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dimanche 29 septembre 2024

MOUTONS, MULES et petit ÂNE gris...

Au tableau biblique ne manque que le bœuf ; en 1973, Robert Miras chantait « Jésus est né en Provence entre Avignon et les Saintes-Maries » (1972) ; ne me demandez pas d'aller au-delà ; en vertu d'une liberté, entre ignorance et scepticisme, à s'interroger, je ne cite ce qui a été perçu comme un chant de Noël que parce que la communauté villageoise l'a ainsi perçu, l'avant Noël, l'accent, l'hiver mais le soleil, le Midi, le Sud qui chantent... il n'empêche, Jeannot Tailhan, un villageois socialement perçu, l'avait en tête, à toujours la fredonner. En attendant, si l'âge du messie a posé question, celui de Miras, le chanteur, aussi... la seule indication étant qu'il devait avoir dans les quatorze ans à l'heure de son succès, la suite reste dans le vague : un détail ; sinon reste l'image d'un jeune berger, des moutons qui habitaient autant l'espace que les esprits, des ânes, des mules qui accompagnaient la transhumance et dont parle si bien Daudet qui vient m'épauler en l'évoquant mieux que quiconque, dans une riche et magnifique simplicité : 

« ...Il faut vous dire qu’en Provence, c’est l’usage, quand viennent les chaleurs, d’envoyer le bétail dans les Alpes. Bêtes et gens passent cinq ou six mois là-haut, logés à la belle étoile, dans l’herbe jusqu’au ventre ; puis, au premier frisson de l’automne, on redescend au mas, et l’on revient brouter bourgeoisement les petites collines grises que parfume le romarin… Donc hier soir les troupeaux rentraient. Depuis le matin, le portail attendait, ouvert à deux battants ; les bergeries étaient pleines de paille fraîche. D’heure en heure on se disait : « Maintenant, ils sont à Eyguières, maintenant au Paradou. » Puis, tout à coup, vers le soir, un grand cri : « Les voilà ! » et là-bas, au lointain, nous voyons le troupeau s’avancer dans une gloire de poussière. Toute la route semble marcher avec lui… Les vieux béliers viennent d’abord, la corne en avant, l’air sauvage ; derrière eux le gros des moutons, les mères un peu lasses, leurs nourrissons dans les pattes ; — les mules à pompons rouges portant dans des paniers les agnelets d’un jour qu’elles bercent en marchant ; puis les chiens tout suants, avec des langues jusqu’à terre, et deux grands coquins de bergers drapés dans des manteaux de cadis roux qui leur tombent sur les talons comme des chapes.

Tout cela défile devant nous joyeusement et s’engouffre sous le portail, en piétinant avec un bruit d’averse… Il faut voir quel émoi dans la maison. Du haut de leur perchoir, les gros paons vert et or, à crête de tulle, ont reconnu les arrivants et les accueillent par un formidable coup de trompette. Le poulailler, qui s’endormait, se réveille en sursaut. Tout le monde est sur pied : pigeons, canards, dindons, pintades. La basse-cour est comme folle ; les poulets parlent de passer la nuit !… On dirait que chaque mouton a rapporté dans sa laine, avec un parfum d’Alpe sauvage, un peu de cet air vif des montagnes qui grise et qui fait danser... »

Installation, Alphonse Daudet (1840-1897) 

Alpilles_Troupeau_de_moutons Scan d'une carte postale ancienne. Auteur inconnu XIXe. s.

Avant Miras, un autre chanteur qui lui ne fait pas mystère de son âge, Hugues Aufray, 95 ans (né en 1929), avait été touché et touchait les gens avec « Le Petit Âne Gris » (1968), l'occasion, dans cette même Provence du Rhône, de mêler les moutons, les mas, les santons, la Durance et la transhumance. (à suivre) 

Berger_et_ses_moutons. Domaine public Auteur Paul Vayson (1842 1911).


samedi 10 février 2018

STEVENSON et MODESTINE / Jammes et Rostopchine




Les Cévennes ne se déclinent pas seulement à travers la beauté sévère des reliefs, la foi austère des protestants très présente dans une littérature inspirée par l’Histoire. A la rudesse des hauteurs répond aussi la douceur des vallées protégées où les oliviers n’ont pas péri suite au grand gel de 1956. La mentalité des gens, elle, loin des a-priori et des archétypes imputables aux développements historiques justement, se présente ouverte, solidaire… la chaleur du Midi, toujours.   

Corniche des Cévennes, Barre-des-Cévennes, encore des itinéraires, des lieux aux noms qui parlent de points de vue, de randonnées liées néanmoins dans sa tête au tragique destin de Pauline Lafont, fille de Bernadette, actrice attachante comme elle, tant sur le fond que sur les formes[1], retrouvée par un agriculteur, des mois après sa disparition, à l’état de squelette au fond d’un ravin[2]…  
Saint-Jean-du-Gard, capitale des camisards, n’est pas loin. C’est ici que finit le voyage de Robert-Louis Stevenson[3] (1850–1894) accompagné de son ânesse Modestine et venu se consoler en parcourant les monts et vallées marqués par la lutte des camisards. A vingt-huit ans seulement et bien que protestant de naissance (mais de peu de foi, ce qui scandalisa son père !), son propos sur un conflit religieux rappelant la situation en Ecosse, reste celui d’un observateur neutre, mesuré.
Il donne libre cours, par contre, au plaisir qu’il a d’admirer « l’arbre à pain » des Cévenols :


« … sur les terrasses j’essayai vainement de rendre avec un crayon le port majestueux des châtaigniers soutenant leur dôme de verdure. Par moments, un vent léger s’élevait et les châtaignes tombaient tout autour de moi sur l’herbe avec un son faible et sourd […] mon âme y mêlait un sentiment de sympathie à l’idée de la récolte qui s’amassait pour la plus grande joie des fermiers… » « Voyage avec un âne dans les Cévennes » 1879. R.-L. Stevenson (journée du 2 octobre 1878).



Sa relation avec Modestine permet de réfléchir à la place des animaux dans le temps. Les bêtes de somme, de travail, portant ou tirant, traités durement, menaient une vie rude. La mentalité de Stevenson est presque, à cet égard, celle de presque tout le monde aujourd’hui. Chez ses contemporains, par contre, seule une minorité, surtout de privilégiés cultivés dont Stevenson et ceux qui n’avaient pas à gagner leur vie, partageaient une tendresse particulière pour les ânes. La comtesse de Ségur née Rostopchine (1799-1874) avec « Les mémoires d’un âne » pour tous ceux qui aiment Cadichon, l’amour extrême du poète Francis Jammes au point de désirer un dernier repos au paradis des ânes, le manifestent avec ferveur [4].      


« … Je décidai de vendre ma jeune amie et de partir (pour Alès) par la diligence de l’après-midi […] ce fut seulement lorsque je fus bien installé, à côté du conducteur sur une diligence qui roulait avec fracas dans une vallée rocheuse remplie d’oliviers nains que j’eus conscience de ce qui me manquait : j’avais perdu Modestine. Jusqu’à ce moment j’avais cru la détester mais à présent elle s’en était allée. Hélas ! quel changement pour moi ! Pendant douze jours, nous avions été des compagnons inséparables, nous avions parcouru plus de cent-vingt milles, gravi des hauteurs respectables et suivi notre petit bonhomme de chemin, sur nos six jambes, à travers rochers et marécages. Elle me portait un peu sur les nerfs, sans doute, et j’avais parfois, vis-à-vis d’elle, des manières de grand seigneur. Après le premier jour, je sus conserver mon sang-froid et pour elle, pauvre âme, elle était patiente, elle avait des formes élégantes, une couleur d’un charmant gris souris et sa taille était petite à souhait. Ses défauts étaient ceux de sa race, ses vertus étaient bien à elle. Adieu, et… si c’est pour toujours… Le père Adam avait pleuré quand il me l’avait vendue. Après l’avoir vendue à mon tour, je fus tenté de suivre son exemple. Et comme je me trouvais seul avec le conducteur de la diligence […], je n’hésitai pas à me laisser aller à mon émotion. » « Voyage avec un âne dans les Cévennes » 1879. R.-L. Stevenson (journée du 2 octobre 1878).  




[1] « L’été en pente douce » 1987.
[2] Disparue le 11 août 1988 au cours d’une randonnée pédestre, retrouvée le 21 novembre au lieu-dit l’Adrech, morte sur le coup suite à une chute de dix mètres, identifiée grâce à sa bague et à sa denture. (wikipedia).
[3] De faible constitution, toujours malade dès son plus jeune âge, Stevenson qui écrira plus tard « L’île au trésor » et « L’étrange cas du docteur Jekyll et M. Hyde », affecté qui plus est par un gros chagrin d’amour, part sur les traces de George Sand au Puy-en-Velay puis décide de faire son « Voyage avec un âne dans les Cévennes » (1879), 230 kilomètres pour celui qui fut un enfant chétif ne pouvant pas jouer avec les autres ! Sa santé déficiente n’empêcha pas ses nombreux voyages dont celui pour retrouver Fanny, la femme aimée, aux Etats-Unis. La tuberculose eut raison de lui chez les Samoans qui l’avaient intronisé comme chef de tribu (« Tusitala », conteur d’histoires) pour le soutien apporté contre les Allemands. Il n’avait que 44 ans.    
[4] « J’aime l’âne si doux marchant le long des houx.
Il prend garde aux abeilles et bouge ses oreilles… » « J’aime l’âne si doux ». Francis Jammes (1868 – 1938)
Plus près de nous :
« … Au temps des transhumances
Il s'en allait heureux
Remontant la Durance
Honnête et courageux […] Mais un jour de Marseille
Des messieurs sont venus
La ferme était bien vieille alors on l’a vendue… » « Le petit âne gris. » (1968) Hugues Aufray (1929). 

Photos autorisées : 
1. wikimedia commons Corniche des Cévennes entre Saint-Jean-du-Gard et Florac Auteur Henri MOREAU
2. pxhere Cévennes terrasse attribué à selengkapnya
3. wikimedia commons Robert_Louis_Stevenson Author Rls-pc1jpg Knox series derivative work Beao
4. wikimedia commons Cévennes Ane Author KoS