes-de-terre (achetées par sacs de 50 kilos) bouillies, en purée, en frites, au four, plus rarement en brandade ; 

* une à deux fois des légumes secs (lentilles, pois chiches, pois cassés, haricots), 

* le soir, toujours la soupe (souvent de légumes) ou potage aux vermicelles lorsqu'il y avait du pot-au-feu ; 

* des pâtes d'abord nouilles ou macaronis avant que la diversité de formes que nous connaissons de nos jours ne s'impose (certains portaient le plat à gratiner au boulanger, moyennant une modeste participation) ; 

* de la viande surtout en sauce (blanquette, daube, bourguignon), souvent des abats (foie, rognons) ; le dimanche, un poulet fermier, de la saucisse ou de l'entrecôte (alors moins chère que la tranche) sur la braise de sarments ; 

* le vendredi du poisson, plus souvent en été avec le poisson bleu (sardines, maquereaux, thon rouge), merlan, plie, raie en poisson frais sinon la morue mise à dessaler ; 

* pour ce qui est du fromage, sans qu'il y en ait tout un plateau, le choix était plus restreint qu'aujourd'hui (gruyère, cantal, roquefort, camembert de Mariotte (fait au Fousseret, dans le département de la Haute-Garonne), un pyrénées assez insipide couvert d'une peau élastique noire, augurant de ce que serait l'ère du plastique omniprésent. 

* au dessert, des pommes au four, du riz-au-lait, du flan, du yaourt de Rieucros dans l'Ariège (le pot de verre était consigné tout comme pour la bouteille de lait / il y avait encore des laitières au village, dont Émilienne). 

Rouzilhous, lactaires délicieux. 

Comme il était apprécié alors de suivre les saisons (raisins, azeroles, coings, châtaignes, pommes, poires, rouzilhous à l'automne), poireaux (de vignes et sauvages éventuellement), choux, betteraves, cardes, endives en hiver... épinards, asperges sauvages, fèves, asperges vertes, petits pois, puis fraises, cerises au printemps, tomates, haricots verts, cèbe de Lézignan en été, abricots, pêches...     

Et au collège Victor-Hugo, à la demi-pension : salade verte ou betteraves ou carottes, fayots, lentilles, nouilles ou macaronis, purée, pommes-de-terre dans les ragoûts, blanquettes, frites le samedi, omelette, sardines, morue ou brandade le vendredi et toujours... de la sixième à la terminale, un litre de vin pour huit ! Et en dessert, j'ai oublié... un fruit ? un bout de fromage ? Le goûter était de rigueur : la vache qui rit, la pâte de fruit de marque Dumas (Pézenas), le chocolat qu'on partait faire fondre en tartine sur les poêles à charbon des classes ouvertes. Il y avait aussi une gelée de raisin présentée en portion plastique (pas moyen d'en retrouver la trace peut-être en lien avec l'usine UVOL de jus de raisin alors à Nissan-lez-Ensérune encore dans les années 60).  

lundi 21 mai 2018

MAYOTTE , WEGENER, NARBONNE, CHIQUITO… / Fleury d'Aude en Languedoc.

Un voyage de gravier glisse de la benne d’un camion. Petite appréhension avant le signal sonore de l’engin. C’est que depuis plus de dix jours la Terre tremble autour de Mayotte ; elle n'arrête pas de tressaillir. On l’entend qui gronde au loin, à une cinquantaine de kilomètres à l’Est, sous le Canal de Mozambique. Le sol frémit, la dalle ondoie souvent sous les pieds, la maison tangue par moments, souvent un léger aller-retour, un flux et reflux, souvent comme deux pas de paso, un en avant, un en arrière, mais quelques secousses ont chahuté les meubles, approchant le 6 de l’échelle de Richter. Les religieux pressent d’implorer le pardon… Deux fois nous avons fui la maison pour la regarder depuis le  jardin. Tant qu’on peut en rire… Un portrait sous-verre s’est cassé. Les soliflores ont quitté le haut de la bibliothèque… La fissure qui suit les joints d’un mur non-porteur était là presque de naissance. Ce n’est rien. 
Les spécialistes parlent d’essaims de séismes ou de séismes en essaims, je ne sais plus. Les autorités ajoutent, bien sûr, qu’il ne faut pas s’inquiéter... Donc les fautes, le côté brouillon du communiqué c'est qu'ils s'en foutent et non qu'ils ont peur. Sauf que c’est la première fois. « …L’essaim se donne et s’abandonne… » chantait Bourvil mais sans plus de précision… Madagascar n'en finit pas de s'éloigner de l'Afrique. Une première fois pourtant que la magnitude atteint 5,8 ou 5,9 ! Alors, quand les entrailles tiraillent, que notre vieille Terre encore jeune nous prend au collet, on se demande si elle va relâcher l'emprise ou si c’est l’empoignade, l’étreinte qui va triturer et nous briser, le big one qui, comme le terrorisme, nous laissera, bons Français que nous sommes, aussi bêtes qu’atterrés !  

Carte sismotectonique des Comores et de Mayotte source CCGM et Unesco 2001

Alors on joue à celui qui en sait plus. On ausculte les sites internet. A la télé, depuis Paris, le responsable « local » du BRGM analyse. Mon garçon évoque la tectonique des plaques. Le doigt en l’air, j’ajoute aussitôt « Alfred Wegener[1] », avec l’accent, ici teuton, de ce qui reste de mes « humanités » (entre nous, sur le moment, plutôt déshumanisantes), allemand première langue, latin-grec… J’ai aussitôt pensé au professeur qui avait partagé avec nous cette thèse nouvelle, fort discutée et pas encore admise de la dérive des continents. Coïncidence, alors que monsieur Sinsollier me revenait en mémoire il y a peu, c’est un autre professeur d’histoire qui se propose à mon souvenir, monsieur Rumeau. 
La rigueur, la raideur des principes, l’exigence de neutralité, le tabou de l’intime restaient chiches en prénoms qui ne nous arrivaient que par ricochet. Savoir que Maurice ou Étienne désignaient aussi nos profs de français de 4ème et 3ème faisait presque de nous des paparazzi. Époque rude où même entre jeunes, c’est à peine si les surnoms trahissaient un soupçon d’empathie… Pupu, La Buse, Tabanas, Sinsolle, désignaient certains de nos maîtres ; pardon mais ma mémoire a trop effacé d’une enfance, d’une adolescence subies, d’une longue péninsule plus qu’un cap à passer ! Et ce n’est qu’à présent, sur le tard, qu’il m’est donné d’approcher cette période sans le traumatisme d'alors. Maintenant que le verrou rebutant se débloque, il est possible, seulement, de relever le positif qui finalement a permis de survivre…  

Image "empruntée" à ebay...
     
Pour monsieur Rumeau, on disait « Chiquito ». Ah oui, il fumait des cigarillos ! Ceux-là mêmes dans une boite en fer, ovale, si pratique, une fois vide, pour ranger les crayons. Un cheval cabré, une tête au chapeau mexicain d’un joli rouge faisaient passer le jaune et le marron des vilaines bandes de fond… Temps criminel de la publicité pour le tabac de la Seita, soucieuse des rentrées d’impôts pour l’État ! Flagornerie maquillant un vecteur de mort en art de vivre !
La classe n’arrêtait pas de lâcher des « tchic… tchic… tchiq… » suintés comme autant de vesses. Chiquito enrageait au point de canarder de pages les ricaneurs les plus exposés, par rafales dédoublées, 2, 4, 8, 16, et plus, ce qui, la fois d’après, entre les punitions non rendues et doublées et les petits malins jurant leurs grands dieux qu’ils n’en avaient que la moitié à faire, provoquait un chahut terrible.  Cruauté sans fond des potaches sentant le faible et le sang !
Devant le collège aussi, il subissait les tchictchictchiqs. Mes cousins, une fois, qui pourtant n’avaient pas classe avec lui. Rumeau a jeté sa mobylette contre le premier platane venu et a envoyé une claque au grand à portée, lui qui n’avait rien fait, manière de faire pisser aux culottes le petit rigolard cachant sa culpabilité derrière ! 

On dit que quelques années plus tard, il aurait mis fin à ses jours. Les humains et plus encore les morveux sont capables de cruauté meurtrière… Qui aurait le cœur aujourd’hui, d’évoquer avec légèreté ces faits d’armes lamentables de blancs-becs ?  Pour être allé au bureau une fois avec ma liasse incomplète de feuilles, bien que poule mouillée et sur une autre planète, j’en suis aussi coupable. J’ai ma part de tchicstchics sur la conscience… Avec un rictus de remords, en plissant même les paupières, je me dis que Chiquito qui devait avoir un prénom, avait bien d’autres Alfred Wegener à partager avec nous… Nous n’en avons pas voulu. 

Mobylette de Motobécane Author Toi & Moi Wikimedia Commons.


P.S. : après celle de minuit, et celle de 11h hier dimanche 20 mai (pas la plus forte mais la plus longue), Mayotte vient de subir une nouvelle secousse (3h 45, 21 mai 2018),  avec des répliques et des tressaillements fréquents sur 45 minutes. 


[1] Alfred Wegener (1880-1930), astronome, climatologue, a trouvé la mort lors d’une expédition au Groenland. Son corps gelé a été retrouvé en mai 1931, six mois après son décès. Son compagnon d’infortune n’a jamais été retrouvé. En 1912, Wegener a émis sa théorie de la dérive des continents. Publiée en 1915, elle ne sera reconnue par la communauté scientifique que quarante ans après son décès.