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jeudi 17 mars 2022

NOSTALGIE dans le BOIS ! Balade et ballade (4e épisode)

OUI à la chanson des blés d'or, NON au fracas barbare des bombes !

Lu à l'âge où il laisse sa griffe, le roman d'Alain-Fournier nourrit à jamais quelques réminiscences qui veulent bien, à l'occasion d'une circonstance, réveiller une nuance de la palette de sensations alors ressenties. A l'époque où le parvis de l'église accueillait la fête de Salles, devant, la joie des villageois endimanchés, derrière le mur, le calme des grands arbres, en moi mes premiers émois, la hantise du lycée-prison, tout me rapprochait d'Augustin Meaulnes. 

Quoique fugace, assagie après la tempête, cette perception revient, de si loin depuis l'adolescence. Etrange. Comme ces mystères qui demeurent malgré une exploration menée à bien puisque, ici, le parc est devenu public et que le bois contigu semble appartenir à la commune. Alors reviennent aussi les vers de Verlaine :

"Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé..." 

Deux formes parcourent une allée... Compagnie de deux amis ? Approche galante ? Rapprochement de deux amants ? Imaginaire, fantasmagorie se promènent aussi dans nos têtes...

Une promenade nimbée de brume, comme, plus prosaïquement, lors du récent déluge, sous une chape épaisse de nuages noirs et un rideau de pluie à verse, alors que nos pas, sur un petit pont, nous avaient menés au passage du ruisseau des Fontanelles. 



Un petit ruisseau qui ne vient pas de loin, à peine des hauteurs du moulin du phare (1) ; le sens unique vers Fleury, le village voisin, là où passait le petit train, en remonte le cours jusqu'aux bains-douches. Son lit est cimenté pour évacuer du mieux possible les quantités phénoménales d'eau lors d'un orage, sinon d'un aigat, un épisode aussi cévenol que méditerranéen. C'est arrivé ce dernier week-end, il est tombé presque 200 millimètres d'eau (158 en plaine à Narbonne, 180 vers Villedaigne et dans le Minervois à Siran), l'équivalent de la moyenne sur trois mois ! 

Du passé ancien au présent proche, revenons au passé récent, en septembre, quand les photos ont été prises. 



Impressions magnifiques à la vue de ces grands platanes, un marronnier (2), un figuier aussi (mais lui s'en sait mal de cette promiscuité !) dans un étonnant cadre de verdure qui doit donner, si on poursuit vers la sortie du village en direction de Nissan, sur un grand parking ombragé (surtout gardez les arbres !)... Oh ! deux chiens à mon encontre, le muscle ferme, le fouet vif ! Je vois, c'est un coin à promenade, à crottes quoi !  Et ce cagnot qui saute pour des caresses et me salit le pantalon ! Et son maître qui trouve que c'est normal, sourire en coin ! Et moi qui ne dis rien, macarel ! Finies pourtant, les rêveries émollientes ! Trop tard, toute cette poésie m'a endormi, sur le coup je n'ai pas réagi... Chicanes et querelles ne grandissent personne... tant mieux pour la poésie ! 

(1) Quel est le nom de ce moulin ? Sabarthès en mentionne au moins quatre avant 1800 :
Combe d’Alprat moulin à vent Salles 1781
Taysseferrals moulin vent Salles 1781
La Lauze moulin à vent Salles 1781
Le Moulin à vent, écart, Salles : la Moulinasse moulin ruiné Salles. 
Nos amis sallois sauront nous le dire. 

(2) les ormes ont disparu, les marronniers disparaissent, le fric fait planter des champs de résineux qui poussent vite... nos chênes centenaires partent en Chine parce que notre industrie ne travaille que pour le pin et l'épicéa, d'un rapport plus rapide. Pourquoi le souci du climat ne pousse-t-il pas l'appareil d'Etat à imposer la plantation de plus de feuillus, plus efficaces de 40 % pour l'atmosphère ? Ne cherchez pas, la réponse est dans ce petit paragraphe...  


mardi 16 avril 2019

LE DERNIER AFFLUENT (2ème partie) / Fleury d'Aude en Languedoc.


Un cours d'eau part bien de "l’Étang desséché de Fleury" pour aller rejoindre l'Aude au nord de la Pagèze, au pied de l'ultime promontoire de la Clape. Carte de Cassini / XVIIIème siècle.

A cheval entre les communes de Narbonne, Armissan et Fleury, à une centaine de mètres d’altitude, le Ruisseau de Cascabel, empêché vers la mer, ne peut que s’épancher vers l’ouest.

Comme lui, de nombreux apports intermittents, liés aux orages ou aux aigats (épisodes méditerranéens), arrivent de la Cresse, cette échine aujourd’hui boisée mais longtemps pelée surtout suite à un incendie de l‘été (début des années 60), furieusement poussé par un Cers violent et qui a dévasté la garrigue jusqu’en haut de Saint-Pierre où des bouteilles de gaz ont explosé dans les baraques évacuées. 

Au loin la Cresse après l'incendie (début des années 60)

L'aspect pelé de la garrigue de Fleury (années 50).
 
La Cresse ( nov 2018).

La Cresse ; au fond le château de Marmorières (nov 2018).


Les pins ont recolonisé la garrigue, favorisés peut-être par l’évolution sensible du climat. En comparant les photographies de 1950 avec la situation actuelle, force est de constater combien la période récente a été favorable au pin d’Alep. A ce propos relire ces articles de novembre :



https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2018/11/les-envahisseurs-fleury-daude-en.html

https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2018/11/les-envahisseurs-fin-fleury-daude-en.html   



Le Ruisseau de Cascabel devenu Ruisseau de la Cave Maîtresse, venu des garrigues des Bugadelles (est) contribue à alimenter l’Étang de Fleury. Y participent aussi les ravins venus de la Cresse (sud), au nord du domaine de Camplazens, ceux qui descendent des hauteurs de Marmorières et de la Font de la Lèque (sud-ouest). On peut citer aussi le rajol de la Combe du Léger, à mi-hauteur, à l’Est (voir sur la carte).  

Source IGN / Geoportail.


L’étang occupe une cuvette fermée de 200 hectares environ pour un remplissage moyen. Il devait être permanent puisque des vestiges d’habitations lacustres sur pilotis ont été trouvés au sud de Tarailhan. A l’Age du Fer, ce sont des coquillages, des hameçons et des pesons (poids) de filets de pêche qui ont été trouvés. La Clape était alors arborée de chênes verts et ce couvert forestier contribuait aux apports réguliers en eau de l’étang.

Ce sont les activités humaines qui ont perturbé ce bel équilibre. Les fours des potiers, des verriers, liés aussi à la production de chaux, nécessitant toujours plus de bois de chauffe, ont amené à la disparition des chênes (il en reste quelques ilots ça et là). La formation végétale qu’est la garrigue résulte de la dégradation de la forêt primitive de chênes verts.

Le lac poissonneux s’est peu à peu asséché puis mué en marais insalubres ; en réaction, les habitants œuvrèrent pour assécher, drainer, régulariser les excès et acheminer les eaux. (1)



L’étang en quelques flashs et instantanés sépia, noir et blanc et couleur :



* "... le Cercle (de l’Étang) en descendant à gauche « lou camin de vouleurs » à l'endroit où certains estrandgés ont élu domicile : cette vigne nous donna des pois et des pois chiches entre 1940 et 1944. Elle jouxtait la vigne de Germain Rey où fleurirent plus tard des rangées de poiriers, où je parlai une fois avec le grand-père de Germain et Janine, qui allait se pendre dans un puits à un âge très avancé. Et de l'autre, la grande vigne de Joseph Barbe, le grand-père de Jacquie, notairesse à Cuxac, vigne qui, disait-il, « lui tenait des cingles jusqu'à la Noël ». / (un « single » est un grappillon)..." (2)

L’Étang vu depuis le terrain de rugby au nord. Au fond la Cresse / Diapo de François Dedieu : match de rugby féminin (1973).


* "... A des spectateurs qui lui reprochent de ne pas venir marquer la touche assez vite, Lolo Billès, levant son drapeau :

«  Et lou ventre !.. » (2)

* A Tarailhan, un petit immigré, il s'appelle Manu. Il se voit, tel Don Quijote de son pays perdu, monter à l'assaut de ce moulin sur la colline, au fond de l'étang, ce moulin qui le nargue et garde le mystère du village caché derrière...



* l’Étang de Fleury, fin février, derrière le terrain de rugby. Il y a Rolland, Max, José. Sous un soleil déjà printanier, nous courons par les vieux ponts de pierre qui passent les fossés que nous longeons. Par dizaines, les alouettes montent dans le bleu du ciel, si musiciennes et s’il vous plait avec l’accent car l’alouette apprend ses morceaux des adultes. Depuis quand n’ai-je plus entendu les trilles des alouettes ? 
  

* au cimetière, une plaque émouvante, en hommage à la mère, et l’Étang qui apporte un plus aux petits profits, ramassages et autres cueillettes de saison, dans la garrigue ou à la mer :


„A nὁstra maire
Que nos donèt a conneisser
los pὁrres de las vinhas,
la salada dels marges,
las èrbas de l’estanh...
e la lenga de nὁstre païs.“


(1) Ces données sont largement inspirées et guidées par Les Chroniques Pérignanaises (De Pérignan à Fleury / 2009) qui ont consacré quatre pages bien documentées sur l’Étang de Fleury ou de Tarailhan.  
(2)   Caboujolette / Pages de vie à Fleury / 2008 / François Dedieu.    

dimanche 14 avril 2019

LE DERNIER AFFLUENT / Fleury d'Aude en Languedoc

Question pour des champions : Quel cours d’eau passe dans le village de Fleury-d’Aude ? Élémentaire mon cher JF diront les autochtones, du moins ceux d’un certain âge... Attention ! sans faire état de ces torrents boueux qui dévalent de la garrigue lors d’un orage ou d’un aigat (1) ! Quoique puisqu’il faut bien que ça s’évacue quelque part !
Ce dernier affluent plus ou moins pérenne, nous devrions le retrouver sur le site du Sandre

http://www.sandre.eaufrance.fr/geo/CoursEau/Y1—0200

Rien curieusement pour la basse plaine de l'Aude...

La fiche Y1---0200 ne dénombre pas moins de 121 affluents de l'Aude !
* 68 entre 1 et 5 kilomètres de longueur,
* 25 entre 5 et 10,
* 15 entre 10 et 20,
* 13 de plus de 20 kilomètres.
Sauf que notre cours d’eau n’apparait pas sur la fiche... Dommage avec une longueur de plus de dix kilomètres, même pour un ruisseau prolongé grâce à la main de l'homme !

Dans le dictionnaire topographique de l’Aude de Sabarthès, à l’entrée „Fleury“, croyant à une erreur de l’abbé :
„Cascabel, ruisseau en limite de Fleury et Narbonne, a servi à dessécher l’étang de Fleury“, je pensais devoir corriger :  

„ contrairement aux indications de Sabarthès, le Ruisseau du Cascabel avec celui de la Combe Figuière forment le Ruisseau des Bugadelles avant d’atteindre l’Étang de Pissevaches en tant que Ruisseau de Combe-Levrière (cours temporaires lors d’orages ou de périodes d’aigats) ; il ne saurait aller vers l’Étang de notre ancien terrain de rugby alimenté par les cours tout aussi intermittents venus surtout de la Cresse (96 m) et donnant sur le Ruisseau de la cave Maîtresse. Entre les deux « bassins » (45 mètres pour celui des Bugadelles authentiques, 36 pour le bas du Courtal Crémat) se dresse le col de la Crouzette à 60-67 mètres d’altitude.“

Or, il existe deux ruisseaux nommés pareillement, un „du Cascabel“, formant avec celui de la Combe Figuière le Ruisseau des Bugadelles devenant celui de Combe Levrière qui part bien vers l’Étang de Pissevaches et celui „de Cascabel“ décrit par l’abbé Sabarthès, la carte IGN de Geoportail en atteste.
Nous sommes bien aux limites des communes de Fleury et Narbonne. 

Je cherche à suivre les chemins d’école empruntés par deux garçons, le cousin Étienne et mon grand-père Jean, depuis la Pierre, une métairie des Karantes, jusqu’à Fleury, dans les années 1903 - 1910. Nul besoin de partir explorer au bout du monde pour chercher ses racines, pour chercher qui on est. S’arrêtaient-ils pour boire à la source de Fontenille ? Par où passaient-ils la falaise de cette longue barre rocheuse infranchissable, les dominant d’une quarantaine de mètres ? 

Ici depuis la plage des Cabanes-de-Fleury, en forme d'arc, cette barre rocheuse sans nom d'où la vue embrasse tout le Golfe du Lion.
De là-haut, un demi-siècle plus loin, le garde-chasse des Bugadelles ne se lassait pas d‘embrasser du regard la divine courbure d‘un Golfe du Lion de soleil embrasé.  

Conium_maculatum, grande cigüe - Wikimedia Commons Author Franz Eugen Köhler, Köhler–s Medizinal-Pflanzen
Et moi, au remords de ne pas lui avoir rendu visite plus souvent,  j'aimerai toujours ce garde-chasse qui honorait et magnifiait dame nature. Il s’appelait Pierre, Pierre Bilbe. J’avais déjà la quarantaine mais il savait me faire retrouver une âme d’enfant en découvrant des coutibes (pleurote du panicaut) cachées dans des friches ensauvagées, où en évoquant Socrate, parce que là-haut, sur le plateau qui regarde vers un levant que la Grèce habite, malgré la sécade et le Cers (2) qui plaquent au sol une garrigue de baouco (3) et de kermès, pousse la grande cigüe.

„... Tout à coup son regard s’emplissait de merveilles :
Depuis le Mont Saint-Clair jusqu’aux Côtes Vermeilles,
Tel un vaste arc-en-ciel sur le sol allongé,
Le sable, de la mer semble prendre congé ;
Le Golfe du Lion secouant ses crinières
Brillait de mille feux et d’autant de lumières
Et, brassant dans l’air pur le bienfait de ses flots,
Enseignait aux humains la richesse des mots...
Plus loin, elle voyait un bras des Pyrénées
Caresser en rêvant la Méditerranée,
Tel un amant distrait : l’œil pourpre du Levant
Tomber, à l’horizon, une larme de sang...“
Pierre Bilbe. La Légende du Cascadel.

Pierre aimait les mots, la poésie. Avec Germaine, son épouse, ils savaient apprécier la magie des vers comme on partage le plaisir d‘un pot-au-feu longuement mijoté. Avec quelle gourmandise elle lui disait „Lis-nous, Pierre“ ! Il jouait à se faire prier comme si j’étais professeur plutôt qu’humain, enfant du pays et héritier dans l'humilité de ceux qui jamais ne confondent intelligence et instruction...

Pierre, à la dernière rime, acteur du théâtre antique, maître de son art, le bras retombant enfin, contenait l‘élan lyrique jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’un souffle, laissant son public exalté tonner en applaudissements... Comme elle l’aimait et l’admirait son homme, Germaine ! C’était aussi fort qu’à la dernière note d’une première de Verdi, pour un vrai public, Germaine et moi et Pierre, si heureux dans cette petite pièce du vieux village, à la fois salon et salle-à-manger ! L’émotion retombant, nous prenions l’apéritif „Germaine sers-lui quelque chose...“ et dans une parenthèse de silence, les teuf-teuf-teuf du toupi (4), dans la cuisinette à côté, ajoutaient des vapeurs de céleri et de bouquet garni...

„Sur le feu jaune et bleu
Chante la grosse marmite,
La marmite au pot-au-feu... „
Maurice Fombeure (1906 – 1981).  

(1) crue, inondation / chez Mistral "dau tèms dis aigo" (pendant l'inondation). 
Les présentateurs météo ont longtemps dit "épisode cévenol" avant de qualifier le blocage d'une crosse de pluies diluviennes sur l'amphithéâtre du Golfe du Lion "d'épisode méditerranéen".  
(2) sécade : francisation de secado, sécheresse. 
Cers : vent authentique qui mérite mieux que d'être assimilé à une tramontane générique par un parisianisme et un centralisme jacobin complètement anachroniques, réactionnaires et anti-démocratiques... 
(3) baouco = graminée à feuilles et tiges rudes que les animaux ne mangent guère (Trésor dau Felibrige / F. Mistral)
bauca = brachypode rameux formant des pelouses steppiques, appelée aussi "engraisso motons" (Guide du Naturaliste dans le Midi de la France / Harant & Jarry). 
(4) toupi ou toupin = pot de terre exposé de longues heures sur la plaque de la cheminée... j'ai extrapolé, par licence poétique, le pot-au-feu chauffant sur la cuisinière...