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lundi 14 octobre 2024

PROVENCE RHODANIENNE (7) La Mule du Pape.

Force est de constater que le petit âne gris du mas et des transhumances passe avant la mule du pape. Ma foi avec tout le pastis que nous ont causé ces souverains pontifes, toutes les richesses dont ils ont abusé aux dépens des humbles, plutôt parler de la Mule avant de parler de leurs saintetés. En cela, n'oublions pas Joseph, père de Marcel Pagnol, héros de La Gloire de mon Père, anticipant de montrer sa largeur d'esprit à l'oncle Jules : 

« ... Non, je ne lui parlerai pas de l'Inquisition, ni de Calas, ni de Jean Huss, ni de tant d'autres que l'Église envoya au bûcher ; je ne dirai rien des papes Borgia, ni de la papesse Jeanne !... » La Gloire de mon Père, 1957, Marcel Pagnol. 

Carte_du_Comtat_Venaissin.svg 2014 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license Auteur Oie blanche


De même, de mon côté, je ne parlerai pas du Comtat Venaissin volé au Comte de Toulouse (1274) pour récompenser l'Église de sa croisade barbare contre les Bons Hommes (Albigeois). Rien non plus sur Avignon la ville, achetée par les papes en 1348. Que ce choix de ne pas vulgariser soit exprimé avec un grand respect pour les professeurs agrégés d'Histoire (un des concours les plus durs qui soient et si mal payé en retour...), dans le secondaire puis le supérieur sinon en tant qu'historiens... Qu'on me pardonne si je me cantonne à seulement citer Henri Virlogeux jouant Jean XXII dans Les Rois Maudits à la télé (1972). 

Les Lettres de mon Moulin 1954... pardon, les ayant-droits pour le © écorné... 

Autant rappeler Daudet encore, Alphonse, avec ses Lettres de mon Moulin. Avant le film de Pagnol, Trois Lettres de mon Moulin, 1954, plus tard au cinéma du village, le livre m'avait ravi. Il se déguste par tranches, à chacun des âges de la vie, la Mule du pape venant bien après la Chèvre de Monsieur Seguin et le Secret de maître Cornille... d'ailleurs, hier seulement, j'ai découvert dans le prologue « Ce que c'était que mon moulin », que le moulin emblématique de ses Lettres n'avait jamais été à lui... Le charme continue d'agir... les illustrations de Pierre Belvès (1909-1994) y ont une part magnifique.  

Sinon, d'après Daudet, le pape de la mule, Boniface (1), était du genre débonnaire et aimable. Il l'aimait sa mule, la soignait, lui portait tous les soirs un bol de vin aux aromates. Tistet Védène, un galopin du cru, pour se faire bien voir, à l'idée du rapport qu'il pourrait en tirer, se mit, auprès du pontife, à brosser la mule dans le sens du poil. Promu dans la maîtrise papale où n'entraient que les Grands, la charge du bol de vin lui échut sauf que la mule n'en sentait plus que l'odeur. Tistet et sa bande vidaient le bon vin puis grisés taquinaient, montaient la mule, tirant sa queue ou ses oreilles. N'en voulant qu'à Tistet, la bête prenait sur elle. Le jour où ce vaurien la fit monter en haut d'un clocheton, lui, la méchanceté succéda aux taquineries. Il fallut des cordes, un palan, une civière pour redescendre la mule humiliée. Parti à Naples, devenu bel homme, Tistet revint néanmoins en Avignon demander la succession de la charge de moutardier... De la part du bon Saint-Père, comment refuser à celui qui continuait à tant aimer sa mule ? 

Tistet vu par Pierre Belvès... magnifique... à en paraître ici sans respect du copyright... 

Belle cérémonie en effet. Sur le point de monter recevoir ses insignes auprès du pape, Tistet ne manqua pas de coller deux tapes amicales sur la croupe de la mule en bas des marches, prête à partir ensuite à la vigne de Château-Neuf, prête aussi à se venger enfin. 

« [...] Et elle vous lui détacha un coup de sabot si terrible, si terrible, que de Pampérigouste même on en vit la fumée, un tourbillon de fumée blonde où voltigeait une plume d'ibis ; tout ce qui restait de l'infortuné Tistet Védène ! [...] celle-ci était une mule papale [...] elle le lui gardait depuis sept ans... » Lettres de mon Moulin, La Mule du Pape, 1869, Alphonse Daudet.        

Ah ! mercredi je regarde Michel Piccoli dans Habemus Papam ! un pape avec au moins autant d'humanité que Boniface...     

(1) Pas un Boniface n'ayant été pape à Avignon, Daudet le présente non sans finesse :  «... Il y en a un surtout, un bon vieux, qu’on appelait Boniface… Oh ! celui-là, que de larmes on a versées en Avignon quand il est mort !... » Lettres de mon Moulin 1869. 





vendredi 4 octobre 2024

PROVENCE RHODANIENNE (2). Climat, paysage, mythologie et autres...

Deuxième paquet, le climatique. En premier lieu, le Mistral, lou manjo fango, maître vent, de couloir, catabatique un peu, si fort, qui dessèche si vite mais à qui nous devons un air sain, limpide, à l'origine d'une lumière unique, à part : les couleurs de Paul Cézanne, de Vincent Van Gogh en témoignent à jamais. D'un extrême à l'autre, presque à contresens, nous passons à la douceur rafraîchissante des airs marins l'été. 

Episode_cévenol ou méditerranéen 2014 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Auteur Babsy

Quant aux vents qui accompagnent les dépressions mères des épisodes cévenols, s'ils viennent du large, ils s'enroulent finalement  en spirale, en volute, en crosse d'évêque que les reliefs arrêtent. 

Paysage de la_Crau (haies au fond) 2008 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 Generic license. Auteur yves Tennevin from La Garde, France


À évoquer le maître vent, un mot sur les formations végétales : les cyprès (1), isolés ou souvent alignés pour protéger des souffles puissants, desséchants ou exhausteurs du froid que le Mistral porte. Les chênes-verts, les pins d'Alep ou parasol, les arbousiers, les oliviers, comptent également dans les sempervirens. 
Parmi les arbres à feuilles caduques, plantés pour l'ombre voire l'industrie du bois, les micocouliers et platanes. 
Entre les deux, afin de désigner les arbres dont les feuilles ne tombent que très tard, parfois aux portes du printemps, et seulement parce que l'adjectif intrigue et pose problème en orthographe, on peut dire “ marcescent ” pour le chêne pubescent, dit “ blanc ” en Provence... mais le même peut être dit “ noir ” en Périgord... peut-être parce qu'il est truffier ici ou là-bas truffier... 

La mythologie ? une prémisse de réponse au sempiternel questionnement sur notre réalité ici-bas. Jupiter lance les cailloux de la Crau sur les ennemis d'Hercule, le fils, traversant la Provence après avoir ouvert les Alpes. Le christianisme prend le relais en faisant échouer la barque des trois saintes, les Marie Jacobé, Salomé, Madeleine ; une barque déjà pleine de migrants, basse sur l'eau ; en débarquent aussi Marthe qui libèrera les Tarasconais de la monstrueuse Tarasque, les propagateurs Maximin et Lazare, Jacques dit “ le Majeur ”, Jean, Sidoine, les servantes Sara et Marcelle... Entre paganisme et christianisme, des histoires sans queues ni têtes, de dragons multiformes comme la Tarasque ours bœuf, tortue, crocodile, tête de lion aux oreilles de cheval et visage de vieillard... entre nous quel pastis lorsque ces légendes “ dorées ” font état de soixante-douze et non des douze apôtres classiques. 

Illustration Les_trois_Messes_Basses 1886 dans La Belle Nivernaise d'Alphonse Daudet Domaine public.  Auteur Louis Montégut 1855-1906


Lié à la mythologie, le religieux, les papes du Comtat Venaissin et surtout, à travers les auteurs dont Daudet avec les « Trois Messes Basses », une Lettre de son Moulin qui chaque année enchante mon Noël d'abord pour la neige que nous ne cessons de rêver, en notre Bas-Languedoc, ensuite pour le magnifique menu de réveillon : 

« Deux dindes truffées, Garrigou ? »
Et l'Élixir du Révérend Père Gaucher ?  

Le divinatoire avec les Prophéties de Nostradamus... Excusez-moi, Monsieur, je n'ai pas étudié cette leçon... 

Le pastoral avec les moutons, les transhumances et ses petits ânes gris si attachants. 

Les monuments romains, l'art roman provençal, les églises fortifiées jalonnent un poids de l'Histoire pas encore abordé. Sur plus de 500 ans, suite aux victoires et conquêtes de Rome, les villes de Nîmes, d'Arles connaissent leurs apogées... Certes, il est instructif de se faire une idée, serait-elle globale, de tout ce patrimoine historique, pourtant, c'est un attachement plus attentionné et intime, rappelant pour qui le souhaite Joachim du Bellay, qui nous lie à une belle mais humble statue du cheval de trait à Mollégès, à l'ouest des Bouches-du-Rhône, vers le grand fleuve... 

“ Plus mon petit Midi que le monde romain... ” (à suivre)  

Cyprès cimetière Fleury

(1) N'incitent-ils pas à se recueillir, ces hospitaliers du vieux cimetière  ? À Fleury, l'alignement des cyprès du parking de la Salle des Fêtes est mis à mal, ce n'est pas une critique, seulement un constat et sûrement la nostalgie d'une époque où, sans jouer à Tarzan, de bout en bout, nous passions de l'un à l'autre sans mettre pied à terre. 

samedi 28 septembre 2024

PROVENCE RHODANIENNE...

 Avec un clin d'œil à René, Robert, cadets de Ginette, aînés de Jacqueline, puisque leur nom est lié au village du raphia autour d'un fromage de chèvre dans une feuille de châtaignier... sans oublier Francis, le poids-lourd sympa installé dans cette plaine qui me fait tant parler... 

S'il est un lieu de convergence de flux aussi puissants que divers, physiques, géographiques, climatiques, mythologiques, historiques, divinatoires, religieux, culturels, intellectuels, pastoraux, ruraux, c'est bien ce coin que l'appellation « Provence Rhodanienne » essaie de délimiter. 
Dans cette idée de circonscrire, d'y poser sa grille de lecture afin d'en dénicher le fil conducteur, à peine ressent-on le sentiment de mal étreindre que de ces flux, les ricochets débordent plus fort et plus loin encore, sans compter, toute modestie bue, le grain de sel que nous ne pouvons empêcher d'ajouter. Du calme... Soljenitsyne ne disposait-il pas des dizaines de paquets de fiches sur une grande table et autres plans de travail contigus avant d'en réunir le nécessaire sur le petit bureau où le chapitre se construirait ? (encore une fois... en toute modestie...). 
Considérons d'abord que le petit nombre de ces paquets, une petite dizaine seulement semble-t-il, devrait rassurer. Les deux premiers, déjà, n'en feront qu'un, pour la géographie physique. 

Mont Ventoux depuis Bédoin 2014 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license. Author BlueBreezeWiki

Le Rhône à Avignon 2011  under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Author Txllxt Txllxt


Un pays que couronne le Ventoux, le Mont Ventoux, le “ Mont Chauve ” plutôt “ Géant de Provence ”, statique mais en apparence seulement. Un pays que limite le fort débit du fleuve, le Rhône, l'infatigable travailleur, créateur, entre terre et eau, du delta magique. La Durance il faut lui adjoindre, qui dans sa joute œdipienne lui tient tête, avec le dur, sec et pelé de la Crau en réponse au mou, mouillé et touffu de la Camargue. Et puis n'a-t-elle pas bousculé le grand fleuve au point de le pousser dans la faille de Nîmes et vers les étangs de Montpellier ? 

Fontaine-de-Vaucluse 2022 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Auteur Mathieu BROSSAIS

Banon 2009 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license. Auteur Jean-Marc Rosier  httpwww.cjrosier.com + httpwww.gordes-immobilier.com

Le relief encore, impliqué dans les apports liquides puisqu'une bonne part de ce qui s'infiltre sur le Plateau de Saint-Christol-Albion jusqu'à la Montagne de Lure exsurge à la Fontaine-de-Vaucluse, la vallée fermée. 
Relief toujours avec un arrière pays modeste, lui, dans sa quiétude, évoqué dans « La Femme du Boulanger », la mention de la diligence de Banon, pays de truffes et de lavandin, des vers à soie jadis et aussi, aujourd'hui, d'un fromage de chèvre dans une feuille de châtaignier. 
Un mot seulement pour le Luberon, parce que cher à Henri Bosco (son père y est enterré), sinon dénaturé par l'indécence des parvenus du plein-la-vue. 
Et encore les Alpilles, la Montagnette itou, en tant que petits reliefs mais si riches culturellement. 
Enfin la plaine qui a vu passer des peuples, des armées, carrefour nord-sud et est-ouest, d'une fertilité renommée. (à suivre). 
Fromage de Banon 2015 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license. Author Coyau




mercredi 15 novembre 2023

L'ÉTANG JADIS "Des Noëls Blancs aux choses de la vie"

 .../...Ils chantent, habités par la foi, heureux aussi du réveillon traditionnel promis dans les cuisines. La magie de la chapelle émane de son cœur chaleureux perdu sur la montagne alors que la neige tombe... les Noëls Blancs. Pour les enfants d’alors, le rêve a des chances de se réaliser puisque ces histoires ont existé, puisque Daudet raconte... Le cinéma aussi, au village, vous a accompagnés ; entre tous, des films formidables, dont les “ Lettres de mon Moulin ”, trois seulement mais bien rendues, une réussite pour Pagnol, quelques années avant qu’il ne nous livre ses souvenirs d’enfance... Ah ! l’élixir des pères blancs, avec Rellys, un rôle de moine, avant Paul Préboist, addict à la gnôle. 

Élixir_du révérend père_Gaucher Carte Postale ancienne années 1930 Domaine Public


Adolescent, ta personnalité se retrouve à l’étroit dans le carcan sociétal, le corset familial. Les contrariétés et autres insatisfactions fulminent comme les boutons d’acnée. Comment conjurer le marasme ? Les études ? il y faut de la foi. Le sport ? à condition de s’y donner à fond. Les bêtises ? la bêtise est de s’y laisser entraîner.

Les études ? avec l’apprentissage, il n’y a pas de troisième option. À moins d’être bon élève ou assez motivé pour s’en tirer, pas facile si on n’en voit pas la finalité. 

Uva_Italia 2006 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Author Solfano at Italian Wikipedia

Le sport ? se défouler, au moins. Des années, avec ton copain proche, dans un bois du château, une boucle de 400 m malgré un virage à 180 degrés... Vous teniez un cahier, non ? Se battre contre soi-même avec un seul ami, unique soutien... Un joli coin, aux oiseaux, aux écureuils, le renard une fois ; en bas de grands pins, des chênes centenaires bien que modestes sous ce climat... 

Inconscients ! Empiéter ainsi sur le sacro-saint droit de propriété, d’autant plus, qu’une fois, bande de voleurs ! parce qu’elles étaient trop belles, cachées au milieu de plus ordinaires, deux grappes aux gros grains, de ceux, à l’alcool, qu’on sert au Nouvel An. Ce raisin, on l’appelait “ pende ”, ou “ pande ”... tu peux toujours chercher, le Web n’en sait rien (1)... 

Bois de Marmorières avec la Cresse au loin. Diapositive François Dedieu 1967. 

Avec les choses qui fâchent, tu es réticent, pas fier, ça t’embête... Assume, regarde les choses en face... La forme physique incitant à la bêtise, vous étiez trois lascars à la carabine, croquants en chasse sur les terres du comte. Une détonation a suffi pour lancer le garde sur vos traces... Cachés, vous l’avez entendu souffler dans la côte... une chance, il est passé à côté sauf que vous l’avez provoqué, sifflé en détalant dans la descente tels des lapins. Et toi, même seul, tu as trouvé moyen de faire le couillon. Pour une plume de paon, tu t’es introduit dans le parc... Tu t’es pris pour le Grand Meaulnes non ? N’empêche, avec le gazon du tennis, ne manquait qu’une fille à l’ombrelle, en organdi. À parler de fille, aux vendanges, celle du couple, bien roulée et en chair, qui piaulait d’amour, lors de la pause de mi-journée, elle t’a fait fantasmer, hé ? à t'en donner envie, pas vrai ? (à suivre)

(1) Entre parenthèses et sans la couper, pour ne pas froisser celle qui me suit mieux que mon ombre :

— à propos du raisin volé, le copain Max pense qu'il s'agit du Servant (ou Servan), un cépage blanc aussi, aux grappes tardives pouvant se garder jusqu'à Noël voire jusqu'à Pâques si on trempe dans l'eau le bout de sarment coupé avec... Malgré ses baies oblongues, ce raisin a quelque chose de la variété Italia, aux grandes grappes et gros grains, tardive aussi et se prêtant à ce mode de conservation. 

J’en étais là quand Luc, le copain d’enfance m’a remis sur la piste du raisin pendu tenant au moins jusqu’à Noël, d’après lui de variétés indifférentes, à gros grains avant tout (pour nous faire voyager il a cité le Dattier de Beyrouth !). Une image lui reste, vue dans une série d’après Jean d’Ormesson, celle de sarments trempant dans des bocaux, peut-être de ces raisins qui tiennent jusqu’à Pâques. Donc nous dirons “ pende ” et non “ pande ”. Je rappelle, à y être, que mamé Ernestine suspendait des grappes couplées de raisin blanc, se faisant contre-poids de part et d’autre d’une carabène, dans une pièce peu ouverte, obscure et fraîche... tout un art de pendre les moissines...  

mardi 14 novembre 2023

L'ÉTANG JADIS " Enfants des campagnes "

“ Campagnes ” tu disais, “ enfants des campagnes ”, quelques camarades de classe, descendant le matin à l’école du “ Tub Citroën ”, la panière d’osier à la main, le cartable dans l’autre... Pas encore de cantine même si ce service n’allait pas tarder pour les vendanges, mais déjà, près de soixante-dix ans en arrière, un service de ramassage scolaire ! “ Enfant des campagnes ”, Manu t’a raconté, lui, venu de la Mancha, comment il continuait d’imaginer, sur son horizon fermé par les collines, le moulin de Don Quijote cachant notre village, derrière, dans sa cuvette... une vision magnifique qui t’a ravi et te plaît depuis, toujours autant. 


“ Campagne ”, ton grand-père aussi, enfant, venait d’une campagne, plus loin encore, donnant sur la mer. Lui, avait huit kilomètres à parcourir et autant pour le retour, à travers vignes et garrigues, avec la nuit je suppose, l’hiver. Tu scrutes, tu devines sa trace qui coupe la large trajectoire du terrible incendie. Tu le cherches, en bas, le long des vignes, des fossés, à la moitié de son chemin d’école... Tu le vois, tu n’arrêtes pas de rester sur ta faim à toujours sonder même si tu admets le désamour, la relation privilégiée qui n’a pas existé entre vous, grand-père et petit-fils... 

La Cresse sur sa partie épargnée depuis la vigne du Courtal Crémat. 

Il passe, proche de ce qui sera une de ses vignes, le Courtal Cremat, une bergerie brûlée à l’origine, une ruine que des figuiers vigoureux tiennent debout, une terre comme il la qualifiait lui-même, de “ pico-talent ”, littéralement “ donnant faim ”, excitant seulement l’appétit... L’endroit te trouble, d’un autre appétit, un besoin encore à assouvir mais j’attendrai pour t’embêter avec ça : une chronique se doit de ne pas mélanger les époques, on ne s’y retrouverait plus.

Carte postale ancienne par les bons soins de Josette... certainement dans le Domaine Public

L’autre château, plus château encore, avec ses tours chapeautées encadrant trois niveaux aux nombreuses fenêtres, tourné au sud, réchauffe depuis longtemps l’héritier en titre, comte de son état, énième génération. Justement, il regarde la Cresse, d’où l’incendie est parti... Tu le sais tout ça et je te vois inquiet sinon préoccupé. À cause des moulins ruinés ? Ou alors, le pigeonnier ? Ah oui, les pigeons réservés aux nobles... partie la semence des pauvres bougres toujours plus dans la misère... On te connaît à toujours pointer du doigt l’Ancien Régime... ton réquisitoire contre les privilèges et à présent les milliards qui filent, l’évasion fiscale... Psst, psst, là, en pleine garrigue, je vois ce qui t’intrigue : une réalisation symbolique de la quintessence humaine. Je ne te refais pas le topo : l’Europe aux racines certaines, religieuses, chrétiennes, la France fille aînée de l’Église... c’est vrai que vers 7-9 ans, outre le catéchisme, fallait encore aller aux vêpres en plus de la messe dominicale... et là, tu as beau t’en défendre, cette chapelle perdue, loin du monde, te remet en tête tant de choses. Relent ? Nostalgie de la vie d’avant ? Elle te rappelle, encore dans “ Les Lettres de mon Moulin ”, la nouvelle “ Les Trois Messes Basses ”. Si, si, et si tu ne peux t’empêcher de revenir vers les années 60, Daudet, lui, nous téléporte dans les années 1600, avec, concernant les enfants que vous étiez, plus que la gourmandise du révérend avec les deux dindes bourrées de truffes, sans parler de la suite, l’ambiance de la nuit de Noël, les cloches qui carillonnent, la messe de minuit, les familles des métayers qui grimpent vers la chapelle du château, le chef de famille éclairant le chemin. (à suivre)

vendredi 27 octobre 2023

DAUDET, Ode au delta, Lettres de mon Moulin, mardi 11 avril 2017.

Dans les “ Lettres de mon Moulin ”, Alphonse Daudet a su aussi mêler l’avancée grandiose du delta au tragique des destinées humaines. A Mirèio, à Magali, il associe l’Arlésienne, celle qu’on ne voit jamais alors que tout tourne autour du malheur qu’elle cause.

Daudet a sûrement eu le tort de joindre cette nouvelle à ses Lettres. 

Celtis_occidentalis 2021 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Agnieszka Kwiecien, Nova

Aux marges de la Crau, dans un mas aux micocouliers, vit Jan, le fils de maître Estève.

«... Il s’appelait Jan. C’était un admirable paysan de vingt ans, sage comme une fille, solide et le visage ouvert. Comme il était très beau, les femmes le regardaient ; mais lui n’en avait qu’une en tête, ~ une petite Arlésienne, toute en velours et en dentelles, qu'il avait rencontrée sur la Lice d'Arles, une fois. ~ Au mas, on ne vit pas d’abord cette liaison avec plaisir. la fille passait pour coquette, et ses parents n’étaient pas du pays. Mais Jan voulait son Arlésienne à toute force; il disait : 

 Je mourrai si on ne me la donne pas. » 

Arlésienne_1904 Scan old postcard Author Unknown

Hélas, le jour même où on officialise gaiement sa liaison, un homme demande à voir maître Estève, seul à seul. Le soir venu, le père se doit de dévoiler à Jan ce qu’il lui a appris, que la fille est une coquine, qu’elle a été sa maîtresse pendant deux ans, qu’elle lui était promise mais qu’elle et sa famille lui ont tourné le dos quand le fils de maître Estève s’est intéressé à elle.

« Ce soir-là, maître Estève et son fils s’en allèrent ensemble dans les champs... ». Et quand ils revinrent : 


«   Femme, dit le ménager, en lui amenant son fils, embrasse-le ! il est malheureux... »   

Daudet a eu tort de joindre cette nouvelle à ses Lettres : elle s’inspire directement de la triste fin d’un neveu de Mistral et c’est Mistral lui même qui s’en est confié. La publication d'une intimité à ne pas mettre au grand jour pèse certainement dans le froid à venir entre les deux hommes... 

Alphonse_Daudet 1840-1897 Domaine public Auteur Nadar - Rue d´ Anjou, 51 Paris.


vendredi 20 octobre 2023

EN CAMARGUE / II La Cabane /Alphonse Daudet. (fin)

 «... La nuit, quand le mistral souffle et que la maison craque de partout, avec la mer lointaine et le vent qui la rapproche (1), porte son bruit, le continue en l’enflant, on se croirait couché dans la chambre d’un bateau. 

Gardian Camargue_Cabane début_XXe_s Carte Postale ancienne Domaine Public


Mais c’est l’après-midi surtout que la cabane est charmante. Par nos belles journées d’hiver méridional, j’aime rester tout seul près de la haute cheminée où fument quelques pieds de tamaris. Sous les coups du mistral ou de la tramontane, la porte saute, les roseaux crient, et toutes ces secousses sont un bien petit écho du grand ébranlement de la nature autour de moi. Le soleil d’hiver fouetté par l’énorme courant s’éparpille, joint ses rayons, les disperse. De grandes ombres courent sous un ciel bleu admirable. La lumière arrive par saccades, les bruits aussi ; et les sonnailles des troupeaux entendues tout à coup, puis oubliées, perdues dans le vent, reviennent chanter sous la porte ébranlée avec le charme d’un refrain… L’heure exquise, c’est le crépuscule, un peu avant que les chasseurs n’arrivent. Alors le vent s’est calmé. Je sors un moment. En paix le grand soleil rouge descend, enflammé, sans chaleur. La nuit tombe, vous frôle en passant de son aile noire tout humide. Là-bas, au ras du sol, la lumière d’un coup de feu passe avec l’éclat d’une étoile rouge avivée par l’ombre environnante. Dans ce qui reste de jour, la vie se hâte. Un long triangle de canards vole très bas, comme s’ils voulaient prendre terre ; mais tout à coup la cabane, où le caleil est allumé, les éloigne : celui qui tient la tête de la colonne dresse le cou, remonte, et tous les autres derrière lui s’emportent plus haut avec des cris sauvages.

Bientôt un piétinement immense se rapproche, pareil à un bruit de pluie. Des milliers de moutons, rappelés par les bergers, harcelés par les chiens, dont on entend le galop confus et l’haleine haletante, se pressent vers les parcs, peureux et indisciplinés. Je suis envahi, frôlé, confondu dans ce tourbillon de laines frisées, de bêlements ; une houle véritable où les bergers semblent portés avec leur ombre par des flots bondissants… Derrière les troupeaux, voici des pas connus, des voix joyeuses. La cabane est pleine, animée, bruyante. Les sarments flambent. On rit d’autant plus qu’on est plus las. C’est un étourdissement d’heureuse fatigue, les fusils dans un coin, les grandes bottes jetées pêle-mêle, les carniers vides, et à côté les plumages roux, dorés, verts, argentés, tout tachés de sang. La table est mise ; et dans la fumée d’une bonne soupe d’anguilles, le silence se fait, le grand silence des appétits robustes, interrompu seulement par les grognements féroces des chiens qui lapent leur écuelle à tâtons devant la porte…

La veillée sera courte. Déjà près du feu, clignotant lui aussi, il ne reste plus que le garde et moi. Nous causons, c’est-à-dire nous nous jetons de temps en temps l’un à l’autre des demi-mots à la façon des paysans, de ces interjections presque indiennes, courtes et vite éteintes comme les dernières étincelles des sarments consumés. Enfin le garde se lève, allume sa lanterne, et j’écoute son pas lourd qui se perd dans la nuit… ». 

(1) Daudet confond avec le marin tel celui que nous avons eu, en tempête, cette nuit du 19 au 20 octobre 2023. 

Barraca_tradicional_del_Delta_del_Ebro 2005 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Author Pixel 


jeudi 19 octobre 2023

EN CAMARGUE / II La Cabane / Alphonse Daudet. (1)

C'est un peu le “ qui se ressemble s'assemble ”... à première vue une lapalissade puisque la focale est mise sur un Sud concret, thème transversal, sujet principal, corps incontournable serait-il subjectivement proposé... Une approche certes personnelle mais étayée en premier lieu par le contexte isobarique de la Méditerranée nord-occidentale, présentant souvent des centres dépressionnaires qui attirent de forts flux d'air en provenance de zones plus tranquilles au nord et à l'ouest. Dans ce cas de figure, l'encaissement plus ou moins marqué des couloirs rhodaniens, audois et de l'Èbre chez nos voisins catalans provoque une accélération des vents, Mistral et Cers, attirés par la mer plus chaude (peut-être un effet venturi). Deuxième ressemblance bien marquée à cause du travail des fleuves concernés, Rhône, Aude (1), Èbre, la formation des deltas respectifs, le colmatage de la plaine littorale jusqu'à la Salanque avec les apports de l'Agly, de la Têt, du Tech (Pyrénées-Orientales). Une végétation particulière marque l'arrivée de l'eau douce en amont des étangs, les roselières de sagnes, sénils, suivant les appellations locales du roseau phragmite, utilisé en tant que matériau à portée pour construire les abris humains : la cabane du gardian en Camargue, celle des bords de l'étang de Salses, celle du delta de l'Èbre, pour celles dont nous disposons en photos. 

Le_Barcarès_-_Pinède_et_Chemin_de_l'étang_(CP) début XXe Domaine Public Éditeur inconnu.

Le_Barcarès_Poblado_pescadores 2008 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Author Yeza

À laisser l'essentiel du boulot à Daudet, il fallait bien que je participe aussi un peu, quitte à être en accord avec les fleuves travailleurs qui nous concernent.      

Alphonse Daudet (1840-1897) a pris le bateau à Arles pour une partie de chasse en Camargue. Son reportage figure dans les Lettres de mon Moulin ; c’est un véritable tableau de la cabane dans le delta, toute une atmosphère autour des chasseurs si petits au sein de la nature (ci-dessous, une reprise presque intégrale du texte).

EN CAMARGUE / II La Cabane (Alphonse Daudet).

« Un toit de roseaux, des murs de roseaux desséchés et jaunes, c’est la cabane.../...Type de la maison camarguaise, la cabane se compose d’une unique pièce, haute, vaste, sans fenêtre, et prenant jour par une porte vitrée qu’on ferme le soir avec des volets pleins. Tout le long des grands murs crépis, blanchis à la chaux, des râteliers attendent les fusils, les carniers, les bottes de marais. Au fond.../...un vrai mât planté au sol et montant jusqu’au toit auquel il sert d’appui. (à suivre) 

(1) Il semble prétentieux d'accoler l'Aude aux noms aussi prestigieux de l'Èbre et du Rhône, pourtant notre “ rivière ”, simple fleuve côtier, reste un des cours d'eau des plus travailleurs, apportant 4 millions de tonnes de sédiments par an (Rhône 10 millions, plus que la moitié depuis la multiplication des barrages / Pas de données sur l'Èbre sinon que le delta risque de disparaître à cause de 70 barrages / à titre indicatif le Gange-Brahmapoutre porte 660 millions de sédiments, ce qui a comblé la fosse du Bengale, à l'origine plus profonde que celle des Mariannes ).  


samedi 11 avril 2020

C'ÉTAIT UN MONDE MERVEILLEUX... / Un printemps d'avant.

Tu vois ces vieux pins au milieu des vignes, avant-garde de la garrigue pas loin, au-dessus du coteau ? Des squelettes pour quelques uns mais ceux qui restent gardent de la noblesse, une prestance je veux dire... Tu trouves pas ? Ils me font penser à une compagnie de mousquetaires se découvrant ensemble pour saluer. Que veux-tu, les films de cape et d'épée, on aimait, au cinéma Balayé ! Regarde comme le Cers, le maître vent, a tourné la plume des chapeaux vers la Clape et la mer !

A ce propos, je veux te parler d'un jour précis parce que cette fois là, ce que j'appris sur moi et le monde m'a marqué les années aidant.
Le film vient de casser, l'image reste fixe. "Arrêt sur image" on dirait aujourd'hui. Immobiles les panaches d'aiguilles. Pas un pet d'air, pas un souffle, juste un beau soleil, un ciel sans nuages. Et les cloches, nos trois cloches, déjà de Pâques, s'en donnent à cœur joie. Ce dimanche là, Saint Martin, tu sais, celui qui donne la moitié de son manteau à un pauvre, me libère pour une messe buissonnière. L'idée ne m'en serait pas venue tout seul. C'est que depuis le vitrail, celui de gauche, plus qu'auréolé, rayonnant dans une mandorle fulgurante du feu de l'astre, de me tirer vers la lumière, à force de dimanches, il me fait passer le rempart de verre. Une fois, une fois seulement. Si je suis un passe vitrail, il est ma circonstance atténuante et je ne suis pas perfide au point de dire que c'est de sa faute. 

Alors, au lieu de m'arrêter à l'église, je trottine par le quartier haut, si tranquille et innocent que personne ne s'étonne de mon trajet à rebours. Et je me retrouve là, dans les pins au bord d'un chemin blanc de poussière, pas ailleurs. 

Les cloches m'appellent, me rappellent et je ne culpabilise même pas. Au contraire, je souris, pas moqueur du tout, malicieux plutôt du bon tour joué, avec la complicité de Martin, même si je n'en ai qu'une vague idée, aux adultes, aux traditions, à l'ordre social. Rien d'une révolte ! 

Le village depuis le coteau de Caboujolette. Photo François Dedieu, début des années 60. Il y a bien le château d'eau mais quand a-t-il été construit ? 

Depuis le coteau bordant la garrigue, les toits autour du clocher épaulé par la tour Balayard nous gardent toujours des incursions barbaresques. C'est émouvant un village. La parabole du berger , presque, qui rassemble son troupeau aidé par son chien. Et la suite de l'histoire avec la brebis égarée, l'agneau perdu ou prodigue, échappé. Non, pas moi. Je viens de lire les Lettres de mon Moulin ; j'ai vu le film aussi, de Marcel Pagnol, avec deux ou trois histoires et Paul Préboist en moine ivrogne qui nous fit bien rigoler, même en noir et blanc. 

Et là, dans cette oasis cernée de vignes (1), je suis comme la chèvre de monsieur Seguin, libre. Depuis mon île plantée de pins, je regarde, au loin, le village. Mon cœur balance entre tendresse et recul ; touchantes en effet, les maisons qui comme les êtres se serrent mais ne faut-il pas parfois distendre un lien qui, sous prétexte de réchauffer, étouffe, empêche de penser par soi-même ? Muselés, ligotés, fragilisés, lobotomisés, trop nombreux sont ceux qui en arrivent à ne vouloir que leur prison pour horizon et n'avoir de cesse que de l'imposer aux autres. Nous concernant, pourtant, quiconque le souhaite et n'a que faire des ragots, peut aller jusqu'à la rejeter, la religion... Laissons ces raisonnements qui corrompent la magie du moment.   

 
Papilio machaon Wikimedia Commons Auteur LG Nyqvist

Un matin magique éclabousse notre cadre familier de ses brillants de printemps. Les fleurs, la petite, blanche au cœur d'or, du ciste de Montpellier, la grande, mauve, fripée, du ciste cotonneux, les toupets de la bourrache dans les bleus. De l'une à l'autre, d'autres fleurs, mais mouvantes : les papillons. Non, je ne rêve pas, les feuilles collantes ou duveteuses des cistes, les piquantes de la garouille, la hampe du romarin, ce sont bien mes mains qui les reconnaissent. Les poursuites des piérides, la farandole du paon du jour, la voltige de l'apollon, les ailes qui respirent d'un machaon posé m'en mettent plein les yeux. Et à côté, la vieille vigne de l'oncle Noé, plus que centenaire, où parrain a dit qu'il connait un lièvre...


Mon temps suspend son vol mais l'heure est trop vite passée, pourtant seulement à me retourner sur les fleurs et à suivre l'envolée des papillons dans la magie d'un matin étincelant. Les cloches carillonnent à nouveau l'espérance. Elles me disent aussi qu'elles ont bien reçu toute cette beauté montée au ciel et qu'en retour elles me renvoient une paix angélique. Et aussi que je peux garder mon secret trop beau, personne ne demandera, je n'aurai pas à mentir, à en rougir. 

(1) un mystère ce bosquet au milieu des vignes... peut-être la volonté du propriétaire d'alors...  

Fleury-d'Aude, Pins de Barral années 60. Diapositive François Dedieu. Oui, je sais nous sommes au printemps et je vous donne à voir l'automne mais pour en avoir passé des milliers je n'en ai pas d'autre en magasin...
 

mardi 11 avril 2017

DAUDET : ODE AU DELTA... (3) / Lettres de mon Moulin


Dans les Lettres de mon Moulin, Alphonse Daudet a su aussi mêler l’avancée grandiose du delta au tragique des destinées humaines. A Mirèio, à Magali, il associe l’Arlésienne, celle qu’on ne voit jamais alors que tout tourne autour du malheur qu’elle cause.
Daudet a sûrement eu le tort de joindre cette nouvelle à ses Lettres. 


Aux marges de la Crau, dans un mas aux micoucouliers, vit Jan, le fils de maître Estève.

«... Il s’appelait Jan. C’était un admirable paysan de vingt ans, sage comme une fille, solide et le visage ouvert. Comme il était très beau, les femmes le regardaient ; mais lui n’en avait qu’une en tête, ~ une petite Arlésienne, toute en velours et en dentelles, qu'il avait rencontrée sur la Lice d'Arles, une fois. ~ Au mas, on ne vit pas d’abord cette liaison avec plaisir. la fille passait pour coquette, et ses parents n’étaient pas du pays. Mais Jan voulait son Arlésienne à toute force; il disait :
~ Je mourrai si on ne me la donne pas. »

 


Hélas, le jour même où on officialise sa liaison, un homme demande à voir maître Estève, seul à seul. Le soir venu, le père se doit de dévoiler à Jan ce qu’il lui a appris :
«  ~  Femme, dit le ménager, en lui amenant son fils, embrasse-le ! il est malheureux... »   

Daudet a eu tort de joindre cette nouvelle à ses Lettres : elle s’inspire directement de la triste fin d’un neveu de Mistral et c’est Mistral lui même qui s’en est confié. La publication d'une intimité à ne pas mettre au grand jour pèse certainement dans le froid à venir entre les deux hommes...

Arles est à l’entrée du delta, sur le bras principal du fleuve alors que le Petit Rhône, lui, en amont de la ville, est déjà parti divaguer vers l’ouest, vers Saint-Gilles. Dans sa "lettre" « En Camargue », Alphonse Daudet nous livre quelques impressions liées au delta d’un temps où le vapeur assurait le service dès le matin :

«... Avec la triple vitesse du Rhône, de l’hélice, du mistral, les deux rivages se déroulent. d’un côté c’est la Crau, une plaine aride, pierreuse. de l’autre, la Camargue, plus verte, qui prolonge jusqu’à la mer son herbe courte et ses marais pleins de roseaux... /...
Les terres cultivées dépassées, nous voici en pleine Camargue sauvage. À perte de vue, parmi les pâturages, des marais, des roubines, luisent dans les salicornes. Des bouquets de tamaris et de roseaux font des îlots comme sur un mer calme. pas d'arbres hauts. L'aspect uni, immense, de la plaine, n'est pas troublé... /... Comme de la mer unie malgré ses vagues, il se dégage de cette plaine un sentiment de solitude, d'immensité, accru encore par le mistral qui souffle sans relâche, sans obstacle, et qui, de son haleine puissante, semble aplanir, agrandir le paysage. Tout se courbe devant lui. les moindres arbustes gardent l'empreinte de son passage, en restent tordus, couchés vers le sud dans l'attitude d'une fuite perpétuelle... »


Et sur le Vaccarès, l’étang le plus grand et le plus emblématique de la Camargue :

«... le Vaccarès, sur son rivage un peu haut, tout vert d’herbe fine, veloutée, étale une flore originale et charmante : des centaurées, des trèfles d’eau, des gentianes, et ces jolies saladelles bleues en hiver, rouges en été, qui transforment leur couleur au changement d’atmosphère, et dans une floraison ininterrompue marquent les saisons de leurs tons divers... »  


Va pour les centaurées, les gentianes maritimes mais pour les saladelles, monsieur Daudet, vos détails ne peuvent que laisser interdit un natif du delta (serait-ce celui de l’Aude) : même pour la variante audoise de la saladelle (limonium narbonense) la couleur varie du bleu au mauve pour une floraison en fin d’été ! Alors seuls des Parisiens peuvent se pâmer en imaginant des saladelles rouges, en été qui plus est ! 
 

S’il s’agit peut-être d’une confusion avec les salicornes qui rougissent mais en hiver, ce qui est sûr est qu’Alphonse Daudet, aspiré par la capitale (nous parlions de Pergaud, dernièrement, monté lui aussi à Paris), ne peut éviter l’écueil du détail inexact !
S’il a su parler néanmoins de Nîmes, de la Provence rhôdanienne, parce qu’il y a passé les neuf premières années de sa vie (et peut-être trois ans comme répétiteur au collège d’Alès après la ruine de son père alors que la famille était installée à Lyon), il n’est plus du Midi... les dernières lignes des Lettres de mon Moulin en attestent :

«... Et moi, couché dans l’herbe, malade de nostalgie, je crois voir, au bruit du tambour qui s’éloigne, tout mon Paris défiler entre les pins...
Ah ! Paris... Paris !... Toujours Paris ! »


Si l’erreur est humaine, perseverare diabolicum se doit-on d’ajouter même si, pour tout ce qu’il a su offrir de beau, notamment dans ces Lettres de mon Moulin, on ne peut que pardonner. Merci, monsieur Daudet ! 

crédit photos commons wikimedia
1. Alphonse Daudet. 
2. ferme à Arles. Paul Gauguin 1888. 
3. étang du Vaccarès attribution ShareAlike 3.0