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mercredi 22 décembre 2021

CHEMIN D'ÉCOLE (4) "... Et là-haut, toujours plus haut... alors que la bêtise humaine..."

Là haut, toujours plus haut va le pauvre papillon magnétisé vers cette luminosité à la puissance cosmique. Appelle-t-elle impérativement la flammèche intérieure rallumée sur les traces de son passé ? Allons, un mirage seulement ! 

La Clape ? un milieu longtemps ratiboisé par la déforestation, les fours des potiers, des verriers et autres producteurs de chaux nécessitant beaucoup de bois à brûler. Résultat, le couvert dégradé de kermès pour remplacer les chênes verts. Cette garrigue est ensuite restée un milieu ouvert grâce ou à cause du pastoralisme, les nombreux troupeaux paissant la baouco et ne laissant aucun avenir aux jeunes arbres. Le cadre de ce chemin d'école encore présent mais vieux de quelques cent-vingt années était tout autre (encore, à ma connaissance, trois troupeaux au village à la fin des années 50). C'est seulement au bout de plusieurs siècles que, sans qu'on y prêtât attention, le paysage a radicalement changé quand les pins ont joué aux envahisseurs et encore à cause de notre espèce dont le zèle, toujours plus dangereusement libéré des lois de la nature, a imposé ses règles spécieuses basées sur le toujours plus, la concurrence, le profit. Acteurs du cercle vicieux et mortel à terme qu'ils ont promu, les hommes, en effet, violentent et essorent le milieu : ici, ils concassent le clapas (la pierraille) et vont chercher, dans un opportunisme sans scrupule, loin ou profond, une eau dont le manque, lié au changement climatique, fera sauter un jour l'enchaînement du cycle mer-ciel-terre et videra des aquifères fossiles... Que penser, par exemple, non loin de nous, et dans l'espace, de ces déserts qui firent de l'Arabie de Saoud un pays exportateur de blé ?!?! Incroyable non ? 

Revenons aux vignes de Fleury, dans la garrigue, les coteaux, la plaine, où celui qui ne met pas sa vigne sous perfusion n'est plus dans la course... Tant pis si, comme pour le pétrole ou l'atome, la question de l'eau reste encore pour ceux qui viendront après... "Après moi le déluge", et ailleurs la désertification du "je m'en lave les mains". Et que ceux qui n'ont que le fric et la dette en bouche soient bannis sur une île où ils pourraient s'entredévorer ! 

La campagne de Camplazens entourée de son vignoble.

Mais là, en voyant Camplazens campé dans son vignoble, bien sûr que nous sommes à des lieues de ces catastrophes annoncées et il s'agit de longer le plus discrètement possible, sans penser à ce goutte-à-goutte qui n'apporterait que de l'eau... Aïe, une voiture et ils sont trois à ausculter, à se consulter, dans une rangée... Plutôt aller à la rencontre que de prendre la poudre d'escampette tel un suspect potentiel. 

"Bonjour messieurs, vous préparez les vendanges ? 

~ Oh ce ne sera pas terrible cette année... " 

Ils sont aimables, souriants, pas sur la défensive, à l'image du domaine sans clôture, sans panneau d'exclusion. Je demande comment rejoindre la barre. Ils ne sauraient me dire sinon, vaguement, qu'il faut aller plus haut, toujours plus haut, vers le soleil du matin, sans préciser avec hauteur que je pénètre leur bien, une propriété privée... Justement, entre la garrigue et les souches, un large no man's land défriché mais qu'il serait peu productif de planter, monte vers une éminence. 

... toujours plus haut vers le soleil du matin...
 
Le radôme du Plan de Roques au loin.

Curiosité et espoir de la bonne surprise interfèrent : on voit la ligne de la barre, côté pente douce, sous un ciel plus aveuglant encore et, à droite, pour se situer, le radôme de l'armée au Plan de Roques. Plus bas, un chemin à gauche devrait permettre de contourner sans traverser les vignes, sans abuser de l'amabilité ambiante. Bonne idée avec un soleil qui, avec les heures, ne fait pas semblant : le long de ce chemin en transversale, des pins et une garrigue touffue en tempèrent l'ardeur. Au bout, hélas, caché dans les broussailles, les épines, un ravin à sec, de ces ruisseaux excessifs, rageurs seulement lors d'un orage ou épisode méditerranéen. Passer en force n'est pas envisageable : je n'ai plus ni l'âge, ni la motivation ni la tenue pour... même les sangliers se ménagent des pistes. L'obstacle oblige à presque un retour en boucle, par le bord des vignes qui plus est... Même hors de vue de la campagne, il n'est pas bon d'abuser du bon vouloir des possédants. 

Fleurs...

... et fréjal.

 En amont, peut-être à un kilomètre, pourtant, un accès marqué par un passage de roues. Un raidillon ponctué régulièrement par les abris de pierres ou de palettes des chasseurs de palombe lors des passes d'automne. On comprend mieux pour les roues, celles des "quaquatre" comme le dit Nadau, le troubadour des Pyrénées, en présentant "Saussat", sa chanson en occitan (voir "Chemin d'école", épisode 3). Dans les clapasses, les pierriers, quelques fleurs compensent, de leurs touches de couleur, la grise sévérité du fréjal.   

Et là haut, toujours plus haut, cette lumière puissante, tant sur le paysage que sur mon passé...

 


mardi 16 avril 2019

LE DERNIER AFFLUENT (2ème partie) / Fleury d'Aude en Languedoc.


Un cours d'eau part bien de "l’Étang desséché de Fleury" pour aller rejoindre l'Aude au nord de la Pagèze, au pied de l'ultime promontoire de la Clape. Carte de Cassini / XVIIIème siècle.

A cheval entre les communes de Narbonne, Armissan et Fleury, à une centaine de mètres d’altitude, le Ruisseau de Cascabel, empêché vers la mer, ne peut que s’épancher vers l’ouest.

Comme lui, de nombreux apports intermittents, liés aux orages ou aux aigats (épisodes méditerranéens), arrivent de la Cresse, cette échine aujourd’hui boisée mais longtemps pelée surtout suite à un incendie de l‘été (début des années 60), furieusement poussé par un Cers violent et qui a dévasté la garrigue jusqu’en haut de Saint-Pierre où des bouteilles de gaz ont explosé dans les baraques évacuées. 

Au loin la Cresse après l'incendie (début des années 60)

L'aspect pelé de la garrigue de Fleury (années 50).
 
La Cresse ( nov 2018).

La Cresse ; au fond le château de Marmorières (nov 2018).


Les pins ont recolonisé la garrigue, favorisés peut-être par l’évolution sensible du climat. En comparant les photographies de 1950 avec la situation actuelle, force est de constater combien la période récente a été favorable au pin d’Alep. A ce propos relire ces articles de novembre :



https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2018/11/les-envahisseurs-fleury-daude-en.html

https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2018/11/les-envahisseurs-fin-fleury-daude-en.html   



Le Ruisseau de Cascabel devenu Ruisseau de la Cave Maîtresse, venu des garrigues des Bugadelles (est) contribue à alimenter l’Étang de Fleury. Y participent aussi les ravins venus de la Cresse (sud), au nord du domaine de Camplazens, ceux qui descendent des hauteurs de Marmorières et de la Font de la Lèque (sud-ouest). On peut citer aussi le rajol de la Combe du Léger, à mi-hauteur, à l’Est (voir sur la carte).  

Source IGN / Geoportail.


L’étang occupe une cuvette fermée de 200 hectares environ pour un remplissage moyen. Il devait être permanent puisque des vestiges d’habitations lacustres sur pilotis ont été trouvés au sud de Tarailhan. A l’Age du Fer, ce sont des coquillages, des hameçons et des pesons (poids) de filets de pêche qui ont été trouvés. La Clape était alors arborée de chênes verts et ce couvert forestier contribuait aux apports réguliers en eau de l’étang.

Ce sont les activités humaines qui ont perturbé ce bel équilibre. Les fours des potiers, des verriers, liés aussi à la production de chaux, nécessitant toujours plus de bois de chauffe, ont amené à la disparition des chênes (il en reste quelques ilots ça et là). La formation végétale qu’est la garrigue résulte de la dégradation de la forêt primitive de chênes verts.

Le lac poissonneux s’est peu à peu asséché puis mué en marais insalubres ; en réaction, les habitants œuvrèrent pour assécher, drainer, régulariser les excès et acheminer les eaux. (1)



L’étang en quelques flashs et instantanés sépia, noir et blanc et couleur :



* "... le Cercle (de l’Étang) en descendant à gauche « lou camin de vouleurs » à l'endroit où certains estrandgés ont élu domicile : cette vigne nous donna des pois et des pois chiches entre 1940 et 1944. Elle jouxtait la vigne de Germain Rey où fleurirent plus tard des rangées de poiriers, où je parlai une fois avec le grand-père de Germain et Janine, qui allait se pendre dans un puits à un âge très avancé. Et de l'autre, la grande vigne de Joseph Barbe, le grand-père de Jacquie, notairesse à Cuxac, vigne qui, disait-il, « lui tenait des cingles jusqu'à la Noël ». / (un « single » est un grappillon)..." (2)

L’Étang vu depuis le terrain de rugby au nord. Au fond la Cresse / Diapo de François Dedieu : match de rugby féminin (1973).


* "... A des spectateurs qui lui reprochent de ne pas venir marquer la touche assez vite, Lolo Billès, levant son drapeau :

«  Et lou ventre !.. » (2)

* A Tarailhan, un petit immigré, il s'appelle Manu. Il se voit, tel Don Quijote de son pays perdu, monter à l'assaut de ce moulin sur la colline, au fond de l'étang, ce moulin qui le nargue et garde le mystère du village caché derrière...



* l’Étang de Fleury, fin février, derrière le terrain de rugby. Il y a Rolland, Max, José. Sous un soleil déjà printanier, nous courons par les vieux ponts de pierre qui passent les fossés que nous longeons. Par dizaines, les alouettes montent dans le bleu du ciel, si musiciennes et s’il vous plait avec l’accent car l’alouette apprend ses morceaux des adultes. Depuis quand n’ai-je plus entendu les trilles des alouettes ? 
  

* au cimetière, une plaque émouvante, en hommage à la mère, et l’Étang qui apporte un plus aux petits profits, ramassages et autres cueillettes de saison, dans la garrigue ou à la mer :


„A nὁstra maire
Que nos donèt a conneisser
los pὁrres de las vinhas,
la salada dels marges,
las èrbas de l’estanh...
e la lenga de nὁstre païs.“


(1) Ces données sont largement inspirées et guidées par Les Chroniques Pérignanaises (De Pérignan à Fleury / 2009) qui ont consacré quatre pages bien documentées sur l’Étang de Fleury ou de Tarailhan.  
(2)   Caboujolette / Pages de vie à Fleury / 2008 / François Dedieu.