Il
y a un ruisseau, des ruisseaux... La proximité des forêts, le climat faisaient
qu’il y avait un étang, un lac même avec des maisons lacustres. Puis les hommes
ont détraqué la belle harmonie : plus de poissons dans l’onde claire, seulement les
miasmes des eaux croupies. Mais comme, depuis toujours, ils ont l’air de vouloir
remédier à leurs bêtises, ils ont décidé de drainer les marécages, d’assécher et de cultiver
puisque les poissons n’étaient plus qu’un lointain souvenir.
Le
problème est que la cuvette est encaissée avec, pour passer entre les pechs
d’Azam, celui où allaient les radins qui ne voulaient pas payer au stade et
celui de Montredon avec le moulin et sa terrible histoire, le seuil le plus bas
à une quarantaine de mètres soit une bonne dizaine de plus qu’au guichet du
terrain de rugby, au départ de l‘évacuation.
La
solution ? un souterrain pour conduire l’eau ! Un aqueduc ! oh pas le Pont-du
Gard même si les aménagements des villas des riches, des thermes (abstraction
faite des conditions de vie du populus !) nous amènent à penser qu’à part ça,
ils étaient civilisés et évolués les
Romains... Alors qui, sinon eux, pour des travaux aussi exigeants ? Hop hop,
minute... à force de ne voir qu’eux, l’Empire, les légions, mare nostrum, on en devient
injustes et on rabaisse les peuples qui les ont précédés ou ont été
contemporains, souvent vaincus, ignorés et romanisés sous leurs fourches caudines. Et
l’aqueduc souterrain de Fleury est à ce titre exemplaire serait-ce encore à
cause de ce raisonnement biaisé ramenant toujours à comparer avec les
réalisations romaines, dans cette tendance malsaine que nous avons à glorifier les impérialismes...
Au
début du XXe siècle, Joseph Campardou, membre de la Commission Archéologique de
Narbonne a publié une étude :
„Recherches archéologiques sur quelques étangs desséchés du département
de l’Aude“. Il attribue l‘aqueduc souterrain de Fleury, entièrement bâti en
gros appareil, aux Romains, aux premiers colons du début de l’ère chrétienne.
(Bulletin de la Commission Archéologique de Narbonne, t. 13, 2, 1914).
Dans
„De Pérignan à Fleury“, le livre des Chroniques Pérignanaises, un travail
remarquable (qui a inspiré et guidé cette série d’articles) a été fait pour
raconter et expliquer l’aqueduc de Fleury. L’auteur de ce passage reprend un
bulletin plus récent de cette même Commission Archéologique de Narbonne avec un avis de
Laurent Ribero (1) différent de celui de monsieur Campardou, penchant pour une antériorité préromaine, entre la fin de la période ligure et le début de l’ère
chrétienne“. L’argument serait le manque de précision, d’exactitude dans le
tracé, la tendance à la facilité, le creusement dans les couches tendres plutôt que dures, une géométrie
approximative, un tout peu compatible avec la rigueur et la volonté sans faille des Romains dans leurs
réalisations. (Les Chroniques Pérignanaises (De Pérignan à Fleury / 2009) ont
consacré quatre pages bien documentées sur l’Étang de Fleury ou de Tarailhan).
„Période
ligure“ ? On ne saurait être plus vague, ne serait-ce que parce que les Grecs venus
installer des comptoirs (2) désignaient par „Ligures“ les habitants bien sûr moins
civilisés des rivages méditerranéens : Celto-Ligures entre les Alpes et le
Rhône, Ibéro-ligures du Rhône aux Pyrénées... Avec les Celtibères ou encore avec l'évocation de la langue
ibère (3) complètement différente des langues antiques, se confirment les
complications dues aux brassages permanents des populations surtout dans la
partie languedocienne, passage obligé entre l’Europe du nord et l’Espagne, la
Méditerranée et l’Atlantique.
La
prudence et la culture du doute prévalant en Histoire (ce monsieur Campardou
est bien imprudent !), il n’est donc pas plus faux d’estimer que ce tunnel de
drainage aurait été creusé entre moins 700 et la conquête romaine de la Narbonnaise
(120 avant JC). Au Proche-Orient où la gestion de l’eau a toujours été cruciale,
les Hébreux ont édifié des tunnels pour alimenter des villes fortifiées, au
moins dès 700 avant JC, et la ville de Cnossos en Crète était alimentée depuis
l’extérieur dès le deuxième millénaire avant notre ère...
Pech Maho / Sigean / Wikipedia Auteur ArnoLagrange |
Depuis la hauteur de l'oppidum d'Ensérune / Nissan-lez-Ensérune / Commons Wikimedia Author logopop. |
Devons-nous
toujours rester conditionnés par un cheminement culturel contraint et limité
aux racines romaines et grecques ? Il n’y avait donc personne avant les Hellènes et les Latins ? Pour quelles mauvaises raisons l’évocation des
Elisyques, ce peuple des oppida dit "petit" (doxa partiale oblige) dont l‘existence a pourtant perduré du
Premier Âge du Fer à la conquête romaine (4), ne reste-t-elle que
confidentielle ? Ils étaient pourtant à Sigean (Pech Maho), à Peyriac-de-Mer
(Le Moulin), à l’oppidum de Montlaurès (Narbonne, ville importante, riche et
brillante bien avant la conquête des légions !), à celui d'Ensérune (Nissan) et au site de
la Moulinasse, pas plus loin que Salles-d’Aude !
(1)
Celui
qui m‘avait impressionné, enfant, pour avoir exploré tant de grottes et avens
dans la Clape dans les années 50 ?
(2) Fondation
de Marseille – 600, installation des phocéens à Agde – 575.
(3) Qui
aurait un rapport avec le basque.
(4) Sur
cinq siècles au moins, dans la fourchette de temps qui nous intéresse, entre
moins 700 et moins 120.
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