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mardi 29 octobre 2024

PROVENCE DU RHÔNE (10) le “ fait libre ” (3)

Avec Vedène, petite ville rappelant, certainement à dessein, faut demander à Daudet, ce coquin de Tistet Védène, tourmenteur de la brave mule du pape, la défense du provençal, de l'occitan, atteint une portée fétide, ne serait-ce que d'un point de vue personnel ; la primauté initiale donnée au fondamentalisme religieux dans la défense de la langue va pousser Marius Jouveau (1878-1949), capoulié du Félibrige, à promouvoir auprès de Pétain une pédagogie “ fédéraliste ” au sein de la révolution nationale... Une seule circonstance atténuante pour ce courant réactionnaire concernant ceux qui ont survécu dans leur chair à l'horreur de la “ Grande Guerre ”... Jouveau a réchappé à cinq années de mobilisation (1915-1919). 
L'engagement culturel de Robert Allan (1927-1998), poète d'expression occitane, se démarque de cette vieille France... rance.  

Velleron. Une mention pour Jean Frisano (1927-1987) créateur de milliers de couvertures (Tarzan, westerns...). 

Vue_aérienne_2_JP_Campomar 2004 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license Author OT Avignon

En Avignon, à l'image du Rhône et de la Durance, confluent bien des courants culturels voire traditionnels. De la grande musique contemporaine à la chanson, Olivier Messiaen (1908-1992), Fernand Sardou (1910-1976) Mireille Mathieu (1946-), aux écrivains Henri Bosco (1888-1976), Pierre Boulle (1912-1994) non sans citer des “ électrons ” plus divers tels Jules-François Pernod (1827-1916) à ne pas confondre bien qu'également dans l'absinthe, avec les Pernod de Pontarlier ; sinon, en politique, Bernard Kouchner (1939-). 
Or, pour avoir couché sur le papier une comparaison osée sur la Voie Lactée et ses planètes deux à quatre fois moins nombreuses que ses soleils, la ville d'Avignon fait tourner autour du Félibrige une génération spontanée de poètes satellisés, de Félibres défenseurs d'une vieille langue antérieure au français, l'occitan dans sa déclinaison provençale. 

Né en Avignon, Paul Giéra (1816-1861), notaire poète, se trouve à l'origine, avec Joseph Roumanille (1818 St-Rémy-1851) et Théodore Aubanel (1829 Avignon-1886) d'un mouvement fortement appuyé sur un catholicisme de rigueur. Un conservatisme certain marque donc le Félibrige (Aubanel en paya le prix fort) : concernant la date de la fondation, plutôt que de mettre en avant le 21 mai 1854, c'est Estelle, la sainte du jour, qui est retenue.  

La Copa Santa Louis Guillaume Fulconis, la Copa santa, copa d'argent que Balaguer oferiguèt à Mistral 2011 under the Creative Commons CC0 1.0 Universal Public Domain Dedication Author Capsot

Sainte, sainte, sainte : en fait, ce mot seul interroge et stigmatise cet attrait, cette dévotion soumise à la religion, à l'Église, un mot qui vient pratiquement parasiter les circonstances qui ont vu nos félibres offrir l'hospitalité au poète catalan Victor Balaguer, exilé par la reine Isabelle II pour motif politique. Touché par le geste, Balaguer va offrir une coupe en argent aux Provençaux ; mis au courant avant le banquet, Frédéric Mistral (1830 Maillane-1914) compose la Cansoun de la Coupo qui répondra avec brio au discours passionné de Balaguer. Mistral, fédéraliste, est avant tout solidaire du poète catalan... Ils vont se la passer, cette coupe, emplie du vin de Mathieu, le compagnon de Châteauneuf-du-Pape, en chantant... De là à conforter dans les esprits que cette coupe est sainte... La chanson n'a rien de bigot mais se retrouve corsetée par tout un protocole. Les félibres conviennent qu'il faut être debout pour certains couplets, assis pour d'autres, que les applaudissements sont bannis, bref des conventions d'ancien régime afin d'affermir un pouvoir, un ordre social aussi guindés que séculaires... Néanmoins, reprise dans les tranchées de 14-18, la chanson est considérée par certains en tant qu'hymne occitan. 

En dehors du fait que les circonstances ont rapproché un temps la Provence et la Catalogne, entre les terriens conservateurs du Midi et le prolétariat ouvrier catalan, l'anarchisme même début XXe, le clivage est certain : hors le fédéralisme, l'alliance ne pouvait être que culturelle entre langues sœurs. Est-ce cette dichotomie qui a finalement profité au chant plus fédérateur Se Canto, attribué à Gaston Fébus (XIVe s.), composé alors que la langue en deçà et au-delà des Pyrénées était la même ? (à suivre)    

lundi 14 octobre 2024

PROVENCE RHODANIENNE (7) La Mule du Pape.

Force est de constater que le petit âne gris du mas et des transhumances passe avant la mule du pape. Ma foi avec tout le pastis que nous ont causé ces souverains pontifes, toutes les richesses dont ils ont abusé aux dépens des humbles, plutôt parler de la Mule avant de parler de leurs saintetés. En cela, n'oublions pas Joseph, père de Marcel Pagnol, héros de La Gloire de mon Père, anticipant de montrer sa largeur d'esprit à l'oncle Jules : 

« ... Non, je ne lui parlerai pas de l'Inquisition, ni de Calas, ni de Jean Huss, ni de tant d'autres que l'Église envoya au bûcher ; je ne dirai rien des papes Borgia, ni de la papesse Jeanne !... » La Gloire de mon Père, 1957, Marcel Pagnol. 

Carte_du_Comtat_Venaissin.svg 2014 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license Auteur Oie blanche


De même, de mon côté, je ne parlerai pas du Comtat Venaissin volé au Comte de Toulouse (1274) pour récompenser l'Église de sa croisade barbare contre les Bons Hommes (Albigeois). Rien non plus sur Avignon la ville, achetée par les papes en 1348. Que ce choix de ne pas vulgariser soit exprimé avec un grand respect pour les professeurs agrégés d'Histoire (un des concours les plus durs qui soient et si mal payé en retour...), dans le secondaire puis le supérieur sinon en tant qu'historiens... Qu'on me pardonne si je me cantonne à seulement citer Henri Virlogeux jouant Jean XXII dans Les Rois Maudits à la télé (1972). 

Les Lettres de mon Moulin 1954... pardon, les ayant-droits pour le © écorné... 

Autant rappeler Daudet encore, Alphonse, avec ses Lettres de mon Moulin. Avant le film de Pagnol, Trois Lettres de mon Moulin, 1954, plus tard au cinéma du village, le livre m'avait ravi. Il se déguste par tranches, à chacun des âges de la vie, la Mule du pape venant bien après la Chèvre de Monsieur Seguin et le Secret de maître Cornille... d'ailleurs, hier seulement, j'ai découvert dans le prologue « Ce que c'était que mon moulin », que le moulin emblématique de ses Lettres n'avait jamais été à lui... Le charme continue d'agir... les illustrations de Pierre Belvès (1909-1994) y ont une part magnifique.  

Sinon, d'après Daudet, le pape de la mule, Boniface (1), était du genre débonnaire et aimable. Il l'aimait sa mule, la soignait, lui portait tous les soirs un bol de vin aux aromates. Tistet Védène, un galopin du cru, pour se faire bien voir, à l'idée du rapport qu'il pourrait en tirer, se mit, auprès du pontife, à brosser la mule dans le sens du poil. Promu dans la maîtrise papale où n'entraient que les Grands, la charge du bol de vin lui échut sauf que la mule n'en sentait plus que l'odeur. Tistet et sa bande vidaient le bon vin puis grisés taquinaient, montaient la mule, tirant sa queue ou ses oreilles. N'en voulant qu'à Tistet, la bête prenait sur elle. Le jour où ce vaurien la fit monter en haut d'un clocheton, lui, la méchanceté succéda aux taquineries. Il fallut des cordes, un palan, une civière pour redescendre la mule humiliée. Parti à Naples, devenu bel homme, Tistet revint néanmoins en Avignon demander la succession de la charge de moutardier... De la part du bon Saint-Père, comment refuser à celui qui continuait à tant aimer sa mule ? 

Tistet vu par Pierre Belvès... magnifique... à en paraître ici sans respect du copyright... 

Belle cérémonie en effet. Sur le point de monter recevoir ses insignes auprès du pape, Tistet ne manqua pas de coller deux tapes amicales sur la croupe de la mule en bas des marches, prête à partir ensuite à la vigne de Château-Neuf, prête aussi à se venger enfin. 

« [...] Et elle vous lui détacha un coup de sabot si terrible, si terrible, que de Pampérigouste même on en vit la fumée, un tourbillon de fumée blonde où voltigeait une plume d'ibis ; tout ce qui restait de l'infortuné Tistet Védène ! [...] celle-ci était une mule papale [...] elle le lui gardait depuis sept ans... » Lettres de mon Moulin, La Mule du Pape, 1869, Alphonse Daudet.        

Ah ! mercredi je regarde Michel Piccoli dans Habemus Papam ! un pape avec au moins autant d'humanité que Boniface...     

(1) Pas un Boniface n'ayant été pape à Avignon, Daudet le présente non sans finesse :  «... Il y en a un surtout, un bon vieux, qu’on appelait Boniface… Oh ! celui-là, que de larmes on a versées en Avignon quand il est mort !... » Lettres de mon Moulin 1869. 





lundi 13 mai 2024

Teodor AUBANÈU et sa grenade mûre entr'ouverte...

Pomegranate_flower_and_fruit 2006 public domain AuthorNo machine-readable author provided. Xenon 77 assumed (based on copyright claims).

Théodore Aubanel (1829-1886) né et décédé à Avignon, fut imprimeur et poète d'expression provençale occitane. Majoral, avec Mistral et Roumanille, il est des trois piliers du Félibrige. D'éducation et de tradition catholiques, il reste pourtant un poète de l'amour. En 1860, « La MIOUGRANO ENTRE DUBERTO », la grenade entrouverte, reçoit un accueil chaleureux. S'il y chante son amour pour Zani, sa devise « Quau canto soun mal l'encanto » (Qui chante son mal l'enchante) peut déjà présager d'une suite pathétique. 

Punica_granatum 2008 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Autor Luis Fernandez Garcia

La grenade dans sa perception propre du grenadier. L'arbre, il le voit sauvage, de rocaille, loin des hommes, près de Dieu ; il en décrit la fleur de sang toute d'amour et de soleil, le beau fruit chatoyant aux « mille graines de corail » dans son calice rouge ; une vision certes épicurienne mais faisant long-feu, le motif officiel de sa publication étant la perte de l'amoureuse partie au couvent. Ils n'ont pas su, pas voulu se trouver...  

En partie I « LE LIVRE DE L'AMOUR ». Sauf que le premier poème relatant un amour de troubadour pour la comtesse de Die, prend prétexte de sa piété, de sa prière pour se prolonger par 

« Ah ! si mon cœur avait des ailes, sur tes lèvres pâles.../...te ferait cent baisers et cent caresses...». 

Et elle de lui répondre qu'elle veut se faire nonne. Aubanel n'en finit pas de citer bon nombre de ceux qui virent leur amour déçu, tels Dante ou Mistral. Enfin, bien des poncifs poétiques aussi : violettes, oiseaux, rossignol, hirondelles, feuilles nouvelles, tendre verdure, farandole de jouvencelles et jouvenceaux, ombre fraîche et toujours un renvoi qui se répète 

« O moun cor, perqué sies pas mort ? » O mon cœur pourquoi n'es-tu pas mort ? 

Clara, une autre aussi, en -a, (pardon de n'avoir pas noté) persistent à trop lui rappeler Zani, Jenny de son prénom.  

Teodòr_Aubanèu occitan writer o va dises planatal  the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International, 3.0 Unported, 2.5 Generic, 2.0 Generic and 1.0 Generic license. Scanné et posté en 2011 par Jfblanc

Aubanel a titré son livre II (1) « ENTRELUSIDO », l'entre-lueur, une éclaircie peut-être. Il y a bien les cocons de soie qu'il faut ébouillanter afin d'en tirer le fil, il y a bien ces tableaux rustiques à la Millet, la fauche du blé, ces scènes de famille, de bébés qui naissent et au sein mais toujours, dans les scènes, de jeunes couples, d'une gémellité rappelant les “ bessouns ”, les naissances jumelles peu rares chez les brebis et plutôt bien reçues dans les familles, y aurait-il une bouche de plus à nourrir. L'approche, néanmoins, en est plus distante, moins tactile. Comme par contrition, Aubanel livre des poèmes sur Jésus, sur la Vierge autrement vierge que les jouvencelles aux joues rosées de son plaisir des yeux et des mots. 

Livre III : « LOU LIBRE DE LA MORT ». L'automne. au milieu des tableaux campagnards, le berger qui rentre ses moutons, les coups de fusil des chasseurs, les paysannes qui tressent l'ail, les pauvres, les petits qui ont faim, la mère qui les pousse à dormir, l'orpheline qui demande l'aumône ; le bébé qui semble sommeiller mais c'est la mort qui lui a fermé les yeux et la mère ne veut pas qu'on lui emporte son enfant... Toussaint. un autre enfant, écolier déjà, content de sa nouvelle blouse noire : il croit que sa mère dort, on lui a dit... Le bourreau sans état d'âme qui doit couper des têtes ; un vieux " serre piastres " refusera-t-il la fille de seize ans que la mère vend pour avoir des sous ? Un chien n'arrête pas de hurler à la mort, « aboiement qui gèle les moelles » ; un poème corrélé au suivant sur le massacre des nouveaux-nés par le roi Hérode... 
 
Pomegranate_(opened) 2020 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Author Ivar Leidus
    
C'est vrai qu'en occitan, il faut lire et reprendre pour, à chaque passage, glaner quelques grains comme on le fait après avoir, d'une bouchée, happé les rangs rubis d'un quartier de grenade, comme on le fait, à chaque automne qui vient, tant que nous sommes encore là...  

(1) dans la chanson de Noce, répété quinze fois, le refrain est plus long que les deux vers parfois écourtés des couplets.   

mardi 10 décembre 2019

BATAILLE DE LA BERRE (Auguste Ditandy / Lectures variées sur le département de l’Aude 1875)

Les Sarrasins, maîtres de la Septimanie depuis l’an 720, faisaient de fréquentes et terribles irruptions dans toutes les parties de la Gaule. En 721, conduits par El Samah, ils avaient formé le siège de Toulouse, mais avaient été repoussés par Eudes, duc d’Aquitaine, avec de si grandes pertes que leurs historiens appelèrent la route de Toulouse à Carcassonne la route des martyrs. 
En 725, leur général, Ambessa-ben-Soheim, remonta le cours du Rhône et de la Saône, entra en Bourgogne et pénétra jusqu’à Autun, qu’il saccagea et détruisit entièrement. 
Abd-el-Rahyman, renouvelant la tentative d’El-Samah, se jeta sur l’Aquitaine, prit Bordeaux de vive force, anéantit l’armée du duc Eudes sur les bords de la Dordogne, et après avoir ravagé le Périgord, la Saintonge, l’Angoumois et le Poitou, se disposait à pousser jusqu’à Tours, dans l’espérance de s’enrichir du pillage de la célèbre église de Saint-Martin, lorsqu’il fut écrasé à son tour près de Poitiers, par Charles Martel. 
En 736, appelés en Provence par le duc Madronte, qui voulait se soustraire à la brutale domination des Austrasiens, les Sarrasins s’emparent d’Arles, d’Uzès, de Viviers, exercent en Provence et jusqu’en Bourgogne, d’épouvantables ravages et font d’Avignon leur seconde place d’armes.

Charles Martel était alors occupé à combattre les Saxons. A cette nouvelle, il accourt, avec son frère Childebrand, emporte Avignon d’assaut, passe tous les Sarrasins au fil de l’épée, pille la ville et la réduit en cendres (737). Il va mettre aussitôt le siège devant Narbonne, centre de la puissance musulmane dans la Septimanie, puis, apprenant qu’une armée de secours, envoyée par le gouverneur sarrasin d’Espagne, venait de débarquer sur les côtes, il marche à sa rencontre pour lui livrer bataille. 

Portel_Notre-Dame_des_Oubiels wikimedia commons Autor ArnoLagrange
Charles trouva l’armée ennemie campée dans une vallée des Corbières, près d’un ancien palais que les rois wisigoths avaient fait bâtir autrefois et qui portait le nom de ce pays. Amoroz, qui commandait les Sarrasins, s’était posté avantageusement sur les bords de la rivière de Berre, entre Ville-Salse et Sigean, à une demi-lieue de la mer, à sept milles au sud de Narbonne.

Charles se vit à peine en présence des ennemis qu’il fondit sur eux avec sa fougue habituelle, sans leur donner le temps de se reconnaître.  Les bandes légères des Sarrasins, quoique surprises, soutinrent d’abord avec fermeté le choc des lourds escadrons austrasiens. Mais la valeur irrésistible de Charles Martel décida bientôt de la victoire. Il tua de sa main le général ennemi. Aussitôt, saisis d’épouvante, les infidèles prennent la fuite. Les Franks les poursuivent vivement et en font un horrible carnage. En vain les fuyards cherchent à regagner leurs vaisseaux et se jettent précipitamment dans l’étang voisin pour se sauver à la nage ; les Franks, s’emparant de quelques barques, les suivent dans l’étang, les frappent de leurs piques ou les enfoncent dans l’eau : presque tous furent tués, noyés, ou faits prisonniers.

Charles Martel revint sous les murs de Narbonne, triomphant et chargé de dépouilles ; mais ennuyé de la longueur du siège de cette ville, et rappelé dans la Nord par la mort du roi Thierry IV, il abandonna la Septimanie, qu’il eût pu conquérir, brûlant et détruisant tout sur son passage, et ravageant cette malheureuse province, presque autant que les Sarrasins eux-mêmes, sous prétexte de leur ôter tout moyen de nuire.  

mercredi 4 décembre 2019

737. CIRCONSTANCES DE LA BATAILLE DE LA BERRE / colonisation et islam


Aude, La Berre, seen from route D6009 bridge Author Maarten Sepp

La Berre, un petit fleuve même pas côtier car n’atteignant pas la mer, se jetant dans le sud de l’Étang de Bages et de Sigean dont il faudrait, pour cette embouchure, inverser les termes. Comme tous les cours d’eau de notre pourtour maritime (nous venons tristement de le constater puisque les deux épisodes méditerranéens qui viennent, dans l’espace d’une semaine seulement, de toucher le Var et les Alpes Maritimes, ont causé plusieurs victimes) la Berre a connu, en novembre 1999, sa crue peut-être millénaire avec des dégâts inimaginables pour les habitants et l’histoire avec les ponts emportés dont celui du château de Cascastel pourtant vieux de 800 ans.  

Cascastel Château et pont wikimedia commons Autor ArnoLarange
 
Le temps et l’Histoire coulent avec la Berre. Pour preuve, l’oppidum préromain de Pech Maho peut-être du peuple Elysique (700 av J.C., 120 av J.C.) ainsi que le cadre injustement méconnu de la Bataille de la Berre, en 737, entre les Sarrasins occupant Arbuna (Narbonne) depuis presque vingt ans et les Francs de Charles Martel. 

L’évocation des circonstances, après avoir défriché et éclairci le sujet nous rapproche des faits.
Les Sarrasins, en effet, après une conquête éclair de l’Espagne wisigothique sur 3-4 ans seulement, passent les Pyrénées et menacent l’Occident Chrétien. Notre chronologie est non seulement marquée par la perte de Narbonne mais aussi par celle de Carcassonne (725) et Nîmes malgré la victoire d’Eudes, duc d’Aquitaine, à la Bataille de Toulouse (721). Les années qui suivent sont marquées par leurs razzias et pillages (Lérins, Bourges, Autun, Langres, Lyon). Plus grave est la menace d’une occupation plus vaste suite à la défaite d’Eudes à Bordeaux (731). Le duc demande alors l’aide de son ancien ennemi, Charles Martel, subregulus, roi en second des Francs, qui va les arrêter à Poitiers (732). En Provence, un autre duc, Mauronte, lésé par rapport aux grandes familles alliées à Charles Martel et bénéficiaires des confiscations consécutives au succès des Francs depuis Lyon, se soumet au wali de Narbonne en échange de son aide et lui livre Arles.

« … les anciens comtes dépossédés et les grands propriétaires laïques se rallièrent aux Arabes contre les Franks, leurs spoliateurs… »

A Avignon aussi, la garnison franque est chassée ou exterminée avec la complicité des habitants. De là les Sarrasins remontent jusqu’à Lyon mais Charles Martel fond sur eux et les fait refluer dans les murs d’Avignon où, malgré les défenses, ils périssent « par le fer et la flamme ». De là, plutôt que de libérer la Provence, Charles, en fort stratège, choisit d’attaquer Narbonne, le cœur stratégique des possessions arabes au nord d’Al Andalus.    

« …   il tenta une entreprise plus hardie et plus décisive que la conquête de la Provence : il marcha par le pays des Goths droit à Narbonne, et pressa avec une extrême vigueur le siège de ce chef-lieu des établissements arabes en Gaule. Les walis musulmans n’avaient rien épargné pour fortifier Narbonne et la mettre à l’abri de toutes les attaques… » 

Citation ainsi que la précédente tirée de « Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en 1789 » Tome 2, Henri Martin, 1860. 

Charles Martel lors de ce qui est aussi appelé "la bataille de Tours" puisque près de Poitiers, en 732, il arrêta les Sarrasins prêts à piller le riche sanctuaire dédié à Saint Martin.