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mardi 14 novembre 2023

L'ÉTANG JADIS " Enfants des campagnes "

“ Campagnes ” tu disais, “ enfants des campagnes ”, quelques camarades de classe, descendant le matin à l’école du “ Tub Citroën ”, la panière d’osier à la main, le cartable dans l’autre... Pas encore de cantine même si ce service n’allait pas tarder pour les vendanges, mais déjà, près de soixante-dix ans en arrière, un service de ramassage scolaire ! “ Enfant des campagnes ”, Manu t’a raconté, lui, venu de la Mancha, comment il continuait d’imaginer, sur son horizon fermé par les collines, le moulin de Don Quijote cachant notre village, derrière, dans sa cuvette... une vision magnifique qui t’a ravi et te plaît depuis, toujours autant. 


“ Campagne ”, ton grand-père aussi, enfant, venait d’une campagne, plus loin encore, donnant sur la mer. Lui, avait huit kilomètres à parcourir et autant pour le retour, à travers vignes et garrigues, avec la nuit je suppose, l’hiver. Tu scrutes, tu devines sa trace qui coupe la large trajectoire du terrible incendie. Tu le cherches, en bas, le long des vignes, des fossés, à la moitié de son chemin d’école... Tu le vois, tu n’arrêtes pas de rester sur ta faim à toujours sonder même si tu admets le désamour, la relation privilégiée qui n’a pas existé entre vous, grand-père et petit-fils... 

La Cresse sur sa partie épargnée depuis la vigne du Courtal Crémat. 

Il passe, proche de ce qui sera une de ses vignes, le Courtal Cremat, une bergerie brûlée à l’origine, une ruine que des figuiers vigoureux tiennent debout, une terre comme il la qualifiait lui-même, de “ pico-talent ”, littéralement “ donnant faim ”, excitant seulement l’appétit... L’endroit te trouble, d’un autre appétit, un besoin encore à assouvir mais j’attendrai pour t’embêter avec ça : une chronique se doit de ne pas mélanger les époques, on ne s’y retrouverait plus.

Carte postale ancienne par les bons soins de Josette... certainement dans le Domaine Public

L’autre château, plus château encore, avec ses tours chapeautées encadrant trois niveaux aux nombreuses fenêtres, tourné au sud, réchauffe depuis longtemps l’héritier en titre, comte de son état, énième génération. Justement, il regarde la Cresse, d’où l’incendie est parti... Tu le sais tout ça et je te vois inquiet sinon préoccupé. À cause des moulins ruinés ? Ou alors, le pigeonnier ? Ah oui, les pigeons réservés aux nobles... partie la semence des pauvres bougres toujours plus dans la misère... On te connaît à toujours pointer du doigt l’Ancien Régime... ton réquisitoire contre les privilèges et à présent les milliards qui filent, l’évasion fiscale... Psst, psst, là, en pleine garrigue, je vois ce qui t’intrigue : une réalisation symbolique de la quintessence humaine. Je ne te refais pas le topo : l’Europe aux racines certaines, religieuses, chrétiennes, la France fille aînée de l’Église... c’est vrai que vers 7-9 ans, outre le catéchisme, fallait encore aller aux vêpres en plus de la messe dominicale... et là, tu as beau t’en défendre, cette chapelle perdue, loin du monde, te remet en tête tant de choses. Relent ? Nostalgie de la vie d’avant ? Elle te rappelle, encore dans “ Les Lettres de mon Moulin ”, la nouvelle “ Les Trois Messes Basses ”. Si, si, et si tu ne peux t’empêcher de revenir vers les années 60, Daudet, lui, nous téléporte dans les années 1600, avec, concernant les enfants que vous étiez, plus que la gourmandise du révérend avec les deux dindes bourrées de truffes, sans parler de la suite, l’ambiance de la nuit de Noël, les cloches qui carillonnent, la messe de minuit, les familles des métayers qui grimpent vers la chapelle du château, le chef de famille éclairant le chemin. (à suivre)

dimanche 12 décembre 2021

CHEMIN D'ÉCOLE (1)

 
Depuis la Clape qui se hausse du col, prétentieuse de retenir un peu le soleil, un jour nouveau caresse les toits du village. Les volets s'ouvrent sur une irrépressible envie d'aller vers lui comme un appel vers sa naissance, son monde, la mer là-bas, comme pour tendre vers l'horizon toujours recommencé, l'Est de l'origine de nos cultures, de nos lendemains... Qui sait ? Au moins, savoir, avec ce chemin d'école, où cet appel du large vers son étroit passé va mener. Cap sur son destin, exploration sans limites de son voyage intérieur, en mode doux, à bicyclette, à pied et dans la tête, sans ce bruit de moteur qui dit trop que nous ne l'utilisons pas raisonnablement.
 
La petite vigne de Pouillet, replantée depuis. Derrière, les champs de l'ancien étang. 

Au premier carrefour, on sait mieux. Vicinal, le chemin domine les champs de l'ex-étang asséché, mais pas pour évoquer une préhistoire sur pilotis. Pouillet : un tènement, quelques pieds de vigne, qu'il hérita, par son mariage, d'une belle-mère veuve jeune, toute de courage, de vaillance... Pour la pause de "midi"sur la braise de sarments, il commençait toujours par quelques escargots poivre et sel, sacrifiés sur le gril des vendanges mais si bons, dit-on, pour la santé. 
 
Un contournement du domaine de Tarailhan autorisé j'espère... 
 
Plus loin, Tarailhan, le château, la campagne, pour dire "domaine", plutôt tourné vers Fleury mais déjà sur le territoire voisin de Vinassan... Passait-il par là, plus loin dans le temps, pour aller à l'école ? 
 

 
 
Le Courtal Crémat.

Après quelques coups de pédale sur la route de Saint-Pierre, le Courtal Crémat, une bergerie ruinée, qui brûla un jour, d'où son nom, sûrement. Des genêts envahissent les devants ; des lierres mangent les murs écroulés ; des figuiers cachent les ouvertures et prennent l'espace des toits crevés. On dit qu'ils sont immortels... Entretiennent-ils le souvenir de ceux qui vivaient là ? En 1866, le berger et sa famille, six personnes au nom torturé par quelque scribouillard inconséquent à l’État -Civil (SIgala ou SEgala ? (2) Peut-être une question de sérieux et de respect de la part de l'autorité administrative à l'encontre des couches les plus modestes de la population ?  
 
A l'arrière-plan, la garrigue pelée alors que depuis, les pins ont poussé partout

Sur la bordure amont de la cuvette asséchée peut-être antérieurement à la présence romaine (700 av. JC ?) (3), sa vigne du Courtal Crémat. Une terre de pico-talènt disait-il, littéralement "qui excite l'appétit" donc qui ne nourrit pas assez... "Es de sablou", c'est du sable, d'ailleurs ils plantèrent des griffes d'asperges, un temps. Sur une photo, il s'occupe du chariot de comportes, dangereusement stationné sur la route, dirions-nous aujourd'hui...
 
Son chemin d'école rejoignait-il ici la départementale ? Ou passaient-ils, avec le cousin Étienne, en suivant le lit du ruisseau appelé à devenir "du Bouquet", ultime affluent de l'Aude, par le château de Tarailhan ? Jamais il n'en parla. Moi, au contraire, parce qu'il est lié à bien des lieux et recoins de la commune, sa maison, sa cave, ses vignes pour le travail, la garrigue pour la chasse et sa naissance, la mer pour la parenthèse estivale de quelques dimanches, je ne parle ici que de lui... "IL", lui qui se grillait deux ou trois escargots en guise d'apéritif, lui qui disait de ses ceps qu'ils poussaient dans une terre de pico-talènt, lui qui, enfant, par tous les temps suivait son chemin d'école, "IL" mon grand-père Jean Dedieu, mon grand-père d'ici...
 
(1) locution copiée suite au titre d'une jolie série télé.
(2) Source : Les Chroniques Pérignanaises