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dimanche 29 septembre 2024

MOUTONS, MULES et petit ÂNE gris...

Au tableau biblique ne manque que le bœuf ; en 1973, Robert Miras chantait « Jésus est né en Provence entre Avignon et les Saintes-Maries » (1972) ; ne me demandez pas d'aller au-delà ; en vertu d'une liberté, entre ignorance et scepticisme, à s'interroger, je ne cite ce qui a été perçu comme un chant de Noël que parce que la communauté villageoise l'a ainsi perçu, l'avant Noël, l'accent, l'hiver mais le soleil, le Midi, le Sud qui chantent... il n'empêche, Jeannot Tailhan, un villageois socialement perçu, l'avait en tête, à toujours la fredonner. En attendant, si l'âge du messie a posé question, celui de Miras, le chanteur, aussi... la seule indication étant qu'il devait avoir dans les quatorze ans à l'heure de son succès, la suite reste dans le vague : un détail ; sinon reste l'image d'un jeune berger, des moutons qui habitaient autant l'espace que les esprits, des ânes, des mules qui accompagnaient la transhumance et dont parle si bien Daudet qui vient m'épauler en l'évoquant mieux que quiconque, dans une riche et magnifique simplicité : 

« ...Il faut vous dire qu’en Provence, c’est l’usage, quand viennent les chaleurs, d’envoyer le bétail dans les Alpes. Bêtes et gens passent cinq ou six mois là-haut, logés à la belle étoile, dans l’herbe jusqu’au ventre ; puis, au premier frisson de l’automne, on redescend au mas, et l’on revient brouter bourgeoisement les petites collines grises que parfume le romarin… Donc hier soir les troupeaux rentraient. Depuis le matin, le portail attendait, ouvert à deux battants ; les bergeries étaient pleines de paille fraîche. D’heure en heure on se disait : « Maintenant, ils sont à Eyguières, maintenant au Paradou. » Puis, tout à coup, vers le soir, un grand cri : « Les voilà ! » et là-bas, au lointain, nous voyons le troupeau s’avancer dans une gloire de poussière. Toute la route semble marcher avec lui… Les vieux béliers viennent d’abord, la corne en avant, l’air sauvage ; derrière eux le gros des moutons, les mères un peu lasses, leurs nourrissons dans les pattes ; — les mules à pompons rouges portant dans des paniers les agnelets d’un jour qu’elles bercent en marchant ; puis les chiens tout suants, avec des langues jusqu’à terre, et deux grands coquins de bergers drapés dans des manteaux de cadis roux qui leur tombent sur les talons comme des chapes.

Tout cela défile devant nous joyeusement et s’engouffre sous le portail, en piétinant avec un bruit d’averse… Il faut voir quel émoi dans la maison. Du haut de leur perchoir, les gros paons vert et or, à crête de tulle, ont reconnu les arrivants et les accueillent par un formidable coup de trompette. Le poulailler, qui s’endormait, se réveille en sursaut. Tout le monde est sur pied : pigeons, canards, dindons, pintades. La basse-cour est comme folle ; les poulets parlent de passer la nuit !… On dirait que chaque mouton a rapporté dans sa laine, avec un parfum d’Alpe sauvage, un peu de cet air vif des montagnes qui grise et qui fait danser... »

Installation, Alphonse Daudet (1840-1897) 

Alpilles_Troupeau_de_moutons Scan d'une carte postale ancienne. Auteur inconnu XIXe. s.

Avant Miras, un autre chanteur qui lui ne fait pas mystère de son âge, Hugues Aufray, 95 ans (né en 1929), avait été touché et touchait les gens avec « Le Petit Âne Gris » (1968), l'occasion, dans cette même Provence du Rhône, de mêler les moutons, les mas, les santons, la Durance et la transhumance. (à suivre) 

Berger_et_ses_moutons. Domaine public Auteur Paul Vayson (1842 1911).


mercredi 3 avril 2024

Marcel Scipion (1922-2013) / 1. Abeilles et Abeille sauvage.

Un paysage sans légende reste presque muet. Une des combines pour le faire parler, chanter jusqu'à prendre vie, est d’en laisser le soin aux peintres, aux musiciens, aux artistes et plus spécialement, parce qu’ils sont plus abordables, aux écrivains du cru. Avec Daudet, Mistral, Artaud, d’Arbaud, Bosco, Giono, Char, Pagnol, Arène... pardon de ne pouvoir aller plus loin, Scipion a pris sa part en faveur de sa Haute-Provence, à cheval entre les climats méditerranéens et alpins.

À parler de Marcel Scipion, ici, une interprétation prenant quelques libertés avec Radioscopie de Jacques Chancel (1928-2014), émission du 2 février 1978. Et si, par hasard, nous fredonnions, il y a peu « Il est né parmi les abeilles, un bel enfant de miel et d'orgeat... », ce même hasard vient nous rappeler la montagne en deuil avec les os retrouvés de ce pauvre pitchoun de deux ans ½... au pays de l'avion sacrifié par un copilote suicidaire...    

Lavandula_fields the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Neptuul

En hiver, Marcel Scipion et son troupeau sont au bord de la mer (il va vers Fréjus), puis dans le printemps de Provence ; dans les lavandes avant l’invasion des touristes (pas encore chinois ou japonais, venus de si loin...), puis la Haute-Provence, la montagne, les près des Pré et Alpes tout court, en transhumance avant le 14 juillet justement, avant le grand tralala des vacanciers : il était berger de moutons, il est (présent de narration) berger d’abeilles pour une apiculture pastorale jusqu'à Gap, Briançon.

ABEILLES et ABEILLE SAUVAGE..
Il dit  « l’abeille a deux bouts dont un pique », il suffit de la prendre par le bon bout. Lui, ses semblables, il les prend par le bon bout, celui qui ne pique pas. D’ailleurs, lui ne pique par aucun des deux bouts, tel l’abeille sauvage ; comme elle, il résiste seul, ce fut le cas pour son année de soins, en 1975, suite à un accident avec le camion rempli de ruches, là encore il ne lui est pas venue l’idée de piquer, pas même le destin ; au contraire, il loue les rencontres qui le tirent de l’isolement, de l’épreuve à assumer seul ; il est apprécié, on ne va pas le laisser tomber, on va l'aider à résister ; une amie auteure l’incite alors à écrire tout ce qu’il aime raconter, une seconde professeure de français aussi, contribue à faire éclore un livre de vie et de bonheur « Le Clos du Roi ». 
 
Bombus_terrestris_queen_-_Tilia_cordata_-_Keila Estonia 2016 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International Author Ivar Leidus

Comme l’abeille sauvage qui visite tant de fleurs, mais contrairement à elle qui ne fait pas de miel, Marcel pollinise en chacun de nous, l’envie d’une vie simple, propre, libre. Les moutons aussi, il a gardé, avec sa chienne Finette et deux musettes dont celle pour les livres... oh ! prêtés du presbytère sinon loués, parce qu’achetés, c’était cher. Il n'empêche, Chancel relève que le Certificat d'Études mène à la littérature... 

À travers les croyances, le radiesthésiste qui lui retrouve le troupeau, le sourcier qui trouve l’eau, les remèdes de grand-mère, le docteur qu’il fallait quérir à pied (il venait à cheval mais descendait au-dessus du précipice et ne passait qu’en s’accrochant à la queue de l’animal que les autres tiraient) avec les histoires de bergers, la vie en 35-36, les efforts à fournir, si positifs tant que la santé y est, le plaisir du pain cuit au four, du sucre dans le café, du chocolat pas souvent, d'un bout de viande au gril, moins souvent encore, plutôt réservée aux malades), c’est toute une vie pastorale, champêtre, libre avant toute chose. Une liberté pouvant s'évaluer : « J'ai vu l'Afrique, la liberté je la trouve avec mes abeilles dans les contrées où je mène mes abeilles, dans le calme de la Haute-Provence ».

À suivre l’entretien (radioscopie du 2 février 1978) avec Jacques Chancel, Scipion relève déjà les penchants négatifs de notre espèce : l’Homme (1) jamais content, les routes toujours plus couvrantes pour les touristes, alors qu'elles devraient l'être avant tout pour le sel des moutons, le ravitaillement des bergers... Il dit que les gens qui descendent dans les villes pour gagner, perdent plutôt bien des valeurs. Les hameaux déchus de la montagne enrichissent la plaine comme la Durance enrichit la Crau. Les petits-fils auront-ils seulement à cœur de s’intéresser à la vie des leurs, avant ? Les descendants ne reviennent plus. Ce serait difficile de revenir en arrière ; si la ferme a l'électricité, l'eau provient d'une source... il n'y a pas de toilettes, pas de salle de bains. 

« Si vous mangez le pain blanc avant le pain noir c'est difficile d'y revenir (2) ». 

Son hameau de Vénascle, à 950 mètres d’altitude, a été colonisé par les Belges. Son voisin qui ne vient jamais a acheté 800 hectares... (à suivre)

(1) Avec la majuscule, la Femme se retrouve impliquée... 
(2) c'est dit en 1978, de nos jours le propos serait pour le moins, plus nuancé.

 

samedi 2 janvier 2021

TÉMOINS INDIRECTS DE LA TRANSHUMANCE ANDORRANE, LES AUTEURS DE L'ÉTUDE.

En attendant de trouver quelque chose sur "N. Vaquié"(1*), nous apprenons, Wikipedia aidant, qu'Urbain Gibert (1903-1989) (pour l'année de naissance, une autre source indiquant 1897 semble erronée puisqu'il évoque ses souvenirs d'enfant vers 1912 [voir ci-dessous]), né à Missègre et décédé à Lauraguel a participé à la revue Folklore de 1938 à 1982. Avec cet instituteur entre Corbières et Razès, on ne peut que louer la mission de nos pédagogues de terrain, leur quête du savoir et une volonté de transmettre, non seulement loin d'un dirigisme à la hussarde, mais encourageant au contraire les particularismes identitaires... Il est vrai, tout chauvinisme bu, que l'Aude, notre département, continue de stimuler superbement... Ci-joint, en annexe à notre sujet, la carte de l'élevage en 1970 par Roger Bels... encore un instituteur... Si l'espoir de revenir au pays m'avait été donné, je le serais resté... 
Courtauly wikimedia commons Auteur Tybo2

(1*) Noël Vaquié (1920-1973) né à Courtauly (canton de Chalabre, Aude), correspondant du Midi-Libre.  

Ce tandem d'auteurs, ces passeurs de mémoire ne le clament pas, pourtant ils sont issus de villages, Missègre et Courtauly, respectivement des Hautes Corbières Occidentales et du Quercorb, qui, certainement sur des siècles, ont vu passer les troupeaux dans les deux sens. Urbain Gibert en témoigne : 

"... Et pendant de longs jours, le troupeau avance. Nous le voyons dans nos souvenirs d'enfant (aux environs de 1912) arrivant dans ce village des Corbières : « L'Andorra arriba !... » crient les gosses et « Le troupeau coule son bruit d'eau, il coule à route pleine; de chaque côté il frotte contre les maisons et les murs des jardins » (Jean Giono -Le Grand troupeau). Les ménagères enlèvent précipitamment les quelques pots de basilic ou de géranium qui sont devant les portes, car les chèvres sont rapides et malfaisantes. Les villageois regardaient avec une certaine admiration ces belles bêtes rustiques, habituées à la vie en plein air dans le rude climat des monts pyrénéens (10. En Andorre, le troupeau parque et dort en plein air ; lorsque le berger estime que le pâturage sur lequel se trouve (sic) les bêtes est suffisamment « fumé » par celles-ci, il déplace son troupeau.), parcourant de longues distances en bravant les intempéries, et ils les comparaient mentalement avec leurs brebis aux pattes fragiles, car les pâturages sont peu éloignés des bergeries dans les Corbières, craignant le froid et la pluie. Les moutons, chez nous, ne doivent pas se mouiller, car « perdon le surge »..." (le surge = le suint).   

(sic) "... J'avais surpris mon cher surhomme en plein délit d'humanité : je sentis que je l'en aimais davantage..." Marcel Pagnol, La Gloire de mon Père, 1957... Restons bienveillants à l'égard des fautes d'orthographe... que celui qui n'a jamais fauté le pénalise de 4 points en moins... heureusement que ce barème 5 fautes = zéro n'a plus cours depuis longtemps... 

 

Milobre_de_Bouisse 878 m. wikimedia commons Author Anthospace.

"...  Quant à nous, les gamins, à travers ce mot à étranges consonnances : « L'Andorra », nous rêvions à je ne sais quel pays lointain et mystérieux, pays d'où venaient les montreurs d'ours qui, de temps à autre, passaient dans le village, et ces troupeaux et ces bergers si différents des nôtres, ces troupeaux qui nous paraissaient immenses et dont nous admirions surtout les magnifiques « marrans plan flocats » et bien encornés qui s'affrontaient de temps à autre en des combats singuliers. Quelques ordres brefs, sifflets, jappements, les chiens s'affairent. Voilà le troupeau parqué sur la place autour de la grande fontaine ; il se reposera et dormira là toute la nuit sous la simple garde des chiens. Les bergers, eux, sont allés à l'auberge. Le lendemain de bonne heure, ils sont partis en direction du plateau de Lacamp, laissant à l'aubergiste un agneau « fragile » qui ira s'incorporer à un troupeau du village..." 

Missègre wikimedia commons Author Jcb-caz-11

En hiver, en Andorre, pays de montagne, les troupeaux restaient-ils dans la neige ? Quant à la considération sur les moutons locaux, la comparaison avec les moutons voyageurs ne les avantage pas... (En tant que troisième maillon, puis-je dire en toute modestie, que lors d'une balade entre la gorge de l'Orbieu, la montée à Lairière et au plateau de Lacamp, ce sont des moutons noirs que nous avons croisés, une laine du plus bel effet dans ces Corbières vertes). Le passage de l'Andorre a marqué l'enfance d'Urbain qui, comme tous les gosses, ne pouvait que rêver d'un pays mystérieux avec ces grands troupeaux vigoureux, les montreurs d'ours (1)... La scène doit se passer à Missègre, son village natal, le départ, le lendemain, vers le plateau de Lacamp ne peut que confirmer. Wikimedia nous offre la photo de ce qui semble être "la place autour de la grande fontaine"... grâce au Geoportail, la vue a peut-être été prise vers le Sud, avec le ruisseau de Guinel à droite... A gauche, à 50 mètres à peine sans qu'on la voie, la présence touchante de l'école, signe de la résistance d'un pays qui ne veut pas mourir...  

(1) Pauvres ours des Pyrénées devenus un problème à moins que le problème ne soit les hommes... Jadis nombreux étaient-ils néanmoins mieux intégrés à la nature ? Aujourd'hui ne sont-ils pas devenus accapareurs au point de chambouler les règles d'un milieu uniquement à leur profit sans voir qu'à terme ce sera pour leur plus grande perte ?        

vendredi 1 janvier 2021

BERGERS et TÉMOINS DE LA TRANSHUMANCE ANDORRANE.

Préalable : ci-joint la source principale  
 
http://garae.fr/Folklore/R52_147_148_AUTOMN_1972.pdf 
 
pour ceux qui m'en voudraient de plagier ou de paraphraser pour contourner les droits moraux des auteurs alors que le seul but est de témoigner et d'honorer la mémoire de ceux qui ont participé à cette transhumance ou qui en ont fait état de par leur profession ou leur curiosité intellectuelle. Et mieux vaut se fier au bon dieu qu'à Dedieu ! à ceux qui ont vu ces moutons plutôt qu'à ceux qui en parlent !
 
"Bergers et témoins", à moins d'être les deux, sinon, sans les premiers les seconds n'auraient rien eu sur le sujet... Les troisièmes ont eu le mérite de recueillir ces traces pour les transmettre. Sans eux, que saurions-nous, nous les quatrièmes, au bout de la relation, sur les premiers ? Et si nous rafraîchissions et prolongions un tant soit peu, est-ce que cela intéresserait le cinquième segment de l'arborescence, aujourd'hui sur son ordi ou son portable ? 
 
Farré Pierre d'après une photo (convertimage) de Noël Vaquié (Midi libre) et Revue Folklore 147-148 hiver 1972.

Les bergers : 
Farré Pierre, c'est lui sur le dessin d'après photo, est né en 1897 à Canillo (Andorre) dans une famille de neuf enfants. Dès l'âge de dix ans il accompagna un troupeau en Espagne. Quinze ans plus tard c'est en France qu'il transhume, amenant son troupeau autour d'Olonzac (Hérault). En Andorre, le droit d'aînesse empêchant le morcellement de la propriété, l'aîné est seul à hériter. Les cadets sont obligés de partir, souvent pour se louer en Catalogne ou en France : de jeunes "cabalers" venaient travailler la vigne vers Capestang et Béziers. Ils ne revenaient au pays qu'en été, pour les "festes major". Pierre fut d'abord berger pour son père, puis pour d'autres propriétaires avant de constituer son propre troupeau. Il a eu conduit des transhumances de 1100 bêtes. En 1972, il habitait dans l'Aude, du côté de Villefort... entre Puivert et Chalabre dans ce Quercorb des routes du mouton... 
En 1936, un berger espagnol qui travaillait pour un propriétaire de Soldeu amenait un des troupeaux du patron à Tournissan tandis que l'autre allait jusqu'à Oupia (Hérault). Déjà, à cause du peu de bénéfice, du manque de bergers, de la cherté de leurs salaires, les Andorrans préféraient se tourner vers l'élevage des juments poulinières (contribution de monsieur Puget à Tournissan). 

Les témoins directs (le second niveau) : 
Monsieur le directeur des Services Vétérinaires a transmis à M. J. Bernies qui lui même a communiqué les informations suivantes aux auteurs de cette étude (faut-il ajouter un niveau supplémentaire à notre arborescence ?). 
A savoir que les Services Vétérinaires prennent en compte la venue des troupeaux andorrans depuis 1922, qu'en 1948, notre département accueille près de 19.000 ovins et 440 caprins formant 110 troupeaux dont 60 descendus d'Andorre. En 1970, 10.400 ovins (70 % venus d'Andorre) transhumaient encore. La moitié de ces 110 troupeaux arrive jusque dans le Narbonnais. 
En plus de monsieur Puget déjà cité, les auteurs de l'étude remercient nommément les contributeurs Bouisset, Journet, Lacroux Revel, Taffanel, la revue "L'Agriculture Audoise" n° 46 de mars 1966, ainsi que le journal « Midi Libre » qui a permis l'illustration (3 articles sur la transhumance et la vie des bergers avaient paru dans ce journal les 4 et 5 septembre, 27 décembre 1971 sous la signature N. Vaquié). 

Lieux cités dans l'article / carte Geoportail.




jeudi 31 décembre 2020

"L'ANDOURRO ARRIBO" ! l'Andorre arrive ! Des moutons par milliers !

Après avoir suivi Marcel, entre Porté-Puymorens et Lézignan-Corbières, suite à une évocation de Victor Hugo, le lycée-caserne de Narbonne où les frères Torrès apportèrent l'air vif de l'Andorre et des Pyrénées ainsi qu'une envie de grands espaces, la revue FOLKLORE nous offre le détail d'une transhumance descendante, l'itinéraire des troupeaux venus hiverner dans notre Bas-Languedoc.

Articles en amont : 

https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2020/12/bergers-moutons-transhumance-des.html

 https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/2020/12/de-landorre-aux-pays-daude-hommes-et.html

 Cela nous est d'autant plus précieux que, concernant les troupeaux du Sud, presque la totalité des références, audiovisuelles, littéraires, avec Daudet, Giono, Bosco, Mauron... retracent les drailles et carraires de la grande migration ovine suivant le grand "S" formé par le cours de la Durance, de la Crau jusqu'aux Alpes. Une ligne de crêtes que la géopolitique a voulue frontière avec l'Italie mais dont l'Occitanie se rit, même pour les moutons puisque plus de la moitié des bergers étaient piémontais avec, pour langue maternelle, l'occitan des vallées ! Entre parenthèses, cette émigration transparait aussi dans l’œuvre de Pagnol avec par exemple les bouscatiers et charbonniers qui recueillent Manon dans le  cycle "L'Eau des Collines". 

Et d'autant moins de frustration qu'à trop fouiller et mettre au jour, la vulgarisation porte atteinte à l'enchantement. Autre parenthèse, je m'entends encore demander, en entrant le matin, dans le bruit ambiant de la classe qui sort ses affaires "Monsieur c'est quoi les Corbières ?" à brûle-pourpoint, à notre bon maître, monsieur Rougé qui, d'un beau sourire, a sûrement eu quelques mots pour me faire patienter et continuer à rêver, même si ma mémoire n'a gardé que son sourire pour réponse ! Aussi, dans les mystères des Corbières (près d'une vingtaine de pages à ce jour sur ce blog même) figureront désormais quelques jalons de cette transhumance descendante, juste de quoi aiguiser la curiosité des plus volontaires. Laissons venir à nous, dans le Quercorb, le Razès, le Val de Dagne, les garrigues du Minervois, jusqu'aux Corbières Orientales et les basses plaines de chez nous, ce "nomadisme assagi", pour reprendre les mots de Fernand Braudel.  

Cet article du numéro automne-hiver n°s 147-148 de la revue Folklore, on le doit à messieurs N. Vaquié et U. Gibert (l'Internet nous en dira-t-il davantage sur eux ?). 

L'Hospitalet-près-l'Andorre Place_Sainte-Suzanne wikimedia commons Author Olybrius

Début novembre, divers itinéraires répertoriés (les noms en majuscule marquent les étapes) : 

Tronçon commun :  L'HOSPITALET-près-l'ANDORRE (1 jour), Ax-les-Thermes, col du Schioula, PRADES (2 jours).

Itinéraire 1 "de l'Hers-vif" :  Comus, FOUGAX (3j), Col du Teil, Rivel, Chalabre, FERME DU PAPE (4j), col de la Flotte, Courtauly, ALAIGNE (5j) puis les pacages du Razès (6 jours), ou du Carcassonnais sinon du Lauragais (jusqu'à 8 jours en tout). 

Itinéraire 2 "par les cols des Tougnets et du Paradis vers les Corbières sèches ": commun avec le 1 jusqu'au col du Teil puis Puivert, TOUGNETS(4 j), ESPERAZA (5 j), ARQUES,(6 j) MOUTHOUMET (7 j) et au-delà vers Durban, Portel ou Tuchan Fitou (jusqu'à 9 jours en tout)

Itinéraire 3 "du Minervois par les Corbières vertes de l'Ouest": commun avec le 2 jusqu'à ARQUES (6 j) puis MISSEGRE (7 j), La CAUNETTE (8 j), LA-BASTIDE-EN-VAL (9 j), MONTLAUR (10 j), COMIGNE (11 j) et au-delà vers le Minervois audois sinon Olonzac et Oupia (jusqu'à 13 jours en tout).

Itinéraire 4 "du Pays-de-Sault au Minervois par les Corbières de l'Ouest" : commun avec le 1 jusqu'à PRADES (2 j) puis COUDONS (3 j), CAMPAGNE-sur-AUDE (4 j) et qui rejoint le 3 à ARQUES (5 j), MISSEGRE (6 j), La CAUNETTE (7 j), le Plateau de Lacamp, LA-BASTIDE-EN-VAL (8 j), MONTLAUR (9 j), COMIGNE (10 j) et au-delà vers le Minervois audois sinon Olonzac et Oupia (jusqu'à 12 jours en tout). 

Itinéraires de transhumance d'après N. Vaquié et U. Gibert sur base de carte en gris de l'IGN.

L'Hospitalet-près-l'Andorre Chemin du Rey wikimedia commons Author Olybrius

Prolongements : 
 
Tronçon commun : L'HOSPITALET. Depuis Canillo et Soldeu, par le Port Dret, au plus court et malgré le col à plus de 2400 mètres d'altitude, les troupeaux rejoignent (22 km depuis Canillo, 15 depuis Soldeu) L'HOSPITALET-près-l'ANDORRE où la douane française vérifie que les bêtes sont bien andorranes ainsi que les certificats (vaccinations faites trois semaines auparavant) avant de délivrer un laisser-passer et un acquit de pacage valable de six à huit mois. Le village est desservi par la ligne de chemin de fer Paris-La-Tour-de-Carol, gare "Andorre-l'Hospitalet" (l'Andorre a financé les 3/4 de la rénovation et organisé des navettes de bus entre les vallées et la France).
PRADES par Ax-les-Thermes et le Col du Chioula, soit 32.5 km (30 par Ignaux ou le ruisseau de Sorgeat qui coupe le long lacet en direction d'Ascou ?). Les bêtes sont parquées dans un enclos. Les bergers font étape dans une auberge ou une maison amie. 

Itinéraire 1 : 

La transhumance va rallier FOUGAX en suivant le cours de l'Hers-vif par Comus et les gorges de la Frau (13 % de dénivelé sur les 3 kilomètres les plus abrupts, canyon entre 300 et 400 mètres de profondeur).
Rivel "Rivelh de las semals" et "de las esquelhas" (Rivel des comportes et des sonnailles... où le grand-père de Dantoine, le dessinateur qui nous a laissés des Poilus formidablement de l'Aude, parlant languedocien, était esquélher). 
Chalabre, capitale du petit pays du Quercorb (ou Kercorb).
 
Itinéraire 2 : 
 
Puivert dont la rupture de la digue du lac (1289) causa une catastrophe à Chalabre et Mirepoix.   
Saint-Jean-de-Paracol, commune la plus pauvre de France en 2014 (les communes les plus pauvres étant audoises !). Momon Billès, pérignanais de Fleury, notre village, y était peut-être en tant que réfugié pendant la guerre. 
A ESPERAZA, jadis capitale du chapeau, les bêtes font halte dans la cour devant la gare ou la place.   
ARQUES (pas celui de la cristallerie... l'Aude a les communes les plus pauvres de métropole, doit-on le rappeler ? Les bêtes sont parquées dans un champ clôturé. Maison de Déodat Roché (1877-1978), historien du catharisme mais château de Gilles-de-Voisins, héritier d'un baron-colon du Nord, le château, déjà en 1280, contrôlait une voie importante de la transhumance, d'où les trois itinéraires encore empruntés au siècle dernier et qui font l'objet de notre sujet)...  
MOUTHOUMET qui ne forme plus un canton (il n'en reste que 19 sur 35 encore avant 2015). C'est aujourd'hui celui de... Fabrezan devenu celui des Corbières, énorme par sa superficie (1025 km2) mais d'une densité de population de seulement 16 habitants au km2. 
MOUTHOUMET comme Lanet, sont des toponymes liés à l'élevage du mouton. 
 
Itinéraire 3 : 

A MISSEGRE le troupeau reste sur la place. Il traverse des plateaux occupés par des pâtures entre des reliefs entre 600 et 878 m. au Milobre de Bouisse qui favorisent les précipitations dont la neige fréquente en hiver.
A La Caunette (aujourd'hui sur-Lauquet) on atteint les Petites Corbières Occidentales (400-600 m). L'étape est au moulin de la Caunette-Basse ou, deux kilomètres plus haut, à la Caunette-Haute.
Il reste néanmoins le Plateau de Lacamp (700 m.) qui domine à l'Est les gorges de l'Orbieu ainsi que l'avant-pays des Corbières et au Nord le Val-de-Dagne (de Diane à l'origine) coupé de la plaine viticole de l'Aude par le bourrelet de l'Alaric.
Étape à LABASTIDE-en-VAL.   

Itinéraire 4 : 
Depuis PRADES, ce trajet parcourt une partie du Pays de Sault (saltus = forêt en latin), à savoir le grand plateau, partant de 1245 mètres d'altitude pour arriver à COUDONS, après une étape de 28 kilomètres, à un peu moins de 900 mètres d'altitude (repos dans un champ clôturé). 
Pour rejoindre CAMPAGNE-sur-AUDE, le parcours évite de descendre directement sur la vallée de l'Aude à Quillan ; il contourne par Brenac et Lasserre (villages qui ont fusionné avec Quillan). 
 
"... Puis, tout à coup, vers le soir, un grand cri : "Les voilà !" et là-bas, au lointain, nous voyons s'avancer le troupeau dans une gloire de poussière..." Alphonse Daudet, Installation, Lettres de mon Moulin.  
 

lundi 21 décembre 2020

BERGERS & MOUTONS, transhumance des PYRÉNÉES.


Photo de Régis Esteban parue sur "Pays d'Aude et autres curiosités audoises".

" Torrès Pierre ? 

- Présent. 

-Torrès Patrice ? 

- Présent. " !

Les nouveaux ravivent toujours la curiosité des habitués. Collège Victor-Hugo (non répertorié, entre parenthèses, dans les monuments ayant quelque intérêt à Narbonne), lycée-caserne au milieu des années 60. On se presse autour d'eux. Ils se présentent : un bel accent rocailleux leur fait rouler les "R" comme exprès réitérés dans leurs noms et prénoms. Le père est berger ou éleveur, ils sont Andorrans... Encore des lettRes "R" !

Tout bienvenus qu'ils sont, que font-ils là ? Sauf que la curiosité est primaire par rapport à l'intérêt que l'on peut porter à l'autre... et je ne devais guère me démarquer... Peut-être en gagnant leur amitié mais nous n'étions pas du même âge et dans le parcours scolaire, les divisions cloisonnent. Alors il faut les belles photos de Régis, prises exactement là où ça s'est passé, pour enclencher ma machine à remonter le temps. 

Appelons-le Marcel (j'en connus un, vieux garçon et fermier avec ses parents sur les hauteurs de Villefranche-de-Conflent), il pratique la transhumance descendante entre Porté-Puymorens, presque l'Andorre... et l'Aude. Il a 45 ans. Au printemps et en été il est à Porté où il possède 20 hectares dont 19 de pâturages et de prairies à foin, le dernier étant réservé aux pommes-de-terre. A l'automne, depuis des années, il pratique la transhumance descendante à Lézignan-Corbières où il a une maison et une bergerie neuve de 600 m2. En train via Toulouse, outre ses 700 bêtes, il peut emmener dix tonnes d'aliments (foin, céréales) ainsi que son déménagement. 

"Plaine de Caumont, Lézignan-Corbières / Photo Régis Esteban parue sur "Pays d'Aude et autres curiosités audoises".

S'il laisse les brebis en pension, comme il le fit en 1963 à Capestang, il doit laisser en paiement environ 80 % des agneaux nés. 

De 1964 à 1967 ses bêtes ont été réparties en six troupeaux dont cinq confiés à des bergers salariés. 
Depuis l'hiver 68-69, les bergers étant rares et chers, il a réduit son nombre de têtes ainsi que le nombre de lieux d'hivernage. Ses trois troupeaux paissent en hiver à Lézignan (220 brebis), à Conilhac (180 brebis) et plus loin à Fonjoucouse (200 bêtes). Il emploie un pâtre espagnol qu'il connait de longtemps et un berger saisonnier, lui-même menant son troupeau (celui de Lézignan on suppose). En hiver les moutons paissent dans les vignes et les champs, au printemps dans la garrigue et les friches. 

En 1971 une grève de la SNCF a bloqué le retour de Marcel à Porté. Depuis Carcassonne, le transport avec son camion lui prit deux jours (sûrement en plusieurs navettes).  

Sans parler des échanges ancestraux avec l'Espagne, l'existence du Pays-Quint en est emblématique, une histoire encore tiède, bien que plus ancienne que celle de Marcel, fait état de la transhumance, à pied, des troupeaux andorrans... Torrès Pierre, Torrès Patrice, je ne vous oublie pas. 

Source principale :   "Situation récente de la transhumance ovine dans les Pyrénées françaises par Gisbert Rinschede, maître assistant de Géographie à l'Université de Münster. traduction de l'allemand par Mme C. Péchoux à partir du manuscrit de l'auteur "Die Transhumance in den französischen Pyrenäen". 

 https://www.persee.fr/doc/rgpso_0035-3221_1977_num_48_4_3523

addendum : à propos de la flore de la Clape, un correspondant a noté "Dépêche toi l'an dernier les moutons ont bouffé tout un tas d'espèces protégées au Rec."

Un grand merci à Régis Esteban qui a très aimablement mis les photos à disposition.  


mardi 12 mars 2019

MESTA des SUBMESETAS de la MESETA / Paysans en Espagne

ESPAGNE : la paysannerie soumise au sacro-saint droit de propriété. 

La défense inconditionnelle de la propriété privée est une des prérogatives essentielles du droit déjà au Haut Moyen Âge, avec les Wisigoths. Rien ne change sous la domination arabe quand les nobles wisigoths se convertissent afin de garder leurs terres sans plus payer de taxes.
La soumission des paysans au sacro-saint droit de propriété va se doubler, à partir de 1273 de la pression imposée par la MESTA, une gilde des gros propriétaires de troupeaux de Castille. Une oppression qui ne cessera officiellement qu'en 1836. 

LA MESTA.
A une lettre près, on pense au mot "meseta" (1) désignant le plateau avec l'idée de table, "mensa" en latin devenu "mesa" en castillan... par amuïssement du "n" devant le "s" m'aurait dit papa, or, la "mesta" est à l'origine un mot arabe désignant la période hivernale par opposition à la "mesaïfa", la saison d'été. En résumé de l'appellation complète "Honrado Concejo de la Mesta de Pastores", le nom MESTA désigne la corporation associant tous les gros propriétaires pour gérer les transhumances des grands troupeaux du Nord vers l'Estrémadure à l'origine. Une association regroupant la haute noblesse possédante et des ordres ecclésiastiques (d'Alcantara, de Santiago, de Calatrava). 

* Ces puissants imposent aux paysans d'abandonner et de laisser en friches de grandes surfaces cultivables au profit de leurs troupeaux. 

* Les moutons sont menés par les bergers qui s'opposent aux paysans directement sur le terrain en piétinant et ravageant les cultures, ce qui donne lieu à de nombreux conflits se réglant toujours en faveur des éleveurs. 

* La Mesta dispose d'un tribunal spécial où doivent se juger toutes les contestations, un tribunal juge et partie. La Mesta a ses alcades, ses entregadores, ses achagueros (fermeires desamendes qui harcèlent et accablent les fermiers.

* En 1477, ce sont trois millions de bêtes, menées par 40.000 à 60.000 bergers !  

* En 1501, un décret accorde la tenure perpétuelle (jouissance) de tout champ occupé périodiquement par les moutons. Le cheptel atteint alors les sept millions de têtes.  

* Les troupeaux ne peuvent passer dans les terres des villes, des nobles, du clergé. 

* Les trois « cañadas reales » (Leonesa, Segoviana et de la Mancha) marquent les plus longs trajets de transhumance (jusqu'à 800 km) pour revenir, avant l'hiver, vers l'Estrémadure ou l'Andalousie.  

* Une riche vie économique est liée à ces cañadas reales : des ateliers pour travailler la laine, des foires (Medina del Campo, Burgos, Ciudad Real, Albacete). où se vendent des tissus de luxe et où les échanges se finalisent entre l'Espagne, la France et les Pays-Bas.   

*  En 1738, afin de limiter l’infertilité des sols accaparés par la Mesta, Philippe V tente de lui interdire les terrains communaux. En 1748 il doit y renoncer mais compense en taxant davantage la laine. 

* En 1786, la MESTA perd son droit de jouissance perpétuelle. Les pâtures peuvent être encloses et cultivées.

* 1836, la MESTA est supprimée.

*  Aujourd'hui on compte cinq millions de moutons concernant cette transhumance, un nombre qui correspond à la moitié de tout le bétail en Espagne. 

(1) La Meseta, plateau central de Castille se divise en deux submesetas dont celle du Nord (Castilla-Leon) d'une altitude moyenne supérieure à celle du Sud (Castilla-La Mancha). 

Extremadura. Spain; Pixabay.