Question
pour des champions : Quel cours d’eau passe dans le village de Fleury-d’Aude ? Élémentaire
mon cher JF diront les autochtones, du moins ceux d’un certain âge... Attention ! sans
faire état de ces torrents boueux qui dévalent de la garrigue lors d’un orage
ou d’un aigat (1) ! Quoique puisqu’il faut bien que ça s’évacue quelque part !
Ce
dernier affluent plus ou moins pérenne, nous devrions le retrouver sur le site du
Sandre
http://www.sandre.eaufrance.fr/geo/CoursEau/Y1—0200
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Rien curieusement pour la basse plaine de l'Aude... |
La
fiche Y1---0200 ne dénombre pas moins de 121 affluents de l'Aude !
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68 entre 1 et 5 kilomètres de longueur,
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25 entre 5 et 10,
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15 entre 10 et 20,
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13 de plus de 20 kilomètres.
Sauf
que notre cours d’eau n’apparait pas sur la fiche... Dommage avec une longueur
de plus de dix kilomètres, même pour un ruisseau prolongé grâce à la main de l'homme !
Dans
le dictionnaire topographique de l’Aude de Sabarthès, à l’entrée „Fleury“,
croyant à une erreur de l’abbé :
„Cascabel, ruisseau en limite de Fleury et Narbonne, a
servi à dessécher l’étang de Fleury“, je pensais devoir corriger :
„ contrairement aux indications de Sabarthès, le
Ruisseau du Cascabel avec celui de la Combe Figuière forment le Ruisseau des
Bugadelles avant d’atteindre l’Étang de Pissevaches en tant que Ruisseau de
Combe-Levrière (cours temporaires lors d’orages ou de périodes d’aigats) ; il
ne saurait aller vers l’Étang de notre ancien terrain de rugby alimenté par les
cours tout aussi intermittents venus surtout de la Cresse (96 m) et donnant sur
le Ruisseau de la cave Maîtresse. Entre les deux « bassins » (45 mètres pour
celui des Bugadelles authentiques, 36 pour le bas du Courtal Crémat) se dresse
le col de la Crouzette à 60-67 mètres d’altitude.“
Or, il existe deux ruisseaux nommés pareillement, un
„du Cascabel“, formant avec celui de la Combe Figuière le Ruisseau des
Bugadelles devenant celui de Combe Levrière qui part bien vers l’Étang de
Pissevaches et celui „de Cascabel“ décrit par l’abbé Sabarthès, la carte IGN de
Geoportail en atteste.
Nous sommes bien aux limites des communes de Fleury
et Narbonne.
Je cherche à suivre les chemins d’école empruntés par deux
garçons, le cousin Étienne et mon grand-père Jean, depuis la Pierre, une
métairie des Karantes, jusqu’à Fleury, dans les années 1903 - 1910. Nul besoin
de partir explorer au bout du monde pour chercher ses racines, pour chercher
qui on est. S’arrêtaient-ils pour boire à la source de Fontenille ? Par où
passaient-ils la falaise de cette longue barre rocheuse infranchissable, les
dominant d’une quarantaine de mètres ?
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Ici depuis la plage des Cabanes-de-Fleury, en forme d'arc, cette barre rocheuse sans nom d'où la vue embrasse tout le Golfe du Lion. |
De là-haut, un demi-siècle plus loin, le
garde-chasse des Bugadelles ne se lassait pas d‘embrasser du regard la divine courbure
d‘un Golfe du Lion de soleil embrasé.
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Conium_maculatum, grande cigüe - Wikimedia Commons Author Franz Eugen Köhler, Köhler–s Medizinal-Pflanzen |
Et moi, au remords de ne pas lui avoir rendu visite
plus souvent, j'aimerai toujours ce
garde-chasse qui honorait et magnifiait dame nature. Il s’appelait Pierre,
Pierre Bilbe. J’avais déjà la quarantaine mais il savait me faire retrouver une
âme d’enfant en découvrant des coutibes (pleurote du panicaut) cachées dans des
friches ensauvagées, où en évoquant Socrate, parce que là-haut, sur le plateau
qui regarde vers un levant que la Grèce habite, malgré la sécade et le Cers (2) qui
plaquent au sol une garrigue de baouco (3) et de kermès, pousse la grande cigüe.
„... Tout à coup son regard s’emplissait de
merveilles :
Depuis le Mont Saint-Clair jusqu’aux Côtes
Vermeilles,
Tel un vaste arc-en-ciel sur le sol allongé,
Le sable, de la mer semble prendre congé ;
Le Golfe du Lion secouant ses crinières
Brillait de mille feux et d’autant de lumières
Et, brassant dans l’air pur le bienfait de ses
flots,
Enseignait aux humains la richesse des mots...
Plus loin, elle voyait un bras des Pyrénées
Caresser en rêvant la Méditerranée,
Tel un amant distrait : l’œil pourpre du Levant
Tomber, à l’horizon, une larme de sang...“
Pierre Bilbe. La Légende du Cascadel.
Pierre aimait les mots, la poésie. Avec Germaine,
son épouse, ils savaient apprécier la magie des vers comme on partage le
plaisir d‘un pot-au-feu longuement mijoté. Avec quelle gourmandise elle lui
disait „Lis-nous, Pierre“ ! Il jouait à se faire prier comme si j’étais professeur
plutôt qu’humain, enfant du pays et héritier dans l'humilité de ceux qui jamais ne confondent intelligence et instruction...
Pierre, à la dernière rime, acteur du théâtre
antique, maître de son art, le bras retombant enfin, contenait l‘élan lyrique jusqu’à ce qu’il ne
soit plus qu’un souffle, laissant son public exalté tonner en applaudissements... Comme
elle l’aimait et l’admirait son homme, Germaine ! C’était aussi fort qu’à la
dernière note d’une première de Verdi, pour un vrai public, Germaine et moi et Pierre, si heureux dans cette
petite pièce du vieux village, à la fois salon et salle-à-manger ! L’émotion retombant,
nous prenions l’apéritif „Germaine sers-lui quelque chose...“ et dans une
parenthèse de silence, les teuf-teuf-teuf du toupi (4), dans la cuisinette à côté,
ajoutaient des vapeurs de céleri et de bouquet garni...
„Sur le feu jaune et bleu
Chante la grosse marmite,
La marmite au pot-au-feu... „
Maurice Fombeure (1906 – 1981).
(1) crue, inondation / chez Mistral "dau tèms dis aigo" (pendant l'inondation).
Les présentateurs météo ont longtemps dit "épisode cévenol" avant de qualifier le blocage d'une crosse de pluies diluviennes sur l'amphithéâtre du Golfe du Lion "d'épisode méditerranéen".
(2) sécade : francisation de secado, sécheresse.
Cers : vent authentique qui mérite mieux que d'être assimilé à une tramontane générique par un parisianisme et un centralisme jacobin complètement anachroniques, réactionnaires et anti-démocratiques...
(3) baouco = graminée à feuilles et tiges rudes que les animaux ne mangent guère (Trésor dau Felibrige / F. Mistral)
bauca = brachypode rameux formant des pelouses steppiques, appelée aussi "engraisso motons" (Guide du Naturaliste dans le Midi de la France / Harant & Jarry).
(4) toupi ou toupin = pot de terre exposé de longues heures sur la plaque de la cheminée... j'ai extrapolé, par licence poétique, le pot-au-feu chauffant sur la cuisinière...