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mercredi 15 novembre 2023

L'ÉTANG JADIS "Des Noëls Blancs aux choses de la vie"

 .../...Ils chantent, habités par la foi, heureux aussi du réveillon traditionnel promis dans les cuisines. La magie de la chapelle émane de son cœur chaleureux perdu sur la montagne alors que la neige tombe... les Noëls Blancs. Pour les enfants d’alors, le rêve a des chances de se réaliser puisque ces histoires ont existé, puisque Daudet raconte... Le cinéma aussi, au village, vous a accompagnés ; entre tous, des films formidables, dont les “ Lettres de mon Moulin ”, trois seulement mais bien rendues, une réussite pour Pagnol, quelques années avant qu’il ne nous livre ses souvenirs d’enfance... Ah ! l’élixir des pères blancs, avec Rellys, un rôle de moine, avant Paul Préboist, addict à la gnôle. 

Élixir_du révérend père_Gaucher Carte Postale ancienne années 1930 Domaine Public


Adolescent, ta personnalité se retrouve à l’étroit dans le carcan sociétal, le corset familial. Les contrariétés et autres insatisfactions fulminent comme les boutons d’acnée. Comment conjurer le marasme ? Les études ? il y faut de la foi. Le sport ? à condition de s’y donner à fond. Les bêtises ? la bêtise est de s’y laisser entraîner.

Les études ? avec l’apprentissage, il n’y a pas de troisième option. À moins d’être bon élève ou assez motivé pour s’en tirer, pas facile si on n’en voit pas la finalité. 

Uva_Italia 2006 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Author Solfano at Italian Wikipedia

Le sport ? se défouler, au moins. Des années, avec ton copain proche, dans un bois du château, une boucle de 400 m malgré un virage à 180 degrés... Vous teniez un cahier, non ? Se battre contre soi-même avec un seul ami, unique soutien... Un joli coin, aux oiseaux, aux écureuils, le renard une fois ; en bas de grands pins, des chênes centenaires bien que modestes sous ce climat... 

Inconscients ! Empiéter ainsi sur le sacro-saint droit de propriété, d’autant plus, qu’une fois, bande de voleurs ! parce qu’elles étaient trop belles, cachées au milieu de plus ordinaires, deux grappes aux gros grains, de ceux, à l’alcool, qu’on sert au Nouvel An. Ce raisin, on l’appelait “ pende ”, ou “ pande ”... tu peux toujours chercher, le Web n’en sait rien (1)... 

Bois de Marmorières avec la Cresse au loin. Diapositive François Dedieu 1967. 

Avec les choses qui fâchent, tu es réticent, pas fier, ça t’embête... Assume, regarde les choses en face... La forme physique incitant à la bêtise, vous étiez trois lascars à la carabine, croquants en chasse sur les terres du comte. Une détonation a suffi pour lancer le garde sur vos traces... Cachés, vous l’avez entendu souffler dans la côte... une chance, il est passé à côté sauf que vous l’avez provoqué, sifflé en détalant dans la descente tels des lapins. Et toi, même seul, tu as trouvé moyen de faire le couillon. Pour une plume de paon, tu t’es introduit dans le parc... Tu t’es pris pour le Grand Meaulnes non ? N’empêche, avec le gazon du tennis, ne manquait qu’une fille à l’ombrelle, en organdi. À parler de fille, aux vendanges, celle du couple, bien roulée et en chair, qui piaulait d’amour, lors de la pause de mi-journée, elle t’a fait fantasmer, hé ? à t'en donner envie, pas vrai ? (à suivre)

(1) Entre parenthèses et sans la couper, pour ne pas froisser celle qui me suit mieux que mon ombre :

— à propos du raisin volé, le copain Max pense qu'il s'agit du Servant (ou Servan), un cépage blanc aussi, aux grappes tardives pouvant se garder jusqu'à Noël voire jusqu'à Pâques si on trempe dans l'eau le bout de sarment coupé avec... Malgré ses baies oblongues, ce raisin a quelque chose de la variété Italia, aux grandes grappes et gros grains, tardive aussi et se prêtant à ce mode de conservation. 

J’en étais là quand Luc, le copain d’enfance m’a remis sur la piste du raisin pendu tenant au moins jusqu’à Noël, d’après lui de variétés indifférentes, à gros grains avant tout (pour nous faire voyager il a cité le Dattier de Beyrouth !). Une image lui reste, vue dans une série d’après Jean d’Ormesson, celle de sarments trempant dans des bocaux, peut-être de ces raisins qui tiennent jusqu’à Pâques. Donc nous dirons “ pende ” et non “ pande ”. Je rappelle, à y être, que mamé Ernestine suspendait des grappes couplées de raisin blanc, se faisant contre-poids de part et d’autre d’une carabène, dans une pièce peu ouverte, obscure et fraîche... tout un art de pendre les moissines...  

mardi 14 novembre 2023

L'ÉTANG JADIS " Enfants des campagnes "

“ Campagnes ” tu disais, “ enfants des campagnes ”, quelques camarades de classe, descendant le matin à l’école du “ Tub Citroën ”, la panière d’osier à la main, le cartable dans l’autre... Pas encore de cantine même si ce service n’allait pas tarder pour les vendanges, mais déjà, près de soixante-dix ans en arrière, un service de ramassage scolaire ! “ Enfant des campagnes ”, Manu t’a raconté, lui, venu de la Mancha, comment il continuait d’imaginer, sur son horizon fermé par les collines, le moulin de Don Quijote cachant notre village, derrière, dans sa cuvette... une vision magnifique qui t’a ravi et te plaît depuis, toujours autant. 


“ Campagne ”, ton grand-père aussi, enfant, venait d’une campagne, plus loin encore, donnant sur la mer. Lui, avait huit kilomètres à parcourir et autant pour le retour, à travers vignes et garrigues, avec la nuit je suppose, l’hiver. Tu scrutes, tu devines sa trace qui coupe la large trajectoire du terrible incendie. Tu le cherches, en bas, le long des vignes, des fossés, à la moitié de son chemin d’école... Tu le vois, tu n’arrêtes pas de rester sur ta faim à toujours sonder même si tu admets le désamour, la relation privilégiée qui n’a pas existé entre vous, grand-père et petit-fils... 

La Cresse sur sa partie épargnée depuis la vigne du Courtal Crémat. 

Il passe, proche de ce qui sera une de ses vignes, le Courtal Cremat, une bergerie brûlée à l’origine, une ruine que des figuiers vigoureux tiennent debout, une terre comme il la qualifiait lui-même, de “ pico-talent ”, littéralement “ donnant faim ”, excitant seulement l’appétit... L’endroit te trouble, d’un autre appétit, un besoin encore à assouvir mais j’attendrai pour t’embêter avec ça : une chronique se doit de ne pas mélanger les époques, on ne s’y retrouverait plus.

Carte postale ancienne par les bons soins de Josette... certainement dans le Domaine Public

L’autre château, plus château encore, avec ses tours chapeautées encadrant trois niveaux aux nombreuses fenêtres, tourné au sud, réchauffe depuis longtemps l’héritier en titre, comte de son état, énième génération. Justement, il regarde la Cresse, d’où l’incendie est parti... Tu le sais tout ça et je te vois inquiet sinon préoccupé. À cause des moulins ruinés ? Ou alors, le pigeonnier ? Ah oui, les pigeons réservés aux nobles... partie la semence des pauvres bougres toujours plus dans la misère... On te connaît à toujours pointer du doigt l’Ancien Régime... ton réquisitoire contre les privilèges et à présent les milliards qui filent, l’évasion fiscale... Psst, psst, là, en pleine garrigue, je vois ce qui t’intrigue : une réalisation symbolique de la quintessence humaine. Je ne te refais pas le topo : l’Europe aux racines certaines, religieuses, chrétiennes, la France fille aînée de l’Église... c’est vrai que vers 7-9 ans, outre le catéchisme, fallait encore aller aux vêpres en plus de la messe dominicale... et là, tu as beau t’en défendre, cette chapelle perdue, loin du monde, te remet en tête tant de choses. Relent ? Nostalgie de la vie d’avant ? Elle te rappelle, encore dans “ Les Lettres de mon Moulin ”, la nouvelle “ Les Trois Messes Basses ”. Si, si, et si tu ne peux t’empêcher de revenir vers les années 60, Daudet, lui, nous téléporte dans les années 1600, avec, concernant les enfants que vous étiez, plus que la gourmandise du révérend avec les deux dindes bourrées de truffes, sans parler de la suite, l’ambiance de la nuit de Noël, les cloches qui carillonnent, la messe de minuit, les familles des métayers qui grimpent vers la chapelle du château, le chef de famille éclairant le chemin. (à suivre)

dimanche 29 octobre 2023

Encore DAUDET Alphonse... sur la Camargue, pour toujours.

Qui essaie de cultiver un art se nourrit de tout ce qui s'est fait avant lui comme un arbre se nourrit des couches de feuilles mortes des saisons passées sans lesquelles il lui serait impossible de pousser...

Arles 2016 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Chensiyuan

Arles est à l’entrée du delta, sur le bras principal du fleuve alors que le Petit Rhône, lui, en amont de la ville, est déjà parti divaguer vers l’ouest, vers Saint-Gilles. Dans sa  lettre ” « En Camargue », Alphonse Daudet nous livre quelques impressions liées au delta d’un temps où le vapeur assurait le service dès le matin :

«... Avec la triple vitesse du Rhône, de l’hélice, du mistral, les deux rivages se déroulent. d’un côté c’est la Crau, une plaine aride, pierreuse. de l’autre, la Camargue, plus verte, qui prolonge jusqu’à la mer son herbe courte et ses marais pleins de roseaux... /... 

Camargue 2017 Creative Commons Attribution 2.0 Generic Author Jac. Janssen from Baarlo lb. NL


Saladelles de l'Étang de Vendres 2016

Les terres cultivées dépassées, nous voici en pleine Camargue sauvage. À perte de vue, parmi les pâturages, des marais, des roubines, luisent dans les salicornes. Des bouquets de tamaris et de roseaux font des îlots comme sur un mer calme. pas d'arbres hauts. L'aspect uni, immense, de la plaine, n'est pas troublé... /... Comme de la mer unie malgré ses vagues, il se dégage de cette plaine un sentiment de solitude, d'immensité, accru encore par le mistral qui souffle sans relâche, sans obstacle, et qui, de son haleine puissante, semble aplanir, agrandir le paysage. Tout se courbe devant lui. Les moindres arbustes gardent l'empreinte de son passage, en restent tordus, couchés vers le sud dans l'attitude d'une fuite perpétuelle... »

Et sur le Vaccarès, l’étang le plus grand et le plus emblématique de la Camargue :

«... le Vaccarès, sur son rivage un peu haut, tout vert d’herbe fine, veloutée, étale une flore originale et charmante : des centaurées, des trèfles d’eau, des gentianes, et ces jolies saladelles bleues en hiver, rouges en été, qui transforment leur couleur au changement d’atmosphère, et dans une floraison ininterrompue marquent les saisons de leurs tons divers... »  

Étang_de_Vaccarès martelhières 1964 Creative Commons Attribution 2.0 Generic Author Dr Mary Gillham Archive Project

Va pour les centaurées, les gentianes maritimes mais pour les saladelles, monsieur Daudet, vos détails ne peuvent que laisser interdit un natif du delta (serait-ce celui de l’Aude) : même pour la variante audoise de la saladelle (limonium narbonense) la couleur varie du bleu au mauve pour une floraison en fin d’été ! Alors seuls des Parisiens peuvent se pâmer en imaginant des saladelles rouges, en été qui plus est ! 

S’il s’agit peut-être d’une confusion avec les salicornes qui rougissent mais en hiver, ce qui est sûr est qu’Alphonse Daudet, aspiré par la capitale (nous parlions de Pergaud, dernièrement, monté lui aussi à Paris), ne peut éviter l’écueil du détail inexact !
S’il a su parler néanmoins de Nîmes, de la Provence rhodanienne, parce qu’il y a passé les neuf premières années de sa vie (et peut-être trois ans comme répétiteur au collège d’Alès après la ruine de son père alors que la famille était installée à Lyon), il n’est plus du Midi... les dernières lignes des Lettres de mon Moulin en attestent :

«... Et moi, couché dans l’herbe, malade de nostalgie, je crois voir, au bruit du tambour qui s’éloigne, tout mon Paris défiler entre les pins...
Ah ! Paris... Paris !... Toujours Paris ! »

Si l’erreur est humaine, perseverare diabolicum se doit-on d’ajouter même si, pour tout ce qu’il a su offrir de beau, notamment dans ces Lettres de mon Moulin, on ne peut que pardonner. Vivre c'est aimer. Merci, monsieur Daudet ! 

vendredi 27 octobre 2023

DAUDET, Ode au delta, Lettres de mon Moulin, mardi 11 avril 2017.

Dans les “ Lettres de mon Moulin ”, Alphonse Daudet a su aussi mêler l’avancée grandiose du delta au tragique des destinées humaines. A Mirèio, à Magali, il associe l’Arlésienne, celle qu’on ne voit jamais alors que tout tourne autour du malheur qu’elle cause.

Daudet a sûrement eu le tort de joindre cette nouvelle à ses Lettres. 

Celtis_occidentalis 2021 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Agnieszka Kwiecien, Nova

Aux marges de la Crau, dans un mas aux micocouliers, vit Jan, le fils de maître Estève.

«... Il s’appelait Jan. C’était un admirable paysan de vingt ans, sage comme une fille, solide et le visage ouvert. Comme il était très beau, les femmes le regardaient ; mais lui n’en avait qu’une en tête, ~ une petite Arlésienne, toute en velours et en dentelles, qu'il avait rencontrée sur la Lice d'Arles, une fois. ~ Au mas, on ne vit pas d’abord cette liaison avec plaisir. la fille passait pour coquette, et ses parents n’étaient pas du pays. Mais Jan voulait son Arlésienne à toute force; il disait : 

 Je mourrai si on ne me la donne pas. » 

Arlésienne_1904 Scan old postcard Author Unknown

Hélas, le jour même où on officialise gaiement sa liaison, un homme demande à voir maître Estève, seul à seul. Le soir venu, le père se doit de dévoiler à Jan ce qu’il lui a appris, que la fille est une coquine, qu’elle a été sa maîtresse pendant deux ans, qu’elle lui était promise mais qu’elle et sa famille lui ont tourné le dos quand le fils de maître Estève s’est intéressé à elle.

« Ce soir-là, maître Estève et son fils s’en allèrent ensemble dans les champs... ». Et quand ils revinrent : 


«   Femme, dit le ménager, en lui amenant son fils, embrasse-le ! il est malheureux... »   

Daudet a eu tort de joindre cette nouvelle à ses Lettres : elle s’inspire directement de la triste fin d’un neveu de Mistral et c’est Mistral lui même qui s’en est confié. La publication d'une intimité à ne pas mettre au grand jour pèse certainement dans le froid à venir entre les deux hommes... 

Alphonse_Daudet 1840-1897 Domaine public Auteur Nadar - Rue d´ Anjou, 51 Paris.


vendredi 20 octobre 2023

EN CAMARGUE / II La Cabane /Alphonse Daudet. (fin)

 «... La nuit, quand le mistral souffle et que la maison craque de partout, avec la mer lointaine et le vent qui la rapproche (1), porte son bruit, le continue en l’enflant, on se croirait couché dans la chambre d’un bateau. 

Gardian Camargue_Cabane début_XXe_s Carte Postale ancienne Domaine Public


Mais c’est l’après-midi surtout que la cabane est charmante. Par nos belles journées d’hiver méridional, j’aime rester tout seul près de la haute cheminée où fument quelques pieds de tamaris. Sous les coups du mistral ou de la tramontane, la porte saute, les roseaux crient, et toutes ces secousses sont un bien petit écho du grand ébranlement de la nature autour de moi. Le soleil d’hiver fouetté par l’énorme courant s’éparpille, joint ses rayons, les disperse. De grandes ombres courent sous un ciel bleu admirable. La lumière arrive par saccades, les bruits aussi ; et les sonnailles des troupeaux entendues tout à coup, puis oubliées, perdues dans le vent, reviennent chanter sous la porte ébranlée avec le charme d’un refrain… L’heure exquise, c’est le crépuscule, un peu avant que les chasseurs n’arrivent. Alors le vent s’est calmé. Je sors un moment. En paix le grand soleil rouge descend, enflammé, sans chaleur. La nuit tombe, vous frôle en passant de son aile noire tout humide. Là-bas, au ras du sol, la lumière d’un coup de feu passe avec l’éclat d’une étoile rouge avivée par l’ombre environnante. Dans ce qui reste de jour, la vie se hâte. Un long triangle de canards vole très bas, comme s’ils voulaient prendre terre ; mais tout à coup la cabane, où le caleil est allumé, les éloigne : celui qui tient la tête de la colonne dresse le cou, remonte, et tous les autres derrière lui s’emportent plus haut avec des cris sauvages.

Bientôt un piétinement immense se rapproche, pareil à un bruit de pluie. Des milliers de moutons, rappelés par les bergers, harcelés par les chiens, dont on entend le galop confus et l’haleine haletante, se pressent vers les parcs, peureux et indisciplinés. Je suis envahi, frôlé, confondu dans ce tourbillon de laines frisées, de bêlements ; une houle véritable où les bergers semblent portés avec leur ombre par des flots bondissants… Derrière les troupeaux, voici des pas connus, des voix joyeuses. La cabane est pleine, animée, bruyante. Les sarments flambent. On rit d’autant plus qu’on est plus las. C’est un étourdissement d’heureuse fatigue, les fusils dans un coin, les grandes bottes jetées pêle-mêle, les carniers vides, et à côté les plumages roux, dorés, verts, argentés, tout tachés de sang. La table est mise ; et dans la fumée d’une bonne soupe d’anguilles, le silence se fait, le grand silence des appétits robustes, interrompu seulement par les grognements féroces des chiens qui lapent leur écuelle à tâtons devant la porte…

La veillée sera courte. Déjà près du feu, clignotant lui aussi, il ne reste plus que le garde et moi. Nous causons, c’est-à-dire nous nous jetons de temps en temps l’un à l’autre des demi-mots à la façon des paysans, de ces interjections presque indiennes, courtes et vite éteintes comme les dernières étincelles des sarments consumés. Enfin le garde se lève, allume sa lanterne, et j’écoute son pas lourd qui se perd dans la nuit… ». 

(1) Daudet confond avec le marin tel celui que nous avons eu, en tempête, cette nuit du 19 au 20 octobre 2023. 

Barraca_tradicional_del_Delta_del_Ebro 2005 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Author Pixel 


jeudi 19 octobre 2023

EN CAMARGUE / II La Cabane / Alphonse Daudet. (1)

C'est un peu le “ qui se ressemble s'assemble ”... à première vue une lapalissade puisque la focale est mise sur un Sud concret, thème transversal, sujet principal, corps incontournable serait-il subjectivement proposé... Une approche certes personnelle mais étayée en premier lieu par le contexte isobarique de la Méditerranée nord-occidentale, présentant souvent des centres dépressionnaires qui attirent de forts flux d'air en provenance de zones plus tranquilles au nord et à l'ouest. Dans ce cas de figure, l'encaissement plus ou moins marqué des couloirs rhodaniens, audois et de l'Èbre chez nos voisins catalans provoque une accélération des vents, Mistral et Cers, attirés par la mer plus chaude (peut-être un effet venturi). Deuxième ressemblance bien marquée à cause du travail des fleuves concernés, Rhône, Aude (1), Èbre, la formation des deltas respectifs, le colmatage de la plaine littorale jusqu'à la Salanque avec les apports de l'Agly, de la Têt, du Tech (Pyrénées-Orientales). Une végétation particulière marque l'arrivée de l'eau douce en amont des étangs, les roselières de sagnes, sénils, suivant les appellations locales du roseau phragmite, utilisé en tant que matériau à portée pour construire les abris humains : la cabane du gardian en Camargue, celle des bords de l'étang de Salses, celle du delta de l'Èbre, pour celles dont nous disposons en photos. 

Le_Barcarès_-_Pinède_et_Chemin_de_l'étang_(CP) début XXe Domaine Public Éditeur inconnu.

Le_Barcarès_Poblado_pescadores 2008 Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported Author Yeza

À laisser l'essentiel du boulot à Daudet, il fallait bien que je participe aussi un peu, quitte à être en accord avec les fleuves travailleurs qui nous concernent.      

Alphonse Daudet (1840-1897) a pris le bateau à Arles pour une partie de chasse en Camargue. Son reportage figure dans les Lettres de mon Moulin ; c’est un véritable tableau de la cabane dans le delta, toute une atmosphère autour des chasseurs si petits au sein de la nature (ci-dessous, une reprise presque intégrale du texte).

EN CAMARGUE / II La Cabane (Alphonse Daudet).

« Un toit de roseaux, des murs de roseaux desséchés et jaunes, c’est la cabane.../...Type de la maison camarguaise, la cabane se compose d’une unique pièce, haute, vaste, sans fenêtre, et prenant jour par une porte vitrée qu’on ferme le soir avec des volets pleins. Tout le long des grands murs crépis, blanchis à la chaux, des râteliers attendent les fusils, les carniers, les bottes de marais. Au fond.../...un vrai mât planté au sol et montant jusqu’au toit auquel il sert d’appui. (à suivre) 

(1) Il semble prétentieux d'accoler l'Aude aux noms aussi prestigieux de l'Èbre et du Rhône, pourtant notre “ rivière ”, simple fleuve côtier, reste un des cours d'eau des plus travailleurs, apportant 4 millions de tonnes de sédiments par an (Rhône 10 millions, plus que la moitié depuis la multiplication des barrages / Pas de données sur l'Èbre sinon que le delta risque de disparaître à cause de 70 barrages / à titre indicatif le Gange-Brahmapoutre porte 660 millions de sédiments, ce qui a comblé la fosse du Bengale, à l'origine plus profonde que celle des Mariannes ).  


lundi 27 septembre 2021

LES VENDANGES EN CHANTANT ! / Fleury-d'Aude en Languedoc.

 Automne, beauté mélancolique, nostalgie esthétique... Pour ne plus soupirer sur le temps qui passe et donnera à terme sur l'hiver de la vie, les vendanges ont tout pour nous consoler. Chaleur dans les cœurs et dans les températures même si une fraîche rosée peut mouiller les pampres au lever du soleil. 

Avec cette joie qui demeure lorsque les humains se retrouvent en accord avec la terre nourricière... ce doit être moins vrai aujourd'hui avec le productivisme qui a engendré, entre autres maux, les glyphosates. Mais gageons que ceux qui ont encore la chance de couper les raisins à la main (Christine, une gentille correspondante démarre avec le sourire son deuxième mois de vendanges !), en récoltent en retour une bouffée de jouvence ou du moins un ressenti de cet ordre régénérant et l'organisme et le moral avant d'aborder la "mauvaise" saison... 

Étonnamment, il y a moins de poèmes "positifs" sur cet aspect de l'automne, du moins de la fin de l'été, de la rentrée, que ceux abondant dans la mélancolie.

" L’odeur des vignes monte en un souffle d’ivresse : 
La pesante douceur des vendanges oppresse
Parmi la longue paix des automnes sereins..."
 

L’Odeur des Vignes

Renée Vivien
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"Un soir, l’âme du vin chantait dans les bouteilles... /
... Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,
De peine, de sueur et de soleil cuisant..."
 
L’âme du vin - Charles Baudelaire  

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"Je l'ai rencontrée un jour de vendange, 
La jupe troussée et le pied mignon..."
 
Trois jours de vendanges. Alphonse Daudet. 
  
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Eva Gonzalès - Nature morte aux deux pêches avec raisins. Wikimedia commons

"... Pose les fruits choisis sur des feuilles de vignes : 
Les pêches que recouvre un velours vierge encor, 
Et les lourds raisins bleus mêlés aux raisins d'or..." 

Le repas préparé. Albert Samain. 

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Mais il y a des airs pour chanter la vie et tous les amours qui s'y attachent... Théodore de Banville lui-même s'y est essayé  : 

Allons en vendanges,
Les raisins sont bons !
Chanson.

Chanson à boire

Théodore de Banville
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 LE PETIT PANIER

Chanson - Paroles et musique de Louis Lust 1903

Créée par Mayol

Ah ! l'envie me démange
D'aller en vendange
D'aller en vendange
Et de grappillonner 
Et de grappillonner
Dans ton p'tit panier
 
 Grappillonner ! Ah quel joli verbe ! Trois doubles consonnes qui apportent mignonnement à "grappiller" (en occitan, du moins dans notre variante locale, on emploie le terme rasima, joli aussi parce qu'il a le raisin pour racine... (La rasimado est ce qu'on a grappillé dans l'Aude / Tresor dou Felibrige, Frédéric Mistral).
 
LA FIN DES VENDANGES
 Thème provençal Robert Gadiollet
 

.../... Voici les vendanges faites,
Le raisin est au pressoir,
Et tous les cœurs sont en fête.
Nous chanterons jusqu'au soir.
Oui, tous les cœurs sont en fête;
Nous chanterons jusqu'au soir.

 

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PLANTONS LA VIGNE (Champagne 1576)

 

"... De grappe en cueille
La voilà la jolie vigne
Vigni, vigna, vignons le vin,
La voilà la jolie vigne au vin,
La voilà la jolie vigne..."

 

Chanson qui me rappelle la fête des écoles quand les filles interprétèrent..."... Quand je vois rougir ma trogne, je suis fier d'être bourguignon...". Les mentalités d'alors étaient à des lieues de ressasser comme aujourd'hui "avec modération avec modération"... l'époque ne jugeait pas la liberté ou non de boire... ad libitum... enfin... à volonté. 

Papé Jean, l'oncle Noé... lançant un pas de danse on dirait et mamé Ernestine qui en rit sous sa caline... Photo de François Dedieu prise dans la plaine, à la Barque Vieille peut-être.

Dans la famille alliée pour rentrer les récoltes de papé Jean et de l'oncle Noé, les vendanges continuaient en octobre et avec les amis venant parfois aider, le nombre influait sur une ambiance retrouvant des éclats et élans comparables à ceux des grands repas : plaisanteries, moqueries, rires et chansons. En vedette chez nos seniors, l'oncle Noé, par exemple, déployait toute sa malice pour piquer les convenances en entonnant 

 

"J'ai mal au cul, j'ai mal au cul, j'ai mal occupé ma jeunesse..."

 

Et cette fois, monsieur Petiot, pas le terrible docteur non, le correspondant de guerre de la Creuse (patates et lard contre du vin), venu vendanger avec sa femme, se leva médusé par ces mots crus... sidéré même parce que l'oncle en rajoutait : 

 

"... j'ai trop pété, j'ai trop pété... j'ai trop été dissipateur "

 

Ouf, monsieur Petiot put s'en remettre et replonger sereinement sa tête, ses doigts et sa serpette dans les grappes... 

 

 


vendredi 5 juillet 2019

LA DERNIÈRE CLASSE / Pour des langues régionales reconnues...


 Le village s’est adapté aux chaleurs estivales ; au mois de juin, l’heure d’été s’impose : les hommes partent à quatre heures vieilles pour sulfater et soufrer tant que le vent n’est pas levé encore. A onze heures la journée de longue est terminée : frais et changés, ils se regroupent au cagnard que la rage du soleil n’étouffe pas encore ; la preuve, pour les gens de passage, qu’on se s’en fait pas dans le Midi ! Nos vignerons et viticulteurs parlent de la santé des ceps, de la floraison bien sûr mais pas que, puisque, aussi, sinon plus incisifs que la gent féminine, ils colportent nouvelles et ragots.
Le 14 juillet, date charnière pour la saison à la mer qui commence mais pour un mois seulement et pour les femmes, les vieux, les gosses, parce que pour les hommes, à moto et surtout à mobylette, l’ouvrage continue dans l’océan de vignes, suivant un même emploi du temps.
Maintenant, comment ne pas évoquer ces récréations à rallonges de fin d’année, veille du 14 juillet ? Innocence d’un âge loin de se douter des bas instincts, de la filouterie du genre humain, d’une crapulerie congénitale à l’aune des grands principes clamés de liberté, d’égalité, n’en jetons plus… du bourrage de crâne patriotique avec la complicité inconsciente de générations d’enseignants, la duplicité, intentionnelle ou non, de littérateurs conditionnés…

« La dernière classe » c’est celle racontée par Alphonse Daudet dans ses Contes du Lundi :

« Mes enfants, c’est la dernière fois que je vous fais la classe. L’ordre est venu de Berlin de ne plus enseigner que l’allemand dans les écoles de l’Alsace et de la Lorraine… Le nouveau maître arrive demain. Aujourd’hui, c’est votre dernière leçon de français. Je vous prie d’être bien attentifs. »

[…] M. Hamel se mit à nous parler de la langue française, disant que c’était la plus belle langue du monde, la plus claire, la plus solide : qu’il fallait la garder entre nous et ne jamais l’oublier, parce que, quand un peuple tombe esclave, tant qu’il tient bien sa langue, c’est comme s’il tenait la clef de sa prison… »

Il est culotté Daudet, ce Petit Chose passé au Nord et qui, narquois, n’hésite pas à cracher sur l’Occitanie puisqu’une note fait référence à Mistral « …qu'un pople toumbe esclau, Se tèn sa lengo, tèn la clau Que di cadeno lou deliéuro. » (… qu’un peuple tombe esclave, s’il tient sa langue, il tient la clé qui des chaînes le délivre). 


Comment ne pas penser aussi à un Tomi Ungerer qui, bien que duplice (est monté à Paris recevoir ses légions de breloques) a exprimé une déception alsacienne à contre-courant :
« … Après la guerre ça ne valait guère mieux. Bon on s’attendait à une libération… On appelle ça libération avant que ça arrive, une fois que c’est arrivé c’est plus de la libération parce qu’alors là pour un mot d’alsacien c’était une heure de retenue à l’école, y avait la même chose en Bretagne et ailleurs… » 

En 1999 la France a signé la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, traité européen adopté en 1992.
En 2014, les députés voudraient, le président Hollande ayant promis en 2012, mais les sénateurs rejettent en 2015 tandis que le Conseil Constitutionnel rechigne à l’idée de triturer la Constitution… Ce doit être sacrilège alors qu’il ne reste que 30 articles inchangés sur les 92 de 1958 ! 

« La Charte ayant été signée mais pas ratifiée, la France n'a mis en vigueur aucun engagement. »   

« France mère des arts, des armes et des lois… » pleurnichait Du Bellay l’Angevin, contemporain de l’ordonnance de Villers-Cotterêts en faveur du français. Permettez que le Languedocien ne relève que la promotion de la langue française aux dépens du latin et non des langues autochtones, souffrez que l’Occitan ne retienne que la France des armes et des lois. Sous cet angle là, les paroles des chansons récemment évoquées ici, de Claudi Marti et de La Sauze, ne passent pas pour aussi outrancières qu’il y parait…